Chapitre 2 - partie 1
Comme il en avait été convenu, Amalu vint chercher Eivind au matin pour le mener à la frontière du Petit Décor. Le voyage jusqu'à la barrière de rochers qui en marquait l'entrée dura cinq jours à dos de Trois-cornes. L'endurance des dragons leur permettait de marcher jusqu'à seize heures dans la journée.
Lorsqu'ils arrivèrent près des anguleuses pierres verdâtres, Izril les attendait en compagnie de trois élands. Le chemin qu'ils devraient emprunter nécessitait l'agilité et la rapidité des antilopes au pelage beige plus que l'endurance du Trois-cornes. Une fois débarrassé de ses cavaliers, ce dernier reprit tranquillement le chemin de Sahad.
Eivind inclina légèrement la tête pour saluer son frère avant de s'approcher des animaux. Il choisit une femelle qu'il examina et dont il estima la taille à presque un mètre soixante-dix au garrot. Ses cornes droites, raccourcies, polies et gravées, étaient élégamment torsadées et ses yeux possédaient une deuxième paupière translucide qui la protégeait du sable. Ses muscles fins semblaient puissants, autant que ses membres élancés paraissaient agiles. Ses sabots, en revanche, étaient trop étroits pour être efficaces sur le sable.
Indéniablement, l'éland lui rappelait Mund, le mouflon polaire de Sighild.
— Belles bêtes, n'est-ce pas ? demanda Izril.
— Je l'avoue. Mais elles semblent faites pour la roche, pas pour le sable.
— Ce sont des élands des montagnes, en effet. C'est d'ailleurs là que nous allons.
Son aîné se tourna vers l'ouest et pointa du doigt les reliefs qui couraient loin au nord.
— Les passages sont escarpés et dangereux, nous aurons besoin de leur agilité, intervint Amalu.
— Combien de temps mettrons-nous à rejoindre le campement ?
— Trois semaines environ, répondit Izril. Allons-y.
Joignant le geste à la parole, il enfourcha sa monture et la lança au pas lorsque ses deux compagnons l'eurent imité.
Amalu menait le groupe dans le désert avec une facilité trahissant son habitude du terrain. Il savait comment aborder les dunes pour permettre leur ascension tout comme il savait où le sable était dangereux. Le guerrier jetait régulièrement des regards circulaires sur l'immense étendue, à l'affût de la moindre menace.
— Que crains-tu à ce point ? interrogea Eivind le premier soir.
Assis en cercle autour d'un feu, les trois hommes appréciaient de se reposer enfin.
— Je redoute les bullars, avoua Amalu. Ce sont de gros serpents dépassant les trente mètres de long.
— Ils ont une gueule pareille à celle des dragons, précisa Izril, mais ce sont bel et bien des serpents.
— Ce sont les fléaux du Petit Décor. Ils utilisent leur langue pour repérer l'odeur des voyageurs et les prennent en chasse sur plusieurs dizaines de kilomètres parfois.
— Et les nomades sont si nombreux ? s'étonna Eivind.
— Les bullars craignent les dragons, expliqua Amalu.
— Les Trois-cornes ?
— Les Kereoban à collerette. Tu en verras au campement. Tous les nomades s'arrangent pour s'octroyer la protection d'au moins un dragon. La vie dans le désert est dure pour tout le monde. L'entraide évite de nombreux désagréments.
— C'est intéressant. Les seuls dragons que nous avons en Sigvald sont des Iatellons et des Alvidias, deux races qui fuient les hommes comme une maladie contagieuse.
— Vous les chassez ? demanda Izril.
— Nous aurions du mal. Outre le fait qu'ils soient extrêmement peureux, les Iatellons mesurent presque quatre-vingts mètres de long et les Alvidias peuvent atteindre les cent.
Les deux Faroren écarquillèrent les yeux de stupeur. Eivind s'en amusa.
— Nous avons tous nos monstres, ajouta le pisteur sur le ton de la plaisanterie.
— Avez-vous des loups ? demanda Izril avec une lueur d'excitation dans les yeux.
— Ils sont rares. Je n'en ai vu qu'un seul dans ma vie, lorsque notre meneuse en a sauvé un.
— Vous avez une femme comme chef ? s'étonna son aîné.
— Avions, le reprit Eivind, la voix un peu tremblante. Elle n'était qu'héritière mais c'était elle qui menait les chasseurs. Elle est morte durant l'hiver en se sacrifiant pour sauver Thorov.
— Nous en sommes désolés pour toi, l'assura son frère.
— Vous n'avez aucune femme à des hauts postes ? interrogea le pisteur afin de changer de sujet.
— Par pitié, non ! s'exclama Izril. Elles nous mènent par le bout du nez en ménage, alors imagine à la tête d'un empire !
La gouaillerie fit sourire les trois hommes et lança la conversation sur des choses autrement moins graves. Pourtant, aborder la mort de Sighild avait étrangement agité Eivind. L'homme se sentait toujours responsable de ce qui lui était arrivé. Si seulement il lui avait désobéi...
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