2-La chasse aux kangourous
Deux mois plus tard débutait la saison de chasse au grand kangourou. Je me levai de bonne heure un samedi matin pour prendre un rapide petit déjeuner -j'étais impatient de sortir explorer. J'avais rendez-vous avec l'explorateur Yan Shosa, que j'avais vu pour la dernière fois à Sydney. C'est un spécialiste de l'Océanie, tout comme moi je demeurais expert de la Sibérie. Après quelques œufs au plat, j'attrapai mon sac qui contenait affaires de soin, fusil, livres, lampe torche et loupe, et le passai sur mon dos. Je suis sorti dehors, où j'ai fermé mon manteau car il régnait seulement douze degrés Celsius. Tout autour de moi, des bosquets, de l'herbe fraiche et de la terre couleur pourpre s'étendaient à perte de vue. Je ne m'attarde pas à admirer le paysage : je le connais déjà par cœur. Je marche vingt minutes et m'arrête comme prévu devant le petit lac de Kajuligah, traversé par un pont, où je retrouve l'explorateur Shosa, assis sur une souche d'arbre.
-Yan ! criai-je en m'élançant vers l'homme.
Lui aussi était heureux de me voir. En marchant sur le ponton, je lui rapportai brièvement l'épisode nocturne du dingo.
-Comment est-il rentré chez toi ? s'étonna Yan.
-La veille au soir je me suis couché tard et j'ai oublié de refermer la fenêtre de la salle de bain. Mais la porte était fermée. Et la fenêtre est haute. C'est le dingo le plus intelligent que j'ai jamais vu.
-C'est dingue ! s'exclama Yan. Comment était l'animal ? Je veux dire, a-t-il un signe distinctif pour le reconnaitre ?
-Je ne crois pas..., marmonnai-je en me grattant la tête. Ah moins que... si ! Il a une queue super courte ! Une quinzaine de centimètres tout au plus ! Comparé à la moyenne de quarante...
-Ça alors ! Le dingo à courte queue ! Lui et le spectre du kangourou sont les deux légendes du coin ! Méfie-toi de lui, lorsqu'il décide de dévorer quelqu'un, il n'abandonne pas de sitôt !
-Le spectre du kangourou ? Qui-est-ce ?
-Eh bien... il y a quelque mois, une jeune femme a affirmé avoir vu son kangourou normalement tué par des chasseurs en vie. Elle est sûr que c'est son « chouchou tout roux ». Chose étrange, elle l'a vu portant des vêtements. Depuis, d'autres personnes l'ont vu non loin du lieu de sa première apparition. Plus personne n'ose y aller car on raconte qu'il est doté de grandes dents et qu'il poursuit les passants pour les manger. La description est toujours la même : kangourou roux à grandes dents revêtu d'une tunique rouge et tenant dans son bras droit un long bâton en bois.
-Quelle histoire ! Ceux qui ont vu ce soi-disant spectre du kangourou sont restés trop longtemps au soleil !
-Moi aussi, je l'ai vu, avoua Yan.
-... !
-Je l'ai brièvement entrevu au cours d'une exploration, expliqua-t-il. Tout ce que j'ai vu, c'est un kangourou habillé de rouge. Mais je l'ai vu de dos. Lui ne m'a pas repéré. Du moins je le crois. C'était il y a deux mois.
-Vous aviez bu, voilà tout. Commençons notre exploration, voulez-vous ?
-Allons-y !
Pour commencer nous avons pu examiner des fleurs typiques d'Australie, des Sturt Désert Pea, emblème floral de l'Australie du Sud, des fleurs aux pétales rouges qui s'étirent vers le ciel et à la tige noire comme du pétrole. Des Cooktown Pink, du Waratah, emblème des Nouvelles Galles du Sud, longue plante aux pétales couleur fuchsia repliées sur des dizaines de tiges rose clair. Nous avons même déniché quelques Bad Boy, petits palmiers australiens à l'air grossier, qu'on trouve habituellement sur les collines de Tasmanie. Tout en observant la nature, Yan me raconta la fois où il pêchait aux alentours de la célèbre grande barrière de corail, et où un requin lui avait volé sa prise, un gros poisson clown à trois bandes. Puis il m'enseigna une chose élémentaire sur la faune australienne :
-En Australie, expliqua Yan, on trouve trois groupes de mammifères, quatre-cent groupes de reptiles, sept-cent d'oiseaux, sept-cent de mollusques et cinquante-milles groupes d'insectes. La plupart de ces espèces sont endémiques, c'est-à-dire qu'on ne les trouve que dans un seul pays. Et là, c'est l'Australie.
