Chapitre 8
Margot
J'ai dormi comme un bébé. Je n'ai pas été réveillée par les pleures de Victoire, ce qui m'a permis de dormir plus longtemps. Beaucoup plus longtemps apparemment, puisque mon réveil affiche 11 h 12 ! Heureusement que je ne travaille pas les week-ends !
Quand je descends prendre mon petit déjeuner, les filles sont dans le salon en train de jouer ensemble.
Tasse fumante de mon café au lait en main, je les rejoins :
— Eh bien ! Tu nous fais enfin l'honneur de ta présence petite marmotte !
— Désolée je ne pensais pas dormir aussi longtemps... Mais qu'est-ce que ça fait du bien !
C'est comme si, inconsciemment, mon corps s'était relâché d'avoir une présence à mes côtés. Je me suis réveillée si sereine.
C'est probablement l'effet Louise.
— T'en fais pas, avec Vicky jolie on rattrape le temps perdu, hein ma saucisse ? dit-elle en pinçant la petite joue ronde de ma fille.
Je ris aux surnoms employés à l'encontre de ma fille. Tellement d'amour...
— Merci Louise, la remercié-je sincèrement.
— Quoi, tu ne vas pas me remercier de passer du temps avec ma nièce préférée, lance-t-elle sans se détourner de son activité.
— T'as qu'une seule nièce je te signale.
Elle m'envoie un regard faussement contrarié posant ses mains sur ses hanches.
— Et alors ? J'aurais sûrement un autre discours quand tu me feras un petit prince !
Alors ça, c'est pas demain la veille.
Elle se tourne une nouvelle fois – m'ignorant totalement – vers Vic et entame une série de sons étranges avec sa bouche. Vous savez, ces bruits attendrissants qu'on émet en présence d'un bébé : des murmures ou des mots dénués de sens, des sortes d'onomatopées inventées.
Les laissant s'amuser ensemble, je me dirige vers la cuisine, toujours avec ma tasse à la main, pour préparer le repas. Cela fait un moment que je n'ai pas concocté un vrai plat. Habituellement, je me contente de repas tout prêts ou de recettes simples qui ne brillent pas par leur complexité. Pourtant, j'ai toujours adoré cuisiner, et c'est avec enthousiasme que je m'active.
Ce midi, au menu : des lasagnes !
Il est 15 h 27 lorsque nous atteignons le Green Cell. Élise m'a envoyé un message indiquant qu'elle ne tarderait pas à arriver. De notre côté, nous avons préféré entrer et prendre une table plutôt que d'attendre dehors. Il commence à pleuvoir légèrement, et je crains que Vic ne prenne froid.
Si, dès mon réveil, j'étais pleine d'enthousiasme pour cette journée, maintenant c'est une autre histoire. Mes mains sont moites, mes muscles tendus. Je n'ai aucune idée de comment va se dérouler cet entretien avec mon ancienne amie, et cette incertitude m'angoisse. Je veux simplement la retrouver, nous retrouver. Mais elle ? Je ne connais pas l'étendue de sa rancœur. Dois-je m'inquiéter ? Je n'ai jamais aimé les conflits, pire, je les fuis. Je l'ai exclue de ma vie sans le vouloir. Elle pourrait ne jamais me le pardonner.
Dans quelques minutes, j'aurai ma réponse.
Quand nous pénétrons dans le hall d'accueil c'est l'émerveillement total pour Louise. Moi-même je ne peux m'empêcher de contempler une nouvelle fois cette Amazonie intérieure. L'ambiance est toujours la même, même avec la lumière du jour. C'est chaleureux et reposant. Le lieu semble avoir son propre souffle, un mélange d'odeur boisée et d'humidité douce, comme si la nature et le confort se mêlaient ici. Les plantes, suspendues au plafond ou en cascades sur les murs, forment une jungle luxuriante, leur verdure éclatante tranchant avec les nuances chaleureuses du bois qui tapisse chaque recoin. L'air sent l'humidité de la terre, et le doux parfum des feuilles fraiches emplit l'espace. C'est tellement immersif.
Louise choisit une table, presque au centre de la pièce, mais assez près du comptoir. Le bois brut de la table est lisse sous mes doigts lorsque je m'assois. Victoire est tranquillement installée dans sa poussette, juste à côté de moi, Louise en face d'elle. Je lui ai pris quelques jouets pour l'occuper ainsi que son biberon de lait, une compote et quelques biscuits pour son goûter.
C'est lorsque la serveuse s'approche pour prendre nos commandes que Élise fait son entrée. Ses pas claquent doucement sur le sol, une marche déterminée mais presque calculée, comme si chaque mouvement était mesuré. Son regard, d'abord fuyant, se fixe enfin sur nous, mais il reste difficile à lire. Ses lèvres se pincent, et pourtant, dans son attitude rigide, il y a quelque chose de fragile. Je me lève pour la saluer, espérant briser la glace :
— Salut, dis-je d'une voix chaleureuse, tentant de masquer mon inquiétude.
Elle me regarde un instant, puis son regard s'évade ailleurs, glacé mais pas totalement dénué de nuance. Ce n'est pas de la froideur pure, mais une retenue, comme si elle cherchait à se protéger. Le silence qui suit est lourd.
— Je suis contente que tu sois venue. Viens, installe-toi, proposé-je avec un sourire forcé.
Mais au fond de moi, je me reprends, réalisant que cette décontraction n'est peut-être pas appropriée. Mais à peine ai-je fini ma phrase qu'un léger voile de distance s'installe à nouveau.
— Excuse-moi mais je ne pourrais pas rester longtemps, me coupe-t-elle, j'ai pas mal de choses à faire.
Dis donc elle sait mettre les gens à l'aise...
Je me sens immédiatement déstabilisée, comme si l'espace entre nous venait de se creuser un peu plus. Elle sait comment garder les autres à distance, et cette manière qu'elle a de rester froide en disant cela... ça m'étonne et me blesse un peu.
— Très bien...murmurai-je, presque plus pour moi-même que pour elle, incapable de cacher ma confusion.
Moi qui m'étais préparé des speechs en tout genre dans ma tête... Va falloir faire court.
La tension s'épaissit, et je saisis la première occasion pour détendre l'atmosphère.
— Oh, au fait ! Je te présente Victoire...
Jusqu'à présent, elle n'avait pas jeté un seul regard sur ma fille, et cela m'avait intriguée. Mais, à ma grande surprise, lorsque ses yeux se posent enfin sur Vic, quelque chose change. C'est subtil, mais je vois un frémissement, une lueur différente. Un éclat qui passe brièvement dans son regard.
Son visage se transforme en un instant. Il y a toujours cette réserve, cette retenue, mais aussi... quelque chose de plus doux, presque tendre. Elle semble, un instant, plus vulnérable.
— Elle est... vraiment adorable, sourit-elle doucement, la voix un peu plus basse, plus sincère, comme si ces mots sortaient malgré elle.
Elle reste un moment à la regarder, puis, comme si la tension était trop grande pour elle, elle se reprend, et détourne le regard.
— Excusez-moi un instant, je vais aux toilettes. Si vous prenez les commandes, prenez-moi un cappuccino, s'il vous plaît.
Puis s'éclipse.
Après tout, elle a manqué un an de sa vie, une période considérable. Victoire a une forte ressemblance avec Paul, cela a dû la bouleverser. J'espère sincèrement qu'elle ne regrette pas d'être venue.
La serveuse ayant disparu, je décide d'interpeller le serveur le plus proche de notre table et lui fait part de notre commande.
Je reste silencieuse sur ma chaise ne sachant pas quoi penser de ce court échange. C'est Louise qui me ramène sur Terre en prenant ma main sur la table :
— Hey, ça va ma belle ?
J'hoche la tête.
— Toujours aussi bizarre la rouquine. Te laisse pas avoir, elle fait la fière parce qu'elle sait que c'est toi qui vas t'excuser de ne pas l'avoir recontactée, mais n'oublie pas qu'elle non plus n'a pas été présente pour toi. Ça marche dans les deux sens hein.
— Oui je sais mais-
— Oh mazette ! s'exclame-t-elle en se redressant soudainement sur sa chaise. Ne te retourne pas tout de suite, mon quatre heures vient tout juste d'entrer dans le bar.
À cette remarque, je ne peux m'empêcher de me retourner, scrutant l'entrée derrière moi. Bon, soyons honnêtes, quand on nous dit de ne pas nous retourner, la curiosité devient tout à coup notre meilleure amie, n'est-ce pas ?
— Le mec avec sa veste en jean ?
Bof, bof.
— Sérieusement Maggie, va vraiment falloir que tu te rebranches, tu m'fais honte. Celui avec sa veste noire là, m'indique-t-elle d'un coup de menton.
— Attends.
Je me retourne une seconde fois.
Elle est drôle, elle. Ils sont trois avec une veste noire ! Un, avec une sorte de broche jaune sur le côté gauche qui nous regarde bizarrement, un autre avec des lunettes de soleil sur le haut de sa tête – je ne comprends même pas pourquoi il en porte avec ce temps – et...
Oh c'est pas vrai.
C'est pas possible, je rêve.
Faites-moi disparaître.
Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?
Je me retourne brusquement, trop brusquement, comme si un geste plus lent pouvait me donner une chance d'échapper à ce moment gênant.
Je sens la chaleur m'envahir. Mes joues deviennent rouges, mais ça ne s'arrête pas là. Mon cœur accélère, trop fort, trop vite. Comme s'il battait au rythme d'une musique qui ne cesse de monter.
C'est beaucoup trop rapide. Trop intense. Ça me donne presque le vertige.
Je ne pensais pas le croiser en pleine journée. Je ne pensais pas le recroiser tout court ! J'espère qu'il ne m'a pas vue. Je me tasse légèrement sur ma chaise.
Comme si ça pouvait me rendre invisible.
Je lève les yeux vers Louise qui comprend ma détresse.
— Attends, attends, ne me dis pas que...
Elle me regarde, puis lui, puis encore moi.
— Veinarde !!!
Elle croise les bras sur sa poitrine, boudant comme une enfant.
— Je comprends mieux pourquoi tu as succombé !
Ce n'était pas moi.
— Mais chuuuuuut ! Parle moins fort ! Seigneur, dis-je la tête entre les mains, je pensais ne jamais le recroiser.
C'était l'autre moi, la maléfique.
— Je n'en reviens pas, il est beaucoup trop canon. Pfff, tu m'énerves ! J'peux pas draguer la proie potentielle de ma meilleure amie. Tu viens de briser tous mes espoirs ! lance-t-elle d'un ton théâtral.
Toujours dans l'excès celle-là !
Attends... Quoi ?
— Proie poten-quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ! dis-je en chuchotant du mieux que je peux, c'était...c'était juste un soir.
— Ouais, bien sûr. À d'autres ! Personne ne laisserait tomber un morceau comme celui-là. Personne de censé, précise-t-elle.
J'hésite à lui mettre un coup de pied bien mérité, sous la table, mais je me rappelle que je suis contre la violence.
Elle vire dingue. Le pire, c'est qu'elle n'a pas l'air convaincue par ce que je dis. Mais qu'est-ce qu'elle croit ? On en a discuté hier, elle sait que je ne suis pas prête à passer à autre chose. C'est trop tôt. Ça fait un an quand même, me lance ma conscience.
La ferme.
L'arrivée d'Élise me sort de mes pensées. Son entrée est comme une secousse, réveillant en moi un trop plein d'émotions que je peine à contenir.
— Désolée si j'ai été longue, elle frotte ses mains, j'ai dû demander à ce qu'ils remettent du savon pour les mains.
— Dis plutôt que tu faisais caca, souffle Louise d'une voix presque inaudible, que, par chance, moi seule entends.
Je ne lui en tiens pas rigueur, au moins elle en oublie son quatre heure. Je suis plutôt interpelée par Élise. Elle a complètement changé d'attitude. Elle a l'air plus... intéressée. Elle me paraît moins froide. Est-ce qu'en voyant Victoire, elle s'est dit que le conflit n'était pas nécessaire ? Est-ce que ma fille serait notre drapeau blanc ? Ne rêve pas trop. Elle avait quand même l'air contrariée en arrivant. Bon.
Il est temps de prendre le taureau par les cornes.
— Écoute Élise, je tenais à m'excuser. Je ne t'ai jamais rappelée, j'aurais dû, commencé-je en marquant un arrêt. J'ai été égoïste et j'en suis désolée.
— Non, ça va, Margot. Je m'excuse moi aussi. Pardon. J'ai été bouleversée, mais ce que toi tu as dû ressentir...c'est pire.
Son regard sincère me touche profondément.
Tout ce stress pour que ce soit aussi simple ? Par moment je me fais vraiment du mal pour un rien.
J'aurais dû me douter qu'Élise serait aussi compréhensive. On a partagé beaucoup de moments ensemble, avec Paul.
— J'aimerais que nous repartions sur de bonnes bases. Qu'on se voie plus. Un peu comme avant. J'aimerais surtout apprendre à connaître Victoire.
— Moi aussi, j'aimerais tellement.
Que l'on se comporte comme si Paul n'était jamais parti. Comme si notre amitié n'avait jamais été mise sur pause.
Les mots flottent dans l'air, apaisant une tension que j'avais négligé de reconnaître. Peu à peu, l'idée de reconstruire ce lien semble plus accessible, et l'ombre du passé s'éloigne. Peut-être que, cette fois, nos retrouvailles pourront se faire sans réserve ni regret.
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