|| 11 ||
Quand le début des Jeux commence, je bondis de ma plaque et me jette à corps perdu dans la mêlée. Une foule de sensations me frappe, comme la peur, l'impression du courage, l'épuisement, l'adrénaline,encore la peur, la confiance, et une fois de plus la peur. Seulement,je m'efforce de les chasser de mon crâne pour mieux me concentrer sur ma cible ; les boomerangs.
Ils ont été placés non loin de l'intérieur de la Corne d'Abondance, histoire de me forcer à me rendre à découvert. Eh bien, c'est une réussite. Je m'arrête un instant pour jauger le terrain, poings levés, mais il est évident que les autres tributs ont mieux à faire que de m'attaquer, pour l'instant. Ils se précipitent tous, tels des moutons, vers la grande corne dorée.
Alors, les imitant à mon tour, je pique un sprint vers le troupeau, et me faufile parmi tous ces corps sveltes, enrobés ou maigres qui se battent pour une raison qui m'est inconnue, qui nous est inconnue à tous. Je suis plutôt petite - très petite, à peine 157 cm - alors on ne me remarque pas, pas pour l'instant. Je m'occupe donc de mes boomerangs, je chercherais Clara et Tamarah après les avoir récupérés.
Quand enfin, je les trouve, je m'en saisis avec une rapidité insoupçonnée et me retourne sur la vaste prairie qui nous entoure. Derrière moi, j'aperçois Irwin, le regard apeuré, qui tente de s'enfuir dans la forêt. Hélas pour lui, une silhouette que je connais bien l'arrête, le fait basculer en arrière, et, pour faire bonne mesure, lui tranche la gorge. Je déglutis difficilement devant ce spectacle, je me croyais pourtant prête pour cela. Et je le suis.
Alors, je cligne lentement des yeux et reprends possession de mes membres, puis me dirige vers Tamarah. Elle est placée non loin de moi, elle tue ses adversaires avec une rapidité insoupçonnée, et je sais à présent qu'un certain nombre de sponsors ne regrettent pas d'avoir parié sur elle. Moi non plus, je ne regrette pas de l'avoir prise comme alliée.
Lorsqu'elle m'aperçoit, sans l'ombre d'un sourire, elle me lance un signe de tête. Nous sommes d'accord, allons chercher Clara avant qu'elle ne se fasse tuer. Elle est bien gentille, mais tente d'attaquer tout le monde, et oublie qu'elle n'a que quatorze ans ; si elle s'attaque à un tribut de carrière, c'en est fini d'elle.
Elle se bat présentement avec Milla Dominguez, du Douze. Je suis triste pour elle, car cette fille m'a toujours inspiré confiance, dommage que je n'ai pas pu la prendre comme alliée. Et, comme je déteste attaquer en traître, je me place rapidement aux côtés de Clara, et m'apprête à jeter un boomerang lorsque Tamarah projette un de ses couteaux en direction de sa gorge, qui a vite fait de l'achever.
Son corps émet un bruit sourd lorsqu'il retombe au sol, et aussitôt l'a-t-il touché que nous sommes reparties en direction de la forêt. J'adresse un regard triste en direction du corps d'Irwin ; malgré le fait que je le détestais, personne ne mérite de mourir si jeune. Personne.
Et ce n'est pas de la faute de Clara s'il est mort. C'est la faute du président Snow. Et, à chaque fois que je pense à ce nom, ma résolution se raffermit ; un jour, je le tuerai. S'il meurt, ce sera par ma faute.
- Lily, dépêche-toi ! me hurle Tamarah.
Je remarque que mes pensées m'ont entraînée dans une sorte de transe, et je me refuse à abandonner, alors je reprends possession de moi-même et m'élance à la poursuite de mes alliées, qui m'ont distancée d'une bonne dizaine de mètres. Mais bon, je cours plutôt vite, alors je les ai vite rattrapées.
Seulement, à peine je me retrouve à leurs côtés qu'elles s'arrêtent instantanément, et que du bruit se fait parmi les feuilles. Ceux qui le produisent n'ont absolument aucun instinct de survie ! Comment peut-on faire autant de bruit sans le faire exprès ?
