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— Tu m'as trahi ! jeta sèchement Loki en dévalant quelques marches.
— Tu m'as trahi ! rétorqua Mobius, dont la rage et la peine bouillonnaient en lui.
Ils se défiaient de leurs regards chargés d'éclairs, furieux d'en revenir à leur point de départ, enrageant de voir leurs douze heures de séparation creuser un tel gouffre entre eux. Dire que je m'étais fait un ami, grondait Loki en son for intérieur. Il était en colère contre lui-même, contre la TVA qui voulait lui retirer sa liberté, contre Mobius qui collaborait avec cette organisation. Contre Sylvie, enfin, sans qui tout cela ne serait pas arrivé. Et puis, que signifiait ce geste qu'elle avait esquissé sur Lamentis ? Elle avait posé la main sur son bras, et tourné ses grands yeux vers lui, une émotion qu'il ne voulait pas reconnaître luisant dans ses prunelles. Il s'était dégagé sans un mot, et ils se s'étaient pas touchés depuis.
— Allons, un dernier stratagème de la part du menteur désespéré ! clama rageusement Mobius.
Deux Hunters tenaient Loki par les bras, contenant tant bien que mal ses ruades sauvages. Devant eux miroitait la porte rouge qui le mènerait à la boucle temporelle qui lui servirait de cellule.
— La TVA... vous ment, annonça Loki, espérant de toutes ses forces que Mobius lui accorderait un peu de crédibilité.
Mais l'Analyste émit un son à mi-chemin entre le rire et le soupir, baissa la tête et, d'un geste, indiqua aux Hunters d'envoyer Loki à travers le portail.
— N... Non ! glapit le Variant avant que la force combiné des deux hommes ne le projette en avant.
Il disparut dans un vrombissement d'air caractéristique, et les agents se retirèrent, laissant Mobius seul dans ce grand bureau qui paraissait tristement vide, exempt de son arrogant Dieu de la Malice. Son visage s'écrasa dans ses bras croisés sur la table avec un sanglot silencieux. Sentant les larmes couler, Mobius se mit à rire, incapable de comprendre ce qui lui arrivait. Loki n'était qu'un Variant, un pion utilisé par la TVA pour mettre la main sur Sylvie, rien de plus. Il se résumait à un gamin insolent et à l'égo démesurément grand, se croyant tout permis et invincible, plus malin que tout le monde et surpuissant. Pourtant, Mobius avait eu la peur de sa vie en le voyant disparaître avec Sylvie, quand il avait traversé le portail, dans ce magasin à l'extérieur duquel les éléments se déchaînaient. L'angoisse ne l'avait plus quitté jusqu'à ce que cette branche monstrueuse apparaisse à l'écran. Et si Sylvie lui avait fait du mal ? Et s'il ne le revoyait jamais ? Et s'il mourait loin de lui, avant qu'ils aient eu le temps de construire la moindre amitié durable, avant qu'il lui avoue tout ce qui remuait son cœur, avant qu'il lui dise que son sourire ensoleillait ses journées, qu'il l'avait tiré d'une routine mortellement ennuyeuse, qu'il était pareil à un astre, si beau et inaccessible ? Qu'il aurait voulu l'emmener faire du jet-ski sur la timeline, maintenant qu'ils savaient comment éviter les événements Nexus ? Oui, faire du jet-ski, boire un cocktail, se coucher côte à côte sur la plage et profiter du soleil, de la vie, du lien qui les unissait.
•••
Ils se faisaient face, et si un regard avait pu tuer, Mobius ne serait plus de ce monde depuis bien longtemps.
Après avoir écarté une remarque acerbe sur la perversité de la boucle temporelle, l'Analyste s'éclaircit la gorge :
— Donc, vous travaillez pour le Variant...
— Pour le Variant ? Sylvie ? Non ! Non, je travaille pour mon propre compte.
— Alors quoi, vous êtes partenaires ?
— Bien sûr que non ! Non ! Pas partenaires !
— Oui, j'imagine que ce n'est pas dans votre nature.
Il avait en tête chaque moment où Loki avait feint de former une alliance pour mieux poignarder dans le dos la pauvre personne ayant eu la bêtise de lui faire confiance. Mobius avait cru que Loki était peut-être plus que ça, qu'après tout il pourrait peut-être être quelqu'un de bien, qu'il pourrait être digne de confiance si on montrait qu'on l'acceptait comme il était sans le juger. Pourtant non. Loki avait traversé la porte sans l'attendre. Il lui avait tourné le dos au moment le plus crucial. Comme avec n'importe qui d'autre. Je ne suis pas quelqu'un de spécial. Je ne le ferai pas changer. Cette pensée fut comme une dague transperçant le cœur de l'Analyste. Non, décidément, Loki n'aimait que lui-même, et Mobius ne serait pas l'exception qui confirmerait la règle. Je ne suis rien, songea-t-il amèrement. Il s'en voulait tant de s'être imaginé important.
Pendant ce temps, Loki croyait que la colère brûlant dans les yeux de Mobius était dirigée contre lui, et cette perspective le terrifiait. Sa plus grande peur était de décevoir ceux qu'il aimait, et à son grand regret il venait de rater une nouvelle fois, de, pour la centième, la millième fois, encore prendre la mauvaise option, et faire tout de travers, être à côté de la plaque, encore et toujours, et regretter, regretter, regretter...
— Très bien, vu votre manque de coopération, je vous prie de saluer Lady Sif de ma part...
Il s'empara de son TemPad, et la panique s'alluma dans les yeux de Loki. Pas encore cette humiliation, pas encore ces coups de genoux aux endroits sensible, non, non, non ! Il capitula, accepta de jouer le jeu, cherchant déjà comment il pourrait tourner la situation à son avantage. Mobius l'observa, un demi-sourire aux lèvres, sachant déjà comment il ferrerait son poisson. Il reprenait le contrôle, et cette idée le rassurait énormément.
— Quoi ? Qu'est-ce que vous avez dit ? l'interrompit Loki.
— J'ai dit que...
— Sylvie ? Elle est morte ?
— Comment ? Sylvie ?
— La Variante, c'est son nom : Sylvie. Vous l'avez... Vous l'avez élaguée ?
Mobius sourit franchement, sentant cependant au fond de lui son cœur se morceler. Il laissa échapper un rire étranglé :
— Regardez-vous, vous l'aimez... Est-ce qu'elle vous aime aussi ?
— Qu'est-ce que...
— C'était donc ça, l'événement Nexus ! C'était vous, tombant amoureux l'un de l'autre ! Deux Variants de la même personne, formant cette sorte d'amour toxique et... et... et contre-nature ! Quel narcissisme ! Vous êtes tombé amoureux de vous-même ! Une chose pareille pourrait détruire la réalité ! Ça détruit ma réalité en ce moment-même !
Loki se tut, les yeux à marée haute. Des larmes brûlantes dévalaient les joues de Mobius qui, une fois sa tirade terminée, s'écroula dans un gémissement déchirant, les épaules violemment secouées par ses sanglots, son cœur en miette lui faisant mal, tellement mal... Il aurait voulu mourir. Cette lumière dans le regard de Loki, cette inquiétude, cet amour... Cette lumière brillait pour la Variante, pour cette Sylvie, et pas pour lui. Sylvie serait l'heureuse élue qui ferait changer Loki, celle qui lui apprendrait la confiance. Et dans cette espèce de relation incestueuse, ils seraient heureux ensemble, trouvant leur âme sœur en eux-mêmes.
— Loki, vous... tu... j'avais pensé qu'on avait quelque chose tous les deux, cette complicité, cette espèce d'amitié un peu ambigüe qu'on avait, la façon dont tu me regardais... J'avais pensé... J'avais cru... Alors que...
Il pleura de plus belle, devant Loki incrédule, désolé, profondément touché par cette immense et inestimable preuve d'amour.
— Et puis tu m'abandonnes, et tu vas courtiser ta propre version féminine ! Comment peux-tu faire ça ? Comment peux-tu me faire ça ?
Alors Loki, cédant à la déchirure de son cœur qui lui ordonnait de faire ce geste, envoya valser sa chaise pour se lever, saisit le menton de Mobius et fondit sur ses lèvres. Leur baiser fut court, maladroit, mouillé de larmes, pourtant empli d'émotions fortes et violentes, une pétarade d'amour et de soulagement dans leurs cœurs respectifs. Loki se recula légèrement, yeux toujours clos, ne voulant pas ouvrir les paupières de peur de découvrir quelque chose qui le blesserait sur le visage de Mobius : de la déception, peut-être ? Du dégoût, du rejet ? Oh, tant de choses auraient pu se montrer sur cette face ronde et souriante, mais entre elles toutes, ce fut une expression de joie absolue qui prit le dessus. Expression que Loki ne vit pas. En revanche, il sentit très distinctement la main calleuse de Mobius s'enfouir dans ses cheveux emmêlés, et appuyer sur l'arrière de son crâne pour le rapprocher à nouveau de lui. Et, encore une fois, leurs bouches l'une contre l'autre, l'humidité de leurs lèvres et le goût du bonheur sur leur langue.
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