Chapitre 39 : Emeric
Je m'assois à terre et pose mes mains sur mon visage en prenant de profondes inspirations.
Cela fait deux jours que je n'ai pas mangé. Le Boss s'amuse à m'affamer, juste pour le plaisir de me faire souffrir. J'ai faim et j'ai des vertiges au moindre mouvement...
Gwendoline s'accroupit à côté de moi, l'air inquiète.
- Tu es sûre de pouvoir le faire ? Si tu n'en es pas capable, abandonne, on trouvera une autre solution.
Pour me racheter auprès du Boss et que celui-ci me laisse enfin manger, Gwendoline m'a suggéré de ranger son bureau, son endroit préféré où il peut s'adonner à plein de choses malsaines.
Quand elle me l'a proposé, je m'étais dit que ça allait être rapide, qu'en une heure tout serait réglé, mais non. Cela fait deux heures, et il y a encore au sol une vingtaine de bouteilles d'alcool vide et quelques fois cassées, des seringues vides avec des aiguilles tachées de sang, des slips sales accrochés au mur, des chaussettes... Bref, un réel capharnaüm.
Je secoue la tête et me relève. Non, j'y arriverai, je rangerai ce gros merdier avant le retour du Boss, et lui présenterai mes "excuses" pour lui avoir manqué de respect.
Ça me fait mal d'en arriver à là, de m'excuser pour avoir été sauvé par le Maître du Jeu quand le Boss a tenté de me violer. Mais je n'ai pas le choix, je n'ai pas le choix...
Je continue donc à ramasser les chaussettes et les slips pour les mettre dans un sac poubelle, destinés à être lavés. Gwendoline m'aide un peu, même si je sens bien qu'elle est dégoûtée de toucher cela, ce que je comprends complètement.
Gwendoline est la seule garde que je ne déteste pas. Je me demande même comment elle a pu le devenir en restant aussi gentille. Stella me dit que c'est parce qu'elle est encore jeune et que son comportement changera au fil des années tandis que Dylan, lui, est persuadé qu'elle a un bon fond et qu'elle ne changera jamais. Bien que ça me fait mal de l'admettre, je suis plutôt du même avis que Stella : à force d'être incité à avoir un mauvais comportement, elle finira par l'intégrer, se comporter comme un monstre avec nous et cela deviendra normal pour elle...
Plus les jours passent et plus je sens mes derniers jours arriver. C'est horrible, cette sensation. Cette douloureuse boule bouillante dans le ventre qui brûle sans arrêt, dont l'intensité augmente chaque jour, c'est l'angoisse, l'angoisse de la mort. Combien de semaines reste-t-il avant la fin du jeu, et notre mort ? Si tout se passe "bien", les Loups-Garous peuvent régler cela en deux semaines. Deux semaines... Dans deux semaines, je vais mourir... Comment vont-ils nous abattre ? D'une balle dans la tête, certainement. J'espère que ça ne fait pas trop mal... Sachant que cette mort est inévitable, j'essaye de rester positif en me disant que cela mettra fin à toutes mes souffrances, je n'en peux plus de me faire martyriser... Je n'ai plus la force physique ou mentale pour supporter tout ce que le Boss et les autres gardes me font subir... J'ai tellement maigri que je ne peux plus dormir sur le dos, ça me fait trop mal aux côtes. Les gardes ont brûlé mon matelas et veillent à me faire dormir sur le sol humide et crasseux des dortoirs.
Stella et Dylan me regardent, désolés, mais ne font rien. Je ne leur en veux pas car je n'aimerais pas les voir vivre la même chose que moi.
Mais je ne suis pas non plus le seul. Daphné subit elle aussi les sévices des gardes, je l'ai déjà retrouvée en position fœtal, nue, en plein milieu de la salle des gardes, avec... Avec plein de fluides sur elle...
