Il allait me croquer mais il n'en fit rien. Il se contenta de me fixer de haut, avec grand dédain. Des poils blancs et angoras dépassaient de ses oreilles elfiques. Le reste de son corps était d'un marron on ne peut plus commun, à part sa queue noircie par le feu des trois petits cochons. Des yeux tristes surplombaient sa mine souriante, contredisant son caractère décisif. Tolman resta bouché bée. La bête tourna sa tête dans le rayon de lumière transparent qu'émettait la lune en passant à travers les carreaux et il poussa un bref hurlement de dominance. Puis il s'enfuit par la fenêtre que le vent ouvrait à la volée une nouvelle fois et Bryce se releva, les vêtements trempés. Ça, c'était l'épisode initial de l'histoire et je vais tout de suite vous raconter la suite sans m'égarer dans un commentaire ou introduction inutile. Quelques jours plus tard Bryce fut convoqué au palais du président de l'Inde, Rashtrapati Bhavan. Ça, c'est le nom du palais. Le président se nomme Ram Nath Kovind. Quel honneur, cette invitation, diriez-vous ! Peut-être, mais Bryce y était convié pour le travail. Il se rendit à Rashtrapati à pied. Ce fut un peu de marche, mais Tolman était costaud et endurant. Il arriva devant un haut portail noir et très ornementé. Bryce était déjà venu à New-Delhi mais n'avait jamais visité la demeure présidentielle. Un homme coiffé d'un turban vint lui ouvrir.

-Vous vous appelez ? demanda-t-il d'un ton à la fois courtois et pressé.

-Bryce Tolman, je suis attendu pour un entretien avec mons...

-Oui, oui, je sais, il ne manquait plus que vous, coupa-t-il. Si monsieur veut bien se donner la peine d'entrer...

Avec émotion, Bryce fit un pas, et alors il vit pour la première fois clairement le palais de Rashtrapati Bhavan. La coupole sautait aux yeux, encadrée par deux ailes terminées par des colonnes. Le bas était rouge, le haut brun. Un chemin bordé d'un canal étendu sur cent mètres conduisait au palais. Des soldats habillés en blanc et montants des chevaux montaient la garde en parcourant des allées et retours sur l'allées frontales. L'homme turbané marchait vite et ne lui laissait pas le temps d'admirer la qualité du jardinage et l'architecture des luminaires. Ils entrèrent dans le palais par l'aile sud. L'intérieur se présentait encore plus somptueux et Bryce s'interrogeait sur sa vie de chasseur en se demandant s'il avait fait les bons choix. Les murs étaient tapissés, le carrelage décoré, les vitraux bien pensés, les crevasses remplies d'objets dorés, le plafond haut et peint avec soins et détails. Les pièces étaient vastes et éclairées par d'énormes lustres transparents et semblables à des cristaux de glace. Sur certains murs l'histoire de l'Inde était représentée en d'immenses fresques, dont Tolman ne voyait pas le bout, et il n'avait pas l'autorisation de s'arrêter pour mieux les contempler, alors qu'il aurait voulu rester des jours à les examiner. Ils arrivèrent dans une sorte d'antichambre. Un homme et une femme s'y trouvaient déjà. Le type au turban partit s'occuper d'autres affaires. Les deux personnes étaient le contraire l'une de l'autre. L'homme était grand, mince, assis et complètement obnubilé par son portable. La femme était petite, dodue, brune, mate de peau, les yeux bridés, et elle ne se lassait pas de se fasciner des merveilles de l'antichambre, complètement perdue et indifférente du reste. Dès qu'elle l'aperçut, la femme courut vers Bryce, ses babouches claquant au sol, et elle lui serra chaleureusement la main.

-Bouddha soit béni, murmura-t-elle. Je m'appelle Prisha Jagan. Je suis d'ici et très contente de vous rencontrer. Et vous êtes ?

-Bryce Tolman, pour vous servir, et ravi également.

-Le karma va nous lier pour un bon bout de temps, vous savez ?

-Que voulez-vous dire ? Je ne vous suis pas très bien.

-Vous avez très bien compris. J'adore la nature, ma Jnana en est remplie. Et je suis pleine de Prana. Je ne pratique pas le Ahimsa, vous savez, je trouve ça stup...

-Le Ahimsa ? La Prana ? La J... nana ? Vous ne seriez pas bouddhiste à tout hasard ?

-Si, monsieur. Je le suis. Le Ahimsa, c'est le refus de porter atteinte à toutes formes de vie, récita-t-elle. Les bouddhistes détestent tuer, mais moi je trouve ça tout à fait ridicule. La Prana correspond à notre énergie vitale et la Jnana est notre connaissance, notre savoir.

-Je vous remercie de m'éclairer, belle Apsara ( Nymphe représentée dans l'art indien ).

Elle lui sourit gentiment. Puis enfin, l'homme grand leva le nez de son portable, se leva, et vint à son tour se présenter.

-Moi c'est Ned Gunny. Je suis étranger Athée, et fier de l'être. Dites Prisha, ou madame Jagan, peu importe, votre président, là, il peut pas se bouger, j'ai un petit creux...

-Comment ? intervint Bryce. Il va s'entretenir avec nous trois ? En même temps ? Je pensais pourtant que...

-La quête qui va vous être confiée, monsieur Tolman, ne concerne pas que vous. Nous serons trois pour l'accomplir, dit Ned. Le président Kovind a fait dépêcher les meilleurs chasseurs du monde, et nous sommes les trois seuls à être venus. Certains sont tombés malades, d'autres ont boudé le trajet, d'autres...

L'arbre qui suivait à présent la conversation se trouvait au centre d'un patio voisin, entourés de buissons qui servaient de messagers aux forêts avoisinant le palais. La salle du trône appelée Durbar Hall, décida alors de faire rappeler sa présence. La grande porte s'ouvrit en grimaçant et les chasseurs s'avancèrent dans la lumière. La salle était vaste, et tout était or à l'intérieur. Au fond, le haut trône se pavanait sur l'estrade, occupé par le président Kovind. Des colonnes rayées de jaune et de bleu menaient à lui. Des hordes de soldats et de ministres habillés en rouge entouraient le président, qui nous attendait dans ses vêtements blancs qui l'étranglaient, ses cheveux gris se cachant derrière sa tête partiellement chauve. Au-dessus de son horrible bouche et de ses grosses bajoues tremblotantes il portait des lunettes cachant des yeux rouges. Son gros nez s'étirait sur les côtés, mais cela, Bryce, Ned et Prisha ne s'en rendirent comptent qu'après être parvenus à quelques mètres du trône. A ce moment-là Kovind parla :

-Soyez les bienvenus. Je crois que vous savez pourquoi vous avez été invités ici, n'est-ce pas ?

Bryce prit la parole pour répondre :

-Moi je ne le sais pas, monsieur le président.

-J'imagine que vous êtes au moins au courant de la situation actuelle de New Delhi ?

-Au nord-est de l'Inde, monsieur le président.

-Hilarant, gronda Ran Nath Kovind. Je parlais de la situation animalière. Les loups indiens sont nombreux. Ils attaquent nos troupeaux et nos fermes. Ils volent nos gamins. Narendra Modi, le premier ministre, a été dévoré par un loup à son domicile. Petit à petit, les loups sortent des forêts et se rapprochent de la ville. La banlieue a déjà été envahie par endroits. Mais il ne faudrait pas que cela se sache trop. Vous vous rendez compte ? Nous sommes humiliés par une invasion de loups ! Je compte sur vous messieurs pour calmer les évènements en tuant un minimum de loups.

-Et qu'est-ce que le minimum, si je puis me permettre ? demanda Bryce en fronçant les sourcils d'un air méfiant.

-Et bien les trois quarts environ de la population lupine, soit environ quatre mille loups... ce n'est... rien...

-Quatre milles loups ! hurla soudain Prisha, scandalisée. Nous allons détruire l'écosystème ! C'est une honte !

-La question n'est as là, intervint Ned Gunny. Nous nous fichons bien des loups. Ce que je me demande surtout, c'est combien de temps avons-nous pour accomplir cette... mission ? Combien d'années ?

-Années ? s'étonna Kovind en riant aux éclats, ce qui faisait trembler son trône. Mais vous ne disposez pas d'années, non, vous n'avez que neuf mois tout au plus, évidemment !

-Mais enfin, riposta Bryce. C'est insensé ! Nous ne pouvons pas abattre quatre mille loups en neuf mois ! A supposer que nous puissions éliminer autant de ces bêtes rusées, il nous faudrait au moins trois ans, ce n'est...

-Fermez-là, déclara Kovind en se levant de son siège et en virant du brunâtre au cramoisi. On m'a parlé de vos exploits, vous êtes d'excellent chasseurs. Je sais ce que je dis, vous êtes tous à fait capables de la mission dont je vous charge, et vous avez intérêt à réussir et dans le plus grand secret. Vous serez couverts d'or, ou jetés aux alligators, à vous de choisir. Et pour votre intervention, Tolman, ce n'est plus de neuf mois, dont vous disposez, mais de six. Et si vous vous permettez d'insister encore, ce ne sera plus six mois, mais six jours. Au boulot ! L'entretien est terminé. Aurevoir !

Ned lança un regard noir à Bryce et ils firent demi-tour, leurs pas étouffés par l'immense tapis rouge et or qui couvrait le sol. Bryce s'arrêta devant l'immense portail ornementé et songea aux loups et à la dangereuse mission qui l'attendaient de l'autre côté. L'homme au turban s'impatientait. Bryce s'empressa de partir pour ne pas se faire botter ses grosses fesses grassouill... Attention ! Alerte !