Nina était restée chez moi depuis notre retour de la clairière. Je savais qu'elle voulait s'assurer que je ne sois pas seule après ce que nous avions traversé. Elle prétendait que c'était pour son propre bien aussi, mais je voyais bien son inquiétude dans son regard. Elle n'était pas du genre à céder à la peur, mais cette nuit-là nous avait toutes les deux marquées. La silhouette dans la clairière, les phénomènes étranges... tout cela flottait encore dans l'air, pesant sur nos épaules comme une ombre invisible.

Ce matin-là, je la trouvai en train de préparer du café dans ma petite cuisine. Elle avait toujours été douée pour apporter une dose de normalité, même dans les situations les plus étranges. Elle me sourit faiblement lorsque j'entrai dans la pièce.

« Bien dormi ? » demanda-t-elle avec un air faussement détendu.

Je haussai les épaules en m'asseyant à la table. « Autant que possible... et toi ? »

« Pas terrible. J'ai fait des rêves bizarres toute la nuit. » Elle me jeta un regard perçant. « Ça doit être à cause de cette nuit. J'arrête pas de penser à ce qui s'est passé. »

Je baissai les yeux. Moi aussi, je n'arrivais pas à détacher mes pensées de la clairière et de cette étrange présence que nous avions sentie. Mais avant que je puisse répondre, un bruit léger nous fit sursauter toutes les deux. Quelqu'un ou quelque chose venait de déposer quelque chose devant la porte.

« T'as commandé un truc ? » Nina s'avança vers la porte avec prudence.

Je secouai la tête, mon cœur battant plus fort. « Non. »

Nina ouvrit la porte avec précaution et baissa les yeux sur une petite boîte en carton posée sur le seuil. Elle la ramassa et referma rapidement la porte avant de me rejoindre à la table, la boîte dans les mains.

« C'est quoi ça ? » demanda-t-elle, scrutant le colis. Il n'y avait aucune étiquette, aucun nom d'expéditeur, juste mon prénom écrit à la main. Elle me le tendit avec un air perplexe.

Je pris la boîte, mes doigts tremblant légèrement. Une sensation d'inquiétude s'empara de moi. Ce colis n'était pas ordinaire. Je pouvais presque sentir une énergie émaner de lui, quelque chose de lourd et de mystérieux. Je pris une profonde inspiration avant d'ouvrir doucement le carton.

À l'intérieur, un vieux livre en cuir, épais et usé, attendait. À côté, une lettre soigneusement pliée. Je sortis le livre avec précaution, sentant son poids entre mes mains. Il dégageait une odeur de parchemin ancien, de secrets enfouis depuis des siècles. Nina se pencha au-dessus de mon épaule, les yeux écarquillés.

« C'est quoi ce truc ? Ça a l'air super vieux. »

Je ne savais pas quoi répondre. Mon esprit était en ébullition, rempli de questions sans réponses. Je posai le livre sur la table et pris la lettre avec des doigts tremblants. Dès que je la dépliai, les premiers mots m'assaillirent comme un coup de poing :

"À toi qui porte un lourd héritage,

Si tu lis cette lettre, alors le moment est venu pour toi de connaître la vérité."

Je fronçai les sourcils, mon regard accroché à ces mots. Nina, à côté de moi, lisait par-dessus mon épaule, et je la sentis se raidir.

« La vérité ? Quelle vérité ? » murmura-t-elle, jetant un regard méfiant vers le livre.

Je continuai à lire, incapable de détourner mes yeux du texte.

"Je suis un allié de ta lignée. Ce que tu as éveillé cette nuit-là est plus ancien que tu ne peux l'imaginer. Ce livre, ce grimoire, t'aidera à comprendre ce que tu es et à maîtriser les forces en toi. Mais sois prudente, car tu n'es pas seule : des ennemis veillent, et ils te poursuivront sans relâche."

Un silence tendu s'installa entre nous. Je pouvais sentir mon cœur battre dans mes tempes. Nina sembla retenir son souffle, son regard se posant alternativement sur moi et sur la lettre.

« Ennemis ? De quoi est-ce qu'il parle ? » demanda-t-elle enfin, sa voix à peine un murmure.

Je secouai la tête, tout aussi perdue qu'elle. « Je... je ne sais pas. »

Je reposai la lettre, ma tête tournant. Ennemis, allié, forces en moi... tout cela semblait si irréel, mais en même temps, tellement palpable. Depuis la clairière, rien ne me semblait plus tout à fait normal. Je me sentais connectée à quelque chose de plus grand, quelque chose de dangereux. Et maintenant, cette lettre venait confirmer mes pires craintes.

Je repris la lettre, mes yeux revenant sur les mots écrits en noir.

"Tu es la descendante d'une ancienne lignée de sorcières. Le sang qui coule dans tes veines n'est pas celui d'une fille ordinaire. Il est temps pour toi d'embrasser ton héritage, car de grandes forces sont en mouvement, et elles te chercheront, te testeront, te pousseront au-delà de tes limites. Mais souviens-toi que tu n'es pas seule. Cherche Gwenaëlle. Elle t'attend."

Mes mains se mirent à trembler. Sorcière. Moi, une sorcière. Tout ce que je pensais connaître de moi-même venait d'être balayé par ces quelques lignes. Une ancienne lignée ? Un héritage que je n'avais jamais soupçonné ? Je levai les yeux vers Nina, qui me fixait, bouche bée.

« Luna... c'est complètement dingue. » Elle secoua la tête, comme si elle essayait de se réveiller d'un mauvais rêve. « Tu crois vraiment que ça pourrait être vrai ?  »

Je n'avais aucune réponse à lui donner. Tout ce que je savais, c'est que quelque chose en moi me disait que tout cela était réel, aussi fou que cela puisse paraître. Les phénomènes étranges, cette énergie que je sentais circuler en moi, tout cela trouvait maintenant une explication. Mais c'était une explication que je n'étais pas prête à accepter.

Je regardai de nouveau le grimoire, sentant une étrange attirance pour lui. Ce livre contenait les réponses à toutes mes questions, j'en étais certaine. Lentement, je l'ouvris à la première page. Les symboles anciens inscrits sur le papier me semblaient à la fois familiers et incompréhensibles. C'était comme si une partie de moi les reconnaissait, mais refusait encore de comprendre pleinement leur signification.

« C'est un grimoire, non ? » murmura Nina, ses yeux rivés sur les pages.

Je hochai la tête. « Oui... je crois. »

Les pages semblaient vivantes, vibrantes d'une énergie ancienne. Chaque symbole, chaque mot inscrit ici représentait un fragment de mon héritage, de cette lignée dont je faisais partie sans même le savoir. Je tournai quelques pages, tombant sur des incantations, des sorts de protection, des rituels oubliés. Mais une page attira particulièrement mon attention. Elle portait un nom, écrit en lettres noires et épaisses : Gabriel.

Un frisson glacé traversa ma colonne vertébrale. Ce nom semblait résonner dans l'air autour de moi, comme une menace silencieuse.

« Gabriel... » murmurai-je, presque pour moi-même.

« Qui est Gabriel ? » Nina fronça les sourcils, se penchant un peu plus pour lire les lignes autour du nom.

Je secouai la tête, incapable de répondre. Tout ce que je savais, c'était que ce nom était lié à quelque chose de dangereux, de profond. Et maintenant, il semblait que ce Gabriel avait un rôle à jouer dans tout ce qui m'arrivait.

Je refermai brusquement le grimoire, incapable d'en supporter plus pour le moment. Mon esprit était saturé. Trop de révélations, trop de responsabilités. Comment allais-je gérer tout cela ? Sorcière. Ennemis. Un grimoire ancien. Et maintenant Gabriel ?

Nina me regarda, son inquiétude palpable. « Qu'est-ce qu'on va faire ? »

Je pris une profonde inspiration, essayant de calmer les battements frénétiques de mon cœur. « Je pense que... je dois trouver cette Gwenaëlle. Elle a l'air de savoir ce qui se passe. »

Nina hocha la tête, son expression sérieuse. « Et tu penses qu'elle est la clé pour comprendre tout ça ? »

Je pris une profonde inspiration, essayant de calmer les battements frénétiques de mon cœur. « Je pense que... je dois trouver cette Gwenaëlle. Elle a l'air de savoir ce qui se passe. » Ma voix tremblait légèrement, mais je savais que c'était la seule option. Cette mystérieuse sorcière était peut-être la seule personne capable de m'aider à comprendre ce que je suis devenue.

« Ça paraît fou, mais si cette lettre dit vrai, tu ne peux pas affronter tout ça toute seule. » Nina s'adossa à la chaise, songeuse. « Il faut qu'on parte à sa recherche. » Elle fronça les sourcils. « Mais... on ne sait même pas où commencer. T'as une idée de qui est cette Gwenaëlle ? »

Je secouai la tête, un sentiment d'impuissance montant en moi. « Non, aucune idée. La lettre dit juste qu'elle m'attend... mais où ? » La frustration bouillait sous la surface. Il y avait tant de mystères, tant de questions sans réponses. J'avais envie de crier, de tout rejeter en bloc. Mais ce n'était pas une option. Pas maintenant.

Je me levai et me dirigeai vers la fenêtre, contemplant la rue en contrebas. Le vent s'était levé, soulevant des tourbillons de feuilles mortes dans l'air frais de l'automne. Tout semblait paisible, ordinaire... mais à l'intérieur, je me sentais déconnectée de cette normalité. Je n'étais plus la même Luna qui vivait ici il y a encore quelques jours. Ma vie, autrefois banale, était désormais entremêlée avec des forces que je ne comprenais pas encore. Et le monde extérieur, avec sa routine paisible, me paraissait plus éloigné que jamais.

« Peut-être que le grimoire contient plus d'informations. » La voix de Nina me tira de mes pensées. Elle s'était levée, s'approchant de la table pour observer de nouveau le livre. « Ça doit bien parler d'elle quelque part, non ? »

Je me retournai pour la rejoindre, mon regard fixant à nouveau la couverture usée du grimoire. Peut-être avait-elle raison. Peut-être que la clé pour comprendre Gwenaëlle, et tout le reste, se cachait dans ces pages anciennes.

« Je vais continuer à lire. » Ma voix était plus ferme cette fois. Si quelque chose de dangereux me traquait, je devais être prête. Je ne pouvais plus me permettre de douter.

Nina me tendit un sourire rassurant. « Je vais rester avec toi, peu importe ce qu'on découvre. »

Ces mots suffirent à m'apaiser un instant. Je n'étais pas seule, et cela me donnait une force que je n'aurais jamais cru posséder.

Je repris le grimoire, mes doigts glissant à nouveau sur les pages jaunies par le temps. Chaque mot semblait chargé d'une énergie que je ne comprenais pas encore totalement. Il y avait des incantations de protection, des sortilèges de guérison... mais aussi des passages plus sombres. Certains sortilèges évoquaient des forces malveillantes, des créatures d'ombre, et des rituels anciens destinés à sceller des entités dangereuses.

Je m'arrêtai sur un passage qui mentionnait les anciennes lignées de sorcières. Mon cœur s'accéléra à nouveau en lisant les mots gravés à l'encre noire :

"Les gardiennes de l'équilibre sont liées par le sang. Chaque lignée possède ses propres dons, mais toutes sont unies par un seul objectif : maintenir l'équilibre entre la lumière et les ténèbres. Lorsque l'une d'entre elles s'éveille, les forces obscures ressentent son appel et se mettent en mouvement."

Je déglutis. Il ne faisait aucun doute que ce que nous avions déclenché cette nuit-là était bien plus grand que nous ne l'avions imaginé. Et les conséquences semblaient inévitables. Si l'éveil de mes pouvoirs avait attiré l'attention de forces obscures, je devais agir vite.

Nina, penchée à côté de moi, lisait attentivement les lignes. « Tu penses que c'est pour ça que ce Gabriel est mentionné ? » demanda-t-elle, désignant la page où le nom était apparu.

« Je crois... » répondis-je, hésitante. « Tout ce que je ressens, c'est qu'il est dangereux. Et s'il est lié à ces forces obscures...enfin je crois » Je n'osais pas finir ma phrase.

Nina serra les poings, son visage empreint de détermination. « Alors on va l'empêcher de te faire du mal. »

Je souris faiblement. Son courage me touchait. Malgré la peur, elle restait à mes côtés, prête à affronter l'inconnu. Mais moi... étais-je prête à affronter tout cela ? Mon cœur me disait que oui, mais mes mains tremblaient toujours en tenant ce livre, ce grimoire qui contenait toutes les réponses à des questions que je ne savais pas encore poser.

Une idée jaillit soudain dans mon esprit, une étincelle d'espoir que je n'avais pas ressenti depuis longtemps. « Et si on allait à la bibliothèque ? » proposai-je, la voix vibrante de curiosité et d'excitation. « Il doit bien y avoir des archives, des documents anciens... quelque chose qui parle de Gwenaëlle ou même de ma lignée. Je suis sûre qu'il existe des traces, quelque part, cachées dans des dossiers poussiéreux ou des livres oubliés. »

Nina se redressa, un sourire déterminé éclairant son visage. Ses yeux pétillaient d'une vivacité renouvelée. « Tu as raison, ça vaut vraiment le coup d'essayer ! Si elle est vraiment liée à ta lignée, on devrait trouver des mentions historiques, quelque part dans des registres, ou peut-être même dans des journaux intimes de l'époque... quelque chose qui pourrait nous éclairer. »

Avec un geste presque solennel, je refermai le grimoire d'un coup sec, comme pour ponctuer cette décision. Mes doigts caressèrent la couverture une dernière fois avant de le glisser dans la commode, hors de ma vue mais non de mes pensées. Il me semblait presque vivant, porteur d'une sagesse que je n'avais qu'effleurée.

Ce nouvel objectif m'emplissait d'un espoir fébrile. La brume d'incertitude qui nous enveloppait se dissipait légèrement. Nous n'étions plus de simples exploratrices plongées dans le noir ; nous avions maintenant une direction, un fil à suivre dans le dédale mystérieux de mon passé. Je pris soin de ranger le grimoire dans mon sac, sentant chaque fibre de son cuir ancien sous mes doigts, une étrange sensation de familiarité m'envahissant. C'était comme s'il faisait partie de moi, comme si un lien invisible nous unissait désormais. Je savais que je ne pouvais pas m'en défaire, pas tant que cette quête n'était pas achevée.

Nous sortîmes toutes les deux de l'appartement, marchant à vive allure vers la bibliothèque municipale. Le vent s'était renforcé, et une sensation de tension flottait dans l'air. Même Nina, toujours si joyeuse et insouciante, marchait en silence à mes côtés, ses traits tendus. Elle sentait probablement, tout comme moi, que quelque chose approchait. Nous ne savions pas encore quoi, ni quand, mais c'était là. Et ça se rapprochait.

En entrant dans la bibliothèque, l'odeur familière des livres anciens nous enveloppa. J'inspirai profondément, essayant de calmer l'angoisse qui menaçait de monter en moi. C'était un lieu de savoir, un sanctuaire de connaissances. Si quelque chose sur Gwenaëlle ou sur ma lignée se trouvait quelque part, c'était ici.

Nous nous dirigeâmes vers la section des archives, cherchant parmi les vieux registres et les ouvrages historiques. Après une demi-heure de recherche infructueuse, Nina s'exclama soudain, brandissant un vieux livre poussiéreux.

« Regarde ça ! Il y a un chapitre sur les légendes locales, et ils mentionnent une sorcière du nom de Gwenaëlle ! » s'écria-t-elle, les yeux brillants d'excitation.

Je m'approchai rapidement, mon cœur battant la chamade. Nina ouvrit le livre à la page en question. Il y avait un passage sur une femme, une sorcière qui avait vécu il y a plusieurs siècles dans la région. Elle était décrite comme une gardienne, une protectrice de l'équilibre entre les forces magiques et le monde des hommes. Mon souffle se coupa.

« C'est elle, » murmurai-je, bouleversée. « C'est elle... »

Nina hocha la tête. « On la trouvera, Luna. »