Depuis ce jour-là, je crois qu'elle a perdu sa dignité et avec toute raison de vivre. Elle obéit maintenant aux ordres sans rien dire, elle se fait tabasser, arracher ses vêtements devant tous les autres assistants sans réagir. Une fois, un garde lui a ordonné, pour rire, de lui faire une fellation sur-le-champ et elle était à la limite de le faire devant tout le monde si Gwendoline ne l'avait pas arrêté. Je n'ose jamais me plaindre face à elle, car je sais que nous ne vivons pas du tout le même type de violence. Bien qu'elle soit physiquement encore vivante, je pense qu'elle est morte, au fond d'elle. Il n'y a plus aucune lueur de vie dans ses yeux. Si elle arrive encore à endurer tout cela, c'est parce qu'il n'existe plus de Daphné. Il ne reste que l'enveloppe charnelle, mais plus rien à l'intérieur.
Bien que nous avons tous les deux étés désignés comme les cibles préférés des gardes, nous restons très distant l'un envers l'autre. De mon côté, j'ai Stella et Dylan qui me soutiennent. Elle, elle n'a personne. On a essayé de l'inclure dans notre groupe, mais elle préfère rester seule, allongée en position fœtale dans son lit à observer le mur. C'est difficile de parler à un mort, car elle ne répond à rien, sauf aux ordres. J'ai essayé de m'adresser à elle, de la faire parler, mais c'est peine perdue, elle ne faisait que fixer le vide, sans aucune émotion dans le regard.
J'aimerais discuter avec elle, que l'on parle tous les deux des violences dont on est victime, ça me ferait un bien fou... Je n'ose pas en parler à Stella et Dylan pour ne pas trop les inquiéter. La plupart des violences dont je suis victime se font à l'abri des regards, car les gardes savent que si quelqu'un rapporte cela au Maître du Jeu, ils vont avoir très mal. Ils me battent alors dans leur salle, et me donnent des coups bien placés, de façon à ce que les marques soient cachées par mes vêtements. Bizarrement, je suis le seul assistant à avoir un tee-shirt à manches longues...
Peu importe, si Daphné ne veut pas discuter et préfère rester seule, je ne la forcerai pas. Je pense que c'est sa façon à elle de gérer les événements.
Après avoir enfin débarrassé le sol de toutes ces saletés, je sors du bureau pour aller chercher une serpillière. Sur le chemin, je croise Dylan qui me sourit gentiment.
- Tout se passe bien ? Me demande-t-il.
Je lui rends son sourire et lui réponds :
- Mis à part le fait que ça pu la merde et à pisse à l'intérieur, c'est plutôt une tâche aisée.
Dylan rit et me tape le dos tandis que nous nous dirigeons tous les deux au local où les affaires ménagères sont rangées.
- Le Maître du Jeu est passé il y a cinq minutes, me raconte-t-il. Il voulait te voir, mais je lui ai dit que tu étais très occupé et qu'il ne fallait surtout pas te déranger.
Le remerciant, j'attrape ce dont j'ai besoin puis fais demi-tour.
Je ne veux plus voir ce mec, ni même Jodie. Je ne les supporte plus, la simple idée de savoir qu'ils passent leurs journées à s'embrasser me dégoûte au plus haut point...
Jodie m'a trahi, elle n'arrête pas de me faire des promesses en l'air, me disant qu'elle va arranger ma situation, tout ça dans l'unique but que je la laisse tranquille...
Et puis, le Maître du Jeu a attrapé la boite de préservatifs que Calix a proposée, ça veut dire qu'ils couchent ensemble ? Vu comment il a l'air en bonne santé, il doit certainement être meilleur que moi dans ce domaine... Et dire que je me suis endormi juste après l'acte sans même lui dire quoi que ce soit... La honte...
Je pensais que Jodie avait accepté de coucher avec moi parce qu'elle avait des sentiments pour moi... J'étais heureux quand on m'a dit qu'elle était peut-être enceinte, je commençais déjà à m'imaginer élever cet enfant avec elle, loin de ce sous-sol horrible...
Mais elle a préféré choisir le beau gosse. Elle a préféré le beau gosse qui lui vend du rêve et qui lui brisera le cœur en miette, à celui qui l'aimait réellement et ne souhaitait que son bonheur. Tant pis pour elle.
Plongé dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que Stella était en face de moi et je lui fonce dessus. Elle tombe à terre en râlant.
- Désolé ! Dis-je en l'aidant à se relever.
Elle secoue la tête en riant et me regarde droit dans les yeux.
- J'étais moi aussi dans la lune, m'explique-t-elle.
