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Mars - 7.

 Si tôt il se retrouva dehors, si tôt la morsure du froid saisit Victor, qui se mit à grelotter. Sur le trottoir adjacent, Yann l'attendait, perché sur un rebord de fenêtre de magasin fermé et les yeux rivés sur son téléphone. Il arborait toujours son magnifique bonnet qu'il portait en cours et que le brun trouvait particulièrement mignon. Un sourire naquit en se rappelant qu'il avait cherché par lui-même son numéro de téléphone.

Parler avec les réseaux sociaux leur semblait bien suffisant, mais un infini plaisir s'ouvrait en lui comme une fleur en imaginant à présent le nom de son ami dans son répertoire. Comment l'avait-il appelé ? Lui avait-il donné un surnom ? Il n'en savait rien, mais le plaisir d'imaginer ceci faisait augmenter sa cadence.

Prenant bien garde de ne pas se faire écraser, Victor traversa la rue.

— Yo ! lança-t-il, une fois devant Yann.

— Salut.

Le blond rangea son téléphone dans sa poche et, avec un grand sourire, fit la bise au plus petit. Un peu troublé, le brun ne fit aucun commentaire. Les deux se mirent à marcher, Yann devant. Dire que le jeune lycéen prenait goût à cette marche serait un peu exagéré, mais il en avait au moins pris l'habitude. Ils s'échangèrent quelques mots, sur la pluie et le beau temps.

— Heureux de me voir ?

Victor haussa un sourcil. Quelle question ! Bien sûr qu'il l'était ! Si on posait ce genre de questions dans des jeux télévisés, on pourrait l'appeler champion bien plus rapidement que de faire un jeu de mot.

— Ouais.

— Je t'imaginais plus convainquant que ça ! le taquina Yann.

— Tu veux que j'écrive un sonnet à ta gloire, bel Apollon ? se moqua le brun.

— Et pourquoi pas ?

Ils rirent, s'attirant quelques regards parmi le flot de fantômes qui déferlait autour d'eux. Victor croisa les yeux ravageurs d'une petite antiquité, petite, ronde et écorchée par les griffes du temps, dont le regard semblait lancer plus d'éclairs que d'amour. Le personnage mesquin que Victor détestait. Quand ils passèrent devant elle, un murmure sortit de sa bouche. Un murmure qu'il identifia comme une insulte.

— Qu'est-ce qu'elle a dit, là ? s'insurgea le brun.

— Laisse tomber, répondit Yann en avançant. Ce débris n'en vaut pas la peine.

Comme il s'était fait distancer par son camarade, le plus petit dut le rejoindre à grandes enjambées.

— Yann...

— Elle ne mérite même pas notre attention. Tiens, regarde, un truc infiniment plus intéressant que son existence.

Victor suivit du regard et resta un instant bouche bée.

— Quand le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt.

— Eh ! on peut savoir pourquoi tu me balances une phrase comme ça, gratuitement ?

— Le fait que tu regardes effectivement dans la mauvaise direction ?

Le jeune homme se rendit compte de son erreur, et, ronchonnant dans sa barbe naissante, il suivit enfin les indications de son compagnon. Un sourire se dessina sur ses lèvres :

— Comment pourrais-je refuser ?

Lorsqu'ils entrèrent à l'intérieur, une délicieuse et charmante odeur de nourriture les assaillit de toute part. Les garçons se dirigèrent vers une table où ils s'assirent.

— Décidément, tu sais me prendre par les sentiments, déclara Victor, ravi.

— En l'occurrence, c'est plutôt par l'estomac que je te prends. Mais si tu veux que ce soit ailleurs...

— Quoi ?

— Tu veux vraiment que je répète ?

Le brun vira à l'écarlate, se retourna en essayant de s'assurer que personne n'avait entendu.

— Non, je crois que ça ira.

— Eh bah, ça ne te plairait pas ? Bébé ? susurra-t-il.

Un frisson parcourut le dos de Victor, qui recroquevilla sa tête entre ses épaules, comme une tortue qui rentrerait dans sa carapace.

— Ah non, commence pas à faire ton bad boy.

— Mais tu crois que je suis quoi, mon grand ?

En réfléchissant à cette question, l'adolescent devait bien se rendre à l'évidence. Yann partageait quelques traits avec cette figure si emblématique et redoutée qui pullulent dans les lycées.

— T'es plutôt un petit démon qui cache bien son jeu, remarqua le brun.

— Moi ? Du tout ! Enfin ! Quand même, Victor ! Tu ne crois tout de même pas... ?

