Mars - 8.
— T'as fait quoi ?
Victor recula un instant, surpris par l'exclamation de son amie. Il fallait dire que Pauline était particulièrement expressive quand elle le voulait. Or, là, elle avait plus crié que parlé, signe que son excitation envahissait tout son corps.
— T'as bien entendu, soupira le garçon. Ce n'est pas si extraordinaire que ça, Lili.
— Non mais... C'est juste génial ! T'as réussi à passer ton oral d'anglais sans bégayer plus de trois fois ! Et t'as eu dix-sept, Victor ! Tu ne dépasses jamais le treize à l'oral ! C'est Yann qui t'a entraîné ? Tu peux me le dire, hein.
— Eh bien...
— Je doutais un peu de lui, au début. Je croyais qu'il aurait quand même eu une légère mauvaise influence sur toi.
Tout en buvant une gorgée de son verre d'eau, Pauline ferma les yeux et leva légèrement le menton, un air philosophe sur le visage.
— Comme quoi, il n'y a que les cons, qui ne changent pas !
— Qui est con ?
Victor et Pauline tournèrent la tête vers l'origine de la voix, qui s'avérait être le con en question. Une bouffée de chaleur s'empara des joues du lycéen, gêné que son camarade ait pu entendre toute la conversation.
— Eh bien, ce... c'est que... commença la demoiselle, visiblement aussi perturbée que son meilleur ami. On parlait des gens en général.
— Ouais. Pauline croit bon de m'expliquer la vie avec ses proverbes.
— Mais les proverbes sont le vent qui caressent les jeunes pousses au printemps, petit scarabée, dit-elle, un doigt en l'air.
— Tu veux manger avec nous ? demanda Victor. Aïe !
Il lança un regard assassin à Pauline en se massant la jambe.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Yann, en haussant un sourcil.
— Je me suis cogné contre cette stupide table, et... aïe ! merde, quel imbécile, je recommence ! En même temps ils pourraient les concevoir autrement, ces foutues tables !
En se frottant la jambe, il croisa le regard de sa camarade qui, par un simple jeu d'oeillades, lui fit comprendre qu'ils reprendraient cette discussion plus tard.
Elle serait bien capable de me poursuivre jusqu'en Enfer pour avoir les nouvelles de l'affaire Leprince... Je suis pas un magazine people, moi, merde ! se lamenta-t-il en se remettant droit.
Yann, de son côté, s'installa à côté de son ami. Il y posa son plateau et commença à manger.
— Au fait, ça s'est bien passé ? demanda-t-il à Pauline.
— Niquel. C'est dommage que tu n'étais pas là.
Il acquiesça, heureux que sa camarade ait réussi. Même s'ils n'entretenaient pas les meilleures relations du monde, le populaire appréciait la meilleure amie de son collègue.
— Et toi ?
— Moi ? s'interrogea Victor en se pointant du doigt.
— Non, le pape.
— C'était... Je sais pas vraiment quel mot employer.
— Incroyablement génial, intervint Pauline.
— Voilà. J'aurais dit absolument trop cool, mais ça marche aussi ! Je suis trop fier de moi.
— Dommage que tu n'aies pas pu assister à ça, commenta la jeune femme.
— C'est vrai, mais si tu as réussi, c'est le principal.
— En même temps, c'est grâce à toi, dit Victor.
Yann fronça les sourcils.
— Comment ça, grâce à moi ?
— Bah voyons, si tu ne m'avais pas emmené là-bas...
— Je sais, j'ai eu une superbe idée, même si t'as tiré la tronche quasiment de bout en bout. Mais ce n'est pas que grâce à moi. Ce n'est pas la maman oiseau qui bouge les ailes de son poussin, elle lui montre juste le chemin. Tu es responsable de ta réussite.
Victor marqua une pause, clignant plusieurs fois des yeux. Il n'avait pas rêvé ! Il se posa la question une bonne dizaine de fois avant de se rendre compte que ce n'était pas le cas. Un rictus prit peu à peu place sur son visage, et il manqua de s'étrangler avec ses haricots verts mal assaisonnés.
