5 RESURRECTION
Kalen était fier de lui. Il était le premier des employés à être arrivé sur place. Il n'avait pas dormi de la nuit, l'excitation broyant ses côtes et l'empêchant de fermer l'œil. La première chose qu'il fit sur place, fut de visiter le restaurant. La décoration avait quelque peu changé, depuis la dernière fois qu'il y avait dîné.
Mickael adorait venir dans ce palace, ce qui ne ravissait pas toujours Kalen. Combien de repas avait-il dû remettre au réfrigérateur, parce que son mari arrivait à la maison tout rassasié ? Il préféra ne pas y penser, alors qu'il se baladait entre les tables rondes recouvertes de nappes satinées argentées.
Au centre de chaque table, reposait un candélabre doré avec des bougies parfumées. Il y avait également des corbeilles remplies de pains et de scones. Au-dessus de sa tête, les lustres cristallins se balançaient, accrochés au toit marbré en ogive. A travers chaque haute fenêtre bordée de rideaux de velours rouges, on parvenait à distinguer les ifs nains du jardin, colorés de teintes automnales flamboyantes.
Le sol miroitait, resplendissait, si bien que chaque rayon de lumière diffractée par les cristaux des lustres, se reflétait sur les carreaux ivoirins. Kalen devait s'avouer qu'il n'avait rien vu de si beau. Il se serait presque cru dans un palace, avec ces couverts de porcelaine et l'armoire vitrée remplie d'une multitude de bouteilles de liqueurs.
— J'ai personnellement eu l'idée de cette décoration.
Kalen crut défaillir, tellement son cœur tressaillit. Il se retourna brusquement, la main sur la poitrine, essayant de réguler sa respiration. Dans sa frayeur, il renversa un panier de petits pains, qui tomba en un bruit étouffé sur le sol mirobolant. Là, à l'entrebâillement de l'une des portes menant aux cuisines, se trouvait Ramis Winchester.
A travers les premières lueurs du soleil, Kalen parvenait à plonger dans ces yeux dorés, pareils à des globes d'or fondus dans la larve du soleil. Les bras croisés du patron dessinaient ses muscles à travers sa chemise de coton blanche. On aurait dit qu'il sortait d'une réunion, pas du lit. Quelques mèches bronzées s'étaient échappées de sa toque immaculée, et retombaient sur son front.
Kalen déglutit, se courba, et commença à ramasser les petits pains éparpillés près de lui. Lorsqu'il voulut s'emparer du dernier, sa main rencontra celle du chef. Cela lui fit l'effet d'une électrisation, mais il n'osa pas broncher. Il leva le regard, la bouche soudainement sèche.
— Magnifique...enfin, je veux parler de la décoration. Elle est magnifique...
Il voulut dire bien plus, mais il resta coi face au chef. Ce dernier se releva le premier, et remis le pain dans la corbeille en osier. Ils étaient là, à quelques mètres l'un de l'autre, et cette proximité était écrasante.
A un moment donné, Ramis fit un pas de plus vers Kalen. La respiration de celui-ci se bloqua. La main du chef approcha lentement de ses cuisses, et il se demandait ce qui se passait. Un kaléidoscope de sensations le traversa, lorsqu'il sentit cette main effleurer sa cuisse. Ramis saisit la corde du tablier blanc du commis de cuisine, et tira dessus.
— La première règle quand on est un cuisinier, c'est de savoir nouer son tablier.
Tout en parlant, Ramis tint chacune des cordes entre ses deux mains. Il les croisa dans le dos de Kalen. Ce dernier se raidit. Pendant un court instant, il avait cru que Ramis en profiterait pour le serrer dans ses bras. Mais lorsqu'il eut passé les cordelettes dans le dos de Kalen, il fit un nœud au niveau de ses hanches. Et on aurait dit qu'il avait fait ça toute sa vie, tant ses mouvements étaient naturels.
Quand il eut terminé, il sourit. Kalen lui rendit son sourire, avec grande peine. Parce qu'il ne voulait pas sourire. Non, il voulait embrasser le chef. C'est tout ce qui passait dans sa tête à cet instant-là, embrasser le chef. Embrasser le chef. Embrasser le chef...embra...
