Chapitre 4 - partie 2
Lorsqu'ils pénétrèrent de nouveau dans la salle de réunion, les discussions moururent aussitôt. On les regarda entrer et s'installer sans piper mot. Sighild toisa les nomades un à un en s'arrêtant plus longtemps sur Berkwan et Izril, puis prit la parole :
— Puisqu'Eivind semble prêt à vous aider, je le laisserai faire. Je resterai cependant à ses côtés pour l'épauler jusqu'à ce que sa mission soit accomplie.
Le mécontentement se lisait sur le visage de chaque homme. Sighild en était parfaitement consciente et appréciait. Elle les ferait plier comme elle en avait fait plier tant d'autres.
— Eivind sera déjà épaulé par mon fils, intervint Dehhu en montrant Berkwan d'un signe de main.
La chasseuse observa le concerné avant de retourner son attention sur le père :
— Raison de plus. J'ai promis à mon père que je ramènerai Eivind et ce n'est certainement pas cet homme-là qui le protégera.
Dehhu s'énerva :
— Nous nous sommes montrés patients et hospitaliers, mais n'allez pas trop loin ou...
— Ou quoi ? le coupa-t-elle. L'un d'entre vous me tuera ?
Le ton dédaigneux qu'elle utilisait fit perdre patience à bon nombre, particulièrement à Dehhu qu'elle venait d'insulter deux fois. Il se leva vivement et tira son épée du fourreau.
— Princesse ou non, vous allez trop loin. Debout !
Lorsque Sighild se leva, tous l'imitèrent, non par politesse mais par méfiance. Si la situation tournait mal, ils voulaient se tenir prêts. Seul Eivind resta assis à regarder sa chef avancer avec tout le mépris qu'elle pouvait communiquer par son attitude. La femme dégaina Daghild, son épée, et attendit la première attaque de son adversaire.
Dehhu abattit sa lame mais Sighild la dévia avec la sienne puis frappa l'homme de son poing gauche. Un coup au visage le déstabilisa et un dans l'aorte lui coupa le souffle, assez pour le faire plier. Elle le frappa une nouvelle fois à la tête, mais avec son genou. L'homme s'écroula sur le dos, à moitié sonné, et s'apprêtait à se relever lorsque Sighild posa violemment son pied droit sur son entrejambe et écrasa ses parties intimes. L'homme se redressa avec un cri de douleur. La chasseuse amena son autre pied sur le torse de son adversaire, le plaqua brutalement sur le sol et glissa la pointe de son épée dans sa bouche ouverte.
C'était déjà terminé.
Une perle de sueur coula sur le front de Dehhu. Il sentait la lame entailler légèrement la commissure de ses lèvres et son sang ferreux couler jusque sur sa langue. Ses yeux, écarquillés de peur, ne pouvaient se défaire de l'emprise de ceux de Sighild qui le fixaient avec haine. Les traits de son visage avaient quelque chose de féroce, de sauvage et de dangereux, mais toutefois moins que sa voix un peu grave qui lui arracha des sueurs froides :
— Jamais un être au monde ne me dictera ma conduite. Défie-moi une nouvelle fois, bâtard, et je te châtrerai comme l'animal que tu es.
Voir la femme dominer Dehhu, debout sur lui, avait quelque chose d'attirant, d'excitant même, et si les chefs rebelles l'observaient avec un étonnement mêlé de crainte, Eivind lui jetait un regard empli d'admiration. Malgré son caractère épouvantable, il était heureux de la trouver inchangée.
Mais il était loin d'imaginer que ce n'était pas tout à fait vrai.
Sighild retira la lame de la bouche de Dehhu et la rangea au fourreau avant de le libérer totalement de son emprise.
Elle s'adressa à l'assemblée pendant que le chef rebelle se relevait péniblement :
— Je n'ai pas l'intention d'interférer dans vos affaires mais ne comptez pas sur moi pour m'effacer. Peu importe l'endroit, j'entends être respectée, même si je dois pour cela faire taire quelques langues venimeuses. Je crois savoir que le corps, chez vous, est le reflet de la vie. Le mien vous prouve que je vaux cent des vôtres, déclara-t-elle en écartant les bras, dévoilant du fait les cicatrices qui barraient sa peau pâle. J'épaulerai Eivind, avec ou sans votre approbation.
Elle laissa le temps à ses dernières paroles de s'ancrer dans tous les esprits, puis retourna s'asseoir à côté de son chasseur. Signe s'approcha d'elle et posa sa lourde tête sur sa jambe gauche. Sighild la caressa par réflexe.
Si l'once se laissait aller, c'était qu'aucun homme n'allait tenter quoi que ce soit. L'héritière songea que s'ils savaient réfléchir – au moins un peu – ils comprendraient vite qu'ils y gagneraient à ne pas se la mettre à dos.
Dassine se racla la gorge pour attirer l'attention sur lui. Dès qu'il fut certain de l'avoir, il relança la conversation originale :
— En comptant donc tous les hommes en âge de se battre parmi les tribus, nous arrivons à un effectif de cinq mille combattants, contre sept mille pour l'armée impériale. La cité est fortifiée, on ne peut y rentrer que par six portes, gardées jour et nuit. Comme marqué sur la carte derrière moi, le palais, aussi entouré de remparts, est protégé par la première garnison et les abords extérieurs de la citadelle par la deuxième. Les quatre autres étant proches des quatre portes principales. Tous ceux qui rentrent ou sortent sont fouillés, à l'exception des dragons non accompagnés. À cause de leur puissance et de leur caractère, se sentit-il obligé de préciser pour Sighild.
— Je connais la réputation des dragons même si nous n'en avons pas de sociables en Sigvald, répondit-elle. Continuez.
Elle était plus que curieuse de connaître la stratégie des hommes pour pénétrer dans la ville.
Eivind observa son chef à la dérobée avant de reporter son attention sur Dassine. Leurs regards se croisèrent assez longtemps pour laisser comprendre au pisteur que la suite de l'explication était le point sensible de la situation.
— Dans deux mois se tiendra la Foire du désert, sur la grande place de Devenha, aux portes du palais. Lors de ce gigantesque marché à ciel ouvert, les nomades viennent à la capitale pour vendre leurs plus belles marchandises aux nobles qui sortent exceptionnellement de leur citadelle.
— Ça nous permettrait de faire rentrer des hommes, mais les armes ? demanda Eivind.
— Tout le problème est là, intervint Gildun, l'air désespéré.
— Ne serait-il pas possible de les dissimuler parmi les marchandises ? Qu'est-ce que vous aurez ?
— Tapis, vêtements, bijoux, poteries, objets d'art, vin, fruits et légumes. Mais tout est fouillé à l'entrée avec tellement de minutie que l'accueil des nomades se fait sur plusieurs jours.
— Un souverain qui craint son peuple est particulièrement prudent, remarqua Amalu. Sibsab a de très bonnes raisons de ne pas être tranquille. La révolte menée par vos parents a laissé des traces.
— Je vois ça, souffla Eivind, songeur. Le vin est rare en Faror, n'est-ce pas ?
Les hommes se consultèrent du regard, étonnés par la question, mais finirent par approuver. Sighild, elle, esquissa un sourire : elle voyait parfaitement où il venait en venir et trouvait l'idée osée.
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