-Il parait qu'on trouve ici beaucoup de marsupiaux... ?
C'était à la fois une remarque et une question.
-Les marsupiaux dans le monde, on les trouve surtout en Australie, répondit Yan. En Australie, on classe les mammifères endémiques en trois catégories : les marsupiaux, les placentaires et les monotrèmes. Les marsupiaux sont les mammifères qui donnent naissance à des petits encore à l'état embryonnaire et qui les élèvent dans une petite poche ventrale. Les placentaires sont ceux qui, comme nous sont des mammifères vivipares qui nourrissent le petit grâce au placenta. Les monotrèmes, enfin, sont les mammifères ovipares, comme le fourmilier hérisson.
-Je savais déjà tout cela, dis-je simplement.
Nous étions déjà loin du lac et nous marchions sur de la roche rougeâtre en face de collines rocailleuses. Le soleil cognait fort, lorsque nous sommes arrivés à une sorte de petite vallée circulaire, et je dus enlever mon manteau et ouvrir ma veste. Soudain, Yan me tira par la manche.
-Regarde, un kangourou étendu dans le bush !
On s'est agenouillé près du dit kangourou. Son visage était sans expression, ses yeux globuleux étaient encore grand ouverts, et son cou dégoulinait de sang -il avait évidemment été frappé d'une balle.
-Parmi les marsupiaux, dit Yan, on distingue encore trois catégories, les herbivores arboricoles, comme le koala, les petits rongeurs insectivores, comme le wombat ou le bandicoot, et les kangourous. Les kangourous sont séparés en trois, les rats kangourous, les kangourous rats-masqués et les grands kangourous. Celui-ci en est un ( il désigna l'animal inerte ) car il mesure deux mètres vingt environ. Les grands kangourous ont aussi été dispersés en trois : les roux, les gris et les wallabies. C'est à cette dernière classe qu'appartient notre ami ici présent. Les wallabies.
Je l'écoutais avec attention, car j'adorais apprendre.
-Il y a quelques années encore, reprit-il, les kangourous étaient beaucoup chassés car ils représentaient un fléau pour les agriculteurs et les éleveurs, tu comprends : ils se nourrissaient des herbages du bush, voir de céréales. L'abattage des kangourous permettait à des milliers de personnes de vivre. Aujourd'hui, les harvesting sont interdit. Pourtant la population des kangourous s'élève encore à quarante mille têtes en Australie, ce qui n'est pas rien. C'est beaucoup !
-Harvesting ?
-Battue au kangourou, si tu préfères, chasse.
Le résultat se trouvait sous mes yeux.
-Mais alors...
-Oui, dit Yan, ce kangourou a été tué illégalement. Chaque année, une troupe d'hommes et une femme pratiquent la chasse tout l'été. On les appelle la bande à Johann. Mais...
Des gens qui chassent illégalement ! Déjà que je déteste les chasseurs tout court ! me disais-je. Mais...
-...Mais depuis quelques temps, le spectre du kangourou leur met les bâtons dans les roues. Les chasseurs le fuient.
Lui et ses histoires de spectre !
-Restons scientifiques ! je lui dis froidement. Les spectres n'existent pas ! ajoutai-je d'un ton qui se voulait ferme et convaincant.
Il baissa la tête. Nous sommes restés un peu auprès du kangourou en discutant de choses et d'autres, en particulier des marsupiaux.
-Tu peux m'en citer quelques-uns ? je l'interrogeai.
-Eh bien...Les kangourous, les koalas, les opossums, les wallabies, les wombats, les diables de Tasmanie, les...
-Holà, holà ! le coupai-je, tu ne m'avais pas dit que les wallabies faisaient partie de la famille des kangourous ?
-Eh bien, disons que c'est un proche cousin, songea Yan.
Nous nous sommes tus. Le vent nous battait aux oreilles. Au loin sur le sable blond, je vis un kangourou bondir entre les arbustes. Je me remémorai ce que je savais sur les kangourous. La tribu est dirigée par un vieux mâle. Les kangourous passent leur journée à faire la sieste sous les arbres et mènent une vie active la nuit. Lors de la saison des amours, les mâles se bagarrent à coups de poing pour les femelles. De vrais boxeurs professionnels. Je me levai doucement et je m'adressai ironiquement à Yan en désignant le kangourou :
-Tu crois que lui aussi deviendra un spectre ?
Il leva les yeux vers moi.
-Pourquoi pas ?
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