Ils avaient courut dans ce bâtiment vide pendant des heures. Carl donnait des fois des coups de pieds dans les murs, et ils s'effritaient quelque peu, ce qui faisait flipper Clément.
Les fenêtres s'alignaient sur les murs comme autant de tableaux inachevés. Certaines étaient cassées ou rayées, les autres rendues sales et opaques par la poussière. Mais le soleil entrait quand même dans l'immeuble, Carl courait toujours, et Clément peinait à le suivre. Carl était impulsif. Joyeux. Explosif. Il criait plus qu'il ne parlait, et il riait fort. Il disait tout ce qu'il pensait, et quand ça lui plaisait particulièrement, il le répétait. Clément, lui, pensait sans dire. Il regardait et essayait de comprendre. Il n'avait jamais réussi à comprendre le sourire trop grand de Carl.

- Attends! fit-il.

La silhouette de Carl l'avait dépassé, et tapait son meilleur sprint dans les couloirs de la vieille usine.

- Attends ! répéta Clément.

Peut être Carl ne l'avait-il pas entendu, peut être qu'il s'en fichait, peut être.

Clément avait couru à sa poursuite un petit moment, puis il avait arrêté. Maintenant il marchait.

- Attends... répéta-t-il très doucement, pendant qu'il observait les environs, passait devant les rangées infinies de fenêtres et pointait sa tête dans la moindre salle.

- Carl... appela-t-il, presque en chuchotant.

Ce n'était pas dans une volonté vaine d'appeler Carl : non, Clément se contentait d'observer patiemment, et d'apprécier le roulement du nom de son ami sur sa langue. C'était le 'r' qui disait tout, pensa-t-il alors. Ce r, c'était la douce violence de Carl. Dit tout bas, il était mélodieux, roulait comme un gravier dans le sable, les jours d'été au bord de la mer ; crié, et Clément se refusait à le faire, il devenait aussi coupant que les coquillages cachés dans le sable, aussi dur que la pierre sous les orteils, aussi rêche que le sable qui entre dans la bouche.

- Carl, chantonna Clément.

Carl était caché derrière le mur de la prochaine pièce. Il observait le dos de Clément se plier quand il passait le haut de son corps par les portes des salles qu'il vérifiait, et il se demandait si son projet initial de sauter sur Clément valait toujours, alors que ce dernier chantait son prénom avec tant de délicatesse.
Il pensa ensuite à tout l'amusement que cet acte pourrait lui apporter, et il sourit. C'était un de ses sourires trop grands que Clément ne comprenait pas.

La tête blonde de Clément passait tout juste dans une énième salle, lorsqu'un poids sur son échine et un "AH !" le firent sursauter. Il s'effondra a terre, sur le plancher poussiéreux de l'usine, et il regarda Carl qui le surplombait. Il avait les joues rouges et souriait.
Clément fronça les sourcils, réprobateur.

- Je t'ai cherché, dit-il simplement.

Carl ne dit rien. Il se laissa peu à peu tomber sur le côté et fini sur le dos à son tour, le souffle précipité par son cri, à côté de Clément, dont la poitrine se soulevait plus rapidement que d'habitude sous l'effet de la surprise.

Ils restèrent peut être une minute comme ça, jusqu'à ce que Clément se retourne et se positionne au dessus de Carl. Il ne savait pas vraiment ce qu'il faisait. Ses coudes lui faisaient mal de s'appuyer sur le bois dur, et Carl avait détourné la tête.

Il se pencha un peu. Carl bougea la tête vers lui. Alors il se pencha encore, et Carl le regarda. Alors il se pencha, et il embrassa Carl. Il l'embrassa rapidement, se recula juste après. Carl le regardait toujours. Il recommença. Puis sur ses joues. Sur son menton. Sur son cou. Sur ses clavicules au dessus de son tee shirt bleu. Ses baisers faisaient des petits son de succion dans le silence, et le ventre de Carl sous le sien s'abaissait et se soulevait si vite...!

^11 avril 2022

inspiré de ce mini film, qui est aussi au début du chapitre :