Sans même le remarquer, nous avons dégainé nos armes, en même temps que ceux qui nous font maintenant face. Une alliance que je juge faible, plus faible que moi-même, composée de Julie Fine, Julie Larreste et Lucas Smole. Malgré leur visage menaçant, ils ne m'inspirent aucune crainte, et pourtant c'est ma première confrontation directe dans cette arène.
Pourtant, Clara ne semble pas vouloir s'éterniser, alors à peine mon regard a-t-il croisé celui de Lucas, elle projette un couteau sur chacun d'eux, nous laissant ainsi le temps de nous enfuir. Hélas pour nous, elle n'en tue aucun.
Puis nous courons. Nous courons. Je ne sais même pas vers où, mais nous courons. Tamarah la première, puis moi, et enfin Clara qui ferme la marche. Mon aînée semble avoir une destination très précise en tête, alors nous nous contentons de la suivre.
Clara semble avoir une confiance aveugle en elle, pourtant je ne peux m'empêcher de me méfier. C'est ce que Panem m'a appris, me méfier de tout le monde, seulement il ne me l'a pas très bien appris, car je fais une confiance inébranlable à Clara, ainsi qu'à tous les membres de mon district. Ils sont ma famille, je ne peux plus vivre sans eux.
Le terrain commence à se faire pentu, alors nous épuisons deux fois plus nos forces. Je propose plusieurs fois de nous arrêter, mais Tamarah refuse catégoriquement. Je ne sais pas ce qu'elle cherche, mais elle semble en avoir une idée très précise, ainsi je n'ose pas la contredire. Clara non plus.
Au bout d'une bonne demi-heure passée à courir, Tamarah accepte enfin que nous nous reposions ; elle pense que nous sommes à une distance respectable de la Corne d'Abondance.
Ce qui m'étonne le plus, est le fait qu'elle semble avoir changé du tout au tout depuis le Capitole. Elle qui était joyeuse, enjouée, égoïste parfois, elle est maintenant tout le contraire. Ce n'est pas que ça me déplaît, mais voir une personne changer à ce point est toujours étonnant, en tout cas pour moi.
Nous continuons tout de même à marcher jusqu'à ce que nous trouvions un point d'eau, ce que nous faisons dans les quinze minutes. Mes jambes sont encore tout à fait fonctionnelles, alors je ne me plains pas. Elles non plus, même si Tamarah grimace en s'asseyant.
Je ne l'avais pas remarqué jusqu'à présent, mais elles ont toutes les deux réussit à emporter un sac, contrairement à moi qui avais complètement oublié ce détail. Seulement, elles ne me le reprochent pas, et se contentent de déballer toutes les affaires, établissant une moyenne de ce que nous avons emporté.
Une corde, quelques biscuits secs, une lampe torche, deux paires de lunettes de nuit, une gourde pleine, voilà le butin de Tamarah. Nous la vidons à petites gorgées chacune, puis la remplissons à nouveau, purifions l'eau, et refaisons la même manœuvre. J'ai l'impression de n'avoir jamais autant bu. Mais nous gardons les biscuits pour plus tard, et rangeons soigneusement tout dans le sac.
Clara a, quant à elle, récolté une boite de premiers secours, ce qui nous arrache un sourire ; elle contient des bandages, de petits cachets, et une pommade anti-brûlures. Elle a dû s'aventurer bien loin pour atteindre tout cela. Le reste du sac contient une demi-douzaine de couteaux, ainsi que des fruits séchés. Avec cela, nous ne mourrons pas.
Tamarah et moi félicitons Clara sous ses sourires graciles. Elle papillonne des paupières pour nous remercier, et finit par nous ordonner de nous remettre en route, ce que nous ne tardons pas à faire. Et, malgré nos supplications pour connaître notre destination, Tamarah refuse de nous en dire plus.
Clara envisage de l'abandonner pendant la marche, mais je refuse à mon tour. Si nous exécutions cette action, nous nous ferions une ennemie mortelle, ennemie soutenue par une dizaine de sponsors. Alors, mon amie finit par comprendre, et suit sans plus protester.
