4-Boucherie chevaline
Je reprends mon histoire avec Bryce, Ned, et Prisha. Cette dernière s'éveilla au cœur de sa somptueuse villa en banlieue de New-Delhi (ou Delhi) un froid matin de décembre ; elle s'habilla, accomplit quelques rites bouddhistes, dégusta un reste de poulet Tikka Massala, grimpa sur le tabouret pour attraper le fusil sur l'étagère et sortit dehors, accompagné de son fidèle « chien » Dolniph. Un car l'attendait devant le perron. Ned Gunny en descendit :
-Salut ! Bien dormi ? Très bien ! J'ai fait comme prévu, j'ai loué le car et j'ai déniché quelques amis qui vont nous prêter main forte. Au fait, il est mignon ton chien.
Quatre hommes descendirent à sa suite. Prisha se retint de rire lorsqu'il mentionna son « chien ». En vérité, Dolniph était trois fois plus gros qu'un chien. Ses dents étaient plus aiguisées et sa gueule trop étroite pour appartenir à un chien. Dolniph se mit à gronder, visiblement mécontent qu'on le prenne pour un chien. Ned recula. Un moteur vrombit. Un camion bleu surmonté d'une mitrailleuse freina derrière le car, Bryce Tolman et deux autres chasseurs à son bord, armés et équipés. Ils mirent pied à terre. Un instant, Bryce fixa Dolniph, et une lueur étrange parut dans ses yeux. L'animal se montra gentil, il se laissa caresser par Tolman, un ronronnant un peu et en fusillant Ned du regard.
-C'est injuste, s'exclama Ned. Ce chien fait le bon toutou avec Bryce mais il grogne dès qu'il m'aperçoit !
-Chien ? dit Bryce en pouffant de rire. Dites donc, monsieur Gunny. Vous ne seriez pas un peu américain ?
A quelques kilomètres de nos chasseurs enthousiastes, à l'orée de la forêt Sanjay-Van, le vieil arbre Plant-Old sentait autour de lui la présence d'une meute de huit loups. Chose étrange, parmi eux ne se trouvaient aucun louveteau. Ils étaient accroupis derrière un épais tronc d'arbre à l'horizontale –car il avait certainement été abattu par des bûcherons- et se léchaient les babines, car ils se situaient à l'orée de Delhi, à sept mètres de l'écurie nommée Duke Horse. Le loup alpha était reconnaissable : plus gros, plus grand, plus brun que les autres, il était assis avec les femelles. Quelques touristes passèrent devant eux, puis le sentier se vida et au signal du maitre loup, la meute parcourut le dernier hectare de champs de blé qui les séparait de la boucherie chevaline. La mort guettait les pauvres tagadas, et seuls leurs sabots, leurs fers, leurs dents et leurs os seraient épargnés par l'appétit lupin. Et même le pauvre personnel du centre équestre se retrouverait dévoré par Canis Lupus s'il ne filait pas au plus vite. Un hennissement. Les humains s'inquiètent et s'interrogent avant d'être subitement renversés et consommés sur leur matériel. C'est la panique. Les arbres sont trop loin pour savoir ce qu'il se passe exactement mais ils l'imaginent. Les chevaux font des ruades et distribuent des coups de sabot à tout hasard. Les humains courent en tout sens. L'un d'eux trouve une échelle et tente de grimper sur le toit mais, alors qu'il posait les mains sur l'avant dernier barreau un loup renverse l'échelle et les tissus de chair du pauvre homme sont ingurgités par quarante-deux crocs après que tous ces os se soient brisés du fait de la gravité. Revenons aux chasseurs. Les deux véhicules se séparent. Le car fait route en direction de l'écurie, son chauffeur Ned alerté qu'une attaque de carnassiers y sévit, tandis que la voiture à mitrailleuse continue à s'enfoncer dans la sombre forêt de Sanjay-Van. Le car surgit dans une brusque montée et les chasseurs débarquent dans l'enclos des chevaux et épaulent les fusils. Plus de loups. Les cadavres s'entassent à terre et l'odeur attire déjà les mouches. Les loups envahissent les rues à cent mètres de là. Les chasseurs se dépêchent de s'y rendre. Ils vont se faire massacrer ! Les crocs craquelèrent, craquèrent l'air, claquèrent dans l'air. Les chevaux hennissent et s'écroulent en soufflant des naseaux. Les chasseurs hurlent, tirent, et chassent, et les arbres spectateurs ont tendance à reculer malgré leur immobilité. Puis toute la forêt se concentre sur un grésillement d'hélices qui balaient leurs houppiers en deuil. Hélicoptère. Blanc, muni de croix rouges et de couleurs vives, c'est un hélicoptère de secours. Il y a une catastrophe. Celle de l'écurie. Beaucoup de chasseurs, de