Chapitre 40 : Jodie
Voilà enfin le grand chapitre de 1300 mots ! J'espère qu'il vous plaira, hihihi !
Je retiens Bryan en l'attrapant par le poignet, il s'arrête en levant les yeux au ciel.
- Jodie, arrête de faire l'enfant ! S'énerve-t-il en s'écartant de moi.
Personne ne tuera Adei. Ni Enea, ni Bryan. Personne.
Tout en serrant les poings, je défis Bryan du regard. Il croise les bras et lève un sourcil.
- Quoi ? Il va falloir que je me batte avec toi avant ? Tu sais très bien que je te mets au sol sans problèmes.
Il n'a pas tort, je ne fais pas le poids face à lui... Optons alors pour une autre stratégie...
Je croise les bras à mon tour et lance :
- Si Adei meurt, c'est fini entre nous.
Son visage dur et impassible laisse entrevoir de la surprise le temps d'un instant. La seconde d'après, celui-ci se referme et il me tourne le dos.
- Retourne rapidement dans ta chambre si tu ne veux pas avoir de problèmes, me prévient-il d'une voix sombre.
Puis il s'en va, me laissant bouche bée... Vient-il de rompre ? Ce n'est pas possible... Ce n'était pas censé finir ainsi... Je me mets donc à le poursuivre pour tenter de discuter avec lui et m'expliquer mais Bryan finit par rentrer dans la chambre d'Enea en fermant la porte à clé derrière lui. Fait chier... Il faut que j'aille voir Adei...
Je cours donc jusqu'à sa chambre et ouvre violemment la porte. Allongé sur son lit, il se relève brusquement. Je l'attrape par le poignet et le tire hors de son lit en lui disant :
- Il faut partir, il faut qu'on s'en aille d'ici tout de suite.
Sans même me demander pourquoi, il hoche la tête et commence à me suivre. Je pense qu'il n'a pas besoin d'explications : sa vie est en danger.
- Allons d'abord dans ma chambre, lui expliqué-je. Je dois récupérer quelque chose.
Le couteau. Il faut que j'aille récupérer le couteau pour pouvoir nous défendre si quelqu'un tente de nous attaquer.
Nous traversons donc à toute vitesse le Village, et j'entends Bryan hurler :
- Rentrez dans vos chambres !
Adei pousse un cri et du coin de l'œil j'aperçois Enea et Bryan qui sont déjà à notre poursuite, merde !
Tout en disant à Adei de courir se réfugier dans les bois, je me retourne pour faire face à nos adversaires. Bryan se jette sur moi et m'immobilise au sol tandis que je me mets à lui hurler des insultes.
- Je t'en prie, Jodie, écoute-moi ! Grogne-t-il en essayant de me maintenir au sol.
L'écouter pour me dire quoi ? Que la mort d'Adei est nécessaire au Jeu ?! Que je dois rentrer dans ma chambre comme une bonne petite joueuse docile ? Jamais !
Je tends le cou et lui mord l'avant-bras. Bryan pousse un grognement et mord aussi mon avant-bras encore plus fort. Il a les dents bien pointues, ce con ! Je finis par le lâcher, ne supportant plus la douleur, puis il m'attrape avec une main les deux poignets et pose sa main sur ma bouche pour m'empêcher de hurler.
- Ne m'oblige pas à te faire taire de force ! Grogne-t-il.
Me faire taire de force ? Plaquer sa main sur ma bouche et me maintenir immobile au sol, ce n'est pas déjà la manière forte ?!
Une de mes mains arrive à se glisser hors de son emprise et je pose ma main sur son visage pour lui tordre la tête. Il semble déstabilisé, ce qui me permet de libérer une de mes jambes. Je pose alors mon pied contre son ventre et en poussant le plus de fort possible, j'arrive à l'éloigner de moi et le faire tomber juste à côté. J'en profite donc pour me retourner, mais je n'ai même pas le temps de me relever que Bryan a déjà sa main posé sur mon dos pour me maintenir fermement au sol. Il attrape mes bras, les croise dans mon dos et m'immobilise à nouveau, mais sur le ventre.
C'est alors que je vois, avec le plus grand des effrois, Adei tomber lourdement au sol avec Enea juste à côté de lui.
- Adei ! Hurlé-je.
Les larmes me montent aux yeux et je me secoue dans tous les sens pour me libérer de l'emprise de Bryan.
- Il n'est pas mort, imbécile ! Lâche Bryan, peinant à me maintenir immobile.
Quoi ? Menteur !
Au même moment j'entends quelqu'un d'autre hurler : Até. Elle se précipite vers Adei, mais Enea se met sur son chemin et l'attrape par la gorge en la soulevant du sol.
D'une attitude calme et blasée, elle se tourne vers nous et demande au Maître du Jeu :
- Je peux la tuer ?
Mais celui-ci refuse et lui dit simplement :
- Va la ramener dans sa chambre et attache là fermement à son lit, je m'occupe de l'autre.
L'autre, moi ?! Quel gros connard ! Il va voir ce que l'autre va lui faire !
Mes mains attrapent son poignet et y plantent profondément mes ongles. Surpris, Bryan pousse un juron et repositionne ses mains pour que je ne puisse plus les atteindre.
De son côté, Enea lève les yeux au ciel, déçue, et commence à traîner Até au sol qui hurle à la mort le prénom d'Adei. Quand elles disparaissent dans la chambre, le Maître du Jeu me demande :
- Tu t'es calmée ?
- Va te faire foutre.
Il soupire et me retourne sur le dos. Il semble vraiment blasé par la situation.
- Adei n'est pas mort, tente-t-il de me faire croire.
- Alors pourquoi il est au sol et il ne bouge plus ?!
- Enea l'a endormi. Si tu me promets de rester calme, je te laisserai aller vérifier.
Les sourcils froncés, je reste muette. Peut-être que c'est un piège... Ou peut-être pas. Il semble sincère, et depuis que je le connais, j'ai fini par repérer les indices qui me montrent s'il est réellement sincère ou non. Il sait mieux mentir que dire la vérité, donc il est sincère avec moi quand j'ai l'impression qu'il me ment.
Voyant que je me suis calmée, il se relève et me libère enfin. Je me dirige vers Adei et vérifie s'il est toujours vivant : il l'est. Tout en prenant Adei dans mes bras, je demande au Maître du Jeu :
- Qui me dit que tu ne vas pas le tuer quand j'aurais le dos tourné ?
Comprenant que je me méfis de lui, il s'accroupi à côté de moi et regarde Adei.
- Je ne le tuerai pas car j'ai besoin de lui, m'explique-t-il à voix basse. Un des assistant est mort, il va prendre sa place.
Un des assistants est mort ?! C'est peut-être Emeric... Il m'avait dit que les gardes le tabassaient, ont-ils fini par le tuer ?!
- Ce n'est pas Emeric, me rassure-t-il en tendant les bras pour que je lui passe Adei. C'est une assistante.
- C'est toi qui l'as tué ? C'est pour ça que tu as du sang sur toi ?
Il secoue la tête et m'avoue avec un peu de gêne dans la voix :
- Non... Je ne l'ai pas tué... Par contre, j'ai tué son meurtrier... C'était nécessaire... C'était pour sauver Emeric... Il va bien, maintenant. Il est entre de bonne mains.
Il s'est remis à tuer... Même s'il me dit que c'était nécessaire, je suis triste pour lui. Je vois bien qu'il est déçu de lui...
Je finis par lui donner Adei, qu'il pose sur son épaule. Nous nous relevons tous les deux et commençons à marcher vers la Maison Rouge, mais il m'arrête et me dit :
- Rentre dans ta chambre, Jodie. Je pense que cette nuit, il est préférable qu'on dorme séparément.
Je me fige, bouche grande ouverte.
- Pourquoi ? Soufflé-je, surprise.
Il se tourne vers moi, sourcils froncés et le regard dans le vide.
- Je suis énervé et vexé, car tu ne sais pas me faire confiance. Pourquoi restes-tu avec moi, si c'est pour te méfier constamment de moi ? Je pense qu'il est nécessaire que cette nuit, tu te poses les bonnes questions...
Donc, il est vraiment en train de me larguer, tout ça parce que j'ai douté quelques fois de sa sincérité ?!
Je sers les poings et sens monter en moi une colère noire...
- Très bien, lâché-je sur un coup de tête. Adieu.
Puis je tourne les talons et retourne dans ma chambre. Je suis tellement énervée par ce qu'il vient de me dire que je n'arrive même pas à pleurer.
Comment ce petit enculé de merde peut se considérer assez supérieur à moi pour déclarer si je lui fais confiance ou pas ?! Je lui fais confiance sur certains points et j'attends qu'il me montre qu'il mérite ma confiance sur d'autres ! Pauvre con !
J'attrape mon coussin, hurle à l'intérieur et commence à taper chaque mur et meuble de ma chambre avec.
Il veut que je remette en question notre relation parce que je ne lui fais pas assez confiance ? Au lieu de rejeter la faute sur mon manque de confiance en lui, il devrait plutôt faire une introspection et se demander pourquoi c'est LUI qui a fait merder notre relation ! Il me faisait tout le temps la gueule parce que je ne lui accorde pas assez d'attention, alors que je lui ai donné tout mon temps libre ! Je lui ai tout donné, à tel point que j'ai perdu Hect !
Elle avait raison, j'aurais dû me méfier de lui. J'aurais dû me méfier de son caractère de merde !
Le coussin, épuisé de prendre autant de coup, finit par se déchirer et des plumes se mettent à voler partout dans la chambre.
Quel gros fils de p... Non, je n'insulterais pas sa mère... Je ne l'insulterais pas...
Mais c'est quand même un gros con ! Au lieu de vouloir penser à notre relation chacun de notre côté, on devrait plutôt en discuter tous les deux. Peut-être qu'avec un peu de discussions je finirais enfin par lui faire totalement confiance ! S'il voulait vraiment rester avec moi, il m'aurait plutôt invité dans sa maison pour en discuter. Il m'a juste laissé comprendre qu'il me larguait sans avoir à me le dire.