— Attends... Tu viens sérieusement de nous comparer à des piafs ? Et moi à un poussin ?
— Et ? fit Yann, boudeur.
— Non, rien...
Mais il n'y avait pas rien, parce qu'à peine croisa-t-il le regard de Pauline qu'il explosa de rire, se tordant en deux sous l'effet de l'émotion soudaine. La jeune demoiselle le suivit bien rapidement. Yann resta un instant sans rien dire, puis un ricanement s'échappa de ses lèvres.
— T'es drôle, quand tu veux, tu vois ! dit Victor.
— Comment ça, quand je veux ? Je suis drôle ! répliqua Yann, en insistant bien sur chaque mot de sa dernière phrase.
— Oui, c'est vrai.
Une fois la crise de rire passée, les trois adolescents continuèrent à manger en discutant de tout et de rien, bien qu'ils furent plusieurs fois interrompus par de jeunes gens qui passaient et saluaient le blond. Pauline et Victor s'échangèrent plusieurs fois des regards et des soupirs, lassés de ce petit manège. Mais pouvait-il en être autrement quand on est assis à la même table que Yann Leprince, le littéraire le plus brillant du lycée ?
— Au fait, dit ce dernier, elle a dit quoi, la prof, du fait que je sois pas là ?
— Elle a dit que les absents auraient zéro, prophétisa Victor, le ton grave.
— Quoi ? s'exclama le littéraire. C'est une blague ?
— Oui.
— Quoi ? Non mais sérieux, elle va vraiment me mettre un... Attends, t'as dit oui ?
— Hein, moi, j'ai dit oui ? répliqua le brun, levant les mains, innocemment.
— Victor, je vais te faire rentrer tes haricots par les trous de nez.
La future victime de meurtre leva les bras vers son visage, un air paniqué dans les yeux.
— Pauline ! Appelle SOS couples battus ! Il va me tuer !
— Mais non, il t'a juste dit que t'allais respirer des haricots verts. Et puis ça te rappellera des souvenirs.
— Des souvenirs ?
Intrigué, Yann posa le haricot vert qu'il brandissait et se tourna vers sa compagne. Cette dernière se racla la gorge et joignit ses deux mains en les croisant.
— C'était un triste jour de décembre, commença-t-elle, un air sombre. Il pleuvait, il faisait froid, et on venait de sortir d'un contrôle de mathématiques sur les multiplications. Les multiplications ! Nous, des élèves de sixième ! Victor était très mécontent. Il s'est mis à râler pour un rien, toute la matinée. Ce qui était très pénible, quand j'y repense.
— Eh ! Ne me juge pas, j'étais bon en maths et j'aimais pas qu'on me prenne pour un idiot.
— Oui mais moi, je n'y étais pour rien ! Bref, laisse-moi finir, mon poussin. Donc, il était lourdingue, mais à un niveau encore rarement atteint.
— Je vois le genre, commenta Yann.
— T'es de quel côté, toi ? se plaignit Victor.
— Tais-toi, lui ordonna Pauline. Ou je te fais avaler tes haricots de travers. Donc, toute la matinée il n'a pas arrêté de se plaindre, si bien qu'une fois le repas arrivé, je lui ai dit que j'allais lui faire bouffer ses haricots par tous les trous possibles. Et ce con, il a essayé ! Sauf que le hasard fait très mal les choses, il a trouvé sa voix nasillarde très proche de celle de notre prof de maths.
— En même temps, une telle voix...
— Et donc ça t'a donné envie de l'imiter. Super. Tu imagines bien, dit-elle à Yann, que si je parle du hasard c'est bien parce que notre prof a eu le bonheur de passer à côté de nous. Résultat, Victor s'est fait coller une après-midi entière et moi j'ai eu le droit à une belle engueulade, à cause de ses conneries.
— Cette tête de con était trop susceptible... râla-t-il.
— Tu l'as imité en mettant un haricot dans ton nez et en lui disant que c'était le prochain crayon du prof !
— Pas de ma faute si ce crado se curait le nez avec ses crayons !
— Te moque pas de lui, rit Yann. Toi, t'as pris un haricot.
Les joues rouges et hilare, Victor termina son assiette en prenant soin de ne pas manger le reste de ses légumes.
— Ah bah ça fait du bien ! dit le blond en terminant son dessert.
— Grave ! C'est clair ! acquiescèrent les deux autres.
— Sinon, cette histoire de dessert m'a fait penser à un truc que je voulais vous dire.
Pauline et Victor tendirent l'oreille, attentifs à ce qu'allait dire Yann. Ce dernier se racla la gorge.
— J'ai vu qu'une soirée karaoké était organisée dans un bar, pas très loin d'ici. Est-ce que ça vous dit de venir ?
— Eh bien... commença Victor.
— Pourquoi pas ? termina Pauline.
Victor lui lança un regard assassin. Il aurait préféré prendre son temps avant de donner sa réponse. Là, il avait l'impression de devoir se plier aux caprices de son amie.
— Ce serait super ! Je suis sûr que ça vous plaira, dit Yann. En plus, vous savez quel thème sera à l'honneur ?
Comme il s'agissait d'une question rhétorique, les deux autres secouèrent la tête, ne sachant vraiment quoi répondre de toute façon.
— Le Japon ! s'exclama le blond. Le Japon, les gars ! C'est pas formidable ?
— Sérieux ? Et on doit venir en cosplay ? rit Pauline.
Le coeur du plus réservé des trois se mit à battre à toute allure. En cosplay ? Serait-ce une mauvaise blague ? Il savait pertinemment qu'il ne pourrait même pas y échapper, au vu des yeux pétillants de Pauline et du sourire de Yann. Pourquoi avait-il fallu qu'il se lie d'amitié avec une fan inconditionnelle de ce pays mythique ? Lui aussi aimait le Japon, mais il n'avait pas un attachement aussi fort pour ce pays que sa meilleure amie.
— Pourquoi pas ? Je sais que certains le feront.
— Certains ? Parce que tu connais des gens qui vont y aller ?
— Je... Eh bien... Je disais ça comme ça.
— Yann, tu mens mal, fit remarquer Pauline.
— Quoi ? Mais...
— Dis la vérité au lieu de nous faire poireauter, s'il te plaît.
— Eh bien, Mathéo va sûrement y aller...
Victor releva les yeux de son portable qu'il consultait. Quand ce prénom résonna à ses oreilles, il sentit ses muscles se crisper. Il ne connaissait pas ce gars. Ce prénom lui disait vaguement quelque chose, mais... était-ce bien cela ? Le coeur du brun rata un battement ou deux, et il le sentit faire un mouvement de balancement dans sa poitrine.
— Mathéo ?
— Mon meilleur ami, dit Yann en haussant les épaules.
— Ah.
— Et c'est quand ?
Intérieurement, l'adolescent remercia Pauline pour son intervention, coupant ainsi court à ce début de silence gênant.
— Vendredi, répondit Yann. Vers vingt heures, si je me souviens bien. Bah, de toute façon, je vous passerai l'adresse et l'heure exacte tout à l'heure. Là, ma mémoire me fait défaut.
Les trois lycéens quittèrent le réfectoire à ce moment-là. Pendant ce temps, Victor médita la proposition de son ami, se demandant surtout qui était le meilleur ami de Yann. Devait-il se méfier de lui ? Ou accepter sa présence sans se méfier ? Il ne savait pas vraiment. Il considérait un peu les deux, se sentant un peu coupable de son ressentiment envers un inconnu mais ne pouvant s'empêcher de se poser des questions quant à la vraie nature de la liaison entre Yann et Mathéo.
Les dernières minutes avant la fin de la pause parurent durer une éternité pour le pauvre Victor, qui n'écouta pas vraiment le reste de la discussion et se contenta d'approuver ou de nier. La sonnerie fut presque salvatrice à ses yeux. Mais c'est l'esprit retourné et tourmenté par ces interrogations qu'il regagna sa salle de cours.
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