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Deux jambes maigres pendaient dans le vide, voltigeant de gauche à droite, d'avant en arrière tel les membres abandonnés d'une poupée articulée.
C'était une danse négligée et résignée, dont les mouvements étaient, non pas dirigés par un marionnettiste, mais par les éléments déchaînés qui soufflaient et bousculaient les êtres.
Plus haut, en remontant le long de ce petit corps frêle englouti sous une masse informe de vêtements, c'est un visage souriant qui dodelinait doucement, suivant le rythme de la musique qui parvenait dans son oreillette droite, la gauche étant cassée depuis un bon bout de temps.
Il avait les yeux clos, creusés par des cernes épais qui contrastaient avec sa peau laiteuse, fouettée par de longues mèches de cheveux neige, soumises au rythme tumultueux du vent qui hurlait et claquait à contre temps.
Ce mp3 préhistorique qui faisait défiler les musiques lui avait été prêté par Selly McCann, camarade de classe mélomane dans l'âme qui avait trouvé offusquant le fait que, jusqu'à présent, le jeune homme ne se contentait que des piètres morceaux qui passaient sur les ondes.
Sa demi-sœur, Claire, ex "fille la plus populaire de Tynecastle High School" -qui en remplissait d'ailleurs très bien les clichés- et William, jeune homme taciturne mais remarquable à son plus grand damne de part sa couronne flamboyante complétaient la bande.
C'était un groupe aussi hétéroclite que la couleur de leurs cheveux, qui passait du noir au blanc en passant par le blond et le roux, mais qui fonctionnait bien au quotidien.
Cela faisait maintenant deux mois qu'ils se fréquentaient, depuis que Louison avait intégré leur classe en cours d'année et qu'ils l'avaient invité pour compléter leur groupe en biologie.
Après qu'il ai été renvoyé pour la sixième fois de son précédent établissement scolaire.
Tout autour de lui, le ciel se préparait, menaçant : une tempête approchait.
L'air était pesant, électrique.
L'orage grondait sous les nuages et s'apprêtait à bondir férocement pour percer ces masses noires et opaques d'une averse diluvienne.
Sous les pieds chaussés de vieilles contrefaçons rouges et baillantes du jeune homme circulaient, quelques étages plus bas, une petite foule d'humains qui se pressaient dans la rue pour échapper aux torrents venus des cieux.
C'était amusant de les voir marcher vite, les yeux baissés sur leurs propres souliers, trop concentrés à se dépêcher pour remarquer celui qui se tenait en équilibre sur le rebord de sa fenêtre et qui avait ouvert ses grands yeux pour observer cet empressement désorganisé.
C'étaient des yeux azurs, qui semblaient avoir englouti une part de ciel bleu pour le conserver dans ses prunelles tant que le mauvais temps n'était pas passé.
Domicilié à Édimbourg, en plein hiver, il pouvait attendre encore longtemps avant de restituer cette parcelle de monde.
Alors il la conservait, comme jalousement.
Louison, car c'était là son prénom, appréciait cet espace à part, comme hors du temps. Ce petit rebord de fenêtre, comme il y en avait des milliers dans la ville, mais qui lui permettait de prendre de la hauteur sur tout ce qui faisait sa vie, et celle des autres.
De se rendre compte de l'insignifiance de tout être humain, dont le corps se perdait dans la masse des autres corps, s'oubliait pour ne plus jamais en ressortir.
De temps en temps, certains faisaient des efforts pour être remarquables, de part un style vestimentaire ou un physique peu courant, et ils émergeaient le temps d'une seconde. Mais personne, aussi atypique soit-il, ne restait bien longtemps à la surface, ils replongeaient tous dans les limbes de l'oubli.
Les gens se croisaient, se regardaient en chien de faïence, puis continuaient leurs propres routes, sombrant dans la masse, s'abimant dans la multitude.