Enfin... Je sais que je ne suis pas totalement innocente dans cette histoire... C'est vrai que j'ai dû mal à lui faire confiance... Enfin, c'est un peu plus compliqué que cela... Bryan n'est pas le même quand il joue le rôle du Maître du Jeu, et c'est quand il incarne ce rôle-là que je ne lui fais pas confiance, parce que ce n'est pas lui... Quand je suis seule avec lui et il enlève son masque, je lui fais confiance, je lui fais vraiment confiance ! J'aurais dû lui faire comprendre ça...
Il faut que j'aille lui parler. Si ça doit se terminer, je veux d'abord qu'on en discute.
Je sors donc de ma chambre et traverse tout le Village d'un pas déterminé. Du coin de l'œil, j'aperçois Enea sortir de la chambre d'Até et se diriger autre part.
Quand j'arrive devant la Maison Rouge, je lève haut la main pour me mettre à tambouriner sur la porte, mais quelque chose qui m'arrête net : des rires.
Des... Rires ?
Je m'accroupis et commence à observer discrètement ce qu'il se passe à travers la fenêtre : Bryan et une autre femme, une femme magnifique, sont en train de discuter et rire en sirotant un verre de vin.
En temps normal, je ne suis pas jalouse. Mais actuellement, je suis bien trop énervée pour réfléchir correctement et rester raisonnable. J'en déduis donc qu'il m'a largué pour se la taper.
Tout m'indique cela : ils doivent du vin ensemble, échangent des petits rire ensemble, tandis qu'ils sont tous les deux assis sur le même fauteuil... Et puis, le regard que cette femme lui lance... Ce regard-là est trop insistant et trop doux pour que ce soit son regard habituel... Elle drague Bryan, c'est sûr !
Cette colère noire, que j'arrivais un peu à maîtriser, prend soudainement possession de mon corps quand je vois la main de cette femme se poser sur l'épaule de Bryan. Je me relève et ouvre la porte d'un coup de pied et croise les bras en les regardant silencieusement.
La jeune femme se relève, le visage rouge et l'air gênée. Bryan, lui, se tourne vers moi, surpris.
- Je t'ai demandé de retourner dans ta chambre, me répète-t-il en posant son verre sur sa table basse.
- Tu n'es pas mon père et je ne suis pas ta fille, donc je n'ai pas à t'écouter.
Il s'avance vers moi et me répond :
- Certes, mais je suis le Maître du Jeu, donc tu dois m'obéir.
Pff, c'est trop facile d'utiliser cet argument...
Je croise les bras et lui demande froidement :
- Qui est cette femme ?
Il se tourne vers cette femme en répondant innocemment :
- C'est Gwendoline, la nouvelle chef des gardes. Je lui donnais juste des conseils pour qu'elle puisse mener son rôle correctement.
Mes yeux se posent sur cette Gwendoline. Elle a la tête baissée, les yeux qui fixent son verre, et semble très gênée. Bryan, lui, a vraiment l'air de trouver cette situation ridicule.
J'ai compris, Gwendoline voulait séduire Bryan, alors que Bryan voulait juste lui parler sérieusement... Je pousse un grognement.
- J'aurais aimé qu'on parle un peu plus de notre couple, dis-je à Bryan tout en fixant Gwendoline.
Bryan, qui semble visiblement embarrassé que je parle de cela devant cette Gwendoline, secoue la tête et m'attire hors de sa maison.
- Ce n'est pas le bon moment, chuchote-t-il, les mains posées sur mes épaules. Retourne dans ta chambre et je viendrais te voir dans une vingtaine de minutes.
- Une vingtaine de minutes ?! M'écrié-je. Non, je veux te voir tout de suite !
Je passe mes bras autour de sa taille et le serre fort contre moi. Il soupire :
- Jodie, ne fais pas l'enfant... J'ai besoin de vingt minutes pour raccompagner Gwendoline en bas et prendre ma douche pour enlever tout le sang que j'ai au visage et sur le corps.
Je m'écarte alors et le regarde droit dans les yeux.
- D'accord. Je te fais confiance, soufflé-je.
Il me sourit et m'embrasse sur le front avant de se retourner vers Gwendoline. Nous échangeons toutes les deux un regard, elle semble toujours gênée, et moi je la nargue en haussant les sourcils. Tu ne l'auras pas !
Quand la porte se referme, je commence à me diriger vers ma chambre, mais quelque chose attire mon regard dans le coin du Village : de la neige.
De la neige... Mais par terre ! C'est la première fois que je vois ça de ma vie !
Je me précipite donc jusqu'à ce petit tas sur l'herbe et le touche du doigt. C'est tout froid ! Quelques petits brins d'herbe craquent sous mes doigts en produisant un petit bruit cristallin. Je lève les yeux et aperçois encore plus loin un gros tas de neige. Tout en poussant un petit cri aigue, je me rue dessus et pose la pointe de mon pied. Un agréable frisson me parcours le long du dos quand j'entends ce bout... J'adore la neige !
Trop surexcitée par cette situation, j'en perds mes manières et m'allonge sur ce tas pour regarder les flocons tomber du ciel.
J'ai toujours aimé l'hiver, mais maintenant, je l'aime encore plus... Cette atmosphère est magique. Regarder les flocons tomber m'apaise, bien que je sois complètement trempée et que je crève de froid.
Mes paupières deviennent lourdes et je commence à m'endormir sur ce petit nuage glacé...
J'aime tellement le froid...
- Jodie ?
Surprise, je me relève en sursautant, essuie la bave qui coulait le long de ma joue. Merde, j'ai dû m'endormir...
Bryan me regarde bizarrement et je lui souris. Je lui montre sur quoi je suis assise :
- De la neige, regarde !
Il rit et m'aide à me relever.
- Oui, mais rentrons à l'intérieur, il fait certainement plus chaud.
Je refuse et me rassois sur mon petit tas. Non ! C'est la première fois que je vois de la neige au sol, alors je compte en profiter !
Comprenant que je ne bougerais pas d'ici, Bryan me demande de l'attendre et revient avec une veste chaude, des gants, une couverture, une écharpe et un bonnet.
- Si tu tiens tant que ça à profiter de la neige, allons dans un endroit où il y en a encore plus, me dit-il en me mettant le bonnet sur la tête.
- Où ça ?
Un léger sourire apparaît sur son visage et il me répond :
- Tu verras, c'est un lieu secret dans la forêt.
Je me relève donc et le prends par la main tandis que nous nous mettons à marcher.
- Pourquoi il n'y a pas de neige dans le Village ? Demandé-je, déçue.
- Certainement parce qu'il y a les sous-sols en dessus de nos pieds qui libèrent trop de chaleur.
Dommage, j'aurais bien aimé qu'Hect voit ça...
Hect... J'ai vraiment été méchante, tout à l'heure... Je ne le voulais pas en réalité, mais j'ai été prise de court... Je ne pouvais pas laisser Adei mourir comme ça. Adei a été un très bon ami, je l'ai aimé comme j'ai aimé mon frère, bien qu'il ait dit des choses méchantes pour que je m'éloigne de lui... Mais en y réfléchissant un peu mieux, il n'avait pas tort... Nous ne pouvons par rester amis parce que nous ne faisons plus parti du même camp... Pour autant, je n'ai pas pu m'empêcher de réagir ainsi et d'essayer de le sauver... Il a été tellement gentil avec moi au début du Jeu... La moindre des choses que je puisse faire pour lui, pour le remercier, c'est de le défendre. J'espère que tout se passera bien pour lui, en bas...
Nous pénétrons dans la forêt et la visibilité est progressivement réduite à zéro. Je m'accroche au bras de Bryan et lui demande :
- Tu arrives à voir dans ce noir ?
Il pose sa main sur la mienne et me répond sérieusement :
- Avant même d'être né j'ai été modifié pour devenir le plus parfait possible. Ce que je veux dire par là c'est que mon génome a été transformé de façon à me faire voir dans le noir. C'est très utile dans ce genre de situation.
Bien qu'il ne puisse pas me voir, je plisse les yeux et lui jette un regard interrogateur.
- Menteur, l'accusé-je.
Tout en riant, il avoue m'avoir menti.
- Je connais simplement ce chemin par cœur, m'explique-t-il. Il nous reste cinquante-sept pas avant de dépasser la limite... Cinquante-six. Je fais ce chemin très souvent la nuit, et il faut que je sache où se situe précisément la limite pour ne pas me faire tuer par les gardes. Il nous reste quarante-neuf pas.
- Tu arrives à compter tout en me parlant ?
- Oui, ce n'est pas très difficile.
Mouais, j'arrive à peine à écrire en écoutant quelqu'un me raconter une histoire, donc parler et compter...
Je lui demande ce qu'il sait faire d'autres qui semblent extraordinaires et il se met à réfléchir longuement.
- Eh bien... Je sais... Je sais tuer quelqu'un sans même le voir, mais c'est un peu glauque comme qualité...
Oui, c'est vrai que c'est un peu bizarre... Mais je sens que dans le son de sa voix qu'il est heureux que je lui pose des questions. J'imagine que dans sa vie il n'a pas eu beaucoup d'occasions de raconter ses qualités aux autres... Continuons donc de lui poser des questions.
- Comment tu fais ? Demandé-je.
- J'utilise mon ouïe et mon instinct. Quand j'étais enfant, une de mes formatrices m'a forcé à garder un bandeau sur les yeux pendant plusieurs mois pour que je puisse me perfectionner.
- Plusieurs mois ?! Tes formateurs devaient mener la vie dure à tous les élèves...
Un rayon de lumière me laisse voir qu'il secoue la tête.
- Après m'avoir transféré en classe étoile, mes formateurs m'ont très vite mis à l'écart des autres élèves pour me faire suivre un entraînement spécial.
Ah oui, si je me souviens bien ce que Calix m'a dit, il a sauté de la classe cinq à la classe étoile directement, ce qui n'est jamais arrivé auparavant. Intriguée, je lui demande :
- Comment as-tu fait pour sauter autant de classes ?