— C'est ça, fais l'innocent.

L'innocent en question le pointa du doigt, un air malicieux flottant sur son visage.

— Toi aussi, tu caches bien ton jeu, mon petit.

— Non, moi je suis vraiment sage.

— Dit celui qui a failli se prendre deux heures de colle par Samia il y a trois mois. Et une autre par Joseph il y a une semaine.

— Eh ! C'est pas vrai ! Et attends, la prof d'anglais s'appelle vraiment Samia ? Et celui de littérature... Attends, bordel, il s'appelle Joseph ?

Yann acquiesça, attirant l'admiration de son camarade.

— Comment tu les connais par leur prénom, au fait ?

— C'est Aurélien qui me l'a dit.

— Aurélien ?

— L'AVS de Naomi.

— Ah, lui !

Une nouvelle fois, l'apprenti écrivain fit un mouvement de la tête. Aurélien était un jeune homme très agréable, apprécié de la majorité de la classe.

— Ouais. Il est vachement sympa, comme gars.

— Je sais, j'ai parlé avec lui quelques fois. Un peu réservé et timide au premier abord, mais franchement, ça va.

— Tout le monde l'apprécie, commenta Yann.

— Ouais. Même Jordan.

— Ouais. Tu te souviens de la manière dont il a remis à sa place ce petit con ?

— Bien sûr ! C'était... mémorable. Le meilleur moment de l'année.

— En même temps, il ne faut pas embêter Naomi. Quoi qu'elle n'a pas sa langue dans sa poche non plus ! Ils se sont bien trouvés.

— Tellement ! L'autre tête de con était rouge de honte. Mais je savais pas qu'ils avaient fait la paix.

— Si, il s'est même excusé.

Le jeune homme siffla, impressionné. Ce n'était pas dans les habitudes de Jordan de s'excuser. A ce moment précis, un serveur arriva. Il leur parla, et Victor écarquilla les yeux, plus spectateur de sa vie qu'à nul autre instant jusqu'à présent.

— Tu veux quoi ? lui demanda Yann.

— Euh... Je vais prendre... Un tiramisu, tiens. Oh, non, deux.

— Excellent choix.

Le lycéen se mit à parler à l'employé, qui prit leur commande et s'éloigna. Victor le regarda partir, d'abord incrédule, puis consterné par la tournure que prenaient les événements. Il dévisagea son compagnon de table qui illumina son visage d'un air innocent.

— Deux minutes, il a parlé anglais !

— Non, c'est un extraterrestre qui cause l'espéranto.

— Tu m'as emmené dans un café linguistique ?

— Tu voulais bien combler ton ennui, non ?

Victor commença à regretter son lit douillet, sa couverture et son roman, aussi pénible soit-il. Il était encore moins pénible qu'une séance d'anglais dans un café. Il détestait l'anglais et éprouvait une aversion pour cette langue. Il préférait mille fois l'espagnol.

— Oh, allez, ne fais pas cette tête, Vic ! On fait d'une pierre deux coups, non ? Tu sais pourquoi je t'ai emmené ici ?

— Pour me torturer, mais faire passer ça avec un tiramisu ?

— C'est le seul café linguistique dans le quartier qui fasse d'aussi bons desserts.

— Donc en gros, tu n'y vas pas pour la langue ?

— Si, si, mais plutôt pour ravir ce qu'il y a dessus, mes chères petites papilles.

— Gourmand.

— Ce n'est pas moi qui ai commandé deux desserts au lieu d'un, pourtant.

— Salaud, tu t'en prends à mon régime, c'est ça ?

— Il y a pas que toi qui sois au régime, tu sais.

— Parce que tu l'es aussi ?

— Non, il y a aussi ton niveau d'anglais.

Le brun grinça des dents suite à cette pique. De la part du jeune écrivain, qui était bilingue, et qu'on soupçonnait fortement d'être polyglotte, la remarque s'avéra assez douloureuse.

— Tout le monde n'a pas la chance de passer ses vacances aux States, commenta-t-il, sarcastique.

Le blond souffla un instant et un éclair passa dans ses yeux. Il détourna le regard et préféra admirer la beauté du mur et de son ignoble papier peint verdâtre.

— Ce n'est pas tout rose, là-bas. Et la majeure partie de mon niveau d'anglais, je le dois à ce café.

Le ton sec et dur de Yann refroidit instantanément son camarade, qui s'affaissa sur son siège.

— Je... J'ai dit quelque chose de mal ?

— Non, laisse tomber. Je suis vraiment pas fan de ce pays en fait. Il commence à me dégoûter. J'y vais surtout parce que j'y suis obligé.

