|| 04 ||
Train , Rocheuses , Panem
Départ : District Neuf
Arrivée : Capitole
Un bruissement de feuille contre mon oreille me réveille d'un bond . Je sursaute , assise sur ma chaise en bois luxueux , dans une position fort désagréable .
Ma tête repose contre le bois froid , maintenant qu'on s'est emparé de la feuille qui me faisait office d'oreiller , mon dos est carrément distordu étant donné que le bureau est plutôt bas .
Je me relève non sans difficulté et étire tous mes membres , de mon cou jusqu'à la plante de mes pieds , puis je jette un coup d'œil endormi vers Samuel .
Évidemment .
Qui d'autre aurait pu venir me réveiller sans se prendre un coup dans la tête ? D'ailleurs , maintenant que j'y penses , l'idée est très tentante .
Mais , une fois de plus , comme s'il avait lu dans mes pensées , il marmonne :
- N'y penses même pas . Il est presque midi . C'est toi qui est en retard . Amela est en larmes .
Pendant qu'il parle , il ne daigne pas relever les yeux de la feuille . Je ne réponds pas , car je n'ai aucune envie de connaître la raison des pleurs de mon hôtesse . J'en ai quand même une petite idée . Cela doit concerner le fait que j'ai dormi habillée - en même temps , je n'allais pas mettre un pyjama pour dormir ici - ou sur un bureau , ou jusqu'à midi .
Mais qu'importe . Les états d'âme d'Amela Finley sont bien la dernière de mes préoccupations .
Elle et moi pleurons pour des raisons radicalement différentes . Entre ma mort certaine et le non-respect de l'horaire , il y a quand même une sacrée différence .
Enfin , c'est mon avis .
Je tourne la tête en direction de mon nouveau mentor , et hausse un sourcil à son intention . Je veux savoir ce qu'il en pense . Je m'attends soit à un sourire avec des encouragements , soit à une grimace de dégoût avec des explications .
J'observe son comportement ; il a l'air de plus en plus choqué à chaque ligne .
Puis , sans prévenir , il se tourne brusquement vers moi et me prend par les épaules . Je sursaute , prise au dépourvu et écarquille les yeux face à cette attitude inattendue .
- Pourquoi est-ce que tu écris des choses comme ça ?
Je me dégage d'un geste brusque puis hausse les épaules d'un air dédaigneux , en montrant tout mon mépris pour sa raison .
– Hmm ... Je ne sais pas . L'inspiration , sûrement .
J'affiche un grand sourire , lui creuse ses joues de manière agacée .
– Sais-tu ce que tu exprimes dans cette chanson ?
– Oui . L'injustice de ce pays , je lui crache .
– Tu ne comprends pas .
– Il n'y a rien à comprendre .
– Si quelqu'un tombe dessus , c'en est fini de toi , Lily !
– Laisse-moi te dire quelque chose , Samuel , je réplique d'un ton froid . Nous sommes dans un train à destination du Capitole . Et pourquoi allons-nous au Capitole ? Pour une promenade de santé ? Non , pour les Hunger Games . Alors , que quelqu'un tombe dessus ou pas , ça m'est bien égal .
Je me lève d'un bond , lui prend la feuille des mains , et lui donne un grand coup d'épaule pour dégager le passage . En sortant de la pièce , je lui lance de manière sarcastique :
– Ravie de t'avoir connue .
J'entends un soupir lorsque je m'engage dans le couloir , mais je m'en fiche . Et , dans un signe d'insolence extrême , je jette la feuille désormais pliée en quatre dans le couloir , de manière à ce que n'importe qui puisse la lire .
Que je meure maintenant ou dans cette arène , ça m'est bien égal .
J'espère que c'est Amela qui tombera dessus . Un sourire sardonique se dessine peu à peu sur mes lèvres .
Qu'en pensera-t-elle ? Sûrement que j'ai perdu l'esprit . Je me demande seulement si elle prendrait ma défense . Après tout , elle adore notre district , et s'est toujours comportée de manière monstrueusement gentille avec moi . Mais les avis changent parfois .
