Jour 3 : Sans issues
Ce matin encore, les villageois se réveillèrent avec cette peur au ventre, celle de savoir qui s'était fait tuer cette fois. Plus les jours passaient, plus les chances d'être pris pour cible grandissaient.
À cinq heures, dans l'une des plus imposantes maisons de Yosu, un habitant prit une décision radicale.
— Sarah ! On n'a absolument aucune raison de rester ici ! Et nous sommes encore en vie tous les trois alors nous devrions fuir ce village avant qu'il ne soit trop tard ! s'exclama Lucas.
— Mais... hésita sa femme.
— Mais ?
— Et si... toi tu étais loup-garou... même en dehors du village...
Lucas resta abasourdi quelques secondes, avant de répliquer.
— Tu ne me fais pas confiance ?
— Si bien sûr, mais...
— Je ne peux pas supporter tout ça une minute de plus ! On prend Fifi (c'était ainsi qu'ils surnommaient leur fille.) quelques affaires et on se casse !
La petite fille qui jusque-là écoutait derrière la porte, sortit de sa cachette et s'exclama :
— Je refuse !
— C'est une discussion de grandes personnes, tu n'as pas... commença son père.
— Si on part maintenant, on abandonnerait tous ceux du village ! Et je veux pas !
— Elle a raison... si nous sommes tous les trois bel et bien innocents alors notre départ signifiera sûrement la victoire certaine des loups-garous... ajouta Sarah.
— Et alors ! Ils ne font que tuer des gens au pif ! Si on reste ici, on va tous y passer ! Et on leur doit rien à ces gens ! Ils ont qu'à fuir aussi !
— Mais...
— Tu ne veux donc pas protéger notre enfant ?
La mère ne répondit pas.
— Alors ?
— Tu... tu as raison...
— Merci de m'écouter...
— Quand part-on ?
— Maintenant.
— Je veux pas partir ! s'exclama soudainement la petite fille.
— Tu n'as pas ton mot à dire ! Et c'est pour ton bien ! rétorqua son père.
— Mais... non ! Je refuse de...
— Écoute ton père, ordonna Sarah d'un ton ferme.
— Préparons les valises, on s'en va.
Ils prirent le strict minimum et sortirent de chez eux en vitesse, malgré les protestations de leur enfant.
Une heure s'écoula.
Ils se trouvaient au milieu de la forêt, autour d'eux le silence régnait, si bien que le seul son se faisant entendre dans les environs était celui de leurs propres pas. Le Soleil commençait à se lever, et de faibles rayons passaient à travers le feuillage des arbres.
— Ça fait des heures qu'on marche... c'est quand qu'on arrive ? se plaignit la petite fille.
— Ça fait à peine une heure qu'on est parti ! s'exclama son père.
— Du calme... dit Sarah essayant d'apaiser Lucas, angoissé.
— Je sais, mais...
Elle observa son mari droit dans les yeux, d'un regard attendrissant, elle prit ce dernier dans ses bras.
— Tout ira bien... arrête de stresser OK ?
— Oui... tu as raison... excuse-moi...
Il s'adressa à sa fille.
— Tu veux monter sur mon dos ? demanda-t-il d'une voix douce.
— Oui ! répondit-elle avec enthousiasme.
Lucas tenait une torche dans sa main, illuminant le chemin, sans crier gare, elle s'éteignit.
Au milieu des arbres de la forêt, tout devint sombre, le Soleil qui commençait à se lever s'était brutalement effacé. Soudain, une voix surgit de la pénombre, semblant venir de partout et nulle part à la fois.
— Vous pensiez vraiment pouvoir partir d'ici si facilement ?
— Qui êtes-vous ? demanda Lucas, inquiet et sur ses gardes.
Il attrapa la main de sa femme et lui recommanda fermement :
— Reste derrière moi chérie.
Une silhouette apparut devant eux, son visage était masqué, il portait une longue cape noire, une main tenant sa canne, l'autre tenant l'avant de son chapeau.
— Bien le bonjour, mesdames et messieurs, le spectacle que vous nous offrez est si splendide ! Vous ne voudriez tout de même pas le quitter si vite ! Retournez sur scène et continuez de nous divertir !
— Qu'est-ce que vous...
L'homme en noir claqua des doigts et la famille s'évanouit.
Au réveil, ils se trouvaient chez eux, dans leurs lits respectifs.
Lucas commença à doucement revenir à lui.
— Que...
Il regarda l'heure, déjà neuf heures quarante ! Dans vingt minutes aura lieu le vote, peu à peu, le père se souvint des événements précédents.
— Ce gars... fait chier !
