8-Le plan de Prisha
Rashtrapathi... Bhavan -bien joué, je vois que vous me suivez. Le président Kovind n'avait pas changé d'humeur. Surtout lorsqu'il se rendit compte que les chasseurs n'étaient que deux. Il se leva et dit avec une voix de sanglier :
-Où donc est passé le chasseur américain Ned Gunny ?
-Il a été avalé par un gavial du Gange, répondit calmement Bryce, soutenant le regard du président indien.
-Un... ? Vous ne voulez pas dire qu'il est... ?
-Il est très peu probable d'être encore vivant lorsqu'on a été mangé par un alligator de sept mètres de long, dit Tolman avec froideur. Mais il savait à quoi il s'exposait, il connaissait les risques du métier, ajouta-t-il en détachant chaque syllabe du mot « métier ».
-C'est très malheureux, assurément. Très malheureux pour vous, car vous n'êtes plus que deux et il vous reste quatre mois pour mener votre mission à bien. Tâchez de réussir ! Et si l'un de vous est encore mangé, il sera mis à mort !
Tel furent les paroles de Kovind et quelques jours plus tard, Tolman et Jagan étaient tous les deux dans la forêt de Sanjay-Van, à échanger quelques mots en faisant ricocher des galets à la surface d'une source. Bryce en avait vraiment marre de voir la mort, d'assister au trépas d'êtres vivants, que ce soit de chasseurs, de loups, de dholes, ou de crocodiles. Mais selon la presse, les loups avaient beaucoup progressé dans leur invasion de New Delhi, les nouvelles et les rumeurs s'étaient répandu dans la ville et les villageois s'inquiétaient, se demandant ce que faisaient les forces de l'ordre. Le président était plus sur les nerfs que jamais et voilà que Prisha Jagan, la plus intelligente chasseuse de la région, ainsi que Bryce Tolman, le tueur de loups le plus adroit parmi les britanniques se retrouvaient là, arrosés de pollen printanier emporté par le vent, à faire des ricochets en discutant pertinemment d'un plan. Et voilà que Prisha Jagan proposait une solution.
-Je crois que toutes nos erreurs jusqu'à présent, sont liées au fait que nous agissions à découvert en arrosant de sang tout ce qui bougeait.
Bryce fronça les sourcils.
-Que voulez-vous dire par là ?
-Par Bouddha, monsieur ! Depuis le début, nous nous sommes entourés d'imbéciles qui n'ont pas pris le temps de réfléchir et de comprendre l'ennemi. Ils ont sorti leurs fusils et se sont jetés dans la gueule du loup comme de pauvres brebis arrogantes !
-Et que suggérez-vous ?
-De trouver les loups et d'essayer de comprendre leurs agissements, afin de prévoir leurs coups et de les arrêter.
-Vous voulez dire, chercher les loups, les espionner puis les arrêter ? C'est bien cela ?
-C'est cela, oui. Exactement.
-Vous n'avez pas pris en compte le flair des loups, cent fois plus développé que le nôtre. Les loups nous trouveraient avant que nous les trouvions, eux. D'autant plus que de nombreuses espèces animales sont à leur service et doivent faire le guet tout autour de la forêt. Tenez, il y a là-bas un cerf qui nous regarde avec méfiance.
-Suivons-le, décida Prisha Jagan en se levant.
-Que... ? Quoi ? Le suivre... ?
-Faites moi confiance, Tolman. Nous devons nous emparer de lui et de sa vie. N'insistez pas, j'ai mon idée.
Bryce ne dit plus rien et se leva, bien décidé à faire plaisir à la jeune femme. Le cerf était déjà parti au trot, mais les chasseurs parvinrent à le rattraper en faisant le moins de bruit possible. Prisha épaula son arme à feu et envoya une balle qui frappa le cerf avec justesse et lui ôta la vie. Puis ils rejoignirent le corps immobile et s'empressèrent de le dépecer. Ce fut un travail long et laborieux. Très tôt l'odeur de pourriture qui s'élevait du corps du cerf attira plusieurs autres cervidés et Bryce fuma le corps d'un autre cerf. Les bois craquèrent en s'aplatissant à terre. Une fois munis des deux peaux de cerfs, Prisha et Bryce les revêtirent et Bryce demanda à sa compagne quelle était au juste la suite du plan.
-Il s'agit maintenant de retrouver une meute de loups.
Inspirés d'une intuition ils partirent du côté où les cerfs étaient arrivés, qui s'avérait être le même que là où ils avaient voulu prendre la fuite, avant de se souvenir qu'ils avaient rendez-vous avec les balles de Bryce Tolman et Prisha Jagan. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, ils descendaient et le paysage se faisait plus sombre, plus humide, et plus secret. De multiples empreintes allaient de part en part. Il y avait des pattes de loups au centre du chemin, et celles d'autres animaux en bordure, comme si les loups souhaitaient quelques honneur et distances. Dans la marge du chemin boueux, Bryce distinguait les traces de gros animaux : ours, lynx, panthères, tigres. Mais aussi petits : cerfs, biches, renards, lapins, écureuils. Il y avait des énormes creux formés par des mêlées de sangliers furieux, des branches répandues par des singes en colère (parmi lesquels des orang-outan). Plus loin du chemin l'herbe avait été tondue par des bœufs sauvages affamés, des arbres avaient étés martelés de coups de cornes -des rhinocéros, songea Bryce avec inquiétude. Au cœur du sentier on apercevait parmi les traces des loups celles plus petites de chacals téméraires et révoltés, mais ces empreintes étaient toujours suivies d'un cadavre. Pour leur audace, les chacals étaient abattus à la mode lupine. Jean de la Fontaine dirait qu'ils étaient châtiés de leur témérité. Les chasseurs s'arrêtèrent pour faire le point.
-Ce que je me demande, dit Bryce, c'est pourquoi tous ces animaux obéissent-ils aux loups ? Quels sont leurs buts ?
-Pour ça, monsieur Tolman, je crois être en mesure de vous répondre -je ne connais que trop bien les espèces locales, ainsi que leurs idéaux et besoins de vie. Commençons par l'ours, le tigre et le rhinocéros, puisqu'ils poursuivent les mêmes intérêts. Tous trois rêvent de territoires vastes, très vastes, rien que pour eux, et la destruction de New Delhi leur offrirait beaucoup d'espace, et si jamais ils ont New-Delhi, je crois qu'ils n'en resteront pas là. Je crois qu'ils attaqueraient d'autres villes jusqu'à posséder toute l'Inde ! Le tigre aime beaucoup le bétail, et New Delhi contient nombre d'élevages. Ensuite, il y a les primates et les lapins. Ceux-ci sont sans cesse tyrannisés par les humains, qui les chassent et détruisent leurs habitats, alors vous imaginez bien que les orang-outan ne sont pas fâchés de se révolter contre leurs cousins. Les bœufs sauvages sont dans le même cas, abattus et suspendus en rondelle à la vitrine du boucher, et pourtant, leurs âmes sont toujours au-dessus de nos têtes à ruminer leur vengeance. Ensuite, les cervidés, eux, rêvent de tranquillité et de liberté, ils détestent la civilisation humaine, et voudraient voir la forêt engloutir le monde. Les sangliers rêvent de manger sans arrêt, et ils savent que les humains ont une énorme variété de nourriture, et New Delhi est pour eux une gigantesque cuisine, un paradis conçu pour se goinfrer jusqu'à la mort. Et puis il y a les lynx et les chacals. Le lynx est parfois surnommé le loup cervier. Il a un caractère et un mode de vie très proche du loup et ici, en Inde, même s'ils ne s'aiment pas et n'oublient jamais qu'ils sont des concurrents naturels, ils ont tendance à s'entraider contre les espèces supérieures ou nuisibles à la nature. Et à toutes ces raisons d'agir contre l'espèce humaine, il faut ajouter pour tous ces animaux la haine qu'ils ont pour les hommes et la crainte qu'ils ont des loups, qui ont dû capturer beaucoup d'entre eux et leur expliquer qui étaient les patrons. Mais je me demande comment ils ont fait avec les rhinocéros...
-Et les écureuils ? Que veulent-ils ?
-Ils convoitent les arbres.
-Les arbres ? s'étonna Bryce. A ce que je vois, il y en a dans cette forêt, ajouta t-il, ironique.
-Les écureuils adorent les grands arbres, aux vastes feuillages et aux hauts troncs épais. Ce qu'ils aiment, les écureuils, ce sont les majestueux géants plein de galeries.
-Il n'y en a pas non plus à New Delhi.
-Oh ! Mais les écureuils ne comptent pas en trouver, ils veulent se venger des humains qui ont abattus la moitié des arbres du pays !
-Les indiens en replantent beaucoup !
-Surtout dans le Sud du pays, mais ici...
-Ainsi donc, soupira Bryce, voilà tout ce que les loups ont promis à la faune indienne. Mais je ne serais pas étonné s'ils ne tenaient pas toutes leurs promesses.
-Mais que comptent-ils faire, avec tous ces animaux ?
-Continuons à suivre la piste, elle ne peut pas nous mener à l'échec. Nous arriverons forcément à un dénouement, plus ou moins heureux, mais un dénouement quand même.
Ils poursuivirent leur chemin, les peaux des cerfs sur le dos, masquant leurs odeurs d'intrus. Plus ils avançaient, plus les empreintes étaient fraiches et creuses. Au bout d'un moment, ils entendirent un grognement et ils s'agenouillèrent derrière un buisson. Regardant à travers les ronces et les taillis, ils se rendirent compte qu'il y avait là toute une assemblée des moindres créatures des bois. Il y avait là, au centre d'une gigantesque plaine fleurie des bois, près de trois-cent loups, ainsi que put l'estimer Prisha Jagan. Il y en avait des petits et des gros, les gros plus importants hiérarchiquement fendaient les rangs en grognant et jappant. Autour des loups il y avait diverses espèces animales, serrées les unes contre les autres, certaines trop loin pour qu'on les identifie, et qui écoutaient les loups avec attention et crainte. C'était un spectacle étonnant à voir. Des centaines de loups menaçants entourés de singes, d'hippopotames, d'éléphants, de renards, de lynx, de chacals, de chèvres et autres animaux à cornes, d'écureuils, d'oiseaux, et même d'un grand lion assis parmi les tigres.
S'il ne l'avait pas devant les yeux Bryce aurait dit que c'était impossible. Pourquoi les renards n'attrapaient-ils pas les oiseaux dans leurs gueules ? Pourquoi les tigres ne déchiquetaient pas les bœufs sauvages ? Pourquoi les lynx restaient-ils indifférents au troupeau de chèvres qui les précédait ? Pourquoi l'équilibre de la nature cédait-il soudain face à la menace de l'homme ? Quels étaient ces gigantesques dessins que les orang-outan traçaient par terre avec des brindilles, et que les loups étudiaient avec soin ? Et pourquoi le bruissement des hélices d'un hélicoptère vint perturber le plan et les réflexions de Jagan et Tolman ? En effet, tandis que Bryce observait les yeux ronds le gigantesque plan de New-Delhi tracé dans la terre et qu'il ne pouvait s'empêcher de trouver que les animaux avaient du génie, un hélicoptère de secours passa au-dessus de leurs têtes et perdit un peu d'altitude pour tracer des cercles au-dessus du spectacle magnifique que devait représenter la masse grouillante de loups et d'animaux. Ceux parmi eux qui avaient l'ouïe fine levèrent la tête et poussèrent toutes sortes de beuglements et barrissement. Les rhinocéros tapèrent du pied et Prisha se leva soudain en chuchotant quelque chose à l'oreille de Tolman, qui parut effrayé. La femme courut à toutes jambes à travers la forêt en emportant de l'huile et une boîte d'allumette. Elle courut très loin, puis réunit rapidement des dizaines de bouts de bois morts. En réunissant toute son énergie, elle réussit en cinq minutes à allumer un feu. Et comme elle connaissait plusieurs langages comme le morse ou celui utilisé pour les signaux de fumée, elle réussit à reconstituer un appel à l'aide avec le feu qui détourna l'attention du pilote de l'hélicoptère de l'incroyable rassemblement d'animaux. Bryce, lui, avait sorti un carnet et notait en rafale toutes les informations qu'il pouvait recueillir sur le plan de la capitale de l'Inde. Les animaux s'avançaient et désignaient de la patte les endroits où ils pénétreraient dans la ville et les différents moyens qu'ils emploieraient pour faire fuir les habitants. Bryce notait tout et Prisha Jagan le rejoint bientôt, essoufflée. L'hélicoptère était parti. Je n'arrivais pas à savoir qui étaient les plus intelligents : les animaux qui échafaudaient un plan extraordinaire pour envahir l'une des plus grandes villes du monde, ou les humains tapis dans l'ombre qui ne perdaient pas une miette du planning des animaux. Prisha remarqua un loup qui traçait un dessin par terre en forme de lune. Une lune presque pleine. Une lune gibbeuse.
-Ce qui signifie, dit la jeune femme, que l'attaque aura lieu entre jeudi et samedi, autant dire qu'il faudra se tenir prêts dès demain soir.
C'est alors qu'ils remarquèrent un groupe de loups à l'écart du reste, qui analysaient un autre dessin, plus petit, mais qui ressemblait au plan d'un bâtiment. Bryce écarquilla les yeux :
-On dirait... mais oui ! Je connais, j'ai déjà vu ce plan quelque part ! C'est le Taj Mahal !
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