Bryan prévient les tueurs perchés dans les arbres de ne pas nous tirer dessus avant de pousser un rire gêné, ce qui me fait comprendre qu'il n'est pas vraiment à l'aise avec cela. Je lui propose donc d'oublier ma question, mais il refuse.
- Je veux que tu me fasses confiance, alors je te parlerai de tout ce que tu me demandes... Souffle-t-il.
Après s'être raclé la gorge, il m'explique :
- Pour sauter autant de classes, j'ai... J'ai réussi à pénétrer dans le palace du Chef et à lui placer un couteau sous la gorge... Tout seul.
Je m'arrête, bouche grande ouverte.
- Tu as quoi ?!
Il rit, terriblement gêné.
- J'ai placé un couteau sous la gorge du Chef, pendant son sommeil. Mais je n'ai pas essayé de le tuer, je voulais juste montrer à tout le monde que même la plus protégée des personnes devait se méfier de moi. J'ai mis plus d'un an à construire ce plan qui s'est déroulé sans aucun problème. Mais pour venir jusqu'à lui, j'ai dû tuer tous les gardes qui le protégeait. En une nuit, j'ai dû en tuer entre quatre-vingts et cent...
Je... Je ne sais pas quoi faire entre admirer le courage dont il a dû faire preuve, ou m'enfuir car, tout de même, c'est vraiment horrible... Tout ça pour montrer qu'il est le meilleur... C'est... Non, je ne dois pas commencer à juger ce qu'il a fait, Bryan n'a pas reçu la même éducation que moi et j'imagine que cela devait lui paraître normal...
- A cette époque, je pensais que c'était la meilleure solution pour monter le plus haut possible dans une classe... M'explique-t-il, la voix tremblante. J'ai tué tous ces hommes et ces femmes... J'en connaissais la plupart et je les ai tués de sang-froid et dans leur dos pour éviter de me faire repérer... Ils n'ont jamais vu leur agresseur, je m'arrangeais toujours pour les tuer à distance. Aujourd'hui, ça me paraît horrible de faire ça juste pour sauter des classes, mais à l'époque... A l'époque, je ne voyais pas le problème dans le fait de tuer quelqu'un. Je voyais ces personnes comme des obstacles à éliminer pour arriver jusqu'à mon but, qui était de devenir plus fort... Nous avons tous cet objectif dans cette école, on veut tous devenir plus fort, et ce désir si ardent nous amène à faire des choses atroces...
C'est bien ce que je me disais, il ne se rendait pas compte de ce qu'il faisait...
Sa main tremble sur la mienne. Je la presse légèrement.
- Tu avais quel âge ?
- Je ne sais pas, peut-être onze ou douze ans... En réalité, je ne connais pas mon âge. On me donne une mission avec une identité et un âge défini, je deviens donc cette personne avec l'âge qu'elle est sensé avoir.
Cela veut dire que Bryan n'a peut-être pas dix-sept ans, il est peut-être plus âgé ou plus jeune... Je ne pense pas qu'il ait plus de vingt-cinq ans.
Et s'il avait quinze ans ? Ou bien quatorze ? Ou même treize ?! Si c'est le cas... Peut-on dire que je suis une cougar ? Non, Bryan a quand même le corps d'un homme qui a atteint la maturité, je ne pense pas qu'un garçon de treize ans puisse paraître aussi âgé, il doit avoir au minimum dix-sept ans.
J'entends Bryan rire et me raconter :
- Je n'ai même pas de réel prénom de naissance. A la place, j'ai un numéro d'identification, je suis le numéro 348-206-227. Le premier nombre à trois chiffres provient du matricule de mon père, le deuxième celui de ma mère et le dernier, c'est le mien. J'étais le 2ème enfant de mes parents et le 27ème enfant né cette année. Le jour où on me demandera de créer un descendant, il héritera de ce numéro, 227, dans son matricule. C'est mon frère qui m'a donné le prénom Bryan, juste avant de nous trahir pour rejoindre les Rebelles. J'ai décidé de le garder, non pas parce que c'est ce traître qui me l'a choisi, mais parce que je trouvais qu'il m'allait bien... J'ai eu aussi d'autres prénoms lors de missions, mais Bryan, c'est le prénom par lequel tout le monde m'appelait, c'est plus rapide et plus sympa que de dire 227...
Je ne peux m'empêcher de lui faire la remarque :
- On ne te laisse pas choisir avec qui tu veux faire des enfants ?
- Non. On me choisit une partenaire en fonction de sa classe et de nos compétences. Ils espèrent grâce à cela créer un descendant qui sera le plus parfait possible.
Wow, ça veut dire que, si Calix était montée dans la classe étoile, elle aurait eu une chance de finir avec Bryan... Beurk.
Sentant mon agitation, Bryan ajoute :
- Mais on peut aussi vivre avec la personne qu'on aime à côté, mais ils n'ont pas le droit d'avoir une descendance, ça leur est interdit. Mes géniteurs ne s'aimaient pas du tout et chacun vit sa vie de son côté. Mon géniteur vit avec son mari, qui n'est pas un tueur à gage, tandis que ma génitrice vie seule. Elle n'aime vraiment pas les humains lorsqu'ils sont vivants. Ils n'ont eu que deux enfants ensemble et se détestaient tellement que cela s'est fait par insémination artificielle.
Mes doigts s'emmêlent aux siens et je lui chuchote timidement :
- Il nous reste toujours un petit espoir après le Jeu, alors !
Je l'entends se racler la gorge, comme s'il était gêné parce que je viens de lui dire.
- Quelque chose ne va pas ? Demandé-je.
- Non, c'est juste que... Je n'aime pas parler de la fin du Jeu, je préfère ne pas en parler...
- Pourquoi ?
Il reste silencieux plusieurs secondes avant de me répondre tristement :
- En tant que tueur à gage, on n'aime pas penser à l'avenir, sauf si c'est pour planifier des missions... Penser à l'avenir m'angoisse. Cela m'angoisse encore plus si je prévois un avenir heureux, j'ai peur de tout gâcher...
Je hoche la tête et garde le silence. Je n'aime pas entendre la voix brisée qu'il a, même si je trouve qu'elle reflète bien qui il est réellement. Mon côté curieux aimerait lui demander tout ce que ses enseignants lui ont fait subir pour qu'il soit aussi bien formaté, tout en étant autant brisé à l'intérieur. Mais je ne lui demanderais pas, je n'aime pas le mettre mal à l'aise.
Soudain, l'obscurité disparaît et sur notre droite un petit chemin se sépare du sentier principal. Ce petit chemin mène à un lieu, une place où la neige recouvre de quelques centimètres chaque petit brin d'herbe avec, en plein milieu de cette place, un arbre sans feuilles et un banc en bois recouvert de neige.
- La neige recouvre tout, mais juste en dessous de celle-ci il y a une petite barrière en bois qui délimite ce terrain, avec un petit chemin toujours en bois qui mène à ce banc. J'aurais aimé te montrer ça au printemps, c'est magnifique quand l'arbre fleuri.
- Oh, c'est pour ça que tu coupais autant de bûches au début du Jeu ?
Il hoche la tête et me lâche pour m'aider à sauter par-dessus un petit ruisseau. Nous commençons à avancer sur la neige. Plus j'entends nos bruits de pas, plus je sens de l'euphorie monter en moi. Ce bruit est trop... Agréable ! J'ai envie de me rouler par terre !
Plongée dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que Bryan s'est arrêté pour poser une couverture au sol. Je décide de marcher jusqu'à l'arbre. La neige recouvre ses branches et lui fait prendre un aspect un peu féerique. On dirait un arbre de neige...
Quand Bryan me rejoint, je lui demande :
- C'est quelle espèce ?
- Un pommier.
Je ne peux m'empêcher de tiquer.
Un pommier, a-t-il dit ? Dans son jardin secret, il y a un pommier ?
Bien, essayons de ne pas faire de conclusions hâtives, peut-être que c'est parce qu'il aime lui aussi les pommes...
- J'ai fait planter cet arbre en l'honneur de Milena.
Et merde, il n'aurait pas pu se taire ?!
- Milena ? Dis-je en essayant tant bien que mal de cacher mon agacement. Tu sembles lui vouer tout un culte, dis donc...
Tout en regardant l'arbre avec un léger sourire nostalgique, il me répond :
- Je lui suis simplement reconnaissant. Sans elle, je serais toujours cet infâme tueur à gage... Elle a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase... Grâce à elle, j'ai fini par me poser certaines questions...
Je me gratte le bras, terriblement gênée. C'est beau la façon dont Bryan parle de Milena, je trouve ça touchant l'admiration qu'il lui porte, mais... Mais une partie de moi aurait aimé qu'il parle de la même façon, me concernant... J'aime être utile pour quelqu'un, et si je ne lui apporte rien, pourquoi s'embête-t-il à m'aimer ?
Bryan me jette un petit regard en coin, glousse et finit par me donner un coup d'épaule :
- Ne sois pas jalouse, tu n'as rien à lui envier.
- Je ne suis pas jalouse, dis-je en lui tournant le dos pour cacher mon visage qui se met à rougir. Et si je l'étais, ce qui n'est pas le cas, je pourrais lui envier l'engouement que tu as pour elle...
Tout en riant, il m'attrape par les épaules pour me retourner vers lui et me regarder droit dans les yeux.
- Tu penses que je ne t'admire pas, toi et ta grande gueule ?
- Parce que c'est quelque chose d'admirable, avoir une grande gueule ?
Il n'y a rien d'exceptionnel à cela, c'est même plutôt assez banal, surtout dans ce Jeu.
- Contrairement à moi qui ne sais pas désobéir à mes supérieurs, toi, tu n'hésites pas à envoyer tout le monde se faire voir quand quelque chose ne te plaît pas. Ton courage et ta franchise m'impressionnent. Et puis, tu es aussi très intelligente, c'est remarquable et c'est ce qui fait de toi une personne unique et admirable.
Moi, intelligente ? Pff, pas tant que ça...