De rage, il tapa du poing sur la table de nuit à côté de lui.
— Tu es réveillé ? demanda Sarah en rentrant dans la pièce l'air pensive, triturant ses longs cheveux châtains.
— Oui, mais... comment... que s'est-il...
— La seule chose sûre, c'est que l'on ne peut pas fuir...
Sarah vint s'assoir sur le lit, près de son mari.
— Mais comment !? C'était qui ce gars !?
— Probablement l'homme qui a causé tout ça...
— Mais comment il peut... ?
— Je sais pas...
Lucas frappa une nouvelle fois du poing, mais cette fois ce fut son matelas qui servit de punching-ball.
— Fais chier !
Sarah regardait devant elle, l'air vague...
— Je suppose que c'est le juste retour des choses... après ce que j'ai fait...
— Qu'est-ce que tu as dit ?
— Non... c'est rien oublie...
Elle se tourna vers lui.
— On va s'en sortir, hein... ?
— Oui on va trouver un moyen, je te le promets.
— Je l'espère...
— Je te l'assure.
— Très bien...
Lucas s'aperçut que sa femme l'observait d'un étrange air, bien trop grave.
— Si jamais... je venais à mourir...
— Sarah ne...
— Laisse-moi finir...
Il soupira, respectant sa parole même s'il n'avait pas la moindre envie d'en entendre davantage.
— Promets-moi que tu protégeras notre fille quoi qu'il arrive.
— Je te le promets.
— Merci...
Il y eut un long silence, qui fut finalement brisé par Sarah.
— Enfin, ça n'arrivera pas... on restera tous les trois ensemble.
— Oui, bien sûr, répondit-il avec un grand sourire.
— Je t'aime Lucas.
— Je t'aime aussi, Sarah.
Une quinzaine de minutes plus tard, tout le village se réunit sur la grande place, attendant que l'ancien leur dévoile les informations de ce nouveau début de journée.
— Bonjour à tous, j'espère que vous avez passé une agréable nuit malgré les... problèmes ayant lieu ici en ce moment. Je dois vous annoncer de nouveau une bien triste nouvelle. Cette nuit ce n'est pas un, mais deux innocents qui sont morts. Le limier a été retrouvé... avec diverses traces de crocs sur le corps et la voyante elle... a été empoisonnée.
— Empoisonné... ? s'interrogea la sorcière.
— Qui a bien pu faire une chose pareille ! s'exclama Dylan.
— Aucune idée... cette personne est monstrueuse... murmura la sorcière.
Le chasseur lui lança un regard amusé, si un empoisonnement avait eu lieu, il ne faisait aucun doute qu'une potion de la sorcière l'avait provoqué.
— Un vrai monstre, on se demande bien qui aurait pu empoisonner quelqu'un ici, n'aurait-on pas dans ce village, une idiote bornée en ayant après la voyante suite au vote d'hier ? Mais si, quelqu'un capable de créer des potions, dont des poisons.
— Qu'est-ce que tu insinues ? cracha la sorcière.
Le chasseur haussa les épaules sans rien ajouter de plus.
— Nous avons perdu nos deux meilleurs éléments... nous devons leur faire honneur et à présent gagner, pour nous, mais surtout pour eux, pour nos camarades tombés au combat, déclara l'ancien d'un ton solennel.
— Je... je ne suis au courant de rien... affirma la petite fille.
— Très bien, nous sommes tous suspects et personne n'est exempté de soupçons. Patrick encore aujourd'hui ne participera pas aux votes.
— Mais c'est de la triche ! Pourquoi lui ne serait pas en danger !? Hier, je veux bien, mais aujourd'hui... s'indigna Vincent.
— Nous verrons bien ton état si tes deux amis, Dylan et Charle meurent, lança l'ancien d'un ton sec.
Vincent ne répondit rien, par manque d'arguments.
— Vous ne trouvez pas bizarre que deux groupes depuis le début survivent parfaitement ? Lucas, Sarah et leur fille, ainsi que les trois fermiers, accusa la sorcière.
— Vous ne trouvez pas bizarre que la voyante soit morte empoisonnée, non ce n'est pas surprenant vu que la sorcière vit dans ce village, rétorqua Lucas.
— Es-tu en train de m'accuser ?
— Non, je démontre juste ta stupidité.
La sorcière fulmina, mais avant qu'elle ne puisse répliquer, l'ancien prit la parole.
— On ne peut pas tirer de conclusions hâtives, mais effectivement la sorcière à raison, il est statistiquement probable qu'au moins un loup se cache parmi ces six personnes.