chevaux, et de loups sont morts. Un singe n'en a rien à faire, les singes sont indifférents à tout ce qui ne les concerne pas, merci pour eux. Il se balance d'arbre en arbre en tirant sur les branches de mes pauvres compagnons. Des ultrasons de douleur font trembler mes rejets et mes gourmands vaniteux. La boucle terminant la queue du singe s'enroule autour de mes branches puis se projette vers l'hélico. Celui-là file toujours tout droit. Le singe est suspendu à ses patins et affrontant les courants d'air, il se félicite de savoir voler. Il crie de joie. Curieux de voir les hélices de plus près, le primate continue de grimper jusqu'à la vitre, et voyant son confrère pilote, il s'empresse de le saluer en toquant à la vitre et en lui adressant son plus beau sourire. En le voyant, la femme en uniforme hurle, manque de faire un infarctus et perd connaissance et du même coup le contrôle de l'appareil. Pilote, équipage, singe et hélicoptère perdent alors de l'altitude et s'écrasent au beau milieu de Sanjay-Van. Des volutes de fumée apparaissent à l'horizon, ainsi que les signaux de détresse de plusieurs arbres. L'incendie est cependant trop éloigné pour nous atteindre, moi et mes camarades. Mais lorsque je songe à tous ces arbres qui périront à cause des machines de l'homme, ses engins de déplacements... Nous les arbres nous ne pouvons pas nous déplacer. Nous sommes éternellement rattachés et nourris par la même parcelle de terre. Plus loin, le véhicule surmonté d'une mitrailleuse sillonne les sentiers de Sanjay-Van en arrachant les bouts de végétation hasardeux de survoler le chemin. Une meute de loup l'attendait au bout de ce dernier. Le véhicule freine et les chasseurs en sortent, fusils en main, et claquent les portières en faisant un maximum de bruits afin de dissuader les loups de toutes intentions hostiles et nuisantes. Sur le toit, un chasseur s'empare de la mitrailleuse et décime une rangée de loups dans un concert de jappements furieux. Les chasseurs remontent en voiture, redémarrent et mettent les gaz mais la roue avant glisse sur un cadavre de loup placé avec soin. Dans une détonation, la voiture déraille, enfonce un arbre, puis se retrouve sur le dos dans un fossé d'orties. La mitrailleuse est écrasée contre le sol. Puis la voiture explose et les survivants flambent et hurlent dans la fournaise. Dans le car, l'homme qui se trouvait aux toilettes se torcha, tira la chasse et partit chasser. Il s'étonna de ne trouver personne dans le car omis quelque chose qui folâtrait contre le volant et les différents boutons. L'homme s'approcha et voulut sortir son couteau lorsque la chose bondit en renversant un fauteuil et tenta de lui arracher le bras à l'aide de sa gueule. De ses pattes arrière, il lui fit perdre l'équilibre, et l'homme poussait de faibles cris assourdissants, et alourdissant l'espace. Le loup le plaqua contre la cloison et lui cassa les côtes. Puis il lui bouffa le foie et l'homme dut connaitre l'horrible douleur et agonie que d'être dévoré vivant. Il pissait l'urine et maintenant il pissait le sang. Tant pis pour lui. Bryce, lui, courait dans la forêt. Il avait horriblement soif et toutes ses forces l'abandonnaient. Mais sa volonté était de ne point mourir, c'est pourquoi il persévéra dans ce milieu sec et sauvage. Le bois pourrissait autour de lui. Les arbres ne respiraient que trop rarement. Bryce entendit des grognements. Il sursauta et fit volte-face. Il poussa un soupir de soulagement. Les grogneurs n'étaient que de jeunes louveteaux à l'abandon, leurs langues dures et pendantes, leurs poils hérissés, leurs queues élevées à la manière des chiens. Bryce se dépêcha de déguerpir avant que leur mère ne revienne. Il serra son fusil dans ses mains pour se rassurer. Au détour de deux sapins, il tomba nez-à-nez avec Ned Gunny et Prisha Jagan. Pour le plaisir de Bryce, Ned avait eu la sagesse d'emporter une bouteille de perrier, mais elle lui était apparemment réservée, et son égoïsme défendait même Tolman de boire en Wi-Fi. Voilà comment s'était passée leur première journée de chasse. Une catastrophe, l'enterrement de beaucoup de chasseurs, peu de loups abattus, et surtout, surtout la faible rumeur qu'une grande partie de la forêt s'était soudain changée en brasier. Nous, les arbres, étions en deuil.
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