Sentant que mon visage devient de plus en plus rouge, je baisse la tête et pose mes mains sur mes joues.
- Parle pour toi, marmonné-je. Tu es bien plus courageux et intelligent que moi...
Bryan explose de rire et je relève la tête les sourcils froncés, pourquoi réagit-il comme ça face à mon compliment ?!
- Je ne suis ni intelligent ni courageux, me dit-il après s'être calmé. Obéir à des ordres ne fait pas de moi quelqu'un de courageux ou d'intelligent, bien au contraire... Je n'ai jamais eu le courage de faire face à la réalité quand je commettais des atrocités... Je me disais que ce n'était pas moi qui faisais ça, que c'était à cause des ordres... Bien évidemment, je me trompais...
C'est à son tour de baisser la tête, pas parce qu'il est gêné, mais parce qu'il est déçu. Il regarde ses mains nues, rougies par le froid.
- J'ai peur, m'avoue-t-il d'une voix sombre. J'ai très souvent peur, mais je refoule ces sentiments au plus profond de moi pour incarner la personne qu'on me demande d'être... La nuit, j'ai du mal à m'endormir parce que dans mon sommeil je vois en boucle le visage de ceux que j'ai tué, de toutes mes victimes... Je ne suis pas courageux, sinon j'aurais refusé de tuer tous ces innocents, quitte à mourir...
Je lui attrape ses mains et les pose sur mes joues pour les réchauffer.
- Tu étais un enfant et ton instinct de survie t'a fait prendre des choix que tu ne comprends plus maintenant. Prendre conscience de ce qu'on a fait et faire en sorte que ça change, c'est faire preuve de courage et d'intelligence.
Il secoue la tête.
- Je n'ai jamais fait en sorte que ça change, et je ne veux pas...
- Pourquoi ?
Soudain, il semble irrité et retire ses mains pour me tourner le dos. Son pied se met à taper nerveusement au sol.
- Vouloir que les choses changent, c'est faire partie des Rebelles. Je préfère crever que de les rejoindre.
Wow, c'est assez direct comme phrase... J'allais lui demander pourquoi il semble autant détester les Rebelles, mais les réponses semblent évidentes : premièrement, les Rebelles ont tué Milena. Deuxièmement, il est né dans un système qui a une haine profonde contre ceux qui ne respectent pas le Chef, donc Bryan a été baigné dans cette atmosphère depuis sa plus tendre enfance. Difficile de garder un jugement objectif sur les Rebelles quand on vient de son école.
- Et puis, rajoute-t-il, je n'ai jamais demandé à ce que le Jeu s'arrête, je veux juste arrêter de tuer et pouvoir vivre une vie tranquille... Le Jeu du Loup-Garou a été créé par le Chef et personne ne peut remettre en question ce que le Chef créé. Je veux juste... Vivre une vie paisible... Et oublier plein de choses... Je veux tout oublier...
En disant ça, Bryan se gratte nerveusement la nuque et ne semble pas bien du tout. Je m'approche de lui en posant une main apaisante sur son épaule.
- Je comprends, soufflé-je. Après tout ce que tu as dû vivre, tu dois être bien épuisé.
Tout en regardant dans le vide, Bryan hoche la tête.
- Mais, penses-tu qu'oublier est la meilleure des solutions ?
Il me regarde, surpris. Ses yeux sont grands ouverts et il semble ne pas du tout comprendre ce que j'essaye de lui dire. Je lui explique alors :
- Si tu oublies, tu n'apprends rien, tu n'évolues pas et tu risques de reproduire les mêmes erreurs... Tandis que si tu comprends où était ton erreur et que tu te corriges, tu deviens meilleur.
- Mon erreur, c'est d'avoir tué plein d'innocents ! Comment je peux corriger ça ? La résurrection n'existe pas.
Tout en secouant la tête, Bryan s'appuie contre le tronc de l'arbre et se laisse lentement glisser au sol. Je m'accroupis devant lui et pose mes mains sur ses genoux en lui souriant gentiment.
- Ton erreur a été d'obéir aux ordres, et la plus grosse erreur que tu peux commettre actuellement, c'est de continuer d'obéir aux ordres.
- Pourquoi ce serait ma plus grosse erreur ?
- Tu as maintenant pleinement conscience que ce qu'ils te demandent de faire est mal. Ta responsabilité n'est donc plus la même que quand tu étais jeune.
Bryan ouvre la bouche, mais rien ne sort. Ce que je viens de dire l'a sûrement laissé perplexe. En effet, Bryan semble rejeter la faute entièrement sur lui et a tendance à oublier que s'il n'y avait pas des formateurs derrière qui lui demandaient de tuer ou de faire des choses atroces pour monter en classe, il n'aurait certainement jamais fait tout cela de lui-même (pour autant, maintenant qu'il s'est rendu compte des horreurs qu'on lui demande de commettre, s'il continue d'obéir, sa responsabilité se retrouve alors impliquée). En lui rappelant qu'il n'est pas le seul fautif, j'ai envie que Bryan remette enfin en cause l'autorité et qu'il se pose les bonnes questions lorsqu'on lui donne des ordres.
Je ne souhaite pas faire de lui un Rebelle car, moi-même, je n'en fait pas partie. Je suis contre ce régime, mais je ne sais pas si j'ai envie de m'engager dans la rébellion, je ne pense pas être d'une grande aide...
Après un long silence, Bryan finit par admettre que j'ai peut-être raison.
Nous finissons par retourner vers la couverture, qui est recouverte de neige.
- Tu penses qu'à force de tomber, la neige va rester sur le sol du Village ? Demandé-je.
- Je n'en ai aucune idée, me répond-il en secouant la couverture.
Les anciens nous parlaient de batailles de boules de neiges quand celle-ci tenait encore au sol, j'aimerais vraiment faire ça avec Hect...
Tout en s'allongeant, Bryan me dit :
- Assez parler de moi, parlons un peu de toi.
Quoi ?! Non ! J'aimais bien en apprendre plus sur lui, il n'y a rien d'intéressant me concernant...
- Tu ne m'as pas dit que tu connais l'histoire de chacun des joueurs ? Demandé-je en m'allongeant à côté de lui.
Tout en enlevant un flocon qui est tombé sur le bout de mon nez, Bryan me répond :
- Je connais les événements qui te sont arrivé, mais pas ta version des faits. Et puis, je ne connais pas des goûts, tes passions, tes talents cachés...
- Talents cachés ? Ricané-je. Je suis capable de te faire péter un câble, c'est pas mal, non ?
Il lève les yeux au ciel et s'allonge sur le dos pour regarder les flocons tomber.
- Je crois qu'on n'a pas la même définition de talent caché ! Se moque-t-il.
Au même moment, il se prend un flocon de neige dans l'œil, ce qui ne semble pas être agréable au vu de sa réaction.
- Bien fait, dis-je en lui tirant la langue.
Il se tourne vers moi et m'attrape par la langue pour m'attirer vers lui. Je pensais qu'il allait m'embrasser donc je ferme les yeux et tends le cou. A la place, ce gros con m'étale une poignée de neige au visage. Il explose de rire et je lui fais la même chose. Ce fou profite du fait que je sois près de lui pour me mettre de la neige dans le tee-shirt et je me relève d'un coup en hurlant et en gigotant dans tous les sens pendant que cet imbécile est plié de rire à côté de moi. C'est tellement froid... Il l'aura cherché !
Je lui saute dessus et tente de lui faire bouffer de la neige. Bien évidemment, en deux temps trois mouvements, je finis immobilisée au sol avec Bryan au-dessus de moi. Ses cheveux trempés laissent tomber quelques gouttes sur mon front et il me regarde avec un grand sourire.
C'est dans ces moments-là où je l'aime le plus, il est lui-même et rien d'autre. Il semble plus heureux que jamais...
Sans prévenir, Bryan se jette sur mes lèvres et m'embrasse fougueusement. Il me lâche enfin les poignets et je peux passer mes bras autour de lui pour l'attirer encore plus près de moi. Bien que ses mains soient glacées, chaque parcelle de peau qu'il touche avec ses doigts s'enflamme. Je finis très rapidement par trouver que, pour un temps d'hiver, il fait bien chaud...
Nous inversons les rôles et Bryan s'allonge sur le dos tandis que j'enlève mes gants et les jette loin de nous. Ma main gauche se pose sur sa nuque pour garder le contact doux que partagent nos lèvres, pendant que mon autre main tente de comprendre comment ouvrir ce foutu manteau. Quant à Bryan, celui-ci a déjà passé ses mains sous mon pull et me caresse le dos de long en large, ce qui me fait frissonner à chaque aller-retour.
Soudain, il s'écarte de moi et me demande :
- T'as pas mis de soutien-gorge ?
Je secoue la tête et lui répond que je n'en porte presque jamais. Un sourire en coin naît sur son visage et, avec un doigt, il tire sur le col de mon pull pour voir ce qu'il y a en dessous. Je me redresse avant qu'il ne voie quoi que ce soit et lui donne une pichenette au front.
- Aïe ! Se plaint-il. Je voulais juste vérifier !
- Tes mains l'ont déjà fait !
- C'est toujours mieux d'avoir une confirmation visuelle... Peu importe, je n'ai jamais réussi à les enlever de toute façon, donc c'est tant mieux que tu n'en portes pas.
Je croise les bras et lève un sourcil.
- T'as essayé d'enlever le soutif à combien de filles ?
Il hausse les épaules et avec un grand sourire taquin me répond :
- Je ne sais pas... Tu sais compter jusqu'à combien ?
J'ouvre grand la bouche en posant mes mains sur mes joues.
- Mais Calix avait raison ! Tu es un vrai coureur de jupons !
Tandis que je le pointe du doigt en l'accusant d'être un gros pervers accro au sexe. Il rit, secoue la tête et répond sérieusement à ma question :
- Quatre, pas plus.
- Et tu as concrétisé avec les quatre ?