— Si ça ne t'embête pas, tonna Ramis de sa voix doucereuse, j'aimerais avoir la recette de ton Moussaka.
Kalen hocha la tête, comme hypnotisé par la voix de son patron. Elle était à la fois autoritaire et bienveillante. Et il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose de poignant. Un voile de nostalgie à peine perceptible. Sans savoir pourquoi, Kalen eut la certitude que ce n'était pas le premier Moussaka que le chef Ramis avait gouté.
— Ne te leurre pas l'esprit, le coupa Ramis. Tu as encore beaucoup à apprendre. Si tu avais par exemple bardé ta viande, elle ne se serait pas desséchée, et serait demeurée tendre. Du beurre clarifié pour la sauce béchamel, toujours et toujours. La brunoise, c'était osé. Mais tu aurais mieux fait de blondir tes légumes, c'est ce que j'aurais fait. Et le dressage...laissait à désirer...
Kalen hocha à nouveau la tête, ne comprenant rien aux amphigouris que le chef débitait devant lui. Mais il se promit de se renseigner plus tard sur ce jargon gastronomique auquel il était encore étranger. Et sans que Kalen puisse en placer une, Ramis avait disparu à travers la porte. Bien après qu'il fut parti, Kalen sentit quelque chose lui chatouiller le nez. Il inspira longuement, et son cœur soubresauta. C'était...l'odeur de Ramis Winchester.
Un mélange de bois de santal et de romarin. Une odeur affamant et rassasiante à la fois. Kalen ferma les yeux, essayant de capturer à jamais cette odeur dans une partie de son cerveau. Mais peu après, elle s'estompa, et son cœur en réclama encore plus, avec une rage qui lui donna le tournis. Il fallait qu'il la sente à nouveau, cette odeur épicée.
Pourtant, c'était mal. Surtout à l'égard de Matteo. Pourquoi donc n'arrivait-il pas à se détacher ? A prendre du recul ? Il avait des objectifs à atteindre. Et tomber amoureux n'en faisait pas partie...
***
Au départ, Willow Nikova était réticente quant à la pertinence du plan de Jéricho Winchester. Mais en voyant la jeune Leonnie devant elle, sous les traits singuliers d'Ingrid Winchester, elle se sentit elle-même chamboulée.
Après le travail effectué par le coiffeur et le maquilleur, la ressemblance était frappante. Les cheveux de Leonnie avaient été teints du même blond cacao que l'étaient ceux d'Ingrid. Elle avait également des lentilles dorées, et quelques produits de maquillage avaient suffi à rendre sa peau aussi pâle que celle d'Ingrid Winchester.
Devant l'immense miroir de la chambre d'Ingrid, Leonnie tournait sur elle-même depuis bientôt une dizaine de minutes. Sa robe crayon azurée à manches de dentelles longues lui allait à ravir. Elle fixa la paire d'escarpins jaune à ses pieds, songeant qu'elle devait être prudente avec ces choses-là.
— Il va bientôt être l'heure, madame Dickez...ou devrais-je dire, mademoiselle Winchester.
— Bien sûr, reconnut Leonnie en lissant ses cheveux, qui avaient toujours été châtains foncés avant de devenir blond cacao. Elle se retourna vers Willow, et avança précautionneusement à cause des talons vertigineux. Pendant que la détective l'escortait, elle vérifia grâce à son oreillette si toute l'équipe était en place.
— N'oubliez surtout pas de fouiller tous les journalistes à l'entrée, ressassa-t-elle dans son talkie-walkie, rien ne doit être laissé au hasard...non, je ne vous dit pas comment faire votre...enfin, laissez tomber. Réorganisez l'équipe de filature...c'est tout ce que je dis...constatant sa nervosité, Leonnie ne put s'empêcher de stresser à son tour.
— Je vais mourir, c'est ça ? chuchota-t-elle en baissant le regard. Je suis un simple appât pour attirer l'homme que vous recherchez.
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