Arrivé sur le peron, l'échine raide d'anxiété, Lou retrouva son frère qui faisait les 100 pas, laissant derrière lui des traces détrempées.
Lorsqu'il l'aperçu, l'inquiétude qui ridait son front s'allegea et il s'approcha de lui avec un sourire rassuré.

- Dieu merci, tu vas bien !

Lou se laissa aller à son étreinte hésitante sans trop réagir.
Alexander, c'était déjà lui qui était parti à sa recherche lors de sa fugue. Peut-être avait il été trop sévère dans son jugement ? Que finalement, il existait bien des liens entre les membres de cette famille ? Peut être que quelqu'un faisait un tant soit peu attention à lui ?
Il aurait aimé y croire, Alexander était tout aussi aveugle que les autres face à ses conflits internes.

- Tu es venu depuis ton travail ?

Marmonna le jeune homme, à moitié étouffé par la doudoune de son frère qui embaumait la pizza. Celui-ci se détacha maladroitement de Lou et lui permis de respirer.

- Oui. Ça te dit une quatre fromages froide et détrempée ?

- C'est moi qui t'ai empêché d'être à l'heure pour sa livraison ?

- Elle était déjà immangeable une heure avant que les parents appellent.

Lou eut un léger rire, il n'ajouta rien. Sous ces légères plaisanteries, le malaise était palpable, personne ne s'y trompait. Son frère ne savait pas comment agir à son encontre, et cela se répercutait sur chacun de ses gestes maladroits.
Après tout, ce n'était pas surprenant, après ce qu'il avait fait à Walter.
Lou revoyais avec une cruelle précision son corps amorphe, étendu dans une position inconfortable, vidé.
Toujours avec ces gestes raides, Alexander tapota sur le casque qui pendait au guidon de son scooter, semblant désireux de couper le blanc qui s'installait, insinueux.

- Bon, on rentre ?

Lou hocha doucement la tête, qui fut bien vite emprisonnée par la protection, ce qui eu pour effet de l'aveugler sous les mèches de sa frange inégale, soudainement aplatie.
Il les chassa comme il put de ses yeux, et le moteur ne mit pas longtemps a gronder, ébranlant le véhicule.

Le trajet se passa dans un silence si pesant qu'il occultait même les bruits de la circulation et ceux de la tempête qui grondait toujours, sans discontinuer. Cette absence de dialogue, bien que lourde, convenait très bien à Lou. Il n'avait aucune envie de répondre aux interrogations qui encombraient l'atmosphère.
Finalement, la seule qui fut posée fut à propos de la soudaine furie de l'interlocutrice de l'interphone. Lou expliqua qu'elle était la demie sœur de Claire et qu'elles étaient très proches et protectrices l'une envers l'autre, surtout Selly d'ailleurs.
Le problème, étant que Claire, autrefois couronnée par la popularité et l'adoration des autres élèves, avait été victime, il y avait un peu plus d'un an, d'une rumeur qui avait totalement ruiné sa réputation, en plus de lui en construire une nouvelle bien moins reluisante. Le pire étant que, bien qu'elle soit moins vivace, elle persistait encore, d'où la réaction de Selly lorsqu'elle avait cru qu'Alexander était un de ses détracteurs. Car oui, il y en avait eu, des jeunes qui, se croyant drôles, venaient chanter des propos obscènes à son balcon.
Alexander hocha lentement la tête en marmonnant un  « Ceci explique cela. » à peine audible

Durant la totalité du trajet, Lou s'était demandé à quel endroit faisait référence son frère par son  « On rentre.  ». Il n'était pas imaginable qu'ils se réunissent tous à leur domicile après qu'il ai été dévasté par l'affrontement. Et pourtant, le scooter fit le trajet inverse à celui qu'avait pris Lou pour aller chez les McCann, et se gara au pied de l'immeuble.
Lou mit pied à terre, dégagea son visage et ses cheveux plaqués par l'averse, suivi son frère dans le hall puis dans les escaliers jusqu'au troisième étage, et, enfin, devant la porte de l'appartement 3.6.