L'automne touchait à sa fin, les arbres avaient perdu leurs couleurs et la fraîcheur de l'hiver commençait à se faire sentir. Les ermens arrivaient enfin à trouver un semblant de paix sur leurs terres.

Cela faisait six ans qu'ils étaient en guerre. D'abord avec les falens, à l'ouest, qui avaient attaqués leurs amis les thyüls. Puis avec les zurks, qui ont saisi l'occasion que toutes les forces ermens se soient positionnées à l'autre bout du continent pour envahir et piller la côte est.

La fin de l'automne marquait le sixième mois consécutif de paix dont profitaient les ermens. Certains zurks traînaient leurs coutelas et pistolets sur les côtes ermens, mais ces derniers considéraient que cela ne changeait rien à leurs habitudes d'avant-guerre. Car les conflits entre zurks et ermens remontaient aussi loin que les contes pouvaient les amener.

 Au nord du pays, Lila Tolen avait grandit non loin de la forêt de Dehan. Lila n'avait pas été réellement touchée par les combats. Elle ne connaissait rien des relations étrangères et s'était très peu intéressée à autre chose que sa petite vie de future guérisseuse.

Elle vivait depuis deux ans au monastère de Dehan, situé dans les collines reculées au nord-ouest de la capitale nommée Jayal. Comme tous les ermens, elle avait reçu un Don à sa naissance, celui de maîtriser la terre.

Chaque ermen recevait de la part de leur Dieu un Don de la nature. Que ce soit le feu, la terre, l'air ou l'eau, chacun maîtrisait un des quatre éléments. Une maîtrise très minime pour la majorité. Généralement, il leur était possible de ne créer qu'un filet d'air, de petites gouttes d'eau, de démarrer un petit feu ou alors soulever quelques cailloux par la pensée.

Les parents de Lila, des fermiers vivant à quelques jours de marche du monastère, avaient toujours mis en garde leur fille contre son Don car il était très facile de blesser avec des pierres volantes. Depuis son plus jeune âge, ils lui ont imposé de ne l'utiliser de manière discrète et exceptionnelle. Règle que la jeune fille respecta avec soin.

 Pendant son enfance, Lila avait passé de nombreuses journées à aider ses parents à la ferme. Marc et Sélène Tolen élevaient des bêmons, des bêtes inoffensives dont leur pelage moutonneux servait à la confection de vêtements. En parallèle, Lila avait appris avec ses voisins l'art de la culture. C'est ainsi qu'elle s'était passionné pour les plantes et leurs capacités à nourrir, soigner et parfois empoisonner.

La jeune ermen avait toujours eu une grande sensibilité et une envie de soigner chaque blessure que pouvait porter les êtres qui croisaient son chemin. Elle attirait naturellement la sympathie des autres et avec ses beaux cheveux blonds légèrement ondulés, ses yeux bleus bienveillants et son teint rosé, elle avait été l'enfant chérie de son village. On l'avait nommé « la petite guérisseuse » car la jeune fille accourait avec sa sacoche remplie de fleurs et tout autres fruits récoltés pour aider les paysans lorsqu'ils se blessaient ou avaient besoin d'un peu de force.

A treize ans, Lila avait fait le choix de rejoindre le monastère de Dehan afin d'apprendre toutes les connaissances des guérisseurs. Tout comme les paysans l'adoraient, les guérisseurs l'avaient accueillie à bras ouverts dans le monastère et tout les habitants s'accordaient à dire qu'elle apprenait très vite et faisait preuve d'une bonté sans limite.

 Le monastère de Dehan était l'un des meilleur monastère de tout le pays. Il était considéré comme « pur ». Les monastères purs étaient situés loin des villes et de la société afin de garder une perfection naturelle, loin de la barbarie et des vanités des ermens. Cet isolement était également un moyen de rester au calme et de pouvoir consacrer les guérisons à la bienveillance de Dieu.

Les ermens qui en avaient les moyens pouvaient faire des jours et des jours de voyage afin de se faire soigner dans ces monastères purs. Certains en profitaient même pour tenter d'expier leurs mauvaises conduites.

 Depuis le début de sa formation il y a deux ans, Lila passait beaucoup de temps au potager où elle écoutait tous les conseils de la vieille guérisseuse Eona sur le bien-être des plantes.

Ce potager contenait une dizaine de rangées de terre de vingt mètres de long. On y cultivait assez pour nourrir une grande partie du monastère et confectionner bon nombre de différents remèdes. Afin de protéger les plantes du mauvais temps, les guérisseurs avaient disposés des barres métalliques autour des rangées qu'ils avaient recouverts d'un léger tissus blanc pouvant laisser passer la lumière.

Lila adorait le potager. Elle s'y sentait bien. Voir les pousses grandir, les fleurs s'épanouir et répandre leurs différents parfums ravissait la jeune fille. Lila adorait les reconnaître rien qu'avec les senteurs. Elle espérait pouvoir devenir un jour l'assistante d'Eona en tant que responsable du potager.

La vieille guérisseuse appréciait beaucoup Lila et son implication. Il leur arrivait d'oublier l'heure de la prière lorsque toutes les deux se lançaient dans des conversations à propos des plantes. Cette passion commune les avaient rapidement rapprochés.

 Ce jour là, Lila et Eona étaient en compagnie de trois autres guérisseurs pour récolter des herbes médicinales. Param, un jeune apprenti arrivé presque en même temps que Lila, accourut pour demander l'aide d'Eona. Une calèche de légionnaires venait d'arriver avec un blessé. La vieille guérisseuse demanda à l'un de ses apprentis de la suivre et ordonna à Lila et ses deux autres camarades de continuer la récolte.

