Je regardais le paysage défiler, la tête appuyée contre la vitre de la voiture. Ma mère conduisait juste à côté de moi. On entendait rien à par le bruit du moteur. Le silence. J'ai allumé la radio. Il parlait du réchauffement climatique et de ses conséquences : "L'homme est en train de détruire la planète." Moi, je pense simplement que l'homme est fait pour détruire. Se détruire. Il est déjà trop tard pour la planète. Tout le monde est bien content, au chaud avec leurs radiateurs, on se déplace sans difficulté grâce aux trains, voitures, avions... On a de l'électricité, on mange selon nos envies à n'importe quel moment. On est habitué à notre confort. On en est prisonnier. Le présentateur se mit à remercier le spécialiste qui était venu pour en parler, avant d'enchainer :

" Et maintenant parlons de la tragédie survenue il y a 2 jours et qui a laissé une plaie ouverte à la ville entière : la mort de la jeune Diana Feringord. "

Ma mère tendit immédiatement la main vers le bouton d'arrêt, mais je l'empêcha de finir son geste. Elle me regarda intensément. Je secouai la tête. Je voulais savoir ce qu'on disait sur elle. Moi-même je ne savais que très peu de choses sur les circonstances de sa mort, parce que ma mère avait jugé préférable "de me laisser digérer la nouvelle".

" Diana Feringord était une jeune fille qui venait d'avoir 15 ans. Tout le monde la connaissait, car elle était impliquée dans tout ce qu'elle faisait. Elle était déjà venue plusieurs fois dans notre studio, et toute l'équipe radio est en deuil. Toutefois, sa mort reste très suspecte : nous savons de source sûre que Diana s'est suicidée dans la nuit de dimanche à lundi. Elle aurait ingurgité une dose importante de médicaments, provoquant sa mort dans les heures qui suivaient. Ce serait son grand frère, Alex Feringord, qui l'aurait retrouvée allongée sur son lit, les boîtes de médicaments à ses pieds. Il aurait prévenu sa mère, partie travailler très tôt à 50 kilomètres de là, et le service médical. Mais quand l'ambulance arriva sur place, la jeune Diana était déjà morte depuis des heures. Diana était quelqu'un d'exceptionnel, c'est pourquoi nous tenons à présenter nos plus sincères condoléances à sa famille et à ses amis proches. Nous invitons également un maximum de personne à se rendre à son enterrement demain à 14h00 à l'église. Une veillée est organisée à son domicile vers 19h00. "

J'éteignis la radio. J'en avais assez entendu. Des médicaments? Sérieusement? Diana, tu me déçois. Toi qui avait toujours aimé les fins magistrales. Tu aurais pu faire un effort. Mais qu'est ce que je raconte, moi? Tu te rends compte de ce que tu m'as fait, Diana? Maintenant je parle à une morte, et je raconte n'importe quoi. Je me demande même si ce n'était pas ton objectif. Tu voulais que je devienne folle, n'est ce pas? Si c'était le cas, tu peux être contente, tu as réussi.

Je crois que je passe par l'étape "furieuse". J'ai lu un article sur internet traitant des symptômes de la mort d'un proche. Le psychologue parlait de différentes étapes : "le choc", "l'effondrement", "le déni", "la tristesse" et enfin "la colère". Je me souviens que, quand j'avais lu ça, je m'étais dit : "Quel ramassis de conneries". Comment peux t-on illustrer des sentiments par des étapes précises? N'importe quoi. On ne marche pas tous de la même manière, on éprouve pas tous les mêmes sentiments dans des moments pareils.

Ma réflexion intérieure fut interrompue quand ma mère coupa le contact. Perdue dans mes pensées, je n'avais pas remarqué que la voiture s'était engagée sur l'allée des Feringord. Tout était si parfait : un jardin magnifique, regorgeant de toutes sortes de fleurs, l'herbe était coupée au millimètre près, aucun brin d'herbe ne dépassait. La maison, pareille à une villa américaine, était immense. Nous descendîmes de la voiture, et nous allâmes sonner à la porte. La mère de Diana, Eliana Feringord, nous ouvrit. Je l'ai toujours admirée car, bien qu'elle ai une quarantaine d'années, elle n'en faisait qu'une vingtaine. Toujours droite, elle s'habillait avec chic, se maquillait parfaitement, avait une queue de cheval haute sans aucune bosse et un sourire digne d'une publicité pour un dentifrice Colgate Total, bref, la maman "parfaite". Mais aujourd'hui je ne la reconnaissais plus. Qui était cette femme qui se tenait devant moi? On dirait que pour elle aussi, le mode "zombie" est enclenché. Des cernes sous les yeux, un peignoir en guise de vêtements, un visage sans une couche de maquillage, les cheveux en bataille. Même son vernis est écaillé. Ma mère paraissais choquée de la voir dans cet état. Sans un mot, Eliana nous laissa entrer.