Il me tarde de sortir de cet affreux train . Même s'il est riche en nourriture , en luxe et autres , j'ai l'impression d'y étouffer . C'est un effet sûrement dû à la peur des Jeux de la Faim .
Rien qu'à y penser , je tremble . C'est vrai , qui n'aurait pas peur des Jeux ? Je suis sûre que même les carrières , au fond d'eux , sont un tant soit peu effrayés .
Peut-être que , comme les tributs du Quatre , certains s'aiment . Cela leur fera donc trois fois plus mal qu'à moi s'ils perdaient leur coéquipier . Il m'a semblé voir une complicité certaine entre les tributs du Un . Peut-être que , à cause de ces liens tissés , il leur sera plus difficile de l'emporter .
Voilà qui me redonne le sourire .
L'après-midi passe comme dans un rêve . Le train s'est arrêté pendant six heures pour cause de fuite de gaz , si bien que nous n'arriverons pas au Capitole avant demain matin . Un sacré scandale , qu'Amela n'a cessé de souligner avant que je ne m'enferme dans ma chambre . Le District Neuf sera en retard , ainsi que le Cinq , le Sept et le Douze . Ils ont donc dû déplacer la cérémonie des chars au lendemain .
Cela me soulage . Un petit jour de répit avant d'être plumée comme un poulet .
Je ne reparle pas à Samuel de la journée . Apparemment , il est consterné de mon comportement , et je m'en félicite . Je passe mon après-midi assise en tailleur sur mon lit - toujours aussi moelleux - et imagine toutes les manières dans lesquelles ma chanson pourrait être jouée . Quand je m'en lasse , je m'allonge à plat ventre et commande un pleine assiette de fois gras .
Je n'en ai jamais goûté , mais je l'ai toujours voulu . Ça m'a l'air délicieux .
Et ça se révèle délicieux .
La seule chose qui m'étonne , c'est qu'il n'y a pas la moindre trace de gras dessus , alors que , lorsque je passais devant le boucher , il était couvert de couches de graisse jaunâtres , peu appétissantes . Donc je savoure .
Quelques minutes après que j'ai fini l'assiette entière , quelques tocs retentissent à ma porte . Un peu étourdie par le verre de vin que j'ai commandé juste après , je m'écrie d'une voix peu glorieuse :
- Casses-toi , Samuel ! Pourquoi tu veux tout le temps me voir ?
Silence . Puis la porte s'ouvre - ou plutôt coulisse - sur le visage d'Elsa . Elle a le visage rouge , les cheveux en bataille . Malgré l'effet du vin , il ne me faut pas la dévisager longtemps pour remarquer qu'elle est en colère . Très en colère .
D'un bond , elle se précipite vers moi - ce qui me fait lâcher un hoquet de surprise - et envoie valser d'un revers de la main l'assiette graisseuse qui se fracasse contre le mur d'en face , ainsi que le verre à pied . Je me recroqueville sur moi-même - c'est vrai qu'elle est impressionnante quand elle s'énerve - , mais elle m'empoigne les cheveux d'une main en s'écriant :
- Stop ! Tu m'entends , Lily ? Stop ! Tu fais n'importe quoi , tu rejettes les gens qui veulent t'aider , mais qu'as-tu dans la tête ? Samuel est désemparé , il se demande quoi faire avec toi , et franchement , moi aussi ! Grandis un peu , Lily ! Ton mentor est dans sa chambre , il est en larmes !
- Sérieusement ? je glousse . C'est bon , qu'est-ce que j'ai fait ? Quand il m'a demandé d'commenter les tributs , j'l'ai fait ! Je n'lui doit rien ! Alors laissez-moi tranquille ! Vous avez pas compris que vous épuisez vos forces pour rien ?
Elle me regarde sans comprendre .
- Je suis un cas désespéré , je souffle .
Elle me dévisage sans cacher son dégoût , puis le lâche avec violence et s'essuie la bouche . Elle ose quelques pas vers la porte , mais s'arrête un instant avant de lancer :
- Les ordures comme toi , on les laisse crever dans cette putain d'arène .
Puis elle claque la porte avec une violence impressionnante . Bon , je dois avouer qu'elle n'a pas totalement tort . Je n'ai pas beaucoup fait d'effort de maturité , aujourd'hui , mais bon . Si je le suis plus , que va-t-on dire ?
" Lily Smolan , district Neuf , très mature , est décédée . "
C'est cool ça comme mort , non ? Une de mes qualités sera mise en scène , mais personne ne le prendra en compte .
Mais une petite - toute petite - partie de moi s'en veut d'avoir mit Samuel dans cet état . Mais je ne veux pas aller le voir . Mais j'en suis obligée , si je veux avoir un mentor . J'ai l'impression qu'il est mon seul ami , dans ce monde . Et ce n'est pas comme ça que je réussirais à le garder .
Alors , j'étires toute mes articulations , puis je me lève de mon lit et ouvre la porte . Dans le couloir , je croise Elsa et Irwin qui se tiennent la main . Je crache à leurs pieds , pendant qu'ils m'observent d'un air dédaigneux , puis m'enfuis sous les cris de ma toute première mentor .
Je sais où est la chambre de Samuel , donc je me précipite avec un chemin précis dans la tête , vers la troisième porte à gauche du deuxième wagon . Quand j'entre , l'air est humide , et j'entends des sanglots dans un coin de la pièce , à l'endroit du lit .
Je lance un regard bref vers l'écran , et mes yeux sont tout de suite hypnotisés par l'image que je vois . C'est un enfant terrorisé , un jeune garçon , qui se fait remplacer par un volontaire , dans le District Un . Et ce volontaire ne s'appelle pas Micka Smith .
Je balbutie :
- Que ... ?
Il sursaute , puis tourne la tête vers moi . A ses yeux , les pièces du puzzle s'emboîtent , et je comprends enfin .
- Ce sont ... tes Hunger Games ?
Il approuve en hochant la tête , et je reste interdite pendant quelques instants . Mais je sais que , en cet instant , il a besoin de mon soutien . Je me cale donc sur le lit , avec lui , au creux de son bras gauche . Et je regarde . Ce que je vois me glace d'effroi .
Vingt-quatre tributs tirés au sort , condamnés à une mort plus que certaine . Je repère tout de suite ceux qui ont une chance ; les carrières du Un , du Deux , la fille du Quatre , le garçon du Sept . Et , bien sûr , Samuel .
Il se fait plus remarquer car le film a été mis en scène de façon à ce qu'il en soit le héros . Quand je jette un coup d'œil vers son visage , je me dis qu'il n'a pas tellement changé . Sa réaction a été lui aussi de sourire . Je me rends compte à quel point il est beau . Malgré tout , la peur se lit dans ses yeux bleus .
Les commentaires des speakers n'offrent pas grand intérêt , et on passe à la cérémonie des chars . Sam ne porte qu'une ceinture de blé , ainsi qu'une sorte de jupe cousue de motifs céréales . Il porte également un chandail assorti . Il faut bien avouer qu'il n'a pas fière allure . J'étouffe un gloussement dans ma main , qu'il n'entend pas . S'il l'a entendu , il n'en prend pas compte .
Il n'est pas très apprécié par le public . Ceux-ci sont plutôt occupés à acclamer les deux tributs du Un , vêtus de grands chapeaux à plumes multicolores , ainsi que de costumes bleu électrique avec des grandes bottes dans le style santiag . Ce n'est pas vraiment mon style . Pourtant , je suis sûre que certains Capitoliens s'habillent comme cela pour aller travailler . Mais que dis-je ? Ils ne travaillent pas .
Vient l'heure des interviews . Les autres passent rapidement , si bien que je n'en remarque pas grand-chose , mais le réalisateur s'est attardé sur celle de Sam . On le découvre beau , bien coiffé , avec un peu l'air d'un premier de la classe . Je devine tout de suite son approche . Il a choisi de jouer le tribut effrayé , celui qui ne connaît rien à la tuerie , ou aux Hunger Games , ou à ces choses-là .
Pendant son interview , il feint le garçon effrayé , se confie à Julius en lui disant que son rêve est de devenir vétérinaire , puis , au bout des trois minutes , fond en larmes . Je suis impressionnée par sa mise en scène , car il est vraiment très convaincant .