Lila n'avait jamais vu de légionnaire de sa vie. Il n'était pas rare que des ermens viennent demander des soins au monastère. Cependant, les légionnaires n'en avaient jamais eu besoin car une communauté de guérisseurs vivaient au sein de leur garnison.

Lila et les deux guérisseurs regardèrent les trois autres s'en aller au pas de course puis ils reprirent leur activité. Mais Lila était piquée d'une immense curiosité. Elle voulait voir ce qu'il se passait et elle souhaitait se rendre utile.

Pendant ses deux ans de formation, elle avait vu certains nobles ermens passer des jours de repos au monastère afin de se purifier mais seulement quelques rares pensionnaires avaient eu besoin de soins. La première année, Lila n'avait pas été autorisée à aider à l'infirmerie. Mais depuis quelques mois, Kylen, le guérisseur en chef, l'autorisait à l'aider sous son regard sévère et méticuleux. La jeune fille se doutait que le cas devait être bien grave pour qu'Eona soit appelée en urgence, ce qui ne calmait pas du tout sa curiosité.

Elle finit donc rapidement sa récolte et se dépêcha de se rendre dans les quartiers de l'infirmerie. Sur le chemin, elle passa par la grande place qui marquait l'entrée du monastère. Là, se trouvait une grande calèche autour de laquelle trois légionnaires discutaient. En la voyant arriver au pas de course, les trois hommes se tournèrent dans sa direction. La jeune fille ralentit brutalement son allure, faisant mine que rien ne venait perturber son quotidien. Elle se força à regarder devant elle, même si elle mourait d'envie d'observer ses personnages étranges, avides de combats. Elle entra dans le bâtiment principal et se dirigea vers la grande porte de l'infirmerie.

Depuis le couloir, elle put entendre des voix inquiètes.

- Pensez-vous qu'on ait les ingrédients, Eona ? fit la voix de Kylen.

- Je crois bien, mais je ne sais pas à quel point cela serait efficace. L'entaille est très profonde, elle aurait dû être soignée immédiatement.

- Vous êtes le meilleur monastère de la région, mes légionnaires et moi nous en remettons à vous.

C'était une voix inconnue, sûrement le capitaine de la division.

- Ils font partie de la quatrième.

Lila sursauta. Param, le jeune apprenti qui était venu chercher Eona était apparu derrière elle. Le jeune homme devait être fier de son apparition car il arborait un large sourire qui affinait son visage et faisait ressortir une pointe de malice dans ses yeux noisettes à moitié cachés par des bouclettes blondes.

- Le capitaine en personne est venu amener le légionnaire, reprit-il en tentant de voir ce qu'il se passait à travers la vitre. La blessure doit être grave.

Lila regardait elle aussi. Les guérisseurs et le capitaine leur tournaient le dos, sûrement pour regarder le blessé que les deux curieux ne pouvaient voir.

- N'est-ce pas normal que le capitaine accompagne sa division ? demanda Lila.

- Bien-sûr, seulement cette division est composée d'une cinquantaine de légionnaires, ils n'allaient pas tous venir pour soigner l'un des leurs. Pour des mission comme celle-ci, le capitaine aurait envoyé un lieutenant.

Lila n'y connaissait strictement rien aux fonctionnement des armées qui défendaient leur pays. Param dût le remarquer car il enchaîna :

- Sais-tu au moins quel type de personne entre dans la quatrième division ?

La jeune fille secoua la tête, signe de négation.

- Il y a sept divisions dans l'armée. En tout, il doit y avoir plus de cinq mille légionnaires. Et la quatrième division est connue pour être une légion d'élites. Non seulement ils sont formés au combat à l'épée, mais ils ont aussi la capacité d'utiliser leur Don de manière beaucoup plus poussée que nous. Ils peuvent soulever des énormes rochers s'ils le veulent ! Ils mélangent donc Don et épées pour se battre.

- Moi aussi je suis capable de soulever des rochers... Fit Lila, dubitative.

- Ne dis pas de bêtises, répondit Param en riant, les ermens aux Dons développés comme eux sont envoyé à la légion dès leur plus jeune âge. Ce n'est pas en soulevant un galet près de la mer que tu vas impressionner les légionnaires.

Param était toujours un garçon très sympathique, jusqu'au moment où il décidait de rabaisser son interlocuteur. Il ne ratait jamais une occasion de montrer à Lila qu'il avait des connaissances là où elle n'en avait pas. La jeune fille supposait qu'il faisait ça par jalousie, Lila étant plus douée que lui dans tous les domaines pratiques. Cependant, ce concours de qui serait le meilleur d'entre eux la fatiguait. Elle se dépêcha donc de changer de sujet.

- Pourquoi sont-ils venu ?

- Kylen a tenté de me garder éloigné, mais j'ai pu apercevoir la blessure, elle est vraiment abominable. C'est une énorme plaie infectée, des bulles blanches en sortent. Je ne sais pas comment se sont débrouillés les guérisseurs de leur garnison, mais nous avons du pain su la planche.

La description de Param rebuta Lila mais elle n'eut pas le temps de poser plus de questions. Le capitaine s'était retourné et se dirigeait vers eux.

Les deux apprentis se glissèrent rapidement vers la sortie du bâtiment, sans être vus.