— Qu'est-ce que vous insinuez ? Vous pensez que dans ma famille... sérieusement ? Vous allez nous tuer juste à cause de vulgaires probabilités ?! s'indigna Lucas.
— On se calme, on se calme, répondit l'ancien.
Le chasseur hésita à prendre la parole, puis, après une longue réflexion, il se lança.
— Lucas, Sarah et leur fille sont sortis dans la forêt très tôt cette nuit.
— C'est extrêmement suspect si c'est vrai, fit remarquer le vieil homme d'un ton accusateur.
— Nous... nous voulions simplement fuir ! Partir de ce village de malheurs ! se défendit le père de famille.
— Je trouve Lucas et Sarah suspects... surtout Lucas, lâcha la sorcière.
— Je trouve Sarah bien plus suspecte, attaqua Vincent.
— Attendez ! Vous allez vraiment tuer l'un de nous ? s'indigna l'accusé.
— Je pense que l'on est tous d'accord... affirma tristement l'ancien.
— Vous n'avez absolument aucune preuve !
— Alors on vote qui, Sarah ou Lucas ? insista Vincent.
— MAIS ATTENDEZ VOUS NE POUVEZ PAS FAIRE ÇA !
— Finalement, peut-être que Lucas...
Le fermier n'eut pas le temps de terminer sa phrase, une claque retentissante résonna dans toute la place.
Dylan, qui s'était décalé face à lui, venait de lui coller la gifle de sa vie.
— Ce n'est pas une façon de faire. Que vous les suspectiez d'accord, mais les acculer sur la base de rien c'est...
— Idiot, c'est pas en étant sympa avec eux qu'on arrivera à les pousser dans leurs retranchements ! Si on veut trouver les loups, on n'a pas le choix que de bousculer un peu les gens ! Et au vu de sa réaction, j'ai bien eu raison de faire ça ! Il s'est rendu bien plus suspect pour tout le monde ! Lucas est coupable !
Le reste du village semblait en accord avec les propos de Vincent, Sarah regarda son mari dans les yeux et lui caressa tendrement la joue.
— Tout ira bien chéri, le rassura-t-elle.
— Mais... ils vont...
Sarah embrassa Lucas passionnément et lui murmura « je t'aime ».
Elle s'avança, et avoua à haute voix.
— C'est moi, je suis le loup-garou.
Cette annonce provoqua un long silence, la mère enchaina :
— C'est moi la coupable, je ne vous laisserai pas tuer ma famille et je n'ai pas envie de le faire moi-même, alors allez-y, tuez-moi.
— Vous voyez ? Lucas se plaint, mais au final, on a raison ! s'exclama fièrement Vincent.
— Sarah... qu'est-ce que tu racontes !?
— Pardonne-moi chéri...
— Très bien... je pense que nous sommes prêts à voter... annonça tristement l'ancien.
L'atmosphère pesante s'installa, l'exécution, sans aucun suspense, durait pourtant une éternité. Le maire dépouillait les votes bien trop lentement pour Lucas.
Il arracha la première enveloppe d'une main tremblante et dévoila le nom qui y était inscrit.
— Sarah !
Le second s'avéra identique, il continua ainsi, trois votes désignaient la sorcière, trois blanc, trois accusaient Lucas et quatre visaient Sarah.
L'ancien ouvrit alors le dernier vote.
— Lucas !
Le résultat du jugement se solda par une égalité parfaite entre Lucas et Sarah, une énigme pour cette dernière qui avait pourtant avoué sa culpabilité.
Elle regarda le vieil homme droit dans les yeux, le maire possédait, en cet instant, le pouvoir de trancher afin de savoir qui exécuter.
— Tuez-moi... Je ne veux pas faire de mal à ma famille alors... tuez-moi... supplia-t-elle.
— Sarah ne fait pas ça ! s'exclama Lucas essayant de la retenir.
— Si tel est ton souhait... déclara tristement l'ancien.
Soudain, un éclair s'abattit sur Sarah, sous les pleurs et hurlements de son enfant, déchiré par le chagrin.
— Maman...
L'habituelle lettre apparut, elle contenait simplement trois mots.
« Sarah était innocente. »
— Vous aviez... raison hein ? lança Lucas d'un ton sarcastique.
Personne ne prononça un mot.
Il prit la main de sa fille et l'emmena avec lui, sans adresser la moindre parole aux autres habitants.
— Nous ne referons pas la même erreur, affirma l'ancien.
— Ça, tu l'as déjà dit, ne put se retenir Lucas, avant de quitter les lieux.
Les villageois allèrent se coucher, les innocents culpabilisaient et les loups-garous jubilaient.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro