À l'approche du jour, les rebelles récupérèrent leurs armes dans les tonneaux.

— On va se faire repérer rien qu'à l'odeur, protesta l'un des hommes sur un ton bas.

— Arrête de râler, Sarhim, intima sèchement Dassine.

Les rebelles essuyèrent les sabres. Eivind avait mal au cœur d'avoir infligé un tel traitement à Ankehil. L'épée avait été le dernier cadeau de son père adoptif.

— Fais pas la tête, lui murmura le jeune Okba. C'est qu'une épée.

— Non, c'est Ankehil...

Mais Okba avait déjà disparu dans la nuit. Le pisteur le suivit et rejoignit le groupe des vingt-quatre hommes qui pénétreraient le palais ce soir. Les nomades, en file indienne silencieuse, contournèrent la place jusqu'à rattraper le côté de la grande rue qui longeait la citadelle par la droite. Ils rasèrent le sol, protégés par les bosquets décorant les grandes avenues. Le goût des riches pour la végétation était ce soir leur meilleur allié. Une fois arrivés près de l'une des portes, ils se tapirent dans l'ombre à l'abri du regard des deux gardes qui veillaient, et attendirent avec fébrilité le signal de Sighild.

Le vent claquait sur le visage de la chasseuse. Peu rassurée par la hauteur vertigineuse qui la séparait du sol – qu'elle ne voyait même pas –, elle s'accrochait de toutes ses forces au harnais dorsal d'Hyulha. Elle se félicita d'avoir noué solidement son chèche, sinon il se serait envolé comme une feuille avec la force du souffle.

La femme entendait les immenses ailes du Kereoban se soulever et se baisser lentement. Couchée au niveau des omoplates de l'animal, elle sentait les muscles rouler sous ses écailles colorées. Elle n'avait aucun mal à imaginer la puissance de la dragonne.

Soudain, Hyulha entama une descente impressionnante qui faillit arracher un cri de surprise à Sighild. Puis elle se stabilisa et vira sur la droite. En posant les yeux sur le sol, la Chasseuse aperçut Devenha dans toute sa majesté nocturne. La cité ressemblait à un bijou flamboyant posé sur un velours sombre.

Hyulha descendit en traçant de grands cercles et veilla à rester hors de portée de la lumière. Avec une délicatesse insoupçonnée pour un si grand animal, elle se posa sur le dôme du palais à la base duquel une fenêtre ouverte attendait la femme. Glaam l'imita. Sighild profita de la hauteur pour faire un point sur la situation.

La porte nord-ouest par laquelle les hommes entreraient était correctement fermée. Des gardes passaient régulièrement devant. La chasseuse embrassa la citadelle du regard. Elle s'arrêta sur les écuries impériales situées derrière le palais. Vu la taille des bâtiments en L, elles devaient abriter une soixantaine de chevaux.

— Dès que tu me verras arriver près de la porte, mets le feu à toutes les écuries, ordonna-t-elle à la dragonne. Les chevaux ne sortiront pas d'eux-mêmes, les soldats auront besoin d'être nombreux pour les secourir et éteindre l'incendie.

Elle descendit de sa monture et se laissa tomber sur la base du dôme. Elle se réceptionna avec une roulade et se redressa avant de s'avancer vers Glaam.

— À toi de jouer, petit.

Le dragonnet acquiesça d'un mouvement de tête, puis s'envola en ligne droite vers le ciel. Sighild se dépêcha de s'engouffrer par la fenêtre. À l'intérieur, fidèle au poste, Signe attendait sa complice.

Les deux amies filèrent dans les couloirs comme des ombres furtives. Le flair de la panthère leur permit d'éviter toutes les patrouilles et de repérer la présence d'Arkhoris à l'étage de la chambre impériale. La panthère passa par des couloirs étroits réservés au personnel du palais. L'éclairage y était moindre que dans les allées principales et les recoins y étaient aussi plus nombreux.

L'irbis et Sighild arrivèrent finalement à l'extérieur du palais, au milieu de hautes plantes, de fleurs endormies et de chemins d'eau. Signe s'avança à pas prudents, humant l'air avec insistance jusqu'à repérer la présence de gardes non loin. La chasseuse posa la main sur son dos et lui demanda de se coucher. Elles ne bougeraient pas tant que Glaam n'aurait pas donné le signal car dès qu'elles seraient à portée de vue d'Hyulha, celle-ci déclencherait le plan.

Le dragonnet descendit assez bas pour que les sentinelles puissent le repérer ; ce qui ne tarda pas. Le petit s'approcha des remparts extérieurs en se balançant de droite à gauche. L'un des soldats interpela son camarade :

— On dirait qu'il est blessé. Il doit vouloir de l'aide.

— Ça se pourrait, répondit l'autre. Sa mère n'est pas avec lui, il s'est peut-être égaré dans la nuit. Fais-lui signe de se poser ici, on va voir ce qu'il a.

Le premier garde attrapa une torche qu'il embrasa avant d'attirer l'attention du dragon. Glaam se réjouit : ils ne marchaient pas, ils couraient.

Il se posa maladroitement à côté d'eux, leur faisant comprendre que sa patte le lançait. Le deuxième homme s'approcha et l'examina. Dès qu'il toucha le membre blessé, Glaam laissa entendre son cri chantant.

Le signal était donné.