Bien que ses joues soient déjà rouges à causes du froid, je les aperçois se teinter d'avantage. Tout en essayant de contrôler sa voix, il me répond timidement :
- Non, seulement trois. Une fille de mon école, Milena puis une fan qui voulait juste coucher avec moi pour s'en vanter.
Je hoche la tête.
Bien, il est temps de lui poser la question fatidique :
- Avec laquelle tu as pris le plus ton pied ?
Bryan se met à réfléchir et pose sa main sur son menton.
Ne réponds pas Milena, ne réponds pas Milena, ne réponds pas Milena...
Quelques secondes après, il me demande :
- Tu vas me faire la gueule si je te dis Milena ?
Je l'attrape par les épaules en le secouant dans tous les sens.
- Pourquoi tout le temps elle ?!
- Parce que Milena, contrairement aux autres, n'a pas couché avec moi pour s'en vanter et m'ignorer complètement après, elle l'a fait parce qu'elle m'aimait, m'explique-t-il calmement.
Oh, c'est vrai que dit comme ça, c'est compréhensible... Ça doit vraiment être terrible de coucher avec quelqu'un pour se rendre compte que cette personne n'est attirée par vous que par intérêt...
Deuxième question fatidique :
- Tu l'aimais ?
- Non, comme je te l'ai déjà dit, je suis simplement très reconnaissant envers elle. C'est tout.
Tant mieux...
Pourquoi je suis jalouse d'une morte ?!
En même temps, j'aimerais tellement qu'il parle de moi comme il parle de Milena... Et puis merde, faut que j'arrête avec ça.
Remarquant que sa réponse me satisfait, il se redresse, m'embrasse rapidement et détourne le regard. Ses mains se mettent à jouer nerveusement avec mon pull.
- Et toi, avec Emeric, t'as...
Il n'ose pas finir sa phrase, trop gêné.
- Tu veux savoir si j'ai pris mon pied ? Dis-je sans être vraiment gênée. Pas vraiment. Il s'est contenté de faire son affaire, puis s'est endormi juste après...
- Oh, désolé...
Je lui souris et l'embrasse à mon tour en lui expliquant qu'il n'a pas à se sentir désolé. J'ai couché avec Emeric par choix et je l'aurais fait, que Bryan ait incité Emeric à le faire, ou non.
- Par contre, rajouté-je, ce dont tu devrais être désolé, c'est d'avoir laissé cette Gwendoline te draguer !
Bryan explose de rire en secouant la tête.
- Gwendoline ne m'a pas dragué !
- Si ! Elle te faisait des yeux doux et a même posé sa main sur ton épaule.
- Elle est simplement de nature tactile, elle fait ça à tout le monde.
- Elle fait aussi les yeux doux à tout le monde ? Laisse-moi rire !
- Jalouse, va.
Je le regarde, bras croisés, et il me regarde aussi, l'air taquin.
- Je ne suis pas jalouse, dis-je.
- Si, tu l'es.
- Non.
- Si.
- Non.
- S...
Agacée, je plaque ma main sur sa bouche.
- Je ne suis pas jalouse, expliqué-je. J'ai simplement un gros manque de confiance en moi, ce qui fait que je me compare constamment aux autres, en plus d'avoir tendance à trouver tout le monde meilleur que moi... Sauf Calix. C'est une moins que rien, elle. Mais c'est différent de la jalousie, d'accord ?!
Bryan rit et enlève ma main de sa bouche.
- Tu n'as pas manqué de confiance en toi quand tu as tenté d'enlever ma ceinture, la dernière fois, dans les bois ! Me fait-il remarquer.
Ah oui, le lendemain de notre premier baiser, juste avant l'histoire de ce foutu test de grossesse...
Bien que mon visage vire au rouge, je lui réponds le plus calmement possible :
- Cet incident fort regrettable et terriblement gênant s'est produit, car je n'ai pas su contrôler mes pulsions. Je vous promets que ce genre d'événement ne se reproduira plus, monsieur le Maître du Jeu.
Le sourcil levé, Bryan baisse la tête pour me faire remarquer où je suis assise en ce moment même. Je pousse alors un long râle. Pourquoi mon corps se sent obligé de me contredire ?!
Face à cette remarque non verbale, je lui réponds avec un petit sourire :
- Tu veux vraiment que m'écarte ? Fait attention à ce que tu vas me répondre, tu risques de te contredire !
Bryan rit et m'embrasse dans le cou. Tout mon être frétille quand je sens ses lèvres chaudes et humides se poser sur ma nuque, tandis que ses mains toujours glacées caressent mon dos et mes hanches. Il se rallonge sur le dos et m'aide cette fois-ci à ouvrir son manteau. Quand son manteau est enfin enlevé, je l'embrasse dans le cou à mon tour et sens son souffle s'accélérer.
Bien que j'essaye de garder mon sang froid, j'ai envie de sauter en l'air et glousser comme une folle, quitte à paraître pour un dindon. Je lui fais de l'effet et j'en suis fière, eheheh.
Les choses deviennent de plus en plus sérieuses et je sens que Bryan aimerait passer à la vitesse supérieure.
Tout à l'heure il m'a mis de la neige dans mon pull, non ? Il est maintenant assez déconcentré pour que je puisse mettre mon plan de vengeance à exécution...
De la main droite, je commence à jouer avec les rebords de son pantalon tandis que je tends le bras gauche pour attraper une grosse poignée de neige. En l'espace d'un instant, la boule de neige qui se trouvait dans ma main se retrouve maintenant dans son caleçon. Bryan pousse un cri, me fait tomber à terre pour me tourner le dos et enlever ce que je viens de lui mettre. Je tends les poings en l'air en déclarant :
- Vengeance accomplie !
- Tu es méprisable, Jodie, me dit-il, faussement exaspéré.
Après avoir tout enlevé, Bryan zippe sa fermeture éclair et se tourne vers moi, voulant me faire croire qu'il est énervé. Je lui jette un peu de neige au visage et il ne peut s'empêcher de rire.
- Rentrons, dis-je en me relevant. Nous allons finir par mourir d'hypothermie sinon.
Bryan accepte avec grand plaisir et nous récupérons toutes nos affaires avant de reprendre le grand sentier, main dans la main. Nous sommes tous les deux trempés et grelottants, il me tarde de m'envelopper d'une couverture sèche et bien chaude !
Tandis que nous marchons dans le noir, une question qui pique ma curiosité me vient à l'esprit. J'appelle alors Bryan et lui pose ma question :
- Comment se fait-il que le meilleur tueur à gage de l'île se retrouve dans ce Jeu aussi pourri ?
D'abord silencieux, il finit par me répondre :
- Je te l'ai déjà dit, c'est parce que je n'ai pas été capable de tuer Milena. Je me suis donc retrouvé bloqué ici en guise de punition.
Je sens de la sècheresse dans sa voix, cette question n'a pas l'air de vraiment lui plaire, mais j'insiste :
- Non, avant ça. Pourquoi tu t'es retrouvé dans ce Jeu avec Milena et les autres ? On se doute tous que le nom des participants n'est pas totalement tiré au hasard, alors pourquoi toi ?
Bryan pousse un long soupir.
- Tu es très intelligente, mais tu as une mémoire de poisson rouge, Jodie, me nargue-t-il. Il me semble t'avoir déjà raconté pourquoi. J'avais une mission, surveiller Milena et lui soutirer des informations sur les Rebelles, mais j'ai échoué.
Je secoue la tête et tire sur son bras. Il y a quelque chose que je ne comprends pas...
- Oui, mais... Pourquoi auraient-ils envoyé leur meilleur tueur à gage pour espionner et soutirer les informations ? Ce n'est pas logique !
Bryan me lâche la main et disparaît dans l'obscurité. A force de tourner en rond pour le retrouver, je finis par perdre mes repères. Il ne marche plus et reste très silencieux, donc je n'arrive pas à savoir où il se situe. Ce genre de situation fait monter mon angoisse en flèche... Je l'appelle une première fois, mais il ne répond pas. Au deuxième appel, je laisse mon angoisse s'exprimer et l'appelle un peu plus fort avec ma voix tremblante. Pourquoi réagit-il comme ça ? C'est angoissant ! C'est après le deuxième appel que je sens sa main se poser sur mon épaule, puis glisser le long de mon bras pour attraper ma main.
- Je l'ai demandé, m'explique-t-il d'une voix très sombre. J'ai demandé à faire cette mission... Surveiller Milena n'était qu'une excuse...
Je l'entends se racler la gorge tandis que nous nous remettons à marcher. Bryan poursuit :
- Avant de rentrer dans le Jeu, une seule personne m'était chère... Je l'avais rencontré lors d'une autre mission. C'était un citoyen normal, et on a fini par devenir ami... C'était mon premier ami. Il me rendait vraiment heureux et le voir s'épanouir dans la ville que l'on protège me motivait à devenir meilleur... Je n'avais jamais ressenti ça auparavant, c'était vraiment étrange, mais aussi très agréable... J'ai appris un mois avant le début du Jeu qu'il allait être choisi, et l'idée d'être séparé de lui m'étais insupportable... J'ai donc développé tout un tas d'arguments pour pouvoir partir dans ce Jeu avec lui et tenter de l'aider à gagner. Milena est alors devenu le meilleur des arguments. Je leur ai dit qu'elle devait savoir beaucoup plus de choses qu'elle ne le montre, étant donné qu'elle était la fille de l'un des plus grand Rebelles. Je leur ai aussi dit qu'il fallait à tout prix tenter de lui tirer des informations avant qu'elle ne meure. A force d'insister, ils ont fini par accepter de me donner cette mission. Malheureusement, je n'ai pas pu sauver mon ami... Il s'appelait Arslan...
Bien qu'il ne puisse pas me voir, je hoche la tête et marche silencieusement à côté de lui. Cette histoire est vraiment très triste, j'arrive à ressentir la peine que Bryan éprouve en ce moment, même s'il fait tout pour la cacher. D'un autre côté, je comprends maintenant pourquoi il n'a jamais aimé Milena : Arslan mobilisait ses pensées.
- Tu ne lui as jamais avoué ce que tu éprouvais ? Demandé-je en lui pressant légèrement la main.
