Mars - 3.
— Qu'est-ce que tu fous, Vic ? Tu attends ton couronnement, ou quoi, ma reine ?
— Hein ? grogna le brun.
— La reine Victoria...
— Putain... Combien de fois vais-je te dire que ce n'est pas parce que je m'appelle Victor, il faut me tailler sur mon prénom ?
— C'est toi que je vais finir par tailler en pièces, si tu ne te dépêches pas.
— J'arrive. Je peux me recoiffer en paix ?
— Si tu ne veux pas que je te mette une balayette, magne-toi, insista la voix derrière la porte.
Alors qu'il regardait son reflet dans le miroir, Victor étouffa un petit rire. Pauline possédait ce don très particulier qui lui permettait de déformer tous les mots pour faire rire les autres. Que ferais-je sans elle ? songea le brun. Il posa les yeux sur sa montre... Rien du tout, visiblement ! compléta son esprit en constatant à quel point il était en retard.
Il se pressa de finir de discipliner une courte mèche rebelle, se parfuma et ouvrit à toute volée la porte. Cette dernière rebondit alors sur un obstacle absolument imprévu...
— Aïe ! se plaignit la jeune femme en se tenant l'épaule. Tu peux faire un peu attention, votre majesté le roi des têtes en l'air ?
— Ah, merde, désolé, Lili ! Je ne t'ai pas fait mal ?
— Je me plains pour faire joli ?
Le visage du garçon se para de la même couleur flamboyante que la chevelure de la demoiselle quand il se rendit compte de son erreur et de la stupidité de sa question.
— Tu vas finir par l'avoir, ma "peau", ajouta-t-elle d'un petit sourire. Enfin bon, je suis pas en sucre.
— Heureusement d'ailleurs, je serais bien capable de confondre une piscine avec une gigantesque tasse à café et je pourrais bien t'inviter dans cette belle tasse, ricana-t-il.
— Oh, tu me ferais fondre, petit chou, répliqua Pauline en lui tapotant l'épaule. On peut y aller, maintenant ?
— Quand tu veux, mon Capitaine !
— Alors suis-moi, matelot.
Les deux se rendirent dans le salon, afin d'y chercher leur manteau. Victor enfila le sien rapidement. Comme d'habitude, son père, souvent absent, ne se trouvait pas à la maison. Victor attrapa la télécommande, pressé de partir, puis éteignit la télévision. D'un habile mouvement, il échangea la télécommande avec ses clefs et se dirigea vers la porte d'entrée.
— Dépêche-toi, ronchonna Pauline, qui l'attendait déjà dehors, au volant de sa voiture.
— Minute, papillon ! dit-il en montant dans le véhicule.
— Si tu