Nous rions puis un silence gênant s'installe entre nous deux. Stella agit différemment avec moi depuis qu'elle a appris que j'ai faillis mettre enceinte Jodie. Je me souviens encore de la tête qu'elle a tiré quand Dylan lui en a parlé, c'est comme-ci une part de l'image qu'elle avait de moi était détruite à jamais. Peut-être qu'elle me voyait comme une personne très prude, mais c'est totalement faux. Elle semble aussi énervée par (ou pour) quelque chose, mais je ne sais pas quoi, et je n'ose pas lui poser la question.
Dylan, c'est lui qui a appris la nouvelle en premier, car c'est lui qui s'occupe de l'armoire de Jodie. Je le revois encore tambouriner à la porte des toilettes dans lesquelles j'étais en hurlant "c'est la merde, mec ! C'est la merde !". Au début, j'ai cru qu'il me faisait juste comprendre qu'il avait un besoin tellement pressant que ça ne pouvait pas attendre, puis il m'a mieux expliqué, le visage tout rouge en bafouillant la plupart des mots. Quand je lui ai annoncé que j'étais celui avec qui elle avait couché, il est devenu livide et m'a demandé sans réfléchir s'il pouvait être le tonton ce qui, sous le stress, m'a fait avoir un fou rire.
- Bon, je vais y aller, murmure Stella en baissant la tête. J'ai des choses à faire...
- P-pareil... Bégayé-je en me grattant la nuque.
Puis nous partons chacun de notre côté. Pourquoi je me sens aussi gêné ? C'est elle qui a changé de comportement, je ne devrais pas être gêné !
En rentrant dans le bureau du Boss, j'aperçois que Gwendoline a déjà fini de ranger le bureau.
- C'est très gentil, dis-je avec plein de gratitude. Mais vous n'avez pas à faire ça...
- Ça me fait plaisir de t'aider, m'explique-t-elle en posant d'un geste amical une main sur mon épaule.
Je la remercie et me mets à nettoyer le sol tandis qu'elle nettoie le bureau. Nous faisons ce boulot silencieusement, car je ne sais pas vraiment quoi dire. C'est un garde, je suis un assisant et même si elle ne semble avoir que quelques années de plus que moi, tout un monde nous sépare. Avoir une conversation amicale avec elle semble être très compliqué...
- Comment va Dylan ? Me demande-t-elle sans raison.
J'ai remarqué qu'il y avait une certaine alchimie entre ces deux-là. En tout cas, Dylan est fou d'elle, c'est certain.
Haussant les épaules, je lui réponds :
- Aussi bien qu'un assistant, donc pas terrible.
Elle garde le silence face à cette réponse et se remet à nettoyer. Après en avoir fini avec le bureau, elle m'aide à sécher le sol.
- Le Maître du Jeu semble beaucoup s'inquiéter pour toi, c'est vraiment gentil de sa part, me raconte-t-elle.
Je ne peux m'empêcher de soupirer.
- C'est bien beau de s'inquiéter pour moi, mais ça serait mieux d'arranger ma situation, répliqué-je en rangeant mes affaires.
- Il essaie d'arranger la situation de tous les assistants, tout en gérant le Jeu, ça doit être très compliqué pour lui.
Tout en m'appuyant contre un mur, je secoue la tête.
- Il ne s'occupe pas du Jeu ni des assistants, il passe ses journées à se taper Jodie.
Le regard de Gwendoline devient soudain froid.
- Ne parle pas comme ça d'elle, Jodie est ton amie.
Je passe mes mains sur mon visage en prenant une grande inspiration. Jodie n'est plus mon amie... Mais c'est vrai, je ne devrais jamais dire ce genre de choses, c'est con.
- Désolé... Soufflé-je.
- Ce n'est pas grave, tu es fatigué. Après que le Boss ait vu ce que tu as fait pour lui, je t'autoriserais à aller te coucher.
Elle me sourit et je la remercie. Comment a-t-elle pu devenir garde en étant aussi gentille ?
Nous sortons du bureau et Gwendoline attrape la serpillière pour aller la ranger tandis que je me dirige vers la salle de repos des gardes pour aller mettre tous les caleçons du Boss à laver.
Quand je rentre dans cette salle, Daphné est allongée par terre, certainement en train de dormir, habillée seulement d'un culotte.