- Je ne pouvais pas... Si Milena ou mes formateurs se doutaient de quoi que ce soit, ma mission était foutue et ils m'auraient retiré du Jeu... D'un côté, ce n'est pas plus mal qu'il n'ait rien su... J'appréciais le fait qu'il n'en sache rien, va savoir pourquoi...
Nous rions tous les deux et il finit par passer un bras autour de mes épaules tout en m'embrassant sur le front.
- Peu importe. Tout ça, c'est de l'histoire ancienne. Au lieu de discuter de mon passé, parlons plutôt de notre présent.
Nous commençons alors à discuter de la neige. Il m'avoue qu'il préfère le beau temps et les belles couleurs que nous offre le printemps, contrairement à moi qui aime les vents froids et la neige de l'hiver.
Tout en menant ce débat passionné, nous arrivons enfin dans le Village. Celui-ci est très calme et la neige s'est agglutinée sur les toits des maisons. J'aime cette atmosphère si paisible...
Bryan me propose d'aller dans sa maison, mais je lui dis qu'il faut d'abord que j'aille faire un petit tour dans ma chambre, pour me changer. Il me répond que ça tombe bien, car il doit faire la même chose. Bryan m'embrasse et rentre dans sa maison tandis que je me dirige vers la mienne.
Bon, il faut que je sois efficace pour que ma préparation soit le plus rapide possible.
Que dois-je faire ? Il faut que j'aille prendre une douche pour me passer un coup de savon un peu partout et sentir la rose, mais aussi faire disparaître ce que j'ai envie de faire disparaître (les poils, nos meilleurs amis qui nous piquent les mollets). J'ai aussi envie de mettre une tenue assez sexy, enfin, des dessous un peu plus appropriés. La culotte que je porte en ce moment même est très confortable, mais elle est aussi déchirée de partout. Une culotte noire en coton fera mieux l'affaire.
Arrivant face à ma porte, je l'ouvre en grand et prends une grande respiration. C'est parti !
J'allais courir prendre ma douche quand je remarque un détail sur mon lit : un petit mot.
Intriguée, je l'attrape et le lis :
Tue Até et tu sauveras d'une mort certaine l'assistant de ton choix.
Mon cœur s'arrête l'espace d'un instant. C'est une mission. Je le relis une fois, puis deux, puis trois... Je lis chaque mot sans en comprendre le sens tandis que mon pouls s'accélère avec le nombre de relectures qui augmente.
Est-ce Bryan qui m'a donné cette mission ? Non, il n'avait pas du tout l'air au courant que ce mot m'attendrait sur mon lit. Si ce n'est pas Bryan, ça ne peut être que Loha Noha, c'est le seul qui ait assez de pouvoir dans ce Jeu pour sauver des assistants. Mais pourquoi a-t-il fait ça ? Pour qu'il y ait un peu plus d'action, certainement...
Que dois-je faire ? C'est l'occasion parfaite de sauver Emeric... Ou Adei ?
Mon cœur se serre. Qui vais-je choisir si j'accomplis ma mission ?! Adei est tout nouveau et étant un ancien joueur, il se fera certainement mieux traiter qu'Emeric. C'est décidé, je sauverais Emeric...
Dois-je en parler à Bryan ? Peut-être pas... Quelle est la règle concernant les missions, déjà ? Ai-je le droit d'en parler aux autres, ou bien cela annulera ma mission ? Je ne sais plus, je ne sais plus...
Et puis, suis-je capable de tuer quelqu'un ? Suis-je capable de tuer Até ? Je ne l'ai jamais vraiment appréciée, mais je n'ai pas envie de la tuer pour autant...
C'est Até, ou Emeric...
La balance tend évidemment vers Emeric, mais... Non, je ne suis pas capable de faire ça, je ne peux pas tuer Até ! Et pourquoi je devrais la tuer, elle, d'ailleurs ?! Il n'aurait pas pu me proposer Calix, ce pauvre con ?!
Je réduis cette petite lettre en morceau et la jette dans ma poubelle.
Faisons comme-ci personne ne m'avait proposé ça. J'y réfléchirai si l'occasion se présente. Si Até n'essaye pas de me tuer, je ne la tuerai pas. Je trouverais alors un autre moyen de sauver Emeric et Adei.
Après m'être tapotée les joues pour reprendre mes esprits, je pars prendre ma douche, me change et sors de ma chambre.
J'ouvre doucement la porte de la Maison Rouge et aperçois Bryan qui m'attendait sur son canapé.
Il me sourit et me tend la main. Je lui rends son sourire, attrape sa main et nous montons tous les deux jusqu'à sa chambre.
***
Tête posée sur mon épaule et sa main jouant avec la mienne, Bryan me demande :
- Si tu devais t'enfuir quelque part, tu partirais où ?
Je réfléchis quelques secondes et lui répond :
- J'allais dire dans un pays fort, fort lointain. Mais pour cela, il faudrait voler un bateau de l'armée, ce qui est une très mauvaise idée !
Bryan rit et embrasse le dos de ma main.
- Plus sérieusement, continué-je. Vu que mon visage est connu, j'éviterais d'aller en ville et je partirais élever des chèvres dans les montagnes.
- Sérieusement ? S'étonne-t-il.
- Oui, oui. Je n'aime pas trop les animaux, mais si je dois m'enfuir je pense que je ferais ça... Tu me poses cette question pour évaluer mes talents cachés de tueuse à gage ?
Il se redresse, m'embrasse et me dit :
- Tu as tout compris.
***
C'est avec la respiration saccadée, les oreilles qui sifflent et le cœur qui bat à cent à l'heure que j'ouvre enfin les yeux.
Une personne... Une personne a des blessures partout au thorax, son tee-shirt est imbibé de sang, et... Un couteau est planté dans sa gorge.
Je baisse la tête, mes mains... Mes mains sont pleines de sang... Serait-ce le sang de cette personne ?
Mes mains se posent sur mon crâne... Que se passe-t-il ?! Rappelle-toi...
Je me souviens... Je me souviens...
Ce matin, je me souviens être sortie de la maison de Bryan et Até s'est soudainement jetée sur moi en tentant me tuer, m'accusant de n'avoir rien fait pour sauver Adei. Avec l'aide des autres Villageois, on a réussi à l'éloigner de moi...
Je me souviens, après ce moment-là, avoir décidé de cacher sous mon tee-shirt un couteau...
Je me souviens aussi du rassemblement pour nominer la future victime des Villageois. Il y a eu une égalité entre Até et moi, car Enea a voté pour moi...
Après ça, je n'ai plus aucun souvenir...
Mes yeux se posent sur le visage de cette personne, Até... J'ai blessé Até, non...
J'attrape le couteau et le retire de sa gorge. Sa tête tombe sur le côté et le sang coule de sa blessure et de sa bouche. Elle est immobile, yeux ouverts et son torse ne se soulève plus. Elle est morte.
J'ai tué Até... J'ai tué Até... J'ai...
Le couteau glisse de mes mains et je pose mes mains tachées d'un rouge vif sur ma bouche.
C'est un rêve... C'est juste un rêve... Je vais me réveiller... Je vais me...
Pourquoi, pourquoi j'aurais fait ça ? Pourquoi...
Pour... Pour sauver Emeric, Emeric...
Le brouillard qui m'entourait se dissipe enfin... Je vois les autres autour de moi assis sur leur tronc, l'air terrifié... Ils semblent tous terrifiés. Je les terrifie.
Emeric...
Je lève la tête, cherche du regard Bryan et hurle :
- Emeric ! Je sauve Emeric !
Bryan ne me répond rien, il a un mélange de peur et d'incrédulité dans son regard. Je me lève en récupérant le couteau et m'avance vers lui pour lui répéter :
- Je choisi Emeric.
Secouant rapidement la tête, Bryan me demande :
- Pourquoi as-tu fait ça ?
Il m'arrache le couteau de ma main, c'est à mon tour d'être stupéfaite. C'est évident, non ?
- J'avais une mission. Je devais tuer Até pour sauver Emeric. C'est Loha Noha qui me l'a donné !
Le visage de Bryan commence à se remplir d'inquiétude, il pose ses deux mains sur mes bras et me demande si je vais bien.
- Oui, je vais bien ! J'ai respecté les consignes de la mission alors maintenant, il faut sauver Emeric !
- Jodie, je ne t'ai jamais donné de mission...
Est-il long à la détente ?
- Ce n'est pas toi qui m'a donné cette mission, mais Loha Noha !
Son visage est de plus en plus tordu par une émotion que je ne saurais décrire. En essayant de garder son calme, Bryan me dit :
- Loha Noha ne donne pas de missions aux joueurs.
Je... Comment...
Je secoue la tête et lui explique que j'ai eu une lettre qui me donnais cette mission. Il me demande d'aller la chercher et de la lui ramener. Sans hésiter, je cours jusqu'à ma chambre pour fouiller ma poubelle.
Il comprendra quand je lui ramènerais ce papier, il comprendra...
Ma main se pose à plat dans le fond de cette poubelle et cherche les papiers. Mais... Il n'y a rien.
La poubelle est vide.
Je tombe à terre, sentant le monde tourner autour de moi. Suis-je devenue folle ? Ai-je créé de toute pièce cette mission ? Non, ce n'est pas possible...
Ce n'est pas possible... Ce n'est pas possible...
Sentant ma raison me lâcher, je me roule en boule dans un coin de la pièce et me mets à hurler tandis que je me frappe la tête. Peut-être que ça remettra tout en ordre...
Ce n'est pas possible... Ce n'est PAS possible...
Hect rentre dans ma chambre et tente de me raisonner.
- Calme-toi, Jodie, calme-toi ! Me dit-elle en empêchant mes poings de frapper encore ma tête. Le Maître du Jeu va faire quelque chose pour arranger ça, j'en suis sûre !
Comment puis-je être calme, je viens de tuer quelqu'un ! Je l'ai poignardé à répétition jusqu'à ce quelle meurt, je suis un monstre !