— Pourquoi ? Si c'est pas trop indiscret...

— J'ai de la famille, là-bas.

— Mais pourquoi tu n'aimes pas ce pays ? Le rêve américain, Hollywood ?

— La seule chose que j'ai vue d'Hollywood, c'est Hollywood chewing-gum et rien d'autre.

— Même pas une petite star ?

— Même pas une petite star.

— Quelle tristesse. Tu m'emmèneras là-bas ?

— Quand tu seras devenu bilingue.

Le brun se ratatina sur lui-même, défaitiste. Il aurait mieux fait de répondre négativement, ça aurait été plus rapide !

— Autant dire que je ne verrai jamais la couleur de l'Empire.

— T'as internet pour te consoler.

— C'est censé me réconforter ? questionna Victor.

— Ce qui peut te réconforter, en revanche, c'est de savoir que ce n'est pas aussi sympathique qu'on ne le pense. Certes, ce pays est magnifique et les gens y sont très agréables pour la plupart, mais quand on y a établi sa routine... Et crois-moi, il y a aussi beaucoup plus de cons là-bas.

— C'est pas cool pour ce pays, ça.

— Statistiquement c'est le cas, hein. La population est plus grande là-bas qu'ici, c'est un simple calcul.

— Prends-moi pour un idiot aussi !

My stupid lover, ricana Yann.

— Eh ! Je veux bien croire que mon niveau est assez faible, mais tout de même, je ne suis pas sourd !

— Alors si t'es pas sourd, essaie d'en profiter pour écouter les conversations des gens.

— Tu veux que je fasse ma commère ? Je m'appelle pas...

Victor s'arrêta en plein milieu de sa phrase, pantois. Yann se passa une main sur le visage. Quel idiot ! se dit le jeune monolingue. Tacler la meilleure amie de quelqu'un devant cette personne, il n'y avait que lui pour faire ça.

— Non, je veux que tu retiennes quelques phrases. Et tu vas parler un peu avec le serveur.

— T'es sérieux ?

— Aussi sérieux que le Joker face à Batman, mon cher. Courage, tu vas y arriver.

— Mais tu m'as bien vu en cours d'anglais...

— Oui, grimaça son copain. Et c'est justement pour ça que je t'ai emmené ici.

— T'es sadique, Yann ! Je vais y laisser ma peau !

Yann posa sa main sur celle de Victor. Ce dernier sentit sa peau s'électriser au contact de celle de celui qui hantait ses rêves.

— Ne t'en fais pas, je trouverai les Dragon Balls et ils te rendront la vie. Allez, courage ! Il arrive.

Effectivement, le même serveur revenait dans leur direction. Il leur déposa leur dessert devant eux. De ce que Victor comprit de la discussion que le blond tint avec l'employé, il lui dit que c'était la première fois qu'il emmenait son ami ici. Le serveur se mit alors à lui poser des questions, et le brun entreprit de lui répondre, bien qu'il fit ça si gauchement qu'en croisant le regard de son ami, il y lut une expression de tendresse.

Ce moment, terriblement gênant ou amusant selon le point de vue duquel on se plaçait, s'acheva en laissant les deux garçons rouges ; l'un de honte, l'autre d'une hilarité qui ne manqua pas de vexer le premier.

— C'est pas gentil de te moquer de moi !

— Non, mais c'est quand même un peu marrant... Je te trouve juste trop mignon.

— Je serais curieux de voir comment tu te débrouillerais dans une langue que tu n'aimes pas !

— Tu n'aimes pas l'anglais ?

— Tu le sais très bien, bouda le brun.

— Faux, tu détestes la prof.

— Je suis pas changeant en fonction de mes profs, hein !

Pour se consoler de cet affront, Victor plongea sa petite cuillère dans l'un de ses desserts et en prit une bouchée de géant.

— La vache ! C'est trop bon !

— En anglais, tu serais mignon, Teddy.

— Oh, tu vas pas t'y mettre, avec cette phrase toute faite ! Et pourquoi Teddy, d'ailleurs ?

— J'sais pas, c'était le nom de l'ours en peluche d'un gosse que j'ai vu en Amérique. J'ai trouvé ça mignon, Ted.

— Arrête de m'appeler comme ça !

— Comment, Ted ?

— T'es lourd, Yannou.

So ?

Shut up.

— Ah bah voilà, tu progresses !

Victor ignora les fausses félicitations de son camarade et se concentra sur le plus important : manger ces merveilles de la gastronomie.

— Franchement, avoua-t-il après avoir fini la moitié de son deuxième gâteau, même si la barrière de la langue est d'une lourdeur sans nom, je trouve que t'as eu une bonne idée de m'emmener ici.

— Tu vois ? Personnellement, je préfère leurs Bananas Splits. Un vrai délice.

— Tu essaies de me faire passer un message ?

— T'es sûr que Pauline n'a pas perverti ton esprit ? répliqua le jeune écrivain en sortant son carnet, un sourire aux lèvres.

Victor le dévisagea, incrédule. Il n'en revenait pas.

— Attends, tu fais quoi, là ?

— Tu ne le vois pas ? Tu veux mes lunettes ?

— Non mais tu vas écrire alors que je suis avec toi ? Tu te moques de moi ?

Mais Yann ne se moquait pas de son ami, car quand viennent les vagues de l'inspiration, l'écrivain, devenu surfeur l'espace d'un souffle, doit savoir les chevaucher au moment opportun. Les mots, comme le temps, n'attendent pas. Ils tourbillonnent autour des cerveaux visionnaires, y pénètrent avec force, les contaminent. Et comme tous les mauvais rhumes, ils finissent par s'éteindre puis par se dissiper au gré de l'ennui ; et comme le cancer, ils s'ancrent en nous et nous rongent avec la violence de l'acide. 

Le seul remède connu ? La plume. Pourtant, comme toutes les solutions, elles peuvent se retourner contre celui qui veut se soigner, celui qui veut guérir. Néanmoins, existe-t-il un autre miracle que ce dernier ? L'écriture est un état schizophrénique du coeur et de l'âme, tantôt maladie, tantôt guérison ; et la plume est cette épée qui répare autant qu'elle tranche.

— Du calme ! répliqua l'artiste. Je ne fais que noter quelques idées. Je ne vais pas écrire tout mon chapitre.

— J'espère bien ! C'est quand même toi qui m'as invité !

— Je sais. Attends... Attends...

Le jeune homme grattait furieusement le papier avec son stylo, y déposant les marques de son esprit. Victor put admirer ce spectacle durant une bonne minute ; la tête basse, Yann n'en restait pas moins le garçon le plus charmant et, selon les désirs hyperboliques du brun, l'écrivain le plus talentueux et formidable qu'il connaissait.

— Tu sais que t'es magnifique quand tu écris ?

Le blond releva la tête et croisa ses deux perles de jade avec celles chocolat de son collègue, et un sourire orna son visage. Il le remercia et se mit à nouveau au travail. Un instant plus tard, le jeune homme acheva sa poétique besogne.

— C'est bon !

— Enfin ! Je peux voir ?

— Seulement si tu me fais un bisou.

Yann n'attendit pas la réaction de son ami, et avec un petit sourire, il lui tendit son carnet, avant de se pencher vers son assiette pour en finir avec son dessert. Victor ne fit aucun mouvement. Il ne sourcilla pas. Il ne parla pas. Il demeura les yeux ouverts, contemplant ces lignes écrites dans un style tout à fait indescriptible ; pour le commun des mortels, l'écriture du jeune auteur serait banale, triviale, absolument ordinaire, si l'on exceptait sa légère inclinaison. 

Mais pour lui, cette écriture lui paraissait si... si... Les adjectifs manquaient dans l'esprit du brun. Aussi, il passa plus de temps à chercher ce qui distinguait l'angélique artiste aux yeux qui rendraient vertes de jalousie les forêts des autres adolescents des autres individus sur terre.

Il est beau, et je l'aime, songea Victor. Il est beau, je l'aime, c'est de l'amour et tout en même temps qui m'envahit quand je croise ses prunelles, quand je touche ses mains, quand je marche à ses côtés. C'est avec lui que je veux regarder dans la même direction, c'est lui qui fait mon présent et puisqu'il a hanté mes rêves, c'est aussi mon passé. Voilà la seule vérité qui se dégageait de ces mots, de ces quelques notes, de ces indications qui criaient à elles seules l'étendue de son talent.

— Alors ? intervint Yann.

Devant Victor, ne se trouvait plus l'adolescent fougueux et populaire qui maintenait ses façades, l'adolescent gentil et parfait, chef d'une meute féroce et qui ne céderaient pour rien au monde leur célébrité et l'éclat de la lumière qui se déversait sur eux ; devant Victor, se tenait un artiste pétillant, un artiste qui attendait son jugement, une âme solide qui soutenait du regard avec franchise celui qui, pour l'espace d'un instant, tenait son jugement entre les mains, et qui malgré sa solitude, déciderait s'il l'enverrait aux Champs Elysées ou dans les profondeurs du Tartare.

