Chapitre 5
L'autre soir, quand le concert fut terminé, mon colocataire est revenu vers moi et s'épongeant le front. Sur son passage les gens l'ont salué en le félicitant pour ses prouesses sur scène; ce à quoi il répondait par des "merci" souriants. Il s'était assis en face de moi et a bu d'une traite le restant de sa coupe. Je lui ai souris sans oser prendre mon verre tant mes mains tremblaient. Par la suite nous avons mangé un bout avec sa mère et sa soeur en discutant de cette passion pour la scène. En rentrant, le métro était complètement vide à cette heure si tardive, et moi, épuisée. On s'est mis dos à dos sur les banquettes en prenant toute la place sans aucune gêne et on a écouté le train crisser sur les rails sans un mot. J'en profitais pour sentir ses cheveux, cette odeur de champagne mêlée à la cigarette. J'y prenais goût comme je prenais goût à ses yeux foncés, comme je prenais goût au blond de ses cheveux, comme je prenais goût au froncement de ses sourcils.
***
C'est sans surprise que le lendemain tous ces sentiments et cette romance ce sont effacés sans crier gare. Je n'ai jamais été romantique au paravant, je me disais aussi que c'était bizarre... Non mais, qui ça intéresse encore le grand amour et l'histoire parfaite entre deux êtres? Tous les gens normaux? Ah. Et bien vous l'aurez compris, je ne suis pas normale, je me contente très bien de mon pot de Nutella; ce n'est pas du placement de produit! Je sors de ma chambre comme à mon habitude d'un pas traînant, mais cette fois c'est différent; la tête me tourne très fort et la seule chose dont j'ai envie c'est de me remettre immédiatement au lit. Je vais juste dans la cuisine pour me prendre un cachet d'aspirine parce que... Aïe aïe aïe. On se comprend? Je me demande d'ailleurs d'où cette migraine me vient. J'avance alors en raclant le sol de mes pantoufles pandas en me tenant la tête. J'attrape une boite de ces médicaments dans le panier de premiers secours et avale un cachet tout rond à l'aide d'un verre d'eau. La porte de la chambre de mon colocataire grince en s'ouvrant et se referme, le voilà qui arrive en fermant le dernier bouton de sa chemise du jour.
" 'lut." Dis-je en me laissant tomber sur le canapé.
"Gueule de bois?"
"Dodo." Je soupire pour toute réponse.
Il rit alors que je remonte une couverture traînant sur le sofa sur moi jusqu'à mon menton... Un déclic se fait dans ma tête.
"Gueule de bois?"
Là, il éclate de rire.
"Mais quoi?"
Il se calme et vient s'asseoir à côté de moi en relevant ses manches.
"Tu sais, le champagne c'est sucré et sa pétille... Mais c'est pas de la limonade."
Je comprends soudain ses paroles et imagine bien l'expression de mon visage se décomposer petit à petit. Thomas le voit bien aussi vu le sourire collé sur ses lèvres, mais pas un sourire normal; un sourire qui veut dire "n'explose pas de rire, n'explose pas de rire." Je me sens toute rabougrie tout d'un coup. Je décide de conclure en me laissant tomber en arrière sur le canapé et en me recouvrant de la couverture jusqu'au dessus des yeux. La porte d'entrée s'ouvre et Thomas se lève.
"C'est Mercy qui est dans le coma? On aura enfin la paix?" Dit Ki-Hong en entrant et en lançant sa veste de sport bleue foncée sur une des chaises de la cuisine. Je me redresse d'un coup (ma pauvre tête) et le fusille du regard.
"Oops..." Lâche-t-il en riant. "Y a quoi?"
"Première GDB." Dit Thomas sur un ton grave.
Ki-Hong prend l'air choqué.
"Oh my god!" Dit-il telle une anglaise extravertie, "Ma chéwi, on a la caboche trop lourde? On va avaler des boites entières d'aspirine et connaître la douleur des lendemains arrosés?"
Il rit et vient s'asseoir sur le bord du canapé en me tenant la main d'un air grave. Je fais mine de me sentir mal et de rendre l'âme.
"Amen." Dit Ki.
"Je voudrais bien éclater de rire mais j'ai peur pour ma vie." Dis-je en tenant ma tête.
"Tu as raison, reste tranquille. Par contre il y a un truc que je ne comprends pas..."
Il tourne la tête vers Thomas et fronce les sourcils. Avec les yeux plissés, il ressemble trait pour trait à un biscuit BN. Non, ce n'est pas du manque de respect, juste une déduction.
"Vous êtes allez en soirée tous les deux et je n'ai même pas été invité? Et en plus il y avait de l'alcool?"
Je lâche un gémissement de dégoût à l'entente de ce mot.
"Concert chez Toulouse Lautrec, je pense pas que t'aurais aimé." Dis le blond en hochant la tête.
Ki approuve d'un hochement de tête entendu.
"Minute!" Dis-je en sentant la panique m'envahir, "j'ai pas fais ou dis de conneries devant ta mère au moins?"
Thomas secoue la tête, ce qui me soulage.
"Tu n'avais pas assez bu. Si le champagne te donne mal à la tête, on voit bien que tu n'es pas habituée aux soirées du Campus."
"J'ai raison d'avoir peur?" Dis-je en remontant ma couverture encore plus haut.
Ki-Hong lâche un rire moqueur.
"Un peu, oui."
Soudain, Dylan arrive par la porte toujours ouverte en brandissant des boites de DVD en l'air.
"TOMMY, LE POP CORN EST PRÊT?" Crit-il en faisant son entrée théâtrale.
Une dame habitant l'appartement en face du nôtre ouvre un instant la porte, le fusille du regard et la referme d'un coup sec. Dylan hausse les épaules.
"Je ne peux pas m'en empêcher."
"Le pop corn?" Dis-je d'une voix ensommeillée.
Les trois garçon lèvent les poings en l'air en criant;
"DIMANCHE FLEMME!"
Pour la petite anecdote, tous les dimanches, ils passent leur journée dans le salon devant des films, des jeux vidéos, la télévision ou en parlant tout simplement sans oublier la nourriture qui consiste à des chinois commandés et des crasses en tout genre. Alors que Will et Kaya font leur apparition je me rend compte que je suis encore en pyjama, démaquillée et décoiffées ainsi que chaussée de pantoufles pandas.
Au moins maintenant je sais que la tête me tourne à cause du champagne et que tous ces sentiments de hier soir ne sont qu'effets secondaires d'une dose trop élevée de cette boisson pourtant délicieuse.
***
Je suis tout simplement assise par terre contre un distributeur de boissons, la tête vers le ciel, la bouche légèrement ouverte et tout ça en plein centre du parc du campus vide. Ça fait beaucoup de choses à assimiler, je vous dois quelques minutes de réflexion. Pourquoi est-ce que je ressemble à un imbécile heureuse? Parce que je suis perdue. Oui, perdue dans cet immense établissement qu'est ma nouvelle université. Je suis censée me rendre à une première réunion -pas très importante donc ce n'est rien si je la rate- et le comble est que cette réunion consiste à se repérer dans le campus. C'est génial, non? Non. Je vous l'accorde. Que vais-je donner comme motif pour mon absence? "Je me suis perdue en me rendant au cours pour apprendre à ne pas se perdre." Je risque d'en faire rire plus d'un dans l'auditoire. Alors je pense à la stupidité de ma vie en regardant le ciel bleu et dégagé de ce beau lundi matin.
"Qu'est-ce que tu fiches là?" Me lance une voix connue.
"Je désespère en pensant à ma vie et essaye de ne pas penser à mon avenir. Si je le fais, tu risques de me retrouver morte au fond d'un gouffre."
Kaya rigole et me tend une main que j'accepte volontier.
"Tu t'es perdue en allant à la réunion, je me trompe?"
Je secoue la tête négativement.
"C'est fou comme situation, pas vrai?"
"Pas tant que ça, tu ne rates rien. Le mec qui préside va passer le trois quart du temps à parler de lui et de sa magnifique nouvelle voiture et peut-être te donner deux trois indications sur comment se repérer les cinq dernières minutes."
"Bon, alors..."
"Alors tu viens avec moi! Les autres sont au pont."
Je la suis sans savoir vraiment où aller et sans savoir ce qu'est réellement le pont. Je me risque à poser la question sans avoir l'air plus bête que je ne le suis déjà.
"Le pont?"
"Je t'arrête avant que tu ne me sortes une blague du style 'le pont d'avignon' où une connerie du genre." Je lâche un rire nerveux, j'y avais pensé. "Le pont c'est notre petit coin secret, tu sais..."
Elle tapote la poche avant de son jean où se cachents son briquet, je comprends de suite. La panique m'envahit soudain, je n'ai jamais fumé, je ne fume pas et je n'ai pas envie de fumer. J'appréhende la suite.
Nous arrivons au "pont" comme le dit mon amie et en effet, il y a bien un tout petit pont qui enjambe une toute petite rivière, rivière qui est sans doute là pour faire passer les égouts soit dit en passant. Thomas et Dylan sont accoudés aux remparts de ce même pont et discutent sans nous voir arriver. Les deux garçons sursautent quand Kaya pose une mains sur l'épaule du brun.
"Ben dis donc! Et si j'avais été un surveillant et que vous étiez en train de fumer? Vous auriez fait quoi?"
Thomas hausse les épaule.
"Faut-il encore qu'un surveillant connaisse cet endroit. On est en plein milieu de la forêt du campus!"
C'est vrai, un bel endroit d'ailleur. La brune s'approche d'un arbre et passe sa main en dessous d'une des racines pour en ressortir un paquet de cigarettes usées. D'une main experte elle en extrait une cigarette et la fait tourner dans sa main telle une magicienne faisant un tour de passe-passe. Elle revient vers nous et l'allume avec un geste gracieux, tire un coup dedans et la passe à Dylan. Je l'interroge du regard.
"On ne les planque pas toutes au même endroit, puis c'est le dernier paquet. Il faut économiser." Elle me lance un clin d'oeil et c'est au tour de Thomas. Il tire dessus un moment puis laisse s'échapper un nuage de fumée grisâtre de sa bouche avec classe. Il me la tend ensuite, et là, c'est la panique totale. Devant mon hésitation il sourit.
"Tu ne fumes pas, c'est bien ça?"
Je secoue négativement la tête.
"C'est rien, désolé."
Sur ce il la passe à Kaya mais je l'intercepte avant qu'elle n'ai pu la saisir et tire une longue bouffée de fumée, la passe en vitesse à Kaya et souffle à mon tour un nuage gris. Quelle horreur, c'est dégoûtant! Je tousse encore et encore mais me ressaisis; j'ai un don pour me mettre dans des situations gênantes, face à ma réaction mes amis rient aux larmes. Je me joins à eux progressivement et la cigarette circule toujours entre les mains de mes compagnons dont moi, je l'avoue, je suis honteuse.
Même si mon pacte avec la mort vient d'êtres signé, je me promets d'y toucher uniquement en cas d'exception tel que des soirées. Jamais seule par besoin, je promets de ne pas de devenir dépendante. Facile à dire!
Les mégots nagent maintenant dans l'eau sous nos pieds en suivant le courant de la rivière. Nous sommes accoudés au pont et nous regardons les filtres s'éloigner encore et encore. C'est Dylan qui propose de sortir au McDonald pour manger ce midi au lieu de rester à la cantine; alors nous sortons pour l'heure du diner et enfin il sera temps de rejoindre nos classes respectives.
***
Cette nuit là je me suis endormie la tête reposée et pleine de pensées positives concernant mes amis. Ce qui n'empêchait pas les cauchemars de venir me hanter.
Ma famille est restée loin d'ici, il leur arrivait quelque chose. On m'a appelé sur le téléphone de l'appartement. J'ai crié, la porte s'ouvrit. Un homme en noir m'a promis de me faire subir le même sort qu'eux. Je veux rentrer chez moi, je veux rentrer chez moi, je veux rentrer chez moi. Je crie, il m'attrape.
Je me lève d'un bon sur mon matelas en prolongeant le cris de mon cauchemar, mon coeur bat fort, je tremble comme une feuille. Loin de là je m'étais habituée à vivre à Londres. Malgré les apparences, tout me manquais et j'avais l'impression d'avoir êtes arrachée à moi même, ma famille, mes amis, mon pays. Il m'a fallut ce mauvais rêves pour me rendre compte que tout n'est pas si rose et que j'ai encore besoin des bras de ma mère pour me consoler, j'en aurais toujours besoin. Et maintenant elle est à des kilomètres et des kilomètres de moi. La porte s'ouvre et laisse entrer une faible luminosité. Je sursaute en croyant voir arriver l'homme en noir de mon rêve, mais ce n'est que Thomas. Je le regarde venir et s'introduire sous ma couette sans aucune gêne face à moi. Il caresse doucement mon bras pour m'inciter à me coucher; je m'execute. Ma tête repose sur son torse et ses bras m'entourent, me rassurent tout comme le battement réguliers de son coeur face au miens qui est affolé. Affolé non seulement à cause de mon mauvais rêve mais face au geste surprenant de mon colocataire. Je range mes soucis de côté et je ferme les yeux en serrant fort la main de celui-ci, ne relâchant la pression seulement une fois endormie.
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