Nous arrivons finalement au bout d'une nouvelle demi-heure, dans un endroit que nous n'aurions jamais soupçonné. Un immense lac à l'eau bleue électrique, soulignée de reflets argentés, se tient devant nous. La bouche de Clara forme un O devant ce spectacle, et aussitôt nous interrogeons Tamarah, sur le pourquoi du comment.
Elle nous explique avec facilité qu'elle a repéré un ruisseau, et qu'elle a appris que les ruisseaux mènent toujours à des points d'eaux, alors il n'y avait plus qu'à trouver lequel. Nous nous retenons d'applaudir, pour ne pas éveiller les soupçons, mais je me demande réellement à combien de mètres nous nous sommes éloignées.
Étant donné que nous avons marché plus d'une demi-journée, essentiellement couru en fait, nous devrions être à une journée de la corne d'Abondance. Cela me rassure, car les tributs de carrière préfèrent toujours y rester coltinés. Quant aux autres, je ne m'en inquiète pas trop, nous sommes tout à fait capables de nous défendre après eux.
Le soleil commence à se coucher. Mes deux alliées ont repéré un saule pleureur dont les feuilles suffiront à nous cacher, et dont les larges branches nous offriront un abri confortable et bien mérité.
Je propose de monter la garde cette nuit. Je ne suis pas fatiguée, pas encore, et j'ai besoin de faire le point. Sur les tributs, les Hunger Games, ma famille, moi-même. Alors, tandis que Clary et Tamarah s'en vont dormir dans les branches de l'arbre, je m'adosse au tronc, les jambes repliées contre mon ventre, les bras croisés par-dessus.
Je me sens bien. Ma tête penche sur le côté, observant le reflet de la Lune sur le lac, un spectacle magnifique. Si seulement le ciel n'était pas aussi pixelisé, j'aurais pu y croire. Si seulement le canon n'avait pas retentit, cinq fois, une fois pour chaque tribut décédé.
Nous sommes donc encore dix-neuf. Un record. Je ne savais même pas qu'autant de personnes pouvaient survivre à un bain de sang de cette ampleur. Alors, par respect pour les victimes, je relève la tête et aperçois parmi les feuilles les visages des défunts, couronnés par l'hymne du Capitole.
Mathis Baron, du Six.
Irwin Malik, du Neuf.
Jules Carlier, du Dix.
Martin Lucas, du Onze.
Milla Dominguez, du Douze.
Ce qui veut dire que tous les tributs du Un au Cinq ont survécu. Il va y avoir du spectacle, cette année. Les Capitoliens ont sûrement la même pensée que moi, même s'ils ne me voient sûrement pas présentement, je suis sûre qu'il y a plus intéressant à visionner.
Seulement, ils doivent bien m'avoir montrée quelques secondes, afin de dire aux spectateurs que je suis en vie. J'espère que mes frères sont fiers de moi. J'espère qu'ils vont bien. J'espère de tout mon cœur que les personnes du district ne les ont pas laissés tomber.
Après tout, ils ont bien eu une chance effroyable, jusqu'à cette année ; aucun Smolan n'a jamais été sélectionné avant moi. À croire que je porte malheur. Pourtant, dans mon district, tout le monde ou presque m'apprécie, alors ils espèrent sûrement que je leur revienne vivante. Si je le fais, je serai l'une des tributs les plus jeunes qui en auront réchappé. Quinze ans est l'âge minimum, du moins présentement.
Une pensée me vient pour la famille Malik. Me détestent-ils ? Sûrement. J'ai abandonné leur fils dans les bras de la mort, j'ai laissé ma plus proche alliée s'occuper de lui, sans même larmoyer une seule fois. Alors, je me baisse à nouveau, et marque de mon doigt dans la terre humide les noms des défunts. Je sais qu'ils méritent bien plus, mais je ne peux absolument rien faire d'autre.
Et je sais qu'ils ne le montreront pas à la rediffusion.
Soudain, un nouveau coup de canon vient me tirer de mes pensées, suivi d'un visage. Celui de Tom Donnars, le tribut du Quatre. Mon esprit se tourne alors vers Jane, sa petite amie. Elle doit être effondrée. Mon cœur se pince à cette idée, mais je secoue la tête. Pas question de m'occuper du malheur des autres.
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