Victor ne reconnut pas de suite la voix du jeune homme, bien plus douce et mesurée qu'à l'accoutumée. Et cette voix, cette douce voix, cette terrible voix, rendait le verdict du lycéen encore plus complexe. Comment être impartial dans de telles conditions ? 

S'il devait écouter l'écho de son coeur, sûrement prendrait-il le carnet de Yann pour le montrer au monde en entier, et ce peu importe qu'il dût parler espagnol, chinois, japonais, allemand ou anglais, peu importe qu'il dût faire l'exposé de la grandeur de celui qui faisait battre son coeur en langue des signes, il le ferait ; qu'importait les gens autour, qu'importait leur langue, leurs caractéristiques, leur handicap, leur normalité, leur compréhension du monde et tant pis s'ils étaient stupides au point de refuser leur lien, il imprimerait le regard de Yann dans l'esprit des aveugles à la seule force de ses mots, il ferait chanter les muets à la seule intensité de son regard et ferait entendre la mélodie du talent aux sourds par la seule grâce de ses gestes : parce que le monde ne pouvait ignorer décemment cet être qu'il était le seul à admirer vraiment, au-delà du reflet de la société.

Mais il n'en fit rien. Aucun son ne sortit du fond de sa gorge ; il ne se leva pas, ne brandit pas non plus le cahier qu'il tenait entre ses mains. Il se contenta de le rendre à Yann, qui l'accepta en attendant une réponse.

— Alors ? hésita-t-il une seconde fois, timide.

— Je... Mais c'est génial ! Franchement, c'est une superbe idée. C'est bien, de penser aux petits détails.

— Tu trouves ? répondit Yann en poussant un petit soupir de soulagement. J'avais peur que ça fasse un peu trop, au final.

— Absolument pas ! Attends, ça vient de me donner une idée !

Poussé par une force que tous les artistes connaissent bien, il arracha presque l'objet des mains de son ami et lui déroba son stylo. Il se mit alors à gribouiller furieusement. Quelques mots et symboles sur le papier plus tard, Victor posa le carnet et releva la tête.

— Pourquoi tu te marres ? demanda-t-il à son acolyte.

— Tu sais que tu tires presque la langue quand tu te concentres ? C'est tellement mignon !

— Te moque pas et regarde plutôt ce que je viens d'ajouter, bouda l'autre.

Yann ne répondit pas et s'empara de ses notes pour les lire attentivement. Il y fit quelques ajouts et regarda Victor :

— C'est bien ! Ouais, franchement, ça se complète bien avec l'épisode de la neige. Après... Non, peu importe.

— Du coup, on garde ?

— Je sais pas trop.

— Eh !

— Quoi ? s'interrogea le blond face au cri de protestation de son ami.

— Je m'attendais à un oui, moi. Méchant.

— Je plaisante ! Range tes griffes, chaton. Bien sûr qu'on garde.

— Méchant quand même, tu joues avec mon coeur.

— La vie est un jeu.

— Ouais, accorda Victor, à contre-coeur.

Pour la troisième fois de l'après-midi, le serveur revint à leur table. Quand Victor l'aperçut, un vent de panique monta dans son estomac.

— Tu peux que je commande ? demanda Yann, qui avait constaté le désarroi dans son regard.

— Non. Laisse, ça va aller, je vais le faire. La vie est un jeu, alors je vais tâcher de jouer, dans ce cas.

— Tu apprends vite, petit ! ricana son copain.

— Chut et laisse faire l'expert.

L'expert en question trouva l'exercice fort amusant bien que très difficile, surtout parce qu'en présence de l'employé, il dut parler à Yann en anglais pour lui demander s'il voulait autre chose. Quand la commande fut passée, l'excitation redescendit, et Victor regarda son ami.

— Je suis fier de toi, déclara simplement ce dernier.

Les deux adolescents continuèrent à se passer le carnet, y ajoutant idée sur idée, entourés par un concert de bavardages en langues étrangères. Rapidement, le brun y prit goût, si bien que quand ils sortirent, il regardait derrière lui avec regret. La main rassurante et amicale de Yann s'abattit sur son épaule.

— On y retournera, promis.

Mais cette promesse n'apaisa pas totalement ce sentiment terrible qui nous contraint à regretter le temps passé trop vite. Et quand enfin Victor remonta chez lui, laissant Yann rentrer seul, il n'eut qu'une seule hâte : qu'ils partagent à nouveau un tel moment ensemble.

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