Chapitre 1
Quelque part dans New-York, le samedi huit mai deux-mille quatre, année du singe dans l'année astrologique chinoise, une jeune femme – absorbée dans ses pensées – et conduisant une camionnette bleue, ne vit pas que le feu était rouge et buta dans la voiture se trouvant devant elle. Presqu'aussitôt, un homme sortit et se dirigea fermement vers elle. Il paraissait assez grand, imposant, avec de petits yeux noirs bridés. Malgré sa connaissance de l'anglais, elle crut distinguer un accent asiatique lorsqu'il lui cracha presque :
- Vous êtes aveugle, peut-être ? Ou alors daltonienne ? Il faudrait penser à vous faire soigner !
Avant même qu'elle n'eut le temps de répliquer quoi que ce soit, l'homme rentra dans sa voiture, appuya sur son accélérateur et tourna sur la Broadway Avenue. Aussitôt, la jeune femme regretta que sa timidité ait encore été la plus forte et pensa qu'elle aurait mieux fait de lui faire fermer son clapet. Elle repoussa hors de sa face une de ses mèches blondes et passa une vitesse pour avancer. Elle était en retard et Denis, son supérieur, désireux de prendre sa retraite en lui cédant ainsi sa place, ne supportait pas de la voir arriver ainsi, même si ce n'était pas fréquent.
La jeune femme pila devant Denis avant de sortir de sa camionnette. L'accueil ne fut pas agréable car il lui lança :
- N'avez-vous donc pas de montre, Rachelle ? Ça doit faire une demi-heure que je vous attends.
- Je sais..., soupira-t-elle.
Rachelle Brown se rassit sur le siège du conducteur, tandis que son supérieur s'installait à côté d'elle. Elle démarra et prit la route de la Cinquième Avenue. Ils devaient tous deux faire un reportage sur un certain Jigoro Yoshikawa, un Chinois détenteur d'une des plus grandes écoles d'arts martiaux de la ville, regroupant à la fois kung-fu, karaté, aïkido, kendo et tae-kwon-do. On disait également qu'il allait se mettre au judo et au jujitsu. Un véritable amoureux de sports de combat asiatiques. Son école se trouvait sur Broadway Avenue, à la gauche du quartier de Chinatown et juste au-dessus de Battery Park. Rachelle y fonça directement.
Takeshi leva les yeux vers ses élèves, au nombre de trois. Celui qui se trouvait cloué devant la télévision se nommait Rê. Tout comme son jumeau, Vulcain, il avait une peau marron foncé, avec des cheveux crépus noirs et de grands yeux noisette. Avec un mètre soixante-quinze pour soixante-dix kilogrammes, son frère et lui auraient pu paraître normaux s'ils n'avaient pas été découverts par Takeshi dans une poubelle au cœur d'un ghetto de New-York, vingt-quatre ans auparavant, alors qu'ils étaient âgés d'un an.
Vulcain, quant à lui, était assis à terre et faisait de la relaxation. Les deux frères avaient parfois du mal à s'entendre car Rê ne pouvait s'empêcher d'essayer de commander. Mais le Maître les aimait tous les deux autant, et son troisième élève également. Ce dernier était une jeune Chinoise, arrivée chez eux à l'âge de neuf ans, lorsque les deux frères l'avaient sauvée alors qu'elle était poursuivie par des hommes. A son arrivée, elle leur avait raconté que ses poursuivants voulaient la tuer et Takeshi, au grand contentement des deux jeunes hommes, avait décidé de la garder chez eux. Elle leur avait dit s'appeler Ho Sang Kano, ce qui l'avait tout de suite intrigué, puisqu'il s'agissait d'un prénom masculin. Elle possédait une parfaite maîtrise des arts martiaux à son arrivée et, même maintenant, alors que ses « frères » avaient été entraînés depuis dix-huit ans par le Maître, seul ce dernier parvenait encore à la battre. Extrêmement agressive, refusant de parler de sa famille ou de son passé, Takeshi avait d'énormes problèmes avec elle. Pourtant, il savait qu'elle ne ressemblait pas tant au Lóng, le dragon mythique, auquel les jeunes hommes l'avaient associée.
Le Maître regarda encore une fois la jeune Chinoise aux petits yeux noirs battre, avec une parfaite aisance, son frère Vulcain au kendo.
Rachelle crut qu'elle allait avoir une crise cardiaque lorsqu'on les présenta, son supérieur et elle, à Jigoro Yoshikawa. C'était le même homme avec qui elle avait échangé ces mots très peu sympathiques le matin même à propos d'un accrochage de voiture. L'homme lui adressa un sourire satanique, laissant voir sa dentition parfaite et blanche. Ses yeux noir ébène semblaient lancer des éclairs de méchanceté à l'intention de la jeune femme.
Elle fut coupée dans ses pensées par Denis, qui l'appelait. Le propriétaire de l'école réalisa, pour eux, une démonstration de kung-fu. Ses muscles se tendaient et se détendaient en un éclair et ses cheveux lisses mi-longs volaient. Rachelle le filma, avant de réaliser un panoramique de l'immense salle dans laquelle combattaient des jeunes de quinze à trente ans environ. Mais la jeune femme ne pouvait s'empêcher de tourner la tête pour admirer Jigoro. Cet homme magnifique, si parfait... trop parfait.
Rachelle détacha son regard du Chinois et le laissa avec le journaliste afin de faire un tour du dojo lorsqu'elle arriva devant une porte fermée. Derrière celle-ci, la jeune femme sentait un parfum enivrant, mais frais, un parfum pur d'innocence, celui d'une jeune fille sûrement. Intriguée, elle posa sa main sur la poignée de la porte pour l'ouvrir lorsque quelqu'un la saisit violemment au bras en lui hurlant :
- Vous avez fini de fouiner partout ?
Après être restée un instant sans voix, les yeux apeurés et les membres tremblants, elle redressa la tête pour lui rétorquer :
- Voudriez-vous me lâcher avant que je ne possède des preuves et que je ne puisse porter plainte pour coups et blessures ? Et je vous jure que cela vous coûtera très cher, d'autant que je connais un excellent avocat.
L'homme, après avoir réfléchi un instant, enleva sa main du bras de la jeune femme, qui repartit et rejoignit son supérieur. Ils quittèrent le dojo et s'installèrent dans la camionnette de Rachelle.
C'était l'heure de manger et Takeshi fit asseoir ses trois élèves autour de la table qu'ils avaient récupérée. Ils vivaient dans le Bronx, dans un vieux hangar à l'intérieur froid. Dans la pièce qui leur servait de salle à manger se trouvaient une vieille table de camping réparée, un canapé et deux chaises qu'ils avaient trouvées dans une décharge publique. Le mini-gaz avait été troqué à des SDF de la ville. Quant à l'ordinateur portable et aux livres, c'était Ho Sang qui les leur avait partagés. Elle tenait les ouvrages de sa famille. Ils avaient donc, au début, « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury et « Les fleurs du mal » de Charles Baudelaire. De plus, la jeune fille et Rê travaillaient au noir dans une bibliothèque. Vulcain, lui, avait un emploi dans une boite de nuit comme videur.
Takeshi détourna sa tête des deux frères qui se disputaient une fois de plus pour regarder Ho Sang qui se trouvait, dos tourné, devant lui. Elle faisait chauffer du lait dans une casserole et attendait pour pouvoir y intégrer du riz et du lard. Ensuite, elle sortit un bol et regarda l'horloge pour laisser cuire le mélange pendant un quart d'heure. Elle ôta du feu la sorte de bouillie et y jeta quelques morceaux de pain rassis. Elle s'assit à la table sous le regard du Maître. Celui-ci savait que ce n'était pas un hasard si, à son arrivée, la petite fille avait aussitôt préparé un de ces mélanges. Ce n'était qu'un reste de son passé, tout comme son aptitude à se battre. Mais Rê le coupa dans ses réflexions en lui apportant un bol de riz, tandis que Vulcain se mettait à table. Puis, Rê s'assit et tous firent un moment de silence avant de se saluer et de commencer à manger.
Le jeune homme regarda arriver au loin la camionnette de sa sœur, Rachelle. Ses grands yeux bleu électrique brillaient comme deux saphirs et tranchaient avec ses cheveux roux, couleur de feu. Lorsque la jeune femme stoppa le véhicule, elle ne put s'empêcher de montrer son étonnement et son mécontentement car il aurait dû être en cours. Mais il lui expliqua qu'un professeur était absent et ils rentrèrent tous deux dans le bâtiment de la chaine au sein de laquelle Rachelle était journaliste. Denis était parti et ils franchirent tous deux la porte du bureau de la jeune femme. Celle-ci s'installa devant son ordinateur et son frère étala ses livres et cahiers sur le bureau de sa sœur, poussant les dossiers de la journaliste, qui tombèrent par terre avec des classeurs pleins à craquer. Rachelle faisait des recherches sur Jigoro.
- Tiens, c'est surprenant ça... Il n'y a rien sur cet homme avant les six dernières années... Mais voyons ce qu'ils disent dessus... Grand Maître d'arts martiaux, professeur d'une école de kung-fu, aïkido... Sans famille connue, pas de passé... Et bien, ça fait beaucoup pour un seul homme. Bon, j'imprime tout ça, avec les photos !
Elle regroupait les documents lorsqu'une photographie tomba aux pieds de son frère.
- Pas mal ! C'est ton nouveau modèle de fiancé ?
- Donne-moi ça Damien ! J'enquête sur cet homme. Au fait, lis ça et dis-moi ce que tu en penses !
Le jeune homme saisit la feuille, un brouillon des notes prises lors de l'interview de Jigoro. Il fit un rictus moqueur et regarda sa sœur avant de dire :
- Maître d'arts martiaux, ça prend un « m » majuscule.
- A maître ou à martiaux ?
Damien éclata de rire et fut bientôt rejoint par sa sœur. Bien entendu que c'était le mot « Maître » qui prenait un « m » majuscule. Il lui expliqua également que l'on reconnaissait un Maître à sa ceinture rouge. La jeune femme regroupa ses documents qu'elle glissa dans son sac et, après qu'elle eut fermé la porte à clef, ils sortirent et repartirent chez eux. Ils habitaient un petit appartement dont ils avaient hérité à la mort de leurs parents. Il se situait au cinquième étage d'un building de Manhattan, en-dessous de Central Park. A l'intérieur de cet appartement se trouvaient deux chambres, une salle avec cuisine ouverte, un salon qui faisait office de bureau et une salle de bain. Tout était propre à l'intérieur, mais dans un désordre total. Dans le bureau, les dossiers de Rachelle traînaient par terre, sur les commodes et en-dessous des chaises... C'était d'ailleurs dans cette pièce que la jeune femme dormait le plus souvent, s'écroulant sur son bureau au milieu de son travail ou en regardant, encore une fois, un de ses reportages télévisés afin de s'améliorer. Dans la cuisine étaient éparpillés emballages, boites de conserve, vaisselle propre attendant d'être rangée... Mais l'apothéose semblait être la chambre de Damien, à l'intérieur de laquelle vêtements propres et sales se mélangeaient, les livres s'entassaient sur le bureau, le ballon de football trônait sur l'étagère, les draps du lit se trouvaient aux quatre coins de la pièce... Mais ce désordre correspondait bien aux deux habitants, avec leurs cheveux à moitié bouclés, la crinière folle blonde de Rachelle qu'elle rejetait souvent en arrière, avec une frange en bataille lui arrivant aux sourcils et cachant presque ses yeux d'un bleu électrique. Pour seul maquillage, elle portait du brun à ses lèvres et comme uniques bijoux des boucles d'oreille en forme de chat. Son frère avait des cheveux jusqu'aux épaules et portait une boucle d'oreille côté gauche représentant une étoile filante. Ce duo vivait donc dans cet appartement qu'ils tenaient de leurs parents décédés quatre ans auparavant...
- Comment ? Elle a essayé de pénétrer dans la chambre ?, rugit Jigoro.
Son interlocuteur n'eut pas le temps de répliquer quoi que ce soit, qu'il ajouta aussitôt :
- Personne ! Tu m'entends ? Personne ne doit jamais entrer dans la chambre ! Est-ce compris, Horoku ?
- Oui, Maître. J'y veillerai personnellement. La journaliste a l'air de vouloir fouiner dans votre passé, elle a interrogé des élèves à ce sujet. Que doit-on en faire ?
- Capturez-la pour savoir ce qu'elle sait. Et en fonction, éliminez-la. Nous n'avons pas besoin de cette petite fouineuse.
Jigoro sortit de la salle et Horoku le suivit jusqu'à la porte. Ce dernier était Chinois, tout comme son Maître et faisait environ un mètre soixante-dix, son crâne rasé était orné d'un bandeau aux insignes de Jigoro, un dragon rouge. Ses yeux paraissaient minuscules, couleur de chêne, en-dessous d'épais sourcils. Horoku entra dans le dojo et stoppa les élèves dans leur combat. Aussitôt, l'un d'eux s'approcha de lui, le salua respectueusement et lui dit d'un ton sûr :
- Nous sommes prêts, monsieur Wong.
La journée était presque finie lorsque Ho Sang arriva dans le vieux bâtiment. Ses frères venaient juste d'arriver et elle rapportait l'argent de la bibliothèque, qu'elle donna au Maître. Le vieil homme lui en rendit une partie et elle partagea le reste avec Vulcain et Rê. Les yeux de Takeshi pétillèrent de joie en voyant cette scène. Il pensa aussitôt que Ho Sang ne serait plus la jeune fille au regard haineux, au comportement agressif, à la voix rauque et sévère. Mais, pour cela, il faudrait que la Chinoise fasse des études et cela, elle ne le pourrait pas, faute de papiers d'identité. Alors, c'était le Maître qui faisait son éducation, ainsi qu'à ses frères, convaincu qu'elle était bien meilleure et plus intelligente que la plupart des élèves ayant une vie normale...
Damien s'installa sur le divan de la salle devant la télévision, où se trouvait déjà sa sœur, avec un plateau sur lequel se trouvait une pizza toute chaude. Ils avaient déjà leur boisson et Rachelle alluma une cigarette. Ils regardaient le journal de vingt heures, durant lequel la jeune femme et Denis devaient faire une apparition avec leur reportage sur l'école d'arts martiaux qui paraissait si mystérieuse à la journaliste.
Rê vit sa sœur se raidit lorsque, au journal, une journaliste parla d'un Maître, un certain Jigoro Yoshikawa. Cet homme possédait une école d'arts martiaux. Ho Sang regarda avec attention le Chinois et parut presque s'évanouir lorsque celui-ci fut filmé en gros plan et qu'elle put décortiquer ses yeux. Des yeux plus noirs que l'ébène, plus agressifs que la haine, plus mortels que la mort elle-même ; des yeux comme ceux de Lóng. Les mêmes exactement, pas un seul détail se pouvant faire la différence. La même rage de vaincre et d'affronter la vie, ce regard pétillant d'intelligence, de ruse et de méchanceté. Ce fut Vulcain qui la rattrapa, avant de lui demander :
- Ça va Lóng ?
- T'en fais pas. On y va, tu vas être en retard au boulot !
Il commençait à faire frais dehors, bien que le soleil ne soit pas encore couché, et Ho Sang avait enfilé, par-dessus son jean et son débardeur, un manteau noir n'ayant plus de forme. Ils se dirigèrent et entrèrent dans la boite de nuit.
Il était près de deux heures du matin lorsque quelqu'un sonna chez Rachelle. Heureusement, la jeune femme regardait avec son frère un film à la télévision. Elle alla ouvrir et se trouva face à des personnes cagoulées. Tout se passa ensuite très vite. L'un d'eux bondit sur elle, qui trébucha et tomba à terre, entraînant dans sa chute son agresseur. Damien se précipita pour aider sa sœur, en assénant un coup de pied à l'homme cagoulé. Les autres ravisseurs pénétrèrent l'appartement et, devant le nombre d'adversaires, ils s'enfuirent par la sortie de secours. Mais, arrivés dehors, une mauvaise surprise les attendait. Horoku avait envoyé quelques-uns de ses élèves leur couper toute retraite. Il n'avait pas prévu la présence de Damien mais décida de le kidnapper, lui-aussi. Ses élèves formaient un cercle qui se resserrait dangereusement sur le duo...
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