9 PRESOMPTIONS (SUITE)
— C'est compliqué, sourit Ramis d'un air gêné. Le Smaken interdit les relations entre collègues. Et en tant que le chef, je dois faire respecter les règles, pas les transgresser. Il n'y aura jamais rien entre lui et moi...
— Est-ce à cause du Smaken que tu refuses de te lancer ? Parce que tu sais bien que tu n'es pas un employé, cette règle ne s'applique pas à toi. Je pense plutôt que...tu as peur de te lancer pour une autre raison. N'as-tu pas plutôt peur de perdre à nouveau quelqu'un ? Ramis déposa sa cuillère et crispa les mains sur la table. Je sais ce que...je sais ce que cet accident t'a coûté. Je connais l'origine de ta souffrance et de ta dépression.
— Il se fait tard, je dois fermer le restaurant, tonna-t-il en se levant précipitamment, son plat encore à moitié plein.
— Tu n'as pas à t'interdire d'aimer, le raisonna Léonie. Les blessures du passé ne doivent pas saigner sur les tableaux du présent.
— Je te ferais parvenir ton masque et ta robe...pour le bal masqué.
***
— Le bal masqué sera la meilleure occasion pour nous de frapper, tonna Léaina en se tenant fermement les hanches. Si nous devons kidnapper Ingrid Winchester, il n'y aura pas de meilleur moment pour le faire.
— Si nous devons kidnapper Ingrid, s'insurgea Kalen, il nous faut un plan.
— Exact, suppléa Antonio, qui se sentait malgré lui attiré dans cette affaire.
— Vous m'ennuyez avec vos plans, rouspéta la rousse. Tout le monde aura un masque, je ne vois pas à quoi nous servira un plan.
— Tout simplement à ne pas finir en taule ? ironisa Kalen.
Il essaya de se rappeler mentalement pourquoi il faisait ça. La raison était là, devant ses yeux. Elle lui souriait en battant des mains. Kalen ajusta le pull de laine du gamin. Que n'aurait-il pas fait, que n'aurait-il pas donné, pour sauver Matteo ?
Il était à lui seul une boule de joie, un soleil qui réchauffait le cœur du papa. Et s'il lui fallait devenir le monstre dépeint par les journaux pour enfin vivre au calme avec sa famille, soit. Il le deviendrait. Il serait assassin, kidnappeur, psychopathe même, si ça lui permettait de sauver l'enfant.
Ils manquaient de temps et l'étau se resserrait sur eux. Si jamais Ingrid parvenait à remonter jusqu'à Tony, ils n'auraient plus aucun échappatoire. Matteo lui serait enlevé. Et ça, il ne pouvait le permettre.
— Je ne pourrais plus sortir de chez moi sans craindre que la police m'accoste, si Ingrid réussi à dresser mon portrait-robot. On doit agir, mais agir prudemment.
— Mettons donc un plan en marche, soupira Léaina en rejoignant les deux hommes autour de la table ronde.
Et ils se mirent à discuter intensément. La concentration se lisait sur leurs visages. La langue tirée, Kalen prenait de rapides notes dans son calepin tandis qu'Antonio se contentait de hocher la tête. L'horloge à la voix d'oiseau se fit entendre, ce qui amusa Matteo comme à chaque fois.
Puis, quinze minutes plus tard, Léaina bondit de joie, les mains en l'air en signe de victoire. Elle frappa dans la main d'Antonio, puis dans celle de Kalen qui souriait d'un air rassuré. Ils avaient enfin trouvé un plan...
***
Willow et Xander s'étaient mis d'accord. Un autre plan s'avérait plus que nécessaire s'ils voulaient un jour boucler cette enquête. Aujourd'hui, la détective ne comptait pas se rendre au bureau. Au lieu de ça, elle avait préféré s'aventurer dans le Vondelpark à proximité de chez elle. Le grand air savait stimuler son activité cérébrale.
Lorsqu'elle gara son vélo à l'entrée du parc, elle longea une route bondée et bordée d'arbres jaunis. Puis elle bifurqua à travers un sentier plus désert et traversa un pont de bois blanc. Le ronchonnement sourd de la rivière la fit sourire, et elle continua son chemin vers un autre sentier ombragé par les grands arbres verts.
Alors que ses bottines faisaient craquer les feuilles sèches sur le gazon défraichi, elle s'arrêta un instant pour contempler une violoniste entourée de plusieurs touristes émerveillés. Tout prêt, un groupe d'enfants s'amusait à creuser des grosses citrouilles pour décorer les allées du parc. Elle accosta un vendeur de hotdogs qui passaient par là, et s'en acheta deux.
En croquant dans l'une d'elle, une noise de moutarde tomba sur son tricot pourpre. Elle jura âprement en allant s'asseoir sur un banc public pour nettoyer la tâche jaune. Elle ne pouvait pas attendre que l'appât Ingrid fonctionne. Ça pouvait encore prendre des semaines, voire des mois entiers.
Et elle n'avait plus tout ce temps à Amsterdam. Son mari espérait impatiemment son retour à Saint Petersburg, et elle n'attendait plus que de boucler cette affaire pour rentrer en Russie. Ce rythme ne la convenait pas, il fallait qu'elle accélère les choses.
Kalen Lachenaie travaillait à présent au Smaken, et la détective ne cessait de s'interroger sur la présence du jeune homme dans l'établissement. Un kidnappeur prendrait-il vraiment le risque de retourner vers la famille qu'il avait brisée ? Après, ne dit-on pas également qu'un criminel revient toujours sur la scène de crime ?
Mais c'était trop flagrant, songea-t-elle en terminant son premier hotdog. Elle se débarrassa de sa casquette jaune, et s'en servit pour s'éventer. Ce que tous les néerlandais qualifiaient de froid automnal était pour elle une chaleur estivale. Avoir vécu en Russie, ça laissait des séquelles. Elle songea qu'à la première occasion, elle s'achèterait une grosse boule de crème glacée, saveur mangue ou Oréo.
En temps normal, le kidnappeur aurait déjà demandé une rançon, surtout dans ce cas-ci où l'enfant était un héritier très célèbre. Pourquoi aucune rançon n'avait été demandée ? Est-ce que cela laissait supposer que le bébé était mort ? C'était une possibilité, même si la détective Nikova ne voulait pas envisager cette alternative.
Elle se prit la tête entre les mains et poussa encore la réflexion. Elle s'enferma dans une sorte de bulle d'où elle n'entendait plus les cris des enfants qui jouaient à proximité. Une autre approche, une autre approche...
Résignée, elle souffla d'exaspération. Elle ne voulait pas en arriver là, mais il le fallait. Et si ça lui causait des problèmes avec la justice, soit. Elle assumerait. Et Kotchenko la sortirait de là. Il la sortait de toutes les situations. Elle s'empara de son téléphone, et lança l'appel.
— Allô, Xander ? On passe au plan Nikita.
Puis elle raccrocha. Oui, elle venait de le faire. Elle venait de passer au niveau supérieur.
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