Au-dessus d'elle, un garde, assit sur une chaise, s'amuse à faire cramer ses cheveux avec ce qui ressemble être une cigarette, et à éteindre la mèche qu'il vient d'allumer juste avant que ça ne prenne trop d'ampleur.
Quand il m'aperçoit, il me regarde avec un sourire vicieux et m'indique d'un coup de tête Daphné.
- Tu veux te la faire ? Elle dort tellement qu'elle s'en rendra même pas compte.
Je secoue directement la tête.
- Non merci... Dis-je d'une petite voix pour éviter de l'offenser.
Il se relève en croisant les bras, l'air sévère.
- Pourquoi tu veux pas ?
- Parce que...
Je me mords la lèvre, non. Il vaut mieux ne pas répondre à cette question piège. Mais, malheureusement, ce connard insiste. Je finis par lui lâcher :
- Parce que je respecte Daphné.
D'abord silencieux, il finit par hausser les épaules en regardant Daphné.
- C'est vrai que quand tu passes de Jodie à ça, ça donne pas très envie.
Je me racle la gorge.
- Ce n'est pas pour ça, c'est parce que je la respecte dans son intégrité. Le viol est un acte cruel que personne ne mérite.
Il lève les yeux au ciel.
- Pff, c'est pas un viol si elle s'en rend pas compte. Ça s'appelle juste profiter de l'opportunité qui s'offre à toi.
- Si, c'est un viol.
Il faut que je me calme, il faut que je me calme... Entendre ce genre de phrases me mets hors de moi. Comment peut-il me proposer de violer quelqu'un d'une façon si paisible ?!
Pour contenir ma rage et agir un peu, j'enlève mon tee-shirt et part le poser sur la peau nue de Daphné. Elle est glacée...
Le garde rit d'une voix grasse et retourne s'asseoir tandis que et récupère mon sac poubelle rempli de vêtements.
- Vous êtes vraiment trop sensible, les assistants.
- Nous... Nous sommes juste des humains.
Il rit une nouvelle fois, puis me montre sa cigarette et me dit :
- Tu veux essayer ?
- Euh... Je ne sais pas fumer...
Il se lève pour me tendre la clope qu'il tient entre son pouce et son index.
- C'est pas compliqué, tu aspires et tu recraches, regarde.
Il me montre alors comment faire et me recrache la fumée au visage. Je ne peux m'empêcher de tousser, cette odeur forte n'est pas agréable du tout...
Mais si je refuse, il me tabassera sûrement, alors...
Sans grande envie, j'attrape cette chose, la pose entre mes lèvres et fait semblant d'inspirer profondément pour juste remplir ma bouche de cette fumée qui a un goût dégueulasse. Je recrache en faisant une grimace.
Le garde rit en me frappant à la tête.
- Mais quel menteur ! T'as juste crapoté ! Réessaye. Je veux que tes poumons se remplissent de cette fumée.
A contre cœur, je m'exécute et sens soudainement ma gorge me brûler. Je recrache la fumée grise en toussant et en essayant de reprendre mon souffle. Je tousse tellement que j'en ai les larmes aux yeux. Le garde, explosé de rire, me force à prendre encore quelques bouffées puis me tape dans le dos en reposant sa clope entre ses lèvres. Il me dit :
- T'en fais pas. Dans quelques minutes tu vas te sentir vraiment très bien, puis après, tu roupilleras comme l'autre salope par terre !
Avec un goût désagréable dans la bouche, je le "remercie" et pars mettre les vêtements du Boss à laver.
C'est bizarre, plus le temps passe et plus j'ai l'impression d'avoir les oreilles sous l'eau... Les bruits autour de moi se font plus lointains et plus atténués...
Je regarde mes mains en plissant les yeux. J'ai cinq doigts. Enfin, cinq pour une main, cinq pour l'autre. Ça fait dix doigts. Dix...
A dix ans, je me suis cassé le bras en tombant d'un arbre, car je jouais à cache-cache avec Jodie. Ça m'a fait très mal, mon bras était à l'envers, c'était vraiment flippant... Jodie était très inquiète et pensait que j'allais le perdre. Elle semblait avoir plus mal que moi, alors qu'elle n'avait rien, c'était très drôle.
- Emeric ?
