25 HOSPITALISATION
Le bip caractéristique de l'électroencéphalogramme rappela à Kalen où il se trouvait. Odeur de maladie et de mort. De tristesse et de crainte. Il avait oublié l'espace d'un instant qu'il était à l'hôpital. Il s'était assoupi pendant quelques minutes en attendant l'arrivée de Tony avec les résultats du scan cérébral.
Il dût attendre un instant que ses yeux s'accommodent à la pénombre environnante. Léaina était aussi dans les vapes, assise de l'autre côté du lit de Matteo. La courbe verte de l'ECG brillait dans l'obscurité en émettant un bip régulier. Seule une faible ampoule bleutée illuminait le dessus de leurs têtes, celle qu'on allumait chaque nuit pour les noctambules.
De toute façon, chaque garde-malade l'était un peu. Il était une heure dix. Kalen essuya un filet de bave qui lui avait échappé, puis s'étira longuement. La douce chaleur du chauffage lui fit un peu de bien, et il desserra l'écharpe bleue autour de son cou.
Matteo était toujours endormi, après la quantité de sédatifs qu'il avait reçue. Le voir dans cet état léthargique arracha un soupir de douleur au brun. Il caressa l'une des mèches brunes de son enfant. Lorsqu'il entendit la voix de Tony dans les couloirs, il se leva et se précipita à sa rencontre.
Le docteur Delacruz avait d'immenses cernes violetés, ainsi qu'une mine déconfite. Son teint grisonnait plus que d'habitude, son visage était tiré vers le bas en signe de tristesse.
— Ah, Kalen ! C'est justement toi que...j'évitais...
— Les résultats du scan sont si terribles que ça ?
— Je ne parle pas de ça, plutôt de sa leucémie...Kalen, nous allons devoir entamer les procédures, greffon ou pas...
— Tu m'avais dit que la chimio pourrait aider Matteo, tout comme elle pourrait précipiter sa mort ! Le risque de récidive du cancer après la chimiothérapie est très élevé. Et il a un facteur pronostique défavorable à cause de sa prédisposition génétique aux problèmes cardiaques. Son grand-père souffre d'insuffisance coronarienne, tu t'en souviens. La chimio ne peut pas aider l'enfant, Tony. Toi-même tu me l'avais dit.
— Oui, mais si on n'agit pas dans les prochaines heures, Matteo va mourir.
— Tony...
— Il faut que tu le saches, Kalen. Le pronostic vital du gamin a été enclenché. Les cellules leucémiques ont attaqué son système nerveux à un point inimaginable, d'où ses convulsions non fébriles de tout à l'heure. Nous avons dû le plonger dans un coma artificiel pour empêcher d'autres convulsions et réduire les risques de dommages irréversibles à son cerveau.
"A cause du cancer, ses anticorps ont du mal à reconnaitre ses propres organes et les attaquent. Ainsi, à chaque fois que son cerveau émet une activité, il est bombardé d'immunoglobulines. Mais avec de la cytarabine et une chimiothérapie intense, on a peut-être une possibilité de le sauver sans greffe de moelle osseuse. Néanmoins les chances que ça marche sont très faibles."
— C'est trop risqué, coupa Kalen. Je t'apporte le greffon demain matin.
— Tu n'es même pas sûr que ton Ramis soit compatible.
— Je ne perds rien à essayer.
Kalen se retourna pour qu'Antonio ne voie pas ses larmes. Il perdait tout à essayer, il le savait. Il se trahirait auprès de Ramis, il finirait en prison. Et il n'était même pas sûr comme Tony le disait, que Ramis soit compatible. Matteo était en train de mourir, et sa meilleure chance de survie était une supposition...Une espérance...Un vœu...
A cette pensée, Kalen s'adossa contre le mur longiligne du couloir et s'y laissa glisser. Il donnait l'impression qu'il n'avait plus la force de tenir debout ; qu'il était prêt à tout laisser tomber. Non, il n'avait pas à cacher ses larmes au monde entier. Elles étaient légitimes. Elles étaient justifiées. Il n'avait aucun raison de les cacher. Il pouvait pleurer, tempêter contre tout et tous.
La malédiction frappait à nouveau. Elle lui enlevait son fils. Il pouvait pleurer, personne n'en dirait rien.
— Je sais ce que tu ressens, avoua Antonio en s'asseyant près de Kalen dans le couloir. J'ai accouché cet enfant et je lui ai sauvé la vie. Il représente aussi beaucoup de moi.
— Alors, sauve-le encore...encore une seule fois. Une dernière fois, pitié... il se prit la tête entre les mains et ses sanglots se mêlèrent à la voix de la femme dans l'interphone qui résonnait par intermittence dans le couloir vide.
— Kalen ! le gronda le chirurgien. Je ferais tout ce qui est en mon possible pour que Matt vive. Crois-moi, je suis prêt à tout pour ça.
— Je ne vais pas tenir, s'il meurt...
Kalen pencha sa tête et la coinça sur ses genoux repliés. Et les soubresauts qui animaient ses épaules furent les seules preuves de la douleur atroce qui l'animait.
— Lala ne doit rien savoir, souffla Antonio, le regard perdu dans le vide.
Le veuf acquiesça de la tête. Tony avait raison. S'il y avait une chose que Léa ne pourrait supporter, ce serait de perdre Matteo. Et c'est ce qui était en train d'arriver. Kalen se releva en essuyant ses joues trempées.
— Pourquoi attendre ? hoqueta-t-il en enfilant sa chemise bleue dans son jean. On est déjà demain.
— Ou vas-tu ?
— Au Smaken, répondit le brun. Je ne compte pas enterrer mon fils avant son dernier souffle. De gré ou de force, Ramis me donnera ce qu'il me faut, parole d'un Lachenaie.
— Ne fait pas bêtises, bonhomme ! cria Antonio, alors que le brun avait déjà disparu de son champ de vision. Tu pourrais le regretter plus tard...
***
Ramis Winchester avait un sommeil très léger. Cela datait de quand il était plus jeune. Il détestait rater l'ouverture du Smaken par son père quand celui-ci était encore chef. Aussi, alors qu'Ingrid faisait la grâce matinée, il guettait les bruits de pas de son père dans le couloir, et se réveillait presque toujours à temps pour l'ouverture du restaurant.
Avec le temps cette habitude était restée, devenant une seconde nature. Alors, lorsque son téléphone commença à vibrer, il prit l'appel à la toute première sonnerie. Qui pouvait l'appeler à cette heure ? Le souffle court de son interlocuteur annihila le peu de sommeil retenu dans ses yeux.
— Ramis, c'est Kalen...Je suis devant le restaurant, vient m'ouvrir s'il te plait.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro