Chapitre 8
C'est avec horreur que Soraia vit ce sang parsemer l'habit de Joâo, lorsqu'il revint en fin d'après-midi. Elle observa l'homme de la tête aux pieds, épouvantée. Celui-ci se laissa dévisager, enlevant tranquillement la veste noire qu'il portait. À ses côtés, son frère semblait, lui non plus, ne porter aucune importance à ce fait.
– Vous êtes blessé ?
La petite voix de Soraia s'était élevée dans les airs. L'aîné de la fratrie ne broncha pas, et s'était contenté de regarder son frère, comme s'il voulait qu'il réponde à sa place :
– Il a saigné du nez.
La brunette acquiesça, apparemment satisfaite de cette réponse, ne descellant visiblement pas le mensonge qui s'y cachait. Elle resta quelques secondes à observer la tâche rougeâtre contraster avec la chemise immaculée de l'homme. Mais Joâo, comme agacé qu'on le dévisage, avait quitté la pièce sans un mot. La jeune femme cligna des yeux, avant de se pincer les lèvres et de détourner son attention.
Qu'aurait donc été sa réaction, si on lui avait dit que c'était le sang d'un individu qu'ils venaient de tuer, pour ensuite porter le cadavre encore chaud dans les couloirs d'un des locaux de la Mafia Européenne, et ce jusqu'à la morgue personnelle et illégale de celle-ci ?
Probablement aurait-elle perdu toutes les couleurs de son visage pour ensuite tomber dans les pommes.
Et les deux frères l'auraient tué sans pitié, car elle aurait été mise en connaissance de leur plus grand secret.
Soraia ne devrait jamais savoir que ces deux hommes, à la fois si attirants et intrigants, étaient les deux fils aînés du Parrain de la Grande Européenne.
C'était connu : toute personne tenant à sa vie ne devait pas approcher les Osabio.
Mais est-ce que Soraia accordait de l'importance à cette existence qui lui était attribuée et qu'elle semblait subir ? Cette question devenait d'autant plus effrayante que même la brunette était incapable d'y répondre.
– Voulez-vous que je vous prépare le dîner avant de partir ?
Elle avait posé cette question alors qu'Inacio allait quitter la pièce. Celui-ci se retourna froidement vers elle :
– Soraia. Tu me vouvoies encore une fois et je te jure que je m'énerve.
Son ton avait été si brusque qu'un frisson effrayé traversa le corps de la brunette. Celle-ci baissa la tête, ses cheveux noirs lui retombant un peu sur les joues. Elle oubliait tout le temps de le tutoyer, et à chaque fois le mécontentement du jeune homme semblait grossir toujours plus.
– Je... D'accord.
Semblant satisfait de cette supériorité qu'il venait d'affirmer, Inacio se redressa calmement, ferma la porte d'entrée qui laissait passer un courant d'air frais désagréable. D'une voix grave, il repassa au sujet de conversation de base :
– Mais pour le dîner sinon... Il fit une pause de quelques secondes avant de lancer d'une voix forte :
– Jaw ! T'as entendu ?
Jaw était le surnom de Joâo, tout comme Nace était celui d'Inacio. Rare étaient ceux qui avaient la permission d'appeler le fils aîné ainsi. Pour être plus précis, ils n'étaient que deux dans ce bas-monde : son frère bien sûr, et puis Anastasia. Cette femme si intrigante qui était à l'heure actuelle emprisonnée en Russie. Apparemment proche de Joâo, tant de questions et de rumeurs tournaient autour d'elle, ou plutôt d'eux : ont-ils une relation amoureuse ? Des liens de sang ? Une amitié profonde ? Qu'est-ce donc qui les avait unis ainsi ? Et toutes ces questions en attente de réponses semblent tourmenter les esprits, vos esprits.
Mais la seule certitude acquise pour l'instant, c'est qu'Anastasia est proche des deux frères. Plus même que vous ne le pensez.
La voix brusque de Joâo s'éleva dans les airs :
– Choisi.
Inacio se retourna donc vers sa femme à tout faire :
– Eh bien, ce sera avec plaisir.
La jeune femme acquiesça, remettant sa chevelure en place. Elle espérait que cette trace rouge qu'elle avait dans le cou n'était pas visible aux yeux de ses supérieurs. La brunette n'avait eu ni le temps ni la patience de maquiller la marque ce matin, se disant que ses cheveux allaient correctement cacher les dégâts. Son père avait en effet eu la merveilleuse idée de lui lancer des ustensiles de cuisine dessus, ce dimanche.
– Je prépare quoi ?
Il parut réfléchir quelques instants avant de lancer :
– Du poulet au curry avec du riz sera parfait, merci.
– Très bien.
Et la brunette s'était rendu dans la cuisine, laissant l'homme seul face à ses pensées. Inacio s'adossa brutalement contre le mur, en soupirant.
Elle avait quelque chose qui l'attirait, qui l'intriguait, cette fille. Déjà, il avait envie de la regarder, tout le temps. Pas forcément de la dévorer du regard, c'était autre chose. Et puis, ses yeux violets l'attrayaient irrésistiblement.
La violette. C'était comme ça que les hommes de Joâo avaient décidés de l'appeler. Ça lui allait bien.
Au bout d'une ou deux minutes, son grand frère débarqua à ses côtés, l'observa quelques instants, et s'accouda à son tour sur le mur :
– Tu parais penseur.
Mais le cadet ne renchérit pas, restant là, à regarder le vide. L'homme se contenta alors d'observer son interlocuteur d'un regard lourd, lui faisant comprendre qu'il s'impatientait. La réponse arriva donc assez vite, d'une voix lasse :
– La violette.
Cette simple appellation permettait à son Joâo de comprendre ce qu'Inacio voulait expliquer par-là. Le futur Parrain lâcha un ricanement léger, l'air de dire « comme par hasard » d'un ton ironique.
– On n'avait mis que trois jours à sauter la rousse. Lança Joâo d'une voix parfaitement maîtrisée, comme-ci il ne s'agissait d'un fait divers. Il avait ensuite attendu quelques secondes, pour laisser son frère réfléchir un peu, pour ensuite continuer sur le même ton impassible :
– Tu attends quoi pour te la faire ?
– Je ne veux pas me la faire. Répliqua l'homme du tac au tac.
Bien sûr, bien sûr, on te croit.
– Répète-le.
Cette phrase avait été formulée comme un ordre, d'une voix à donner des frissons dans le dos. Joâo était un homme flippant, et même sa famille la plus proche en avait parfois peur. Seul Inacio était assez proche du brun pour éviter un tel comportement de fuite, crainte ou soumission face à lui.
– Jaw putain. Grogna-t-il tout en laissant son crâne tomber lourdement sur le mur auquel il était adossé. Il laissa quelques secondes d'un lourd silence emplir la pièce avant de continuer presque froidement :
– Je ne sais pas.
Fidèle à son silence déstabilisant, l'aîné s'était contenté d'observer son cadet de ses yeux verts profonds, d'une expression qui voulait clairement dire « donc, tu ne veux pas la baiser ? ».
Après de si nombreuses années vécues ensemble, comme deux inséparables toujours fourrés l'un avec l'autre pour préparer leurs coups les plus sombres, les deux frères arrivaient à se comprendre par de simples mimiques. Les deux hommes étaient très peu bavards, particulièrement Joâo, et ce langage curieux attisait d'autant plus la curiosité de leur entourage et le voile flou qui les entourait.
– Mais si, je veux coucher avec elle ! Enfin non. Il ferma les yeux, frustré. Bah j'en ai aucune idée, voilà, t'es content ? La fin de sa phrase avait été prononcée d'un ton dangereux, ce qui sembla plus amuser son interlocuteur qu'autre chose.
Semblant réfléchir, Inacio, toujours appuyé de tout son long contre le mur, tourna sa tête en direction de son aîné et lança :
– Pas toi ?
– Quoi ?
– La violette.
Un air carnassier s'afficha sur le visage de Joâo :
– Elle est attirante. Mais elle a peur de moi. Et bien que je tienne tout un réseau de prostitution, je ne suis pas amateur de viol.
Inacio acquiesça, nullement gêné par cette réflexion. Oui, la Mafia avait en sa possession de nombreuses maisons closes et le trafic était très ambiguë, mais aucun des deux frères ne franchissait personnellement la plus haute limite d'une agression sexuelle.
Tandis que cette allusion à la peur...
Qui donc n'avait pas peur de Joâo Osabio ? C'était toute une aura dangereuse qui planait autour de l'homme, et il était tout à fait normal que la jeune fille entretînt inconsciemment une certaine crainte envers son nouveau patron.
Alors que le mafieux allait relancer le sujet de discussion, que son frère semblait pourtant avoir voulu clore, Soraia déboula timidement dans la salle.
– Le dîner est prêt.
N'en attendant pas plus, Joâo se dirigeait déjà vers la porte, mais la voix de son cadet s'éleva dans les airs, retenant son attention :
– Souhaites-tu rester dîner avec nous ?
Oui, Inacio avait toujours eu un penchant pour le tutoiement. Très ancré dans cet esprit de grande famille qu'offrait la Mafia, mais aussi dans ces optiques qu'il n'était pas le prince héritier, le jeune homme se faisait tutoyer par toute personne travaillant régulièrement avec lui. C'est-à-dire les membres haut placés dans l'organisation, et les quelques employés polyvalents ayant travaillé chez lui. Le futur Parrain, lui, était sur une tout autre longueur d'onde. Le vouvoiement était appliqué à tous, et ce n'était que les hommes et femmes les plus proches de lui qui accédaient au privilège de pouvoir négliger cette formule. Nous ne pouvons pas pour autant parler ici de « personne avec qui il créée des affinités ». Tout simplement car Joâo ne créait pas d'affinités. Toute juste arrivait-il à ressentir ce que nous autres humains nommons émotions.
A ses côtés, la brunette, embarrassée, regardait Inacio avec des yeux de merlan-fris :
– Je...ça ne dérange pas ?
Joâo soupira intérieurement. Pourquoi donc certaines personnes s'obstinaient ainsi à gâcher de la salive pour sortir de mots aussi débiles ? S'il avait posé la question, c'est que non, ça ne le dérangeait pas ! L'homme se retint de lancer une remarque sanglante, et se contenta de garder ses expressions rudes tout en lançant un regard exaspéré à son frère avant de quitter la pièce.
Il pouvait, sans même la regarder, ressentir la peur de Soraia lorsque l'un d'eux s'approchait d'elle. Ça en devenait lassant, il ne pouvait même plus ressentir ce plaisir d'avoir du pouvoir sur autrui tellement c'était excessif et presque incompréhensible chez la jeune femme.
– Tu restes ?
Elle déglutit difficilement, paraissant réfléchir. Dîner ici, c'était échapper aux foudres de son père quelques heures de plus. Une occasion en or, si belle à ses yeux qu'elle n'osait pas y croire.
– D'accord, avec plaisir.
Le jeune adulte parut satisfait, et fit un geste de main, presque autoritaire :
– Eh bien je te suis.
Intimidée, la jeune femme se dirigea vers la cuisine, suivie de son patron. Elle ne s'attendait pas du tout à ce que l'un des deux frères lui propose ainsi de manger avec eux, et avait la grossière impression de ne pas être à sa place, assise à côté d'Inacio et face à Joâo, dont le regard glacial la mettait mal à l'aise.
Pourquoi donc l'un de ses deux employeurs venaient de l'inviter ainsi ?
Les deux frères ne parlaient pas, c'était horrible. Ayant envie de s'enterrer six pieds sous terre, Soraia regardait le plat qu'elle-même avait cuisiné. C'était, à son goût, plutôt bien réussi. Elle jeta un petit coup d'œil à ses deux hôtes. Appréciaient-ils la nourriture ? C'était bien le moment de savoir, et de briser par la même occasion cet horrible blanc...
Allez, Soraia, lance-toi !
Rien qu'à cette pensée elle ne put s'empêcher de rougir brusquement, alors que le stress semblait lui chatouiller l'épiderme. En même temps, qui donc pourrait juger cette réaction qui, bien qu'étant légèrement exagérée, restait tout à fait naturelle dans un tel contexte glacial pour une jeune femme réservée ?
Joâo remarqua non sans mal la gêne de la brunette, et son cadet également. Contrairement à son ainé, qui ne différenciait aucunement son comportement de mafieux et d'homme civilisé –tout simplement car il n'était pas civilisé– Inacio restait un peu moins lugubre lorsque son activité présente ne concernait pas un quelconque marché noir ou meurtre.
– Tu veux quelque chose ?
Après une seconde d'hésitation, ces mots sortirent fébrilement de la bouche féminine, en direction des frères :
– Vous appréciez le plat ?
Les deux hommes se regardèrent, probablement étonnés par cette demande, et le plus jeune répondit d'une voix impassible :
– Oui, c'est très bon.
– C'est vrai ? La jeune femme avait immédiatement répliqué, d'une intonation pleine d'espoir alors qu'elle semblait ne pas y croire. Inacio resta quelques secondes suspendu à ces beaux yeux violets qui l'observaient en brillant, avant de se reprendre calmement :
– Oui.
Joâo observait ces dialogues avec dédain. Qu'est-ce que certains humains pouvaient se montrer idiots, à poser toutes sortes de questions inutiles.
A croire qu'au plus profond d'eux-mêmes, tous étaient persuadés que le mensonge était, à leurs espèces, plus répandu que la vérité. Et c'est lui qu'on appelait misanthrope, alors que cette violette était la preuve vivante que certains hommes fuient les autres par pur réflexe vital.
Oui, c'est exactement ça, un réflexe vital.
En même temps, vu le passé de la brunette, il était tout à fait rationnel qu'elle ait adopté ce genre de comportement.
On ne peut qu'avoir un fonctionnement psychique différent des autres et légèrement tourmenté après avoir côtoyé l'univers criminel de ce monde.
Après avoir passé une année entière incarcérée derrière les barreaux, entourée de criminelles de tout genres.
Eh oui, ils connaissaient presque tout de Soraia.
Jusqu'à ses secrets les plus sombres.
⭐⭐⭐
Eh oui, 1ere grande révélation : Soraia à été en prison !
Vous en pensez quoi ? D'après vous quelles sont les causes et qu'est ce qui s'y est passé ?
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