Chapitre 18
C'est ainsi que je me suis retrouvée sur une chaise en cuire noire très peu confortable avec une aiguille à quelques centimètres de ma peau.
"L'ombre du crâne d'un cerf, il doit être très petit et discret, noir et sur le haut du dos juste à la limite de la nuque... Et il doit être fin, féminin. Ce sera tout?"
Je hoche nerveusement la tête alors que le graphiste, un blond aux longs cheveux et aux yeux bruns clairs percé et tatoué de partout étant devenu une véritable oeuvre d'art humaine me tend un bout de papier. Je vois le fin crâne de cerf à la taille réduite idéale et avec de belles courbes qui signent le professionnalisme de la main du tatoueur. Je me sens tout de suite rassurée et comblée à la fois; j'ai sous les yeux le tatouage qui avait autrefois fait rêver l'adolescente capricieuse que j'étais. Je hoche la tête en croisant le regard du tatoueur qui attend mon verdict.
"Vous en êtes certaine? Ce tatouage restera gravé sur votre nuque à jamais. Prenez-en bien conscience."
"Oh... Si seulement je pouvais être réellement consciente de mes actes une seule fois dans ma vie, ce ne serait pas mal. "
Le tatoueur lâche un rire amusé en préparant son matériel.
"Peut-être que c'est la meilleure façon de vivre après tout. Ne pas être conscient de ce qui nous entoure et qui ne nous rapporte pas de bonnes choses, ça ne peut contribuer qu'à notre bonheur."
C'est égoïste mais il a raison, parfois il faut juste lâcher prise et penser à sois et uniquement à sois. Je me détend alors qu'il tapote un liquide froid sur ma nuque dénudée; ma peau picote et je sens encore le contacte de la ouate après qu'il l'ai retiré.
"Je ne vais pas vous mentir, cet endroit est fragile et ce ne sera pas agréable. Mais ça ne fera pas mal à proprement dit, juste très désagréable. Restez bien tranquille et détendez-vous. C'est un petit tatouage il sera vite terminé."
Je hoche la tête sans aucune confiance en moi et sursaute à l'entente de l'aiguille électrique qui s'allume dans un tremblement aigu. Je serre les dents alors que l'appareil s'approche de moi.
"Mais qu'est-ce que tu as encore foutu, Mercy Adams?!" Je pense très fort.
***
Je regarde la cheville rouge et entourée d'un bandage transparent de mon amie qui a l'air ravie en sortant de la boutique. Je me sens bizarre... Et en même temps les picotements qui rongent ma nuque provoquent une sensation d'allégresse en moi; un sourire béat s'immisce discrètement sur mes lèvres.
"Alors? Montre!" Dit Kaya en me retournant violemment dos à elle.
Je sens ses mains écarter mes cheveux pour les faire replonger sur mes épaules et ses doigts effleurer les contours encore sensibles de ma peau à vif.
"C'est discret, c'est joli, c'est féminin et c'est carrément classe." Dit-elle en approuvant.
Je souris, si elle l'aime bien, une étape est alors franchie. Dans minimum deux heures je pourrais retirer mon pansement; ils sont très petit nous n'aurons donc pas à attendre vingt-quatre heures avant de pouvoir le laisser à l'air libre. En attendant je fais des gestes circulaires avec mes épaules pour détendre mes muscles tout en suivant mon amie dans les rues de Camden Town; il est treize heure et quart, nous avons faim. Kaya est toute excitée à l'idée d'aller chercher un repas de midi dans ces recoins de Londres, elle ne cesse de me parler du Marché de Camden qui propose tout et n'importe quoi, des plats de tous les pays du monde. Nous marchons un bon quart d'heure en pointant tout du doigt, un homme habillée en Charlie Chaplin nous baisse son chapeau alors nous le saluons à notre tour. Enfin nous voilà arrivées au lieu tant attendu, tout correspond exactement à la description de Kaya; nous traversons des sentiers sinueux entre une multitude de stand aux senteurs toutes différentes les unes des autres. Mon estomac gronde quand nous passons devant les stands Japonais et Chinois qui proposent des sushis, des nouilles, des dim sum vapeurs et divers rouleaux de printemps. Kaya est alléchée par les hamburgers americains et les fines pizza italiennes de formes diverses. Je propose de traverser toute la rue pour repérer ce qui nous ferait le plus plaisir; c'est ce que nous faisons. Finalement je me reporte tout de même vers une portions de nouilles sautées et de dim sum et Kaya vers une grande pizza baguette. Je sais; bavez devant votre écran. Nous trouvons un coin sympathique qui donne sur la Tamise avec des chaises originales faites à base de siège de motos revisités. Nous nous posons là, à l'écart des gens et écoutons la Tamise se laisser porter par le vent du début d'après-midi. Un homme seul mange son sandwich paisiblement assis en bas du mur qui nous sépare du cours d'eau, les pieds dans l'eau. Malgré l'agitation de cette ville sans cesse en mouvement, on peut y retrouver le calme facilement en se posant simplement près d'un cours d'eau. Moi qui rêvassait me laissant entraîner sur la notion du calme et de la tranquillité, voilà qu'une mère enceinte et ses enfants viennent nous tourner autour. Des enfants bruyants qui courent partout en renversant leurs plats de pâtes bolonaise juste à côté de nous en se faisant en vain rappeller à l'ordre par cette pauvre dame invalide et épuisée. Là je me dis; quel bonheur d'être encore jeunes et libres! Vous me voyez avec un gosses dans les bras vous? Certainement pas! Là, je mange mes nouilles et personne ne pourra s'opposer à cet amour qui nous unis. Je lâche un petit rire et Kaya m'interroge du regard.
"Laisse tomber." Dis-je en enfournant un bouchée.
Je suis une personne très autonome, j'arrive à me faire rire toute seule. Que d'exploits non? Je n'ai besoin de personne pour ça, c'est un grand pas vers l'avenir. Hem.
***
Beaucoup plus de deux heures sont passées alors que nous nous promenions dans Camden Lock, le célèbre marché ouvert dans ces espèces de vieilles caves, écuries et hangard. Enfin voilà, excusez ma culture de ces lieux bien faible. Je le fais remarquer à Kaya alors que nous sommes assises à une terrasse d'un bar à cocktails super moderne et très... Fluorescent ? Tout est rose, jaune, orange, bleu, vert, mauve... Mais fluo. Même mon cocktail est fluo! Il est orange pâle avec plein de fruit tranchés sur le bord du verre et une grande paille tordue et jaune est portée jusqu'à mes lèvres.
"J'allais oublier!" Dit Kaya qui repousse sa boisson.
Elle se met debout et pose sa jambe tatouée sur sa chaise, s'apprêtant à tirer sur son pansement
"Attend! Pas devant tous les gens. On a qu'à aller aux toilettes."
Non sans une certaine déception elle acquiesce et se rasseoit pour terminer sa boisson. Ananas, mangue, limonade, noix de coco... Un vrai délice.
***
"Tire... Attend! Doucement s'il te plait."
Ses mains s'attardent vaguement sur ma nuque.
"Non! Va s'y d'un coup sec."
"Non, il faut être délicat. Mais si tu veux j'y vais rapidement..."
"Hem... Non, fais ça doucement."
Je suis très anxieuse et j'enroules machinalement mes cheveux autour de mon doigt sans m'en rendre compte; je sens ma peau se tirer et les plastique se retirer dans un bruit déchirant de ma peau. Cette douleur qui n'a pourtant durée que quelques secondes m'arrache un espèce de glapissement étrange.
"Wahou, le résultat est superbe. Je le rince."
Nous suivons à la lettre les instructions du tatoueur et Kaya fait couler de l'eau du robinet sur le cerf trônant dans mon dos. Un frisson me parcours l'échine quand les gouttes gelée s'emportent dans une course sans fin le long de ma colonne vertébrale et pourtant c'est une sensation agréable que d'hydrater ma peau tantôt tailladée par une aiguille. Je sens qu'elle applique la pommade qu'on nous a fait acheter après le tatouage, c'est très apaisant. Enfin elle le fait pour elle-même et je dégage mes cheveux de ma nuque pour le laisser sécher à l'air libre. Kaya se regarde dans le miroir pour se remettre une couche de baume à lèvre et fait voler ses cheveux en arrière avec une grimace de dégoût.
"Bon, maintenant que le tatouage est fait... Ça te dirait une nouvelle coupe de cheveux?"
***
Depuis la naissance de mon joli dessin gravé pour le restant de mes jours (cette phrase est effrayante) dans ma peau, je n'ai plus peur d'aucun nouveau changement. C'est un sentiment peu commmun, une joie de vivre féroce qui m'atteind; comme si jamais je n'allais quitter Camden Town. C'est une sensation vraiment bizarre, comme si mes jours étaient comptés et que ma vie se résumait à encore quelques jours de fuite et après, le néant. Comme si rien ne s'en suivait. Alors je suis Kaya à travers les rues aux milles couleurs de cette ville active jusqu'au salon de coiffure le plus démentiel que j'ai jamais vu. Tout commence par le coiffeur que j'aperçois à travers la vitre en train de coiffer un homme. Il arbore une crête de 30 bons centimètres et en plus de ça; multicolore. En entrant la première coiffeuse que je vois est une jeune asiatique aux cheveux les plus longs possibles, roses et argentés. C'est absolument magnifique, j'admire l'audace et la splendeur de cette coiffure sans parler de la qualité de ses cheveux brillants trop parfaits. La deuxième est toute argentée avec des cheveux plutôt longs, beaucoup de piercing et de tatouage et des yeux fort maquillés qui lui donne un air de ressemblance avec un chat; le terme pour la qualifier est bien "chat". Elle ressemble à un chat et a atteind le summum du "kawaii" comme on dit. Apparement ce coiffeur est réputé; il est plein et j'ai pu apercevoir beaucoup de brochures dans Camden Lock tout comme au campus. Jamais je n'aurais cru m'y retrouver et encore moins m'y faire coiffer. L'asiatique fonce sur moi, elle est adorable et m'accueille d'un sourire angélique.
"Bonjour!" Me dit-elle de son anglais fortement accentué d'une teinte d'orient.
"Je peux vous aider?"
Je n'ai le temps de répondre que le chat arrive derrière moi pour toucher mes cheveux.
"Ils sont absolument magnifiques!"
Je fronce les sourcils en me tournant vers elle alors que mon avis est totalement contradictoire; ils sont sans cesses en bataille et indomptable.
"En fait... J'ai beaucoup de mal à les garder coiffés."
Sans me laisser en dire plus je me vois tirée vers une chaise en cuire rose à motifs léopards, quelque chose de très extravagant pas vraiment à mon goût mais totalement dans le contexte. Je regarde mon reflet dans le miroir en face de moi, une Mercy éblouissante de santé et de joie.
"Un couleur?" Dit l'asiatique sans cesser de toucher mes cheveux.
"Ou des ralonges." Dit le chat.
"Nah! Du rose!" Dit l'autre en rejetant ses cheveux éclatants vers l'arrière.
"Ou décolorés." Dit sa rivale sur un air de défi.
Je ne repond pas tout de suite et porte une main à mes cheveux pour les toucher, je vois mon amie à travers le miroir en grande conversation avec un employé; quand elle me voit, elle me lance un clin d'oeil surnois. Je n'arrive pas à sourire.
"Non, pas de changement de couleur."
Je baisse les yeux alors qu'une nostalgie incontrôlable m'envahit. Non, je ne changerai ma couleur pour rien au monde même si d'une façon ou d'une autre... Elle me relie à un garçon qui m'attend à la maison et que je peine à laisser de côté. C'est idiot, je suis bien du genre à me faire des cheveux bleus pour complètement couper les ponts avec le passé qui me semble irréel. Mais...
"Mon caramel!" Disait-il en souriant avec amusement en déballant un des bonbons.
Je penche la tête sur le côté alors que les deux jeunes filles débattent sur si elles devraient me raser un côté de la tête où pas. J'inspire et expire un long moment avant de sortir ces mots.
"Laissez tomber. Coupez-moi les cheveux, court."
***
Comment vais-je bien pouvoir surnommer Kaya si je ne peux plus l'appeler "la brune"? La mauve? La bleu? La verte? La rose? Mon amie c'est tout simplement bien fait plaisir; elle a foncé sa couleur initiale en noir de jais et les pointes se terminent un un magnifique dégradé passant du mauve au bleu dans des teintes roses et turquoises. C'est vraiment beau... Je tourne la tête vers un grand miroir qui fait office de mur près de la caisse et m'approche. Mes cheveux m'arrivent presque en haut de la nuque et sont tout ébouriffés comme quand je me lève le matin. Sauf que cette fois le volume est doublé et que le travail mit dans cette coiffure se voit de façon professionnelle; c'est classe et fou et non pas sale et fatigué. Je souris, ça me donne un air festif, un air de folie. La nouveauté fait naitre une émotion agréable au creux des reins, une chaleur ennivrante qui fait tourner la tête; j'en veux encore plus. Je veux tout lâcher pour de bon et vivre comme si demain n'existait pas! Je veux faire la fête, danser, m'amuser, boire, fumer et vivre de danger, d'amusement et d'adrénaline. Je me tourne vers Kaya avec détermination et hoche la tête d'un air entendu.
"On est fin prête à faire la fête!"
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