✥ chapitre 2
Les premières lueurs de l'aube pénétrèrent dans la chambre et Hyunjin, encore à moitié endormi, fronça les sourcils. Il retroussa le nez et, alors qu'il était allongé sur le dos, pivota sur le côté. À tâtons, il avança la main à la recherche d'une présence, d'un corps nu, d'une chaleur, mais rien. Il lutta pour ouvrir les yeux et face à lui, il n'y avait qu'une place vide. Il ne réagit pas tout de suite. Les bières qu'il s'était enfilées lui avaient causé un sacré mal de crâne, et la nuit mouvementée qu'il avait passée avait eu raison de son corps. Il était éreinté, courbaturé, prêt à se disloquer en mille morceaux. Et pourtant, il sourit. Il sourit malgré la douleur qu'il ressentait au plus profond de ses entrailles. Ses bras, ses jambes, son cuir chevelu, sa gorge, sa nuque, et même le bout de ses orteils le faisaient souffrir. Mais ce qu'il aimait ça, souffrir après une longue et intense nuit de débauche. Il aimait avoir mal, mal jusqu'à croire qu'il avait encore une présence en lui. Mais plus personne n'était là, même pas à ses côtés.
Younghyun avait sans doute dû fuir avant le lever du jour, pour que personne ne s'imagine qu'il s'était envoyé en l'air pendant des heures dans une taverne. Un marchand avec autant de classe que lui devait garder une belle image, il n'était visiblement pas mieux que les autres, à fuir la réalité de leurs actes. C'était toujours comme ça. Hyunjin ne voyait que rarement ses conquêtes au réveil, sans doute que la nuit et l'alcool les rendaient moins inhibés et qu'une fois l'euphorie descendue, ils se rendaient compte de ce qu'ils avaient fait. Il pensait Younghyun un peu différent des autres, mais il s'était trompé.
Son cœur se serra. Il avait aimé partager cette nuit avec lui, il avait aimé ses mots, ses gestes, même les plus tendres. Il avait été impitoyable, mais il avait aussi été doux entre deux parties de jambes en l'air sauvages. C'était un homme de contraste, et Hyunjin s'était surpris à apprécier.
Il soupira et se remit sur le dos, le drap blanc couvrant seulement son bas-ventre. Il resta un moment dans la même position, les yeux fixés sur le plafond sale et décrépi. Son torse se soulevait lentement, de manière régulière, et il laissa les battements de son cœur résonner dans tout son corps. Il s'était senti vivant une nuit de plus, mais désormais, il avait la sensation que tout s'évaporait. Il retournerait au château et reprendrait sa misérable vie de troisième né. Il devrait répondre à des exigences dont il se fichait, jouer le rôle du parfait petit prince alors qu'il n'était que le vilain petit canard de la famille. Avec un peu de chance, il croiserait la seule et unique personne pour qui il avait de l'admiration et du respect. Et avec un peu de chance, il lui accorderait un regard, un sourire sincère, un simple « bonjour » qui lui ferait totalement perdre ses moyens. Il inspira à pleins poumons et relâcha tout. Si seulement il pouvait obtenir l'objet de tous ses désirs.
Il se redressa d'un bond, les yeux grands ouverts.
Ce qu'il désirait le plus ? Ces mots firent écho dans sa tête et il balaya la pièce d'un œil hagard. Younghyun ne lui avait rien donné, il était parti sans même respecter son marché. Hyunjin tapa violemment des poings sur le matelas. Même s'il s'était montré moqueur, il avait cru à ses belles paroles, il avait espéré qu'il puisse lui venir en aide. Et il s'était volatilisé. Il était parti comme un voleur et l'avait abandonné à son désespoir.
Menteur. Il s'était fait passer pour un ange de lumière, mais il n'était qu'un diable.
Tant bien que mal, Hyunjin se leva. Il gémit de douleur et ses jambes faibles manquèrent de le faire flancher. Il avait l'impression d'avoir couru des kilomètres. Il n'imaginait pas que le lendemain serait si compliqué. Il était peut-être un peu déçu de n'avoir rien obtenu, mais il ne pouvait s'empêcher de jubiler du fait que tout son corps avait été ravagé. Il ramassa ses vêtements et les enfila, non sans ressentir quelques picotements. Sa chemise avait passé un sale quart d'heure et il la referma du mieux que possible. Il eut quelques difficultés à remettre son pantalon de cuir ; il dut se dandiner légèrement pour le faire passer le long de ses jambes et la sensation dans son bassin fit ressurgir en lui d'obscènes images. Il en frissonna, laissant échapper un petit couinement d'entre ses lèvres rougies et gonflées.