Je n'arrive plus à me souvenir des événements... J'ai l'impression de perdre la mémoire... J'ai peur...
- Il n'y a pas la feuille, chuchoté-je, la voix tremblante. Hect, la feuille n'est plus là...
Ai-je imaginé cette feuille ? Non je suis sûre d'en avoir vu une ! Il y avait écrit... Il y avait écrit...
Je cogne ma tête violemment contre un mur en hurlant.
Il y avait écrit quoi ?! Je ne m'en souviens plus ! Comment puis-je prouver à Bryan qu'il y avait bien une feuille si je ne me souviens même plus de ce qui était écrit dedans...
Souviens-toi, souviens-toi...
Hect me maintient la tête avec ses deux mains et me force à la regarder droit dans les yeux.
- Le Maître du Jeu te croira avec ou sans feuille, me rassure-t-elle. Il sait très bien que tu n'est pas capable de faire ça volontairement...
Elle a raison, elle a raison... Bryan va me croire...
Hect m'aide à me relever et nous nous dirigeons vers le centre du Village, où nous attend Bryan. Quand nous arrivons aux troncs je m'assois sur l'un d'entre eux. J'ai la tête qui tourne.
- Le mot qu'on lui a écrit a disparu, explique Hect à Bryan.
- J'ai cru le comprendre en entendant les cris... Soupire-t-il en se massant tes tempes. Hect, rentre dans ta chambre.
- Quoi ?! Mais...
- C'est un ordre.
La voix de Bryan est glacée. Il n'y a aucune émotion, rien...
Il ne va pas me croire, j'en suis sûre...
Hect s'accroupit pour me prendre dans ses bras en me disant qu'elle m'aime. Je la serre fort contre moi et lui dis la même chose. Je ne veux pas la lâcher, j'ai trop peur sans elle... Que va-t-il m'arriver quand elle partira ?
Elle allait s'écarter de moi mais je la retiens.
- Explique moi ce qu'il s'est passé... Soufflé-je. Je ne me souviens plus de rien...
Tout en essayant de maîtriser les tremblements de sa voix, Hect me raconte :
- Tu devais te battre avec Até pour savoir qui allait être nominé. Tu avais comme contrainte d'avoir les mains attachées dans le dos tandis qu'Até devait se battre sans la main droite. Quand le combat a commencé, elle s'est mise à te dire des choses personnelles, ce qui ne t'as pas plu du tout... En l'espace d'une fraction de secondes tu t'es libérée de tes liens, tu as sorti un couteau de nulle part et tu t'es mise à... La poignarder, sans t'arrêter...
- Qu'a-t-elle pu dire pour que... Je lui fasse ça ?
Bien que cela me mette de mauvaise humeur, je ne pense pas que c'est en me disant des choses sur Bryan que je sois capable de faire un chose aussi horrible...
Bryan attrape Hect par le bras et l'écarte de moi, lui disant qu'elle doit rentrer, maintenant. J'embrasse une dernière fois Hect avant de me tourner vers Bryan.
Il a une émotion indéchiffrable sur le visage. Peut-être que c'est un mélange d'émotions... De la colère et de l'angoisse ?
- Bryan, je...
- Tais-toi et ne bouge pas d'ici.
Il rentre en vitesse dans la Maison Rouge et revient une minute plus tard avec un torchon mouillé. Il s'agenouille en face de moi et commence à me nettoyer le visage.
- Je t'assure avoir reçu une mission... Soufflé-je. Je te l'assure...
- Je te crois, Jodie...
Mes yeux s'écarquillent et je pose mes deux mains pleines de sang séché en m'écriant :
- Pour de vrai ?!
- Oui.
- Alors il ne va rien m'arriver ?!
Bryan s'arrête quelques instants, silencieux, puis reprend le nettoyage de mon visage.
- J'aimerais te dire oui, mais ce n'est pas le cas.
Je recule et lui demande s'il va me tuer. Il m'attrape le menton en me demandant de rester immobile.
Comment ça, ce n'est pas le cas ?!
- Ne parle pas plus fort que moi, sinon les micros autour de nous arriverons à enregistrer notre conversation. Me chuchote-t-il, l'air de rien. Quand tu étais dans ta chambre, mes supérieurs m'ont ordonné de te tuer. Selon eux, une tragédie de la sorte plairait beaucoup aux spectateurs...
J'ouvre la bouche mais Bryan secoue la tête, me faisant comprendre qu'il est préférable que je ne parle pas pour l'instant.
Mon corps se met à trembler... Est-il en train de me faire comprendre qu'il va devoir me tuer ?
Après m'avoir nettoyé le front, Bryan s'attaque à mes yeux.
- Dès que j'ai fini de te laver le visage, tu vas te cacher dans les bois au plus près de la limite. N'essaye pas d'aller dans ta chambre, tout est fermé et impossible à ouvrir sans un badge, tu perdras juste ton temps. Dans une heure, je ferais semblant de te poursuivre pour te tuer. Tu traverseras la limite quand tu m'entendras dire aux gardes de ne pas te tirer dessus, car c'est une affaire personnelle. D'accord ?
Les larmes me montent aux yeux. Bryan a raison, j'ai encore beaucoup de mal à lui faire confiance... Je pensais qu'il voulait me tuer, alors que c'est tout le contraire...
Bryan essuie mes larmes et je hoche la tête. Il se met alors à me nettoyer les lèvres.
- Il faut que tu cours tout droit et le plus vite possible... Je te suivrais de près... Quand on apercevra un gigantesque grillage, on passera par-dessus et on s'enfuira tous les deux, compris ? En temps normal, elle est traversée par un courant électrique mais je l'ai désactivé.
- Et Hect, Adei et Emeric ?
- Ils s'en sortiront, ne t'en fais pas...
Il pose ses mains sur ma nuque et attire mon visage vers lui pour m'embrasser. Je sens qu'il me donne se baiser pour se donner du courage à lui-même, car ce qu'il va faire sera certainement la chose la plus risquée de sa vie. Il n'a pas le droit à l'erreur, sinon nous mourrons tous les deux. De mon côté, j'essaye de contrôler ma respiration et de reprendre mes esprits. Plus le temps passe et plus ma mémoire me revient, bien que je n'arrive pas à comprendre pourquoi j'ai pu commettre un acte d'une violence pareille...
Soudain, je sens Bryan sursauter et se tendre en face de moi. J'ouvre les yeux et vois les siens écarquillés, il est totalement immobile et la peur tord son visage... Je m'écarte et aperçois une fléchette-seringue plantée dans la nuque. Mon premier réflexe est de lui arracher et de regarder d'où peut provenir cette fléchette, mais je ne vois personne.
Je regarde Bryan. Ses yeux ont complètement changé, le blanc de ses yeux est devenu entièrement rouge. Il tremble de partout, non pas parce qu'il a peur, mais parce qu'il semble se retenir d'agir. Son visage est rouge et les veines de son front ressortent, il articule avec peine :
- J-Jodie... F-fuis...
Ni une, ni deux, je saute sur mes pieds et cours le plus rapidement possible. Bryan semble avoir reçu une dose de drogue très importante. Ses yeux n'étaient pas aussi rouges la dernière fois... Qui a bien pu lui envoyer ça ? Je ne comprends pas...
Des bruits de pas m'indiquent que Bryan a fini par céder et se lance à ma poursuite.
Il faut que je me trouve un plan, et vite.
Je ne peux pas dépasser la limite car Bryan n'a pas interdit aux gardes de ne pas tirer, je suis donc enfermée ici. Le meilleur moyen pour survivre, c'est d'attendre que cette drogue lui passe... Mais en combien de temps cela va-t-il lui passer ? Je ne sais plus combien de temps ça avait duré me concernant, mais dans mes souvenirs ça avait l'air de durer une éternité, peut-être parce que j'étais en surdose...
Peu importe combien de temps, il faut juste que je cours en évitant la forêt. Là-dedans et dans le feu de l'action, je risque de dépasser la limite sans m'en rendre compte ou de me prendre les pieds dans quelque chose et se tomber à terre. Rester dans le Village est donc la meilleure des options.
Arrivant au bout du Village, je tourne à droite et en profite pour voir où en est Bryan. Il doit être à une quinzaine de mètres de moi. Merde, il accélère...
Je décide donc d'être la plus imprévisible possible et de changer d'un coup de direction. Je prends donc la direction opposée mais ça n'a pas l'air de déranger Bryan qui change de direction lui aussi.
Si cela doit continuer ainsi, je ne pourrai pas tenir longtemps... Il faut que je trouve quelque chose pour me protéger...
Mon ancienne chambre, celle qui a brûlée ! Peut-être que je trouverais un gros bout de bois pour maintenir Bryan loin de moi... C'est toujours mieux que rien.
Sentant qu'il n'est plus très loin, je m'arrête brusquement de courir en baissant la tête. N'ayant totalement pas prévu ça, Bryan me frôle simplement et je fais demi-tour pour foncer à toute vitesse vers les ruines de mon ancienne chambre en cherchant le bout de bois parfait.
Malheureusement, à cause de la neige, le bois est totalement trempé et ne résisterait à aucun choc... Il faut que je trouve autre chose rapidement...
Je pourrais aller dans la Maison Rouge et prendre une arme, mais ce ne serait pas l'option la plus intelligente. Premièrement, je me retrouverais coincée avec Bryan dans un espace restreint et deuxièmement, les armes ne me serviront à rien. Je ne veux pas tuer Bryan et je ne sais pas utiliser les armes à feu, tandis qu'une hache serait trop lente à utiliser face à Bryan et sa rapidité phénoménale.
Ma seule option est donc de courir, le plus vite et le plus longtemps possible...
Ou je peux tenter de me cacher sur un toit, peut-être...
Les toits des chambres et de la Maison Rouge seraient trop compliqués et dangereux (et puis avec la neige qu'il y a dessus, il me repérerait facilement). Mais je peux tenter celui de la cantine, j'ai remarqué une petite échelle derrière le bâtiment.