Parfois, un passant rêveur, qui levait le nez de ses listes de course, pâlissait en apercevant ce funambule improvisé, une dizaine de mètres au dessus du sol. Quand le jeune homme remarquait qu'il était repéré, il adressait un léger signe de la main accompagné d'un grand sourire à l'individu.
Souvent, c'était inutile car le passant était alors persuadé qu'il voulait mettre fin à sa misérable existence.
Alors Louison tentait de décourager le citadin d'appeler les pompiers à grand renfort de gestes maladroits à peine visibles depuis son promontoire. Puis, lorsqu'il voyait l'autre allumer son portable, il faisait volte-face et sautait dans l'appartement pour couper court aux idées et a l'attroupement qui se créait.
Le vertige ? Il en était immunisé.
Ce jour là, aucun rêveur ne le surpris, mais c'est la porte d'entrée, soudainement ouverte puis claquée qui le décida à éteindre sa musique, fourrer l'objet électronique dans sa poche et revenir dans cette salle étroite et austère qu'était sa chambre.
Après avoir refermé, non sans mal, les volets dont les portes étaient malmenées par les bourrasques qui gagnaient en intensité, puis la fenêtre, le jeune homme poussa un long soupir.
De soulagement ?
De résignation ?
De satisfaction ?
De dépit ?
Il ne pouvait le dire.
Lou passa lentement une main cadavérique dans ses longs, trop longs cheveux couleur de marbre qui descendaient, chaotiques, sur sa taille, pour tenter de les remettre un tant soit peu en ordre après qu'ils aient été malmenés et lessivés dans la tempête qui se préparait.
C'était un enchevêtrement inégal d'épis mal peignés et de noeud indomptables, une cascade de glace sèche et fourchue qui s'assortissaient a la perfection avec sa peau de neige, diaphane.
Sa frange éparse retomba sur ses yeux.
Non, Louison n'était pas albinos, contrairement à ce que la plupart des gens qui le croisaient déduisaient. Sa couleur n'était pas non plus due à une teinture.
Disons plutôt que ses cheveux avaient vieilli trop vite.
Ils avaient commencé à grisonner à ses cinq ans, et avaient atteint cet état final encore quatre ans plus tard.
Ils étaient coupables d'une primaire particulièrement désagréable.
Mais dorénavant ils ne le dérangeaient plus que par leur longueur, et non plus pour leur couleur.
Privée de la lumière naturelle de l'extérieur, la pièce, qui avait autrefois accueilli deux autres des cinq enfants de la fratrie Anson, les sœurs aînées de Louison, prenait des teintes verdâtres, dues à un vieux réveil causeur d'infarctus dont l'écran dispersait sa lumière.
Louison la traversa sans autre forme de procès, à quoi bon s'y attarder ? Il la connaissait par cœur. Un lit superposé, sous lequel traînait un troisième matelas et dont seul l'étage le plus haut était apte à être occupé. A l'opposé, une armoire désertée dont l'une des portes était recouverte d'un miroir. Ce qui s'y trouvait jadis n'était plus plié dans son coffre, mais rangé soigneusement sur le matelas abandonné de la plus grande sœur.
Sœur ayant quitté les lieux quelques années auparavant, partie vivre avec un véritable salaud qui couvrait quotidiennement son corps d'hématomes.
Après quatorze, presque quinze, ans à l'arpenter tous les jours, la voyant se vider de ses occupantes à mesure qu'elles quittaient le nid familial pour aller se faire plumer ailleurs, il n'y avait plus rien à regarder, excepté la colonie d'araignées qui avaient élu domicile dans la pièce, partenaires d'infortune.
Louison était un jeune adolescent en enseignement secondaire, il ne faisait pourtant pas son âge.
Non, son corps sans espoir s'apparentait plus au squelette d'un enfant de primaire qui flottait dans un raz-de-marée de vêtements trop grands et démodés depuis une éternité.
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