Il prit une minute pour contempler les rayons du soleil emplir la chambre et il leva la main pour aller à leur rencontre. C'était chaud sur sa peau, agréable. Il s'en détourna quand un scintillement lui tapa dans l'œil. Il se recula, pencha la tête sur le côté et plissa les yeux.
Sur la commode, un objet brillant semblait l'appeler. Il s'en approcha ; il s'agissait d'une pierre translucide, à la fois bleue et blanche, avec des reflets nacrés. Elle était accrochée à une chaîne en argent qui avait l'air de bonne facture. Hyunjin battit des cils. Et si Younghyun avait tenu sa promesse ? D'une main hésitante, le jeune homme se saisit du pendentif et le leva devant ses yeux avant de le tourner d'un côté à un autre. Il aurait presque pu voir son reflet à l'intérieur. Mais il ignorait comment ce simple petit objet allait pouvoir lui donner ce qu'il convoitait. Il pouffa de rire en imaginant qu'il avait peut-être une puissance cachée, un pouvoir obscur. Younghyun avait pu le récupérer d'un sorcier qu'il avait croisé durant un de ces nombreux voyages. Ou alors, son histoire n'était qu'un ramassis de foutaises.
Hyunjin haussa les épaules. Il passa autour de son cou et prit quelques secondes pour replacer correctement ses longs cheveux. Ils étaient emmêlés, mais il n'avait rien sous la main pour arranger ça. Il devrait attendre d'être rentré au château pour prendre un bon bain afin de se débarrasser de tous les fluides qui recouvraient sa peau.
Après s'être assuré qu'il n'avait rien oublié, il quitta la chambre. Les escaliers craquèrent, indiquant à la propriétaire des lieux que quelqu'un était sur le point de s'en aller. Derrière son comptoir, occupée à essuyer les chopes, elle se retourna et lança un regard équivoque au prince.
— Sacrée nuit, non ?
Hyunjin sourit tout en se mordant la lèvre. Il marcha jusqu'à elle et de sa poche, extirpa quelques pièces.
— Ton bel étalon a déjà réglé pour la chambre.
— Vraiment ?
— Ouais. Il était vraiment pas mal celui-là dis donc… Tu l'as trouvé où ?
— Ici, à cette même place, dit Hyunjin en pointant le tabouret où était installé Younghyun la veille.
— Bon sang, et j'ai raté un morceau pareil ! râla-t-elle en posant une chope sur les étagères.
Hyunjin lâcha un rire.
— Il était bien au moins ?
Il hocha la tête, l'air un peu trop béat. Il n'arrivait pas à chasser les scènes de leurs ébats de son esprit, mais aussi le fait que Younghyun lui avait laissé un présent. Ça le touchait, c'était la première fois qu'il recevait quelque chose de matériel en échange de son corps.
— Tant mieux ! s'esclaffa la femme. Allez rentre mon p'tit, sinon tu risques de passer un sale quart d'heure.
Il la remercia et la salua avant de quitter la taverne. La capitale commençait tout juste à s'agiter, les roues des carrioles remplies de marchandises diverses faisaient résonner un tintamarre dans les rues, annonçant aux habitants que la place du marché allait bientôt ouvrir. Ils ouvraient leurs volets, battaient leurs couvertures par les fenêtres, ou fumaient la pipe à l'air libre. Hyunjin appréciait ce spectacle à chaque fois qu'il était en route pour rentrer. Il aimait observer à quel point le peuple était fringant.
Il aurait aimé, vivre de cette façon, loin du château et des faux-semblants. Là-bas, il devait jouer un rôle, jouer au bon petit garçon. Il n'en était pas un, il n'en serait jamais un. Être mignon et gentillet, ça l'ennuyait. Et pourtant, il s'efforçait de le paraître devant l'homme qu'il aimait. Il ne voulait pas qu'il le déteste, il désirait qu'il le voit, qu'il lui sourie, qu'il le complimente, même si dans le fond, il ne le méritait pas. Il savait que la situation était compliquée. Lui, le prince détraqué, être aimé d'un homme aussi pieux et droit ? Quelle vaste blague. Mais si tout changeait ? Si un jour il succombait et s'autorisait à goûter au fruit défendu ?
Hyunjin sentit une myriade de frissons parcourir sa colonne vertébrale. Le tableau qu'il peignait dans son esprit était une véritable œuvre d'art, une pièce maîtresse, teintée d'amour et de péché. De fantasme et de déchéance.
Il attrapa le pendentif dans une main et le serra très fort, comme s'il croyait réellement que ce morceau de caillou allait lui venir en aide d'une quelconque manière. Il se raccrochait à ce qu'il pouvait, il en avait besoin. Plus vite qu'il ne l'avait imaginé, il arriva aux abords du château et, après s'être faufilé discrètement par un chemin qu'il avait l'habitude d'emprunter à travers des fourrées, il passa par une des portes dérobées dont il avait volé les clés. Ça l'amusait de déjouer la surveillance des gardes, de se moquer de leur incompétence. Il n'étaient même pas capables de l'attraper, de le voir, et malgré toutes les fugues qu'il avait faites, il continuait à leur filer entre les doigts.
Après être remonté à la surface par un étroit escalier en colimaçon, il arriva dans l'arrière-cuisine. Il s'introduisit rapidement dans l'enceinte du château, dans la partie qui desservait les chambres de ses frères, et la sienne tout au fond du couloir. Il jeta un coup d'œil à sa droite et tourna à gauche. Il avança à pas de loup, craignant que ses bottes ne le fassent repérer. Il se figea quand il aperçut un de ses frères à proximité de sa chambre. Il s'agissait de l'aîné de la fratrie, Jinyoung, et il n'était pas seul. Il était accompagné de Seo Changbin, un haut gradé de l'armée avec qui il était très ami.
— Hwang ! cria Jinyoung.
Hyunjin déglutit, mais il ne laissa aucune place à la peur. D'un pas assuré, son frère le rejoignit et se planta face à lui.
— Où étais-tu encore passé ?
— Je… Je me baladais.
Jinyoung passa une main dans ses cheveux noirs pour les replacer en arrière. Son regard démontrait de la colère, de l'agacement, et Hyunjin savait parfaitement où tout cela allait le mener. Son frère n'était pas du genre à se retenir, il avait un tempérament explosif, et surtout avec lui. Rien d'étonnant, Hyunjin aimait le provoquer, ça l'amusait de voir le futur roi de ce pays perdre son sang froid face à un gamin insoumis.
— Tu te baladais ? Espèce de sale mioche irresponsable !
Il lui envoya une gifle en pleine figure et Hyunjin resta de marbre. Il planta son regard noir dans celui de son frère, sans bouger, sans sourciller. Il ne l'impressionnait pas. Et la présence de Changbin non plus. Il avait beau avoir une musculature très développée et un visage fermé, ça lui faisait ni chaud ni froid.
— Je me baladais, répéta le jeune prince.
Jinyoung inspira et expira en une fraction de seconde.
— Mère est furieuse ! Tu avais des cours importants avec ton précepteur, et il est encore venu pour rien !
Hyunjin resta immobile. Jinyoung l'analysa de bas en haut, une grimace de dégoût déformant ses lèvres, puis il s'arrêta sur le collier qu'il portait. D'un geste brusque, il tira dessus pour l'arracher et le noiraud tenta de le récupérer.
— Rends-moi ça ! hurla-t-il.
— Ce sont les putains qui portent ça !
— Rends-le !
— T'es une putain ? se moqua-t-il.
— Rends-le !
Jinyoung leva le bras pour mettre le pendentif hors de la portée de son frère. Hyunjin ne cessait de répéter les mêmes mots à tue-tête, sa voix résonnant dans les couloirs du château.
— Il suffit !
Cette fois, c'était une voix féminine qui s'était élevée, mais terriblement intense et profonde. Les deux frères se stoppèrent quand la reine avança avec nonchalance vers eux, la mâchoire crispée et les poings serrés.
— Espèce de sale garce !
À son tour, elle administra une claque à Hyunjin, sur l'autre joue. Il avait le visage rouge, les larmes aux yeux, et la rage au ventre. Les coups de sa mère étaient les pires. Sa colère était épouvantable et tout le monde en avait peur. Il n'y avait aucun des trois frères capable de lui tenir tête, même son mari courbait le dos devant elle. Ici, c'était elle qui portait la culotte, personne d'autre.
— Tu es le pire fils qui soit.
— Il m'a pris…
— Ferme-la ! Je ne veux rien savoir, tu n'as aucun droit à la parole ici. Pas après ce que tu as encore fait. Regarde-toi ! Quelle honte !
Il baissa les yeux et ravala sa salive. Il voulait simplement récupérer son bien, c'était injuste.
— Va confesser tes péchés, immédiatement.
— Mère…
— Immédiatement !
Hyunjin sursauta et acquiesça. Il tourna les talons et se dirigea vers la chapelle qui se trouvait dans l'aile gauche. Il essuya ses larmes avec les manches de sa chemise, essayant tant bien que mal de faire taire ses sanglots. Il ne voulait pas que quelqu'un le voit dans cet état, il était misérable. Une véritable loque. Il ne supportait plus cette vie de captif, dans cette prison dorée. Il n'était rien pour la famille royale, il n'était qu'un fardeau, un enfant qu'ils auraient préféré envoyer aux oubliettes. Il était la honte incarnée aux yeux de ses parents, un déséquilibré, un démon. Il ne comptait plus combien de fois il s'était confessé, combien de fois il était forcé de se rendre à la chapelle pour prier, pour demander le pardon et le salut. Les prêtres lui avaient prédit un aller simple pour l'enfer, et il se demandait parfois s'il n'y était pas déjà arrivé.
Il renifla et épongea ses joues rouges avant d'entrer dans la chapelle. La porte s'ouvrit avant qu'il n'ait l'occasion de la pousser. Tout s'arrêta, le temps, son cœur. Il leva la tête et ses yeux s'ancrèrent dans les plus beaux yeux qu'ils lui avaient été donnés de voir dans sa vie.
— Hyunjin ?
Le prince s'inclina légèrement devant l'homme face à lui. Il n'arrivait pas à parler en sa présence, comme si sa langue était nouée. Il lui fallait un temps de réaction, pour qu'il se rende compte qu'il était bien dans la réalité, et pas encore une fois dans un de ces nombreux rêves.
— Hyunjin ? l'appela-t-il à nouveau.
Le jeune homme secoua la tête.
— Pardonnez-moi, mon père...
— Avez-vous pleuré ?
Il acquiesça et une chaleur étrange se propagea dans tout son être. Il n'arrivait plus à réfléchir de façon cohérente. Cet homme le rendait complètement fou, plus fou qu'il ne l'était déjà. Il afficha un mince rictus, la joie qu'il ressentait avait terrassé toute la tristesse d'un peu plus tôt.
Oui, Bang Chan avait le don de lui redonner le sourire sans rien faire de spécial. Il était spécial. Il était son tout, il était son plus profond désir, son envie inavouée. Il était le seul homme de tout ce royaume à l'avoir rendu éperdument amoureux, et Hyunjin savait combien d'hommes lui étaient passés sur le corps. Des dizaines, peut-être même des centaines. Mais il avait jeté son dévolu sur le plus pieux de tous, et c'était un défi de taille qu'il s'était lancé. Hyunjin l'avait toujours estimé, même s'il était un fervent religieux et que lui-même ne croyait en aucun dieu. Il voulait le charmer, le faire tomber dans ses filets. Il rêvait de se mettre à genoux pour lui, de lui vouer le culte qu'il méritait. Le seul vrai dieu qu'il y avait dans cette chapelle était Chan.
— Que s'est-il passé cette fois ? demanda-t-il d'un ton posé.
— Je… Je me suis encore enfui pendant la nuit…
Chan lâcha un faible soupir.
— Et mon frère m'a volé quelque chose de précieux.
Cette fois-ci, l'homme fronça les sourcils.
— Quoi donc ?
— Un présent que l'on m'a fait.
— Il vous le rendra, j'en suis sûr. En attendant, vous ne devriez pas partir la nuit, c'est dangereux et il pourrait vous arriver quelque chose.
— Je sais…
La main de Chan se planta sur le haut de son crâne pour y exercer de douces et lentes caresses. Le prince se sentit furieusement rougir, son cœur s'arrêta, son souffle se coupa.
— Je n'ai pas envie qu'il vous arrive quelque chose, Hyunjin, dit-il en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Oui, mon père… Je ferai plus attention.
— Je compte sur vous pour ne plus vous mettre en mauvaise posture.
Il hocha la tête et Chan lui déclara un sourire qui fit disparaître ses yeux. Il était magnifique, d'une prestance exceptionnelle. Il avait la carrure d'un soldat, mais chacun de ses mots était emprunt de bonté, de bienveillance, de douceur. Chacun de ses gestes relevait du divin. Quand il posait les yeux sur lui, quand il posait la main sur lui, Hyunjin se sentait fondre. Il se sentait mourir à petit feu. Quand Chan lui accordait de l'importance, il se sentait enfin spécial. Il voulait croire qu'il comptait un peu pour lui. Il était le seul à se comporter de cette manière à son égard, à ne pas juger ses frasques, à s'inquiéter pour son sort. Les autres se préoccupaient seulement de l'image qu'il pouvait leur donner, des répercussions que ses actes pouvaient avoir sur leur réputation.
— Vous me le promettez Hyunjin ?
— Oui, je vous le promets.
— Parfait. Considérez que vous venez de confesser vos péchés.
Il lui décocha un bref clin d'œil avant de s'éclipser hors de la chapelle, et Hyunjin en resta coi. Il posa une main contre sa poitrine, au niveau de son cœur. Il battait comme jamais, et il battait pour Chan. Il l'aurait. Il ne pouvait en être autrement, ou sinon il mourrait de chagrin.
***
▶️ j'espère que vous vivez bien la rencontre avec Père Chan 👀
J'ai décidé de poster sur Lilith tous les jeudis, donc je vous dis à la semaine prochaine (●'▽'●)ゝ
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