Emeric, c'est mon prénom. Mes parents m'ont choisi ce prénom, car ils le trouvaient sympa et parce que c'était aussi comme une contraction de leurs deux prénoms : Emily et Rick. Ils m'ont dit que c'est la seule chose que je pourrais hériter d'eux car ils sont bien trop pauvres pour avoir autre chose à me léguer, ce qui est complètement faux. J'ai déjà trouvé sous leur lit une boite remplie de billets, les crevards.
Soudain, le monde tourne autour de moi et Gwendoline apparaît dans mon champ de vision. Elle allait poser cette maudite cigarette entre ses lèvres, mais s'arrête pour faire une drôle de tête en voyant mon visage.
En tout cas, moi, en voyant son visage, je comprends pourquoi Dylan craque pour elle. C'est une très belle femme, même si le chignon qui retient ses beaux cheveux la fait paraître bien plus sévère qu'elle ne l'est. Sous certains angles, on pourrait penser que ses cheveux sont roux, mais je dirais plus qu'elle est blonde vénitienne. Ses yeux ont presque la même couleur que ses cheveux, je trouve ça magnifique. J'aime bien l'orange. J'aime autant la couleur que le fruit, bien que je n'arrive jamais à enlever la peau d'une orange sans l'aide d'un couteau.
- Tout va bien ? Me demande-t-elle, inquiète.
Tout va bien ? Oui, je me sens très bien. J'ai l'impression d'être tout léger, c'est agréable comme sensation.
Elle pose sa cigarette entre ses lèvres et pose ses deux mains sur mes épaules pour me regarder de plus près.
- Laisse-le tranquille, lui dit l'autre garde. Il est juste en train de planer.
Planer ? Ce n'est pas possible pour un humain de planer, on n'a pas d'ailes...
Je regarde à nouveau mes mains. Non, elles n'ont pas de plumes, ce n'est pas possible de planer.
Gwendoline se retourne vers le garde et commence à l'engueuler pour m'avoir fait fumer un "joint".
Un joint, dit-elle ? On peut fumer des joints ?
Je regarde la porte de cette salle. Il a peut-être fumé le joint de cette porte. Si c'est le cas, il va se faire taper les doigts par le Boss...
Je regarde mes mains, c'est tout petit les doigts, comment le Boss pourrait les taper ? M'imaginer le Boss donner des coups de poings dans les doigts de ce garde me fait rire. C'est rigolo...
J'aime bien le mot rigolo, c'est rigolo de dire rigolo... Le mot rigolo est le plus rigolo de tous les mots rigolos, qui sont moins rigolos que le mot rigolo... C'est bon, j'en ai déjà marre de dire rigolo.
Gwendoline m'attrape par la main, réveille Daphné et nous amène tous les deux en dehors de cette salle. J'ai du mal à suivre ce qui se passe, tout va tellement trop vite...
Soudain, je m'assois sur un lit. C'est bizarre, je ne me souviens même plus avoir marché jusqu'au dortoir...
- Il faut vite vous remettre sur pied avant que le Boss rentre, nous explique-t-elle en secouant Daphné qui semble très somnolente.
Gwendoline disparaît de mon champ de vision et Dylan apparaît. Il me regarde en secouant la tête.
- T'as l'air bien défoncé, mon p'tit gars...
- Je suis pas petit !
Pour lui prouver, je me relève, mais ma tête se cogne violemment contre le lit du haut. Je m'écroule, explosé de rire. Ça fait mal... Mais c'était drôle.
Stella intervient et engueule Dylan pour avoir ri avec moi. Elle m'aide à me remettre sur mon lit et vérifie que je ne sois pas blessé.
- Tu auras juste une vilaine bosse, me dit-elle avant de se tourner vers Dylan. Et toi va aider Gwendoline a lieu de te foutre de la gueule de ton ami !
Toujours riant, Dylan se relève et s'en va.
- Eh ! Dis-je en fronçant les sourcils. J'ai pas une gueule, j'ai une bouche qui t'apprends à...
- Emeric, tais-toi.
Stella me regarde, inquiète. Son visage est vraiment très proche du mien. J'arrive à voir toutes ses taches de rousseurs et les jolis détails qu'elle a dans les yeux.
- Pourquoi tu as fait ça ? Me demande-t-elle.
- Parce qu'on m'a obligé.
Les sourcils froncés, elle regarde mon torse nu, plein d'hématome et de brûlures. Ses yeux se remplissent de larmes.
- Pourquoi tu ne nous as rien dit ? Chuchote-t-elle.
- J'voulais pas vous inquiéter... Dis-je en essayant de couvrir mes blessures avec mes mains.
Elle soupire et me serre fort dans ses bras. Je passe aussi mes bras autour d'elle et réfugie ma tête dans le creux de son cou. Elle sent bon, vraiment très bon. Je me demande comment elle fait pour sentir aussi bon avec le savon qu'on nous donne pour nous laver, qui lui, sens vraiment très mauvais.
Puis elle s'écarte, me regarde droit dans les yeux, m'embrasse doucement sur la joue et s'écarte juste avant que Gwendoline et Dylan ne reviennent.
Gwendoline rentre dans mon champ de vision et me tend un verre, l'air stressée.
- Bon, c'est très mauvais, le Boss est rentré plus tôt que prévu. Je vais lui dire que vous êtes tombés malade et que vous avez besoin de repos.
Je secoue vivement la tête et repousse le verre.
- Non ! Hurlé-je. J'ai pas nettoyé tout son bureau pour rien, je vais le voir !
- Il va te défoncer s'il apprend que t'as fumé, Emeric ! M'explique-t-elle en essayant de m'empêcher de me relever. Il est de très mauvaise humeur !
Mais ma volonté est plus forte que ses muscles. Je cours donc hors du dortoir et tombe nez à nez avec le dit Boss. Quand il me voit, il s'arrête, l'air énervé.
Essayons de paraître normal...
- Bonjour, monsieur le Boss, dis-je d'une voix grave en faisant une minie révérence.
Il plisse les yeux.
- Qu'est-ce que tu m'veux ? Marmonne-t-il.
- Permettez-moi de vous montrer votre bureau, que j'ai eu l'honneur de nettoyer.
Honneur ? Enfin, l'horreur...
Il s'avance vers moi, me regarde droit dans les yeux, puis finit par dire avec un sourire sadique :
- Très bien, allons-y.
Nous nous dirigeons donc vers son bureau. J'entre en premier et il referme sa porte derrière moi en sifflant :
- Pas mal. Peux faire mieux.
Je le remercie pour ce "compliment" et il s'avance vers moi, les mains dans le dos.
- Pourquoi t'as les yeux rouges ? Me demande-t-il d'une voix tellement dure que je me raidis d'un coup.
- Euh... J'ai pleuré.
- Oh, donc quand tu pleures, tes yeux deviennent rouges et son haleine se met à sentir l'herbe ?
L'herbe ? Je sens vraiment l'herbe ? Quand il dit de l'herbe, il veut dire... Du gazon ?
- L'herbe ? Oh, c'est parce que j'en ai mangé quand vous n'étiez pas là, j'avais tellement faim, ahah !
Mais il ne me laisse pas rire plus longtemps et m'attrape par la gorge en me plaquant contre un mur.
- N'essaye pas de me prendre pour un con, d'accord ?! Hurle-t-il en me postillonnant dessus. Déjà que je me suis fait sermonner toute cette matinée à cause de toi, ne me donne pas encore plus de raisons de vouloir te tuer !
Comment a-t-il su que je mentais ?!
Je pose mes mains sur son poignet et lui dis :
- Je suis désolé...
- Menteur !
J'ai beau faire presque une tête de plus que lui, il arrive à me soulever et m'envoyer m'écraser au sol. N'ayant plus aucun réflexe, je ne me protège pas la tête qui se cogne violemment contre le sol. Je me mets à trembler à cause du choc et de la peur... Je ne veux pas me faire battre une nouvelle fois...
Tout en me relevant, je commence donc à m'excuser, à le supplier de ne pas me faire de mal. Je recule jusqu'à me retrouver coincé contre un mur.
- Oh, ne t'inquiète pas, tu n'auras pas mal très longtemps... Me dit-il en sortant un petit couteau pointu de sa poche.
J'ouvre la bouche pour hurler, mais rien ne sort. Il va me torturer...
Avec un sourire monstrueux, il s'agenouille en face de moi et me dit :
- Tu vas payer pour tout ce que tu m'as fait !
Alors, il lève le couteau et l'abat rapidement vers moi. Revenant enfin à mes esprits, je pose mes mains sur ma lame et l'empêche de se planter dans ma gorge. La vive douleur créée par la caresse de la lame sur mes mains me fait hurler, mais j'arrive à le repousser, lui et son couteau. Le Boss s'écarte en poussant un grognement et se jette encore sur moi. J'attrape son poignet et empêche à temps la lame de se planter dans mon œil. La lame se décale de quelques centimètres pour pénétrer sans difficulté dans ma joue.
La douleur est juste atroce et je n'ai même pas besoin d'avoir un miroir en face de moi pour comprendre ce qu'il s'est passé : la lame ne m'a pas taillé la joue, elle l'a traversée. Je l'ai compris quand j'ai senti quelque chose de froid et métallique frotter contre mes dents.
Quand il retire le couteau, la sensation est tout aussi terrible, je hurle à nouveau en espérant que les autres m'entendent.
Étant trop focalisé sur cette douleur, je n'ai remarqué que trop tard que Boss tentait de faire glisser le tranchant du couteau sur ma gorge. Par réflexe, je le repousse d'un coup de pied dans le ventre et roule sur le côté pour m'écarter de lui. La main posée sur ma gorge, j'inspire et j'expire. Bien que je sente une petite douleur, je respire. Peut-être que la lame n'est pas allée assez profondément...
Le Boss relève la tête et je lui donne le coup de pied le plus violent que je n'ai jamais donné de ma vie. Il s'écarte en se tenant le nez, qui se met à saigner.
J'en profite pour ramper dans l'autre coin de la salle.
Qu'est-ce que je viens de faire ?! Je l'ai frappé... J'ai signé mon arrêt de mort !
Le Boss se relève, essuie le sang qui coule sur son menton et me regarde, les yeux remplis d'un désir ardent de sang.
- Tu vas le regretter, salope... Me dit-il.
Il fait un pas dans ma direction, mais quelqu'un derrière le Boss lui explose une chaise en bois dans le dos. Surpris, il se retourne et voit Daphné qui récupère un bout de cette chaise pour lui donner un violent coup à la tête.
Est-elle folle ?!
Le Boss titube en arrière et Daphné se met à le marteler de coup en hurlant, certainement de colère. Mais n'ayant pas beaucoup de forces, ça ne lui fait pas grand-chose. Il attrape donc le bout de bois et lui arrache pour le jeter loin d'elle. Elle n'a le temps de rien dire ni faire que le couteau du Boss se plante une fois, deux fois, puis trois fois dans sa nuque. Le sang se met à gicler dans la pièce et elle s'écroule au sol en se maintenant la gorge.
Après ça, et certainement pour éviter de se faire déranger une seconde fois, le Boss ferme la porte à clé et s'avance lentement vers moi. Derrière lui, j'entends que quelqu'un essaye de forcer la porte pour l'ouvrir, de donner des coups.
Tandis qu'il n'est plus qu'à un mètre de moi, il lève son couteau en se mettant à rire.
C'est la fin...
Je ferme les yeux et me roule en boule.
J'ai peur...
Boum !
Un coup de feu retenti.
Je crois d'abord que c'est pour moi, donc je reste immobile en attendant que la douleur arrive, mais c'est en entendant quelque chose s'effondrer à terre que je me rends compte que je n'ai pas été touché.
J'ouvre alors les yeux et vois le Boss se maintenant la gorge, bouche ouverte, pris de convulsions.
Stupéfait, je regarde autour, mais il n'y a personne...
C'est en remarquant que la porte est abîmée et en apercevant un bout du visage du Maître du Jeu apparaître à travers que je comprends enfin ce qu'il s'est passé : il Maître du Jeu a tiré à travers la porte et la balle à atteint la gorge du Boss.
- Ouvre la porte ! M'ordonne-t-il.