Je tourne la tête vers lui et murmure :
- C'était du cinéma , n'est-ce pas ?
- Bien sûr , marmonne-t-il .
Néanmoins , il n'en semble pas convaincu .
Oubliant cette remarque , je me concentre sur le film . C'est le premier jour des Jeux . Les plaques métalliques montent , et les tributs doivent attendre soixante secondes , autrement dit une minute , avant de commencer . Pendant ce temps , ils découvrent l'arène . Celle-ci a tout d'une arène banale , sauf qu'elle n'est sacrément pas pratique .
Des plaines . Seulement des plaines à l'horizon , ainsi que quelques marres , et des champs de blé . Le salut de Samuel . Les plaques métalliques se trouvent sur la plus haute des plaines , et tout le butin est empilé à l'intérieur . Seuls quelques sacs sont éloignés , mais chacun juste devant une plaque métallique .
L'un d'eux - le garçon du district Six , je crois - tente de s'en saisir , la plaque explose et lui avec . Un coup de canon retentit , et les autres tributs le regardent , médusés . C'est là que le gong retentit . La plupart sont trop étonnés pour sauter de leur plaque , pas Sam . Il a déjà atteint la Corne d'Abondance , c'est le premier . Il s'empare d'un sac - je remarque alors qu'il n'a pas touché au sien - , puis il s'enfuit dans la forêt .
On sait maintenant pourquoi . Dès que les tributs essaient de l'ouvrir , il leur explose à la figure , et les emporte dans la mort .
Mais Sam n'a pas le temps d'assister à ce spectacle . Il est loin maintenant , il se dirige vers les blés , où il est sûr que personne d'autre va se rendre . Mis à part les tributs du Onze . Mais il les éliminera sans broncher avec sa hachette .
Le soir venu , plusieurs coups de canon retentissent . Non , pas plusieurs . Dix-sept . Dix-sept coups de canon . C'est un record . J'en suis étonnée . Sam est installé dans les blés , invisible , il s'est installé un campement et commence à fouiller son sac .
Il remarque , quand les visages défilent dans le ciel , que les six carrières sont les seuls survivants à part lui . Voilà qui tombe mal . Heureusement , pendant les jours qui suivent , les quatre autres carrières meurent , sûrement après s'être entre-tués .
Le voilà donc en lice pour la couronne avec la fille du Quatre et le garçon du Un . Il fuit et les entraîne près d'une falaise . Le garçon y tombe et meurt , mais la fille ne se laisse pas prendre . Cependant , elle est sacrément amochée , et semble très en colère . Sam ne fait pas le poids face à elle .
Il lui lance sa machette dans le crâne , mais elle se baisse et esquive . Elle ricane et se couche sur lui , lui bloquant le mouvement de ses jambes . Mais ses bras sont utilisables , et il attrape un couteau dans sa ceinture et le plante dans son cœur . Des trompettes sonnent sa victoire , et il revient au Capitole dans un luxueux hélicoptère . Puis c'est fini .
- Voilà ce dont je rêve toutes les nuits , me confit-il , ce qui m'arrache un hoquet de surprise . Et ce dont tu rêveras aussi , si tu en réchappes .
- Je suis forte , dis-je . Je survivrais . J'en ai la conviction , et je vais tout faire pour .
- Tu changes rapidement d'avis .
- Remercie Elsa . Je lui prouverais que je ne suis pas une ordure .
Il semble choqué , sûrement qu'Elsa ait prononcé ses mots , mais , avant qu'il puisse ouvrir la bouche , je lui plante un vif baiser sur la joue et sors de la chambre sans demander mon reste . Devant la porte , je découvre Amela , prête à toquer .
- Qu'y a-t-il , Amela , je soupire .
- Nous sommes arrivés , sourit-elle .
A ces mots , je me précipite dans la salle à manger , et découvre la merveilleuse vue du Capitole . D'immenses tours aux façades irisées , quelques théâtres et autres bâtiments aux couleurs vives , qui tapent à l'oeil . Le seul son que je parviens à sortir devant cela est :
- Waw ...
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