8 PREMEDITATIONS
Lorsque Willow se réveilla le lendemain matin, elle se prépara tout d'abord un bon petit-déjeuner, kebab de poulet avec sa sauce libanaise et un milk-shake à la pêche. C'est exactement ce qu'il lui fallait pour bien débuter son samedi. Elle aurait pu aller manger au Smaken comme à son habitude chaque samedi. Mais il avait plu toute la nuit et l'odeur des rosiers de son petit jardin avait imprégné toute la cuisine ouverte sur l'extérieur.
Elle mit le volume de la radio à fond, et courut enfiler son short en jean réservé pour les week-ends. Alors qu'elle croquait goulûment dans un bout de kebab en dansant, elle repensa à sa rencontre fortuite avec Kalen Lachenaie.
Jusqu'à hier soir, elle ignorait qu'il travaillait au Smaken. En revanche, son instinct lui disait que ce n'était pas un simple hasard. L'étau se resserrait sur lui. Cette fois, Willow en était sûre, il était lié à la disparition de l'enfant Winchester.
Il les espionnait, caché dans la chambre froide. Et la réapparition d'Ingrid l'avait bouleversé. La détective songea qu'il fallait vraiment surveiller cet homme de très près. Tout compte fait, le plan de Jéricho Winchester n'était pas si mauvais. L'enquête avançait.
Willow éteignit la radio et mit la télévision en marche. On repassait en boucle la réapparition d'Ingrid Winchester aux informations. C'était une explosion médiatique comme elle l'espérait. Leur appât était bien mis en place et il ne manquait plus que d'attendre que les poissons mordent à l'hameçon.
La russe aspira violemment dans la paille de son milk-shake frais avant de s'emparer de son téléphone. Elle appuya sur la photo de Xander et lança l'appel. Elle s'était souvenue qu'il ne lui avait encore fait aucun rapport sur la perquisition effectuée la veille chez les Lachenaie. Elle songeait déjà aux détails croustillants qu'elle aurait à croquer.
— Bonjour, madame... haleta-t-il. Comment... allez-vous...ce matin ?
— Tu m'as l'air fort occupé, soupira-t-elle en avalant la dernière bouchée de son petit-déjeuner. Elle lécha les traces de la sauce crémeuse sur ses doigts. Es-tu en train de sauter une petite vierge ?
— Bon Dieu, non ! s'exclama l'assistant sous le fou rire de sa patronne, qui pensait déjà à la tête rouge que le blond devait afficher à l'instant même. J'avais envie...de me dégourdir...les jambes. Je suis sorti...faire un peu de...jogging...
— C'est possible que tu t'arrêtes un instant pour me débriefer ton rapport sur la perquisition d'hier ?
— Bien entendu, coula-t-il en reprenant son souffle. La perquisition n'a rien donné de concluant. J'ai vu quelques jouets d'enfant. Mais la sœur du suspect veut tellement avoir un enfant qu'elle emmagasine tous ces trucs de gosses. J'ai vu son médecin-traitant lui prescrire des hormones de fertilité. Je crois que nous nous sommes trompés de piste...
— Tu crois ou tu es sûr ? scinda Willow. Xander resta un long moment sans répliquer, jaugeant sans doute la réponse qu'il allait fournir à sa patronne.
— Je crois que nous devrions explorer d'autres pistes, livra-t-il, en revanche je suis sûr qu'elles nous conduiront toutes au même gars, Kalen Lachenaie...
Willow raccrocha. Xander en était arrivé aux mêmes conclusions qu'elle. Kalen Lachenaie était bien lié à la disparition de l'enfant Winchester, de près ou de loin. Même s'ils n'avaient pas de preuves pour étayer leurs conclusions, elle savait en elle qu'elle tenait le bon homme. Son instinct le lui criait. Il fallait qu'elle trouve des preuves contre lui. Ou du moins, qu'elle les crée...
Et elle savait très bien comment s'y prendre pour ça...
***
Kalen ne travaillait pour le Smaken que depuis hier, mais il était bien content que le week-end soit arrivé. Il aurait un peu de temps pour prendre du recul sur la situation et mettre sur pied un plan de contre-attaque.
Il était dans un dilemme. S'il restait plus longtemps à Amsterdam, il aurait une chance de sauver Matteo. Mais il prenait le risque d'y laisser sa peau. Et s'il s'enfuyait maintenant loin de la ville, il aurait une chance de s'en tirer. Mais Matteo serait à jamais condamné.
Il savait qu'il ferait toujours ce qui était de mieux pour l'enfant. Il ne pouvait pas être à ce point égoïste. Matteo ne méritait pas de mourir. Non, il méritait de grandir, d'aller à l'école, de tomber amoureux, de se faire des potes, de se marier et d'avoir à son tour des enfants à chérir. Il méritait de vivre. Kalen ne voulait pas être celui qui priverait cet enfant du privilège de la vie.
Et tant pis s'il finissait derrière les barreaux. Tant pis si son enfant lui était arraché. De savoir Matteo en vie était la seule chose qui lui importait. Dès que le gamin obtiendrait cette greffe de moelle osseuse, ils déguerpiraient d'Amsterdam. Ils iraient partout ailleurs. New York, Singapour, ou même en Nouvelle-Zélande s'il le fallait. Ils s'enfuiraient loin des Winchester à jamais, dès que Matteo serait tiré hors d'affaire. Mais pas avant.
Il avait réfléchi pendant toute la nuit. S'il s'avérait qu'Ingrid était encore en vie, cela signifiait qu'elle pouvait sauver Matteo de la mort. Il y avait une chance sur deux qu'ils soient compatibles. Ramis n'en avait qu'une sur huit selon le docteur Delacruz. Ingrid représentait donc un meilleur donneur.
Kalen n'avait alors plus besoin de Ramis Winchester, maintenant que la sœur de celui-ci était réapparue. S'ils réussissaient à la kidnapper, songea-t-il, Tony pourrait effectuer la greffe dans le plus grand des secrets. Il était ami avec quelques chirurgiens non certifiés ; des déserteurs de guerre, d'autres qui avaient échoué à leurs examens, et certains médecins clandestins.
Il était impossible pour la police de remonter jusqu'à eux s'ils avaient recours à ce vaste réseau clandestin. Et il ne serait plus obligé de prendre le risque d'aller travailler dans le Smaken chaque jour et de côtoyer Ramis Winchester. Kalen se doutait bien que ce plan allait à l'encontre de ses principes, de ses valeurs. Mais qu'étaient des principes, qu'étaient des valeurs face à la vie de son enfant ?
Il avait eu un choix à faire, et il avait choisi son fils. Il avait choisi sa famille. Et il ne le regrettait pas. Il ne le regretterait jamais. Ingrid Winchester était la meilleure chance de survie de Matteo. C'était comme ça, il n'y pouvait rien. La personne qu'il détestait le plus au monde était peut-être la seule capable de sauver celle qu'il aimait le plus. Mesquine ironie...
L'aube était ensoleillée et les feuilles mortes trempées de pluie jonchaient le chemin tout le long du canal d'eau. Il y avait quelques flaques d'eau par ci par là, et le ciel mauve était tacheté de nuages blancs aux formes éloquentes. Kalen était assis sur le perron devant sa porte d'entrée et il s'amusait à nourrir les pigeons avec des miettes de pain.
Il s'était emmitouflé dans un pull de laine bleu, une écharpe douillette blanche protégeait son cou des vents froids. Au loin, on entendait les rires de quelques touristes se mêler aux caquètements des pigeons affamés. Léaina et Matteo étaient sortis aux premières heures de l'aube pour un rendez-vous de routine à l'hôpital.
Le quartier était calme, comme si tout le monde s'était entendu pour faire la grâce matinée. Quelques rayons de soleil perçaient le ciel violeté, mais c'était peu pour chasser le froid automnal de cette matinée-là.
Et puis, alors qu'il venait de donner une énième picorée aux pigeons devant lui, il entendit ce vrombissement familier se rapprocher de lui. Il tourna la tête et aperçut une moto qui arrivait en sa direction. Une Ducati grise et bleue. Quand on était marié à un fanatique de moto, on ne pouvait que connaitre toutes les marques.
Le conducteur avait un blouson de cuir noir ainsi qu'un casque sur sa tête. Il se gara devant Kalen, en même temps que les pigeons outrés s'envolaient dans les cieux. Et quand il retira son casque, le brun sentit une violente onde de choc le parcourir de bas en haut. Jamais il n'avait eu une vision aussi saisissante. Ramis Winchester.
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