Sans même réfléchir, j'obéis. Je cours jusqu'à celle-ci et l'ouvre. Tandis que je m'écroule avec Stella et Dylan qui se jettent dans mes bras en sanglotant, le Maître du Jeu m'enjambe pour voir le Boss, toujours au sol. Le Maître du Jeu s'agenouille alors à côté de lui, tend le bras pour coller un pistolet contre le front du Boss. Sans même ciller, il tire. Le sang gicle sur le Maître du Jeu qui tire une balle après l'autre sur le Boss, qui ne bouge déjà plus. L'expression du Maître du Jeu est indescriptible tandis qu'il vide son chargeur sur la "tête" du Boss. J'imagine qu'il devait être très énervé pour s'acharner autant, alors qu'une ou deux balles auraient suffit...
Quand le chargeur est enfin vidé, il range son arme et se relève calmement, son expression est bien plus détendue. Tout le monde reste silencieux tandis qu'il vérifie si Daphné est encore vivante. Le juron qu'il prononce nous indique que ce n'est plus le cas.
Pourquoi a-t-elle fait ça ? Pourquoi a-t-elle tenté de me sauver ?
Tout en revenant vers nous, d'une voix dure et froide comme de la pierre, il nous dit :
- Ne touchez pas aux corps, je vais m'en occuper moi-même. Gwendoline, tu deviens la chef.
Moment de surprise pour tout le monde. Gwendoline ouvre la bouche pour parler mais quelqu'un la coupe.
- Quoi ?! S'écrit un garde. Mais Gwendoline est une femme !
En guise de première réponse, le Maître du Jeu lui envoie son poing dans la figure. Le visage du Maître est rouge à cause de la colère, mais aussi par les projections de sang du Boss lui ont coloré le visage en rouge. Après s'être calmé, il répond au garde dans un second temps :
- Femme ou non, elle s'occupera certainement mieux des assistants que l'autre enfoiré. Si vous osez contester ses ordres, vous subirez le même sort que l'autre.
Il regarde sa montre et marmonne :
- Merde, je suis en retard pour le Soir de Concertation...
Enlevant son tee-shirt et le jetant au sol, il s'en va en disant à Gwendoline :
- Tu viendras me voir plus tard, j'ai à te parler.
Puis il nous laisse seul, dans le silence et la peur. Je regarde une dernière fois Daphné avant que la porte ne se referme. Elle gît seule dans la marre de son propre sang, c'est terrible...
Mais un détail m'interpelle : elle a mis mon tee-shirt, celui que j'ai utilisé pour lui couvrir le corps. Je l'ai reconnu avec ses manches longues... J'imagine que c'était le seul vêtement qu'il lui restait.
Elle m'a sauvé la vie, elle qui ne voulait même pas m'adresser la parole... Elle a eu le courage de se dresser contre le Boss, je ne sais même pas si j'en aurais été capable à sa place...
Gwendoline se racle la gorge, ce qui me fait sortir de mes pensées :
- Je vais emmener Emeric se faire soigner, annonce-t-elle d'une voix forte et dure. Pendant ce temps-là, les assistants auront quartier libre dans les sous-sols. Ils pourront manger et boire à leur volonté tandis que les gardes auront l'obligation de nettoyer tout le bordel créé.
Une garde ouvre la bouche pour protester, mais Gwendoline la foudroie du regard, ce qui le fait taire rapidement.
Elle m'aide ensuite à me relever et nous commençons à marcher je ne sais où. Je ne regarde plus rien et essaye de marcher seul, mais c'est impossible, la douleur est si forte... J'ai la tête qui tourne...
- Je suis tellement désolé... Souffle Gwendoline en m'aidant à monter des marches.
- Pou'quoi ? Bafouillé-je en essayant de ne pas mobiliser ma joue blessée.
- J'aurais dû intervenir plus tôt, j'aurais dû aller prévenir le Maître du Jeu plus tôt... Daphné serait encore en vie si j'avais réagi plus vite...
Je tourne la tête pour la regarder. Des larmes coulent le long de ses joues, elle semble vraiment peinée... Pour l'instant, je suis tellement sous le choc que je n'arrive pas à ressentir quoi que ce soit mis à part ma douleur à la joue. Je ne comprends toujours pas pourquoi Daphné a fait ça et je ne réalise pas encore ce qui vient de m'arriver...
En regardant Gwendoline sangloter, j'en viens encore à me demander comment elle a pu devenir un garde...
Elle est tellement plus humaine que tous les autres...
Je vous poste le chapitre suivant tout de suite 😘
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