La maison des Feringord était comme ma deuxième maison. J'y ai même passé plus de temps que dans ma propre maison. Je la connaissais par coeur : chaque recoin, chaque meuble, chaque objet. Ça n'est pas étonnant, quand on y réfléchit bien ; Diana était ma meilleure amie depuis le CM2. J'avais déménagé, et c'était elle qui était venue me voir en première dans la cour de récré. Moi, j'étais toute timide à l'époque, et elle, têtue et fonceuse. Elle avait réussi à me redonner confiance en moi. Après ça, nous étions devenues inséparables, malgré nos caractères et nos intérêts complètement différents. Nous nous complétions. Comme le yin et le yang. D'ailleurs, c'était notre symbole. Dans nos chambres respectives, il est affiché le yang (blanc) dans la mienne et le yin (noir) dans la sienne. Mais Diana venait de rompre l'équilibre de notre univers. Il y régnait désormais le chaos et la désolation. Et j'étais la seule à assister à sa destruction.

Mon attention se reporta sur Eliana. Elle me fixait avec ses yeux vides. Je détournai les yeux. Son regard était trop difficile à supporter. Elle s'approcha près de moi et je vis des larmes qui commençaient à couler sur ses joues. Elle me prit dans ses bras, me serra très fort contre son corps frêle et sanglota. Je lui rendis son étreinte, et j'attendis qu'elle se calme. Je luttais pour ne pas m'effondrer moi aussi. Une fois remise de ses émotions, elle me lâcha pour prendre ma mère dans ses bras. Ma mère commença à lui murmurer des mots réconfortants. C'était une spécialiste pour calmer les gens. Elle me tendit le tuperware, et je quittai le hall pour me diriger vers la cuisine. Sur le frigo, il y avait des photos de Diana et des lettres de soutiens. Sur une des photos, nous étions ensemble sur une plage de Bretagne. C'était il y a 2 ans. Nous rions face à l'objectif, en nous tenant la main. Je décrochai le cliché et je regardai derrière. Je reconnus tout de suite l'écriture de Diana : légère, régulière et légèrement penchée. Il y est écrit " A une amitié qui durera longtemps, que nos rires restent éternellement l'écho de ces moments de bonheur. Je t'aime, Diana. " Mes larmes montaient. Je voulais craquer. Je voulais hurler sur cette maudite inscription, sur cette écriture parfaite. "POURQUOI?" Je replaçai la photo à sa position initiale et je détournai les talons. Je faillis percuter Alex qui se tenait juste derrière moi.

<< - Qu'est ce que tu fous là?

- Salut Morgane. Moi aussi je suis content de te revoir.

- Arrête ça, tu veux?

- Arrêter quoi?

- De faire comme si tu n'avais rien entendu. Tu étais là depuis combien de temps?

- ... Assez longtemps pour te voir te crisper sur la photo. >>

Je l'observai en détail. Il avait l'air... exténué. Normal, il venait de perdre sa petite soeur.

<< - Depuis combien de temps tu n'as pas dormi? >>

Il parut étonné de ma question.

<< - Dormir? Ça veut dire quoi déjà? Ah oui, quand tu es censé t'allonger sur un lit, fermer les yeux et les rouvrir le lendemain. Hum, laisse moi réfléchir... >>

Il compta sur ses doigts.

<< - 3 nuits, il me semble. Mais je ne me sens pas fatigué. Pour tout te dire... Je ne me sens même pas vivant, alors c'est pas étonnant que je ne ressente rien. Et toi? Tu as beau avoir mis de la peinture sur tes cernes, je vois bien que tes yeux sont fatigués. >>

Décidément. Alex a toujours eu ce don. Même dans la pire des situations, il arrivait à me faire sourire.

<< - Ce n'est pas de la "peinture", comme tu dis, mais du "maquillage". Prends-en note, tu veux?

- Toi aussi tu évites ma question. Mais j'imagine que tu n'as pas dormi plus que moi, vu ta tête.>>

C'était bizarre. J'avais l'impression d'avoir une discussion comme avant. Je m'attendais même à voir surgir Diana qui criait "Alex ! Arrête d'embêter Morgane! Viens te battre avec moi comme un homme!". Alors s'ensuivait une "bataille" de chatouille. De vrais gamins.

A ce moment, je n'ai pas pu me retenir. Les larmes me montaient violemment, de sorte à ce que je ne pouvais pas les refouler. Je me recroquevillai sur moi même, prise de gros sanglots. Des bras m'entourèrent, et Alex me serra contre lui. J'avais l'impression d'être dans un cocon, mais j'étais vulnérable.

Après ma crise passée, nous avons préparé du café et ouvert un paquet de gâteau. Nous nous sommes posés sur le canapé, dans le salon. Nous étions silencieux. Des secondes, des minutes, peut-être même des heures? s'écoulèrent. Je fixais ma tasse, sans pour autant en boire son contenu. Je n'osais pas le regarder. J'avais un peu honte de m'être ainsi dévoilée à lui.

<< - Morgane... >>

Oh non. Je vais devoir affronter son regard. Je levai les yeux. Il me regardait avec tendresse, mais aussi avec beaucoup d'inquiétude.

<< - Quoi?

- J'ai quelque chose d'important à te dire.

- A quel sujet?

- A propos de Diana. >>

Mon estomac se noua à la vue de son visage grave. Il enchaîna, mais il cherchait ses mots :

<< - Est ce que, euh...

- Ne tourne pas autours du pot.

- Bon, très bien. Es-tu au courant de la raison qui l'a poussé à faire ça? Avais-tu remarqué quoi que ce soit?

- La raison..? Alex, écoute, je suis vraiment désolée mais... Je ne suis pas au courant. Je suis pareil que toi, je ne comprends pas. Et non, je n'avais rien remarqué. Tu sais comment elle était, non? Toujours à cacher son jeu. Jusqu'au bout. C'était un de ses talents... et un de ses défauts.

- Je m'en doutais. Mais tu comprends, je devais être sûr. Je... je veux comprendre.

- Moi aussi, Alex.

- Elle a laissé quelque chose pour toi.

- Quelque chose... pour moi? >>

Il sortit de sa poche une enveloppe et me la tendit.

<< - Qu'est ce que c'est?

- Une lettre qu'elle a écrit juste avant de se donner la mort.

- Tu l'as lu?

- Oui.

-Et?

- Je ne pouvais pas entièrement la lire.

- Quoi?!

- Seule toi peux la déchiffrer. Elle l'a marqué. >>

Sans un mot de plus, je sortis la lettre de l'enveloppe et je l'ouvris.

"Chère Morgane,

Tu es une des personnes en qui j'ai réellement confiance, toi et Alex. Alex, ne parle de cette lettre à personne à part Morgane. Vous devez être les seuls à connaître son existence. Sinon tout est fichu. J'imagine que vous ne comprenez pas. Avant de lire la suite, posez vous cette question : est ce que vous voulez vraiment en savoir plus? Ne voulez vous pas juste faire votre deuil en paix?

Il y a tellement de choses que je voudrais vous dire. Mais je ne peux pas. Pas maintenant. Je n'ai plus le temps. Il va falloir que vous fassiez plus d'efforts."

La suite est incompréhensible. Du charabia. Rien de tout ça n'a de sens. De quoi voulait elle nous parler? Pourquoi ne pouvait elle pas le faire sur la lettre?