Bryan me fait face au niveau de l'entrée mon ancienne chambre. Il attrape un gros bout de bois de me l'envoie à une vitesse fulgurante. N'ayant pas le temps de l'esquiver, je lève les mains pour me protéger le visage et serre les dents quand son projectile m'atteint. Une vive douleur naît au niveau de mes avant-bras et j'essaye de ne pas trop y faire attention. Je me remets donc à courir.
Enfin... Je n'ai pas pu courir bien loin car Bryan, qui avait profité du fait que je sois immobile, s'est élancé à toute vitesse vers moi. Il m'attrape donc par les cheveux et me met au sol en s'asseyant sur moi. Je me débats en hurlant et en faisant tout mon possible pour l'empêcher d'immobiliser mes poignets. Il sort de son tee-shirt le couteau que j'ai utilisé pour... Pour tuer Até, et le lève haut dans le ciel. Quand il l'abaisse, je retiens son poignet en posant mes deux mains dessus.
Je n'ai pas la force pour le repousser, il faut que je trouve un autre moyen pour l'écarter de moi...
De sa main libre, Bryan donne un coup sur le manche du couteau et je tourne la tête, évitant de peu que la lame ne se plante profondément dans ma gorge. A la place, elle s'enfonce dans le sol. J'arrive à repousser la main de Bryan et m'empare du couteau. Sans me poser de question, je tends le bras et fends l'air en face de moi.
Bien qu'il ait réagi assez vite s'est écarté de moi d'un bond, la lame du couteau l'a quand même touché et je vois son pull blanc déchiré et sale s'imbiber de sang.
Je me relève et le menace :
- Tu t'approches de moi et je te tranche la gorge !
Bien évidemment, ce ne sont que des paroles en l'air. Je n'ai pas l'intention de le tuer, mais de le maintenir à l'écart jusqu'à la fin de son délire, en espérant qu'on ne se blesse pas trop tous les deux...
Malheureusement, Bryan ne croit pas à ma menace et sourit simplement. Il semble amusé, comme un prédateur qui poursuit sa proie qu'il compte simplement tuer pour le plaisir. Le voir ainsi m'horrifie...
Nous nous faisons face à face en restant immobile. Il attend certainement que j'attaque en premier. Embêté par ses cheveux qui lui tombent au visage, il passe une main dans ses cheveux pour se recoiffer et c'est à ce moment-là que je décide de reprendre ma course. Je traverse le plus rapidement possible le Village et passe derrière la cantine. Les mains moites, je monte rapidement l'échelle tout en entendant les bruits de pas de Bryan se rapprocher de moi. Quand j'arrive tout en haut, je remarque avec le plus grand des bonheurs que cette échelle métallique peut être retiré facilement. Avant que Bryan n'ait le temps de l'atteindre, je la soulève et la remonte sur le toit.
Il me regarde avec des yeux noirs, enragé.
Comprenant qu'il n'a plus aucun moyen de monter, Bryan crache par terre et fait demi-tour.
Je pousse un long soupire et essuie la sueur qui inonde mon front.
J'ai réussi ! Il ne me reste plus qu'à attendre qu'il redevienne normal !
J'enlève mon pull pour observer mes avant-bras. Plus de peur que de mal : j'ai simplement deux gros hématomes qui commencent à apparaître.
Soudain, Bryan se retourne et court droit en direction du mur.
La bouche grande ouverte, je l'observe poser un pied sur le mur, puis l'autre et se projeter dans les airs vers moi.
Ses mains s'agrippent au rebord du toit et il commence à se hisser jusqu'à moi. N'ayant pas le choix, je lui donne un coup de pied dans le visage dès que je vois sa tête apparaître.
Je pensais que c'était une bonne idée, mais ça s'est révélé être tout l'inverse.
Voyant venir le coup, Bryan m'a attrapé fermement la cheville après s'être pris mon pied au visage et a lâché le rebord. Entraînée dans sa chute, je me cogne violemment la tête contre le rebord du toit et lâche le couteau qui reste tout en haut.
J'atterris à terre en essayant de me réceptionner debout, grosse erreur. Quand mon pied gauche touche le sol, celui-ci ne supporte le choc que je lui fais subir et se tord, me lançant une douleur vive dans la cheville.
Il faut que je fasse abstraction de la douleur... Il faut que je me remette à courir... Je n'ai pas le choix...
Bryan, ayant atterri lourdement sur le dos, tente de reprendre sa respiration. Voulant m'assurer qu'il ne la reprenne pas de sitôt, je m'avance vers lui et lui donne un méchant coup dans les côtes à l'aide de mon pied droit, puis je me remets à courir.
J'ai mal, j'ai vraiment très mal... Courir vite devient de plus en plus compliqué...
J'arrive en plein milieu du Village, et donc des troncs. J'aperçois alors la grosse tache de sang qu'Até a laissé...
Bien que ce ne soit pas le moment, j'ai comme un éclair qui me traverse l'esprit.
Até s'est mise à me parler de ma famille et de l'homme qui m'a séquestré... Elle a donné des détails sur la mort de ma famille, elle s'est mise à parler de la cicatrice que je ne montre à personne. C'est ça qui m'a fait rentrer dans une colère noire... Elle a exposé à tout le monde mon histoire... Mais comment savait-elle tout cela ?
Mis à part Bryan, l'autre personne à qui j'ai raconté mon histoire, c'est...
Je tourne la tête vers sa chambre et serre les poings.
Derrière sa fenêtre, Calix me sourit.
C'est elle... C'est elle qui a lancé cette seringue... Elle a tout orchestré, certainement pour se venger de lui avoir coupé les cheveux... C'est elle qui a demandé à Enea de voter contre moi aujourd'hui... Je parie qu'elle a aussi demandé à Isalys de nominer Até hier, et je suis sûre qu'elle est allée parler à Até de mon histoire, pour me faire devenir folle de rage... Quant au mot... Elle a dû demander à Enea... Enea a le droit de sortir dehors, durant les Soirs de Concertations...
Je me suis fait avoir, je l'ai trop sous-estimée...
Si je survis à cela, elle me le payera très cher.
Les grognements de Bryan qui se rapprochent de moi me vont revenir à la surface et je reprends ma course. Le problème, c'est que je ne peux presque plus poser mon pied gauche au sol, je ne cours donc plus très vite...
Il ne suffit que de quelques secondes pour que Bryan me rattrape. Je ne peux plus fuir, je vais donc devoir me battre.
Je sens sa main m'attraper fermement le bras et je me retourne vers lui pour lui donner de l'autre main un coup dans la mâchoire.
Bryan grogne et m'attrape le poignet tout en crachant du sang. D'un coup de pied, il tente de me faire tomber à terre, mais j'arrive à me rattraper et à le déséquilibrer pour le plaquer au sol.
Je me pose sur lui et essaye de maintenir tant bien que mal ses poignets au-dessus de sa tête. En tendant le cou, il ouvre grand la bouche et me mord l'avant-bras jusqu'à planter ses dents dans ma chair.
La douleur est si vive qu'elle m'aveugle l'espace d'une seconde. Je lâche un de ses poignets et attrape sa tête pour éloigner ses dents de mon bras. Avec sa main libre, il attrape mon crâne et fracasse mon front contre le sien.
En plus de la douleur au front, je sens mes dents se refermer sur ma langue et un goût métallique s'installe dans ma bouche.
Submergée par la douleur, je n'ai même pas vu Bryan échanger les rôles. Après le coup au crâne j'ai fermé les yeux.
Quand je les ai rouverts, Bryan était sur moi, ses mains posées ma gorge.
Surprise, j'ouvre la bouche et tente d'abord de respirer, mais c'est impossible. Bryan a refermé ses mains sur ma gorge et plus rien ne passe.
Ce n'est pas possible... Non...
L'angoisse monte en flèche et j'essaye de retirer ses mains, mais elles sont comme soudées à ma gorge. Je n'y arriverais pas...
Il faut que je trouve un autre moyen de l'écarter de moi.
Je tends les bras et essaye de lui attraper moi aussi la gorge, mais celle-ci est hors d'atteinte. Mes bras sont trop courts, j'atteins à peine son visage du bout des doigts.
J'essaye de lui griffer les bras, bien que par-dessus un pull, ça n'est pas très efficace... Je lui donne donc des coups dans les côtes, mais finit très vite par manquer d'énergie.
Mes mains me sont inutiles et mes jambes sont bloquées par celles de Bryan, je suis foutue...
Cette sensation de ne plus pouvoir respirer est atroce, mon corps se met à convulser, manquant de plus en plus d'air.
Tout tourne autour de moi. Je me repasse en boucle toutes les erreurs que j'ai pu commettre qui m'ont amenées ici.
Je ne peux aussi m'empêcher d'en vouloir à Bryan de ne pas avoir su résister à cette envie de tuer... Je sais que c'est presque impossible d'y résister, mais j'aurais aimé qu'il en soit capable, je ne veux pas mourir...
Ma vision se trouble de plus en plus, j'ai peur...
J'ai encore tellement de choses à réaliser avant de mourir. Je voulais aider Bryan à devenir meilleur, je voulais sauver Adei et Emeric... Je voulais vivre une belle vie, entourée de mes amis... Mais rien ne se réalisera, je vais me faire tuer par celui que j'aime...
Quelque chose tombe sur ma joue et même-si la situation ne s'y prête pas, je me demande ce que cela peut être.
C'est alors que je vois Bryan, la mâchoire serrée et le visage aussi rouge que le mien doit être bleu. Des larmes coulent à flots de ses yeux et tombent sur mon visage. Son regard est dur, mais semble changer de plus en plus. On dirait qu'il mène un combat intérieur... J'aperçois aussi que ses yeux deviennent de moins en moins rouges...
La drogue commence à partir... Il va s'arrêter !
Une lueur d'espoir renaît et je ne peux m'empêcher de sourire. Je tends la main pour lui caresser le visage du bout des doigts.
Je t'en prie, Bryan, arrête-toi maintenant. Je n'y survivrais pas, sinon...
Je t'en prie, Bryan...
Je t'en prie...
Je...
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