Chapitre 21
Samuel
La journée commence avec un frisson de contrariété. Alors que je prends une gorgée de mon café matinal en entrant dans mon bureau, une note, collée sur l'écran de mon ordinateur attire mon attention : « Fuite d'eau dans la chambre 205, monsieur Jenkins est furieux ».
Un mauvais présage, je le sens.
Mon cœur bat un peu plus fort alors que je m'empresse de me rendre sur place. Une fuite d'eau ? Déjà ?
À peine arrivé devant la chambre, la porte s'ouvre sur monsieur Jenkins, un homme corpulent aux sourcils froncés et à la moustache poivre et sel. Sa voix gronde, emplie de colère.
— Enfin, vous voilà ! débute-t-il en balançant ses bras en l'air.
Je capte rapidement le regard désolé de notre responsable roomservice. La pauvre n'y est pour rien.
— Comment est-ce possible dans un hôtel aussi récent ?! s'exclame-t-il, son ton accusateur remplissant l'espace entre nous.
Je prends une profonde inspiration pour garder mon calme, calant mon regard dans le sien.
— Bonjour, monsieur Jenkins. Je suis désolé pour le désagrément. Venez, permettez-moi de régler cela pour vous immédiatement, dis-je d'une voix posée, masquant l'agacement qui monte en moi.
En entrant dans la chambre, je jette un coup d'œil au plafond et mon souffle se coupe devant la tache sombre qui s'étend lentement. Une tâche que ne devrait pas apparaître dans un établissement flambant neuf comme le nôtre.
J'appelle aussitôt notre équipe de maintenance, qui arrive en un clin d'œil pour évaluer les dégâts. Ensemble, nous découvrons rapidement la source du problème : un raccord défectueux dans la salle de bain adjacente. Une erreur de construction qui aurait dû être détectée bien avant que nos premiers clients ne franchissent nos portes.
Pendant que nos techniciens s'activent à colmater la fuite, je retourne auprès du client, désolé de voir ses affaires éparpillées sur le sol, certaines déjà imprégnées par l'eau. Je m'excuse sincèrement pour les dégâts causés, lui promettant de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour réparer les dommages.
Enfin, après plusieurs heures de travail acharné, la fuite est réparée et la chambre est nettoyée en profondeur. Je soupir de soulagement en voyant le client s'installer dans sa nouvelle chambre, ses affaires soigneusement rangées dans des sacs de plastique fournis par notre équipe.
Même lorsque tout semble aller de travers, je suis fier de la manière dont notre équipe parvient à garder son sang-froid et à offrir à nos clients le meilleur service possible.
Le reste de la journée se déroule sans encombre, les affaires reprenant leur cours habituel. Vers 15 h 30, après avoir achevé quelques paperasses, je décide de m'accorder un moment pour moi. J'aspire à évacuer les tensions accumulées au fil de la journée en allant courir un peu.
J'ai demandé à Robin s'il voulait se joindre à moi, mais j'ai cru comprendre que la nuit a été plutôt courte de son côté. Donc bon.
Alors que mes pieds martèlent le bitume, mon esprit vagabonde vers la soirée de la veille. Je nous revois, Margot et moi, partageant cette danse, nos corps se mouvant, en parfaite synchronisation, au rythme de la musique. Je me rappelle le moment où elle semblait si distante, si perdue dans ses pensées, que j'ai tenté maladroitement de détendre l'atmosphère avec une blague stupide.
Sérieusement, pourquoi c'est cette blague de merde qui m'est venue en tête ?
Je me sens idiot rien que d'y repenser. Quand elle a explosé de rire, j'ai eu envie de souffler, rassurer, mais finalement j'ai ri avec elle. Mon corps contre le sien.
Mais surtout, je me replonge dans le souvenir du slow, de la proximité entre nous. L'intensité de ce moment était si palpable, que j'avais presque envie de goûter le contact de ses lèvres sur les miennes, hypnotisé par sa beauté. Une sensation que je connais déjà, mais dont je ne me rappelle plus. C'est comme un lointain souvenir.
Je continue ma course en traversant le parc de promenade du coin. Mon regard se perd dans le paysage environnant, observant toutes ses feuilles orangées joncher le sol.
Soudain, une scène attendrissante attire mon attention : une petite fille, à peine capable de marcher, se débat avec ses premiers pas. Inconsciemment, je ralentis ma course alors que je m'approche. À peine à son niveau, la fillette trébuche et tombe sur les genoux. Je dévie ma course et m'agenouille près d'elle, la relevant avec douceur.
— Hop là ! dis-je joyeusement en la remettant sur ses deux pieds, on n'en est pas encore au marathon mais c'est un bon début.
C'est alors que, comme sortie de nulle part, la mère de la petite apparaît, me jetant un regard de reconnaissance. Mais ce n'est pas la seule chose qui attire mon attention. La surprise se lit dans mes yeux alors que je prends conscience de la coïncidence de cette rencontre fortuite. Margot.
Nos regards se croisent brièvement, et dans ce moment fugace, je ressens un frisson qui traverse tout mon être. C'est comme si le destin lui-même orchestrerait notre rencontre, nous ramenant sans cesse l'un vers l'autre.
Elle reste là, immobile, me scrutant sans avoir prononcé le moindre mot, tandis que je me relève, tenant toujours la main de la petite dans la mienne. Elle me détail de la tête aux pieds, s'arrêtant longuement sur mon cou dégoulinant de sueur. Je ne peux m'empêcher de me sentir un peu déstabilisé par son regard perçant. Finalement, je décide de rompre le silence en plaisantant :
— Si tu continues de me dévisager comme ça, je vais croire que tu me mates.
Elle papillonne, reprenant ses esprits. Puis son visage pâli lorsque ses yeux descendent vers nos mains, liées.
— Deux pieds gauches comme sa mère, je lance avec un sourire en coin.
À peine les mots quittent-ils mes lèvres que je vois la panique s'emparer de son visage. Elle semble sur le point de dire quelque chose, de se justifier peut-être. Alors, je lui adresse un sourire complice :
— Elle te ressemble, ajouté-je doucement.
— Je suis désolée, s'excuse-t-elle en s'avançant pour prendre sa fille dans ses bras.
Elle semble tellement mal à l'aise que ça me met moi-même mal à l'aise.
— J-je n'ai p-
— Hé, dis-je doucement, personne ne te demande des comptes, c'est ta vie privée. Salut toi, mini-Margot.
Je souris avec sincérité à la petite dans ses bras en lui chatouillant le cou. La bouche de sa mère s'étire pour mon plus grand plaisir. Il est hors de question qu'elle puisse penser que je la juge.
— Victoire. Elle s'appelle Victoire, précise-t-elle en lisant la confusion sur mon visage.
— Enchanté, mademoiselle Victoire.
Je serre sa petite main sous le regard radieux de Margot, et celui amusée de l'enfant.
Je lui propose alors d'aller s'asseoir quelques instants sur un banc tout près, prétendant que c'est le moment idéal pour moi de faire une petite pause. Je sens le besoin de prolonger cet instant de proximité, de prendre le temps de mieux la connaître et peut-être de dissiper le malaise qui semble encore planer entre nous.
Margot pose délicatement Victoire sur le sol devant nous, tout en gardant un œil attentif sur elle. Nous discutons un moment, parlant de nos débuts de journée, déconnant sur notre mal de tête commun ce matin dû à la soirée d'hier, le tout sous cette chaleur rare en cette période de l'année. Nous plaisantons naturellement, tout malentendu ayant disparu, et j'apprécie beaucoup cela. Tandis que je regarde la petite Victoire gambader près de nous, je ne peux m'empêcher de demander :
— Ce n'est pas trop difficile d'élever un enfant seule ?
Je repense à ce que Élise m'a confié lors d'une de nos soirées, lorsque nous étions sur la piste de danse. Elle m'avait révélé qu'elle était née le jour du décès de son père. Une vague de tristesse m'envahit à cette pensée, imaginant le poids que Margot doit porter seule, chaque jour.
—Au début ça l'était, évidemment, elle soupire. Mais je suis bien entourée, ma mère m'aide tellement.
La reconnaissance dans sa voix me réchauffe la poitrine. Cette femme est si douce, si belle.
—Elle est ma victoire, ma bouée de sauvetage, ajoute-t-elle le regard brillant, perdu au loin.
Après une seconde d'hésitation, je pose ma main sur la sienne. À cet instant, une légère bourrasque fait voler ses cheveux, répandant l'odeur douce de son parfum tout autour de nous. Je sens mon rythme cardiaque s'affoler. On va se calmer mon grand...
— Je voudrais te poser une question, dit-elle tout bas.
Son regard se fige au mien.
— Est-ce que...est-ce que tu as fait le deuil de ta sœur ?
Je ressens une infime tension dans l'air lorsqu'elle finit de poser sa question. Si je m'attendais à ça !
— Je suppose que oui. Enfin...le deuil c'est quand même quelque chose d'assez complexe. C'est un processus continu, avec des hauts et des bas. Mais aujourd'hui je pense pouvoir affirmer que j'ai réussi à me relever, oui.
— Comment ?
— Comment ? je répète, incrédule.
Sa main se dérobe de sous la mienne afin qu'elle replace une mèche de ses longs cheveux noirs derrière son oreille.
— Parfois, j'ai l'impression d'avoir progressée, et puis il y a d'autres jours où la douleur est toujours aussi vive. Comme si, dès que je remontais à la surface de l'eau, une nouvelle vague, plus forte, s'abattait sur moi. Mais je crois que je suis en train d'apprendre à vivre avec, petit à petit. Et...
Elle laisse un moment de blanc, cherchant probablement les mots justes pour s'exprimer.
— J'ai honte de dire ça, poursuit-elle les joues plus roses, mais je crois que me rendre sur la tombe de Paul ne m'aide pas autant que je le pensais.
Son regard se lie de nouveau au mien alors qu'elle termine :
— J'ai besoin d'y aller, pour évacuer, lui parler mais je ne sais p-
— Je ne me suis jamais rendu sur la tombe de ma sœur avant la date de l'anniversaire de sa mort, je la coupe. Alors crois-moi, tu n'as pas à te sentir mal si tu y vas moins. Le but c'est de te reconstruire.
À aucun moment j'aperçois un quelconque jugement dans son regard lors de ma confession. Et c'est ce qui me plaît par-dessus tout chez elle. Ce côté bienveillant alors que je lui avoue n'être presque jamais allé rendre visite à ma sœur.
— Cependant, je reprends, j'ai des carnets. Dès que je ressentais le besoin de me livrer, je prenais un stylo et j'écrivais. C'est comme si tu déposais toutes tes émotions trop fortes sur une feuille, pour t'alléger. Ça a été libérateur pour moi. Je me suis toujours senti responsable de la mort de Lana.
Mes mots sont empreints de vulnérabilité alors que je m'apprête à me confier.
— Ce jour-là, après avoir passé l'après-midi ensemble, elle et moi, je lui ai proposé de poursuivre en passant également la soirée devant la télé, à bouffer des cochonneries devant des programmes débiles, j'étouffe un rire rien qu'en y repensant.
C'était vraiment notre kiff, ça. Le plus souvent, Lana mettait une émission de téléréalité et on commentait leur moindre faits et gestes, leurs paroles, et leurs conflits surjoués. Comment perdre du temps en s'amusant...
— Et puis, elle a profité de ce moment pour me parler du mec qu'elle fréquentait, soupiré-je. Je le connaissais très bien, et je savais que ce n'était pas quelqu'un de sérieux. Je me suis emporté, on s'est fortement disputé et elle est partie.
Je baisse les yeux sur le sol sableux du parc, plein de remords.
— C'était la dernière fois que je la voyais, je serre les poings. Me dire qu'on s'est quitté sur une embrouille, ça me bouffe encore.
Alors que je ferme les yeux, revoyant le regard déçu et trahi de mes parents, Margot me surprend en posant doucement sa main sur ma joue d'un geste tendre. Je sens mon cœur bondir dans ma poitrine, surpris par ce comportement qui vient m'apaiser instantanément.
Son contact est doux et réconfortant, comme un chocolat chaud après une journée froide d'hiver.
Je suis pris au dépourvu par cette démonstration d'affection, ne m'attendant pas à ce qu'elle franchisse cette barrière physique entre nous.
Un sourire chaleureux éclaire son visage alors qu'elle me regarde, les larmes dévalant ses joues, reflétant une compassion profonde.
— Malheureusement, personne ne peut prévoir un accident de voiture... si c'était le cas, personne n'en n'aurait, et personne n'en mourrait, finit-elle plus bas.
Elle s'excuse tout bas, sortant un mouchoir de sa poche pour s'essuyer les yeux, et alors qu'elle se tourne de nouveau vers moi, une goutte d'eau tombe sur le bout de son nez. Puis une autre, et encore une autre. À croire que le temps est en accord avec nos émotions.
— Je crois qu'il va être l'heure de rentrer, j'annonce, déçu.
Elle rit face à ma mine déconfite, tout en récupérant sa fille qu'elle installe rapidement en poussette.
— On aura d'autres occasions de discuter, répond-elle tout sourire. Et cette fois, sans pleurer j'espère !
— Il n'y a pas de raison, voyons.
Nous faisons le chemin jusqu'à la sortie du parc ensemble, puis une fois à l'extérieur, nous souhaitons une bonne fin de journée.
Lorsque je la contemple, partir au loin, une petite idée émerge dans ma tête.
Il se pourrait bien que nous nous revoyions plus tôt que prévu.
*****
Samuel a enfin fait la rencontre de Victoire et tout s'est très bien passé !
Margot commence à se sentir mieux, moins triste, moins déprimée. Elle avance doucement mais sûrement. C'est tout ce qu'on lui souhaite !
C'est important d'être entouré des bonnes personnes quand tout va mal. Heureusement pour elle, elle n'a jamais été seule.
À très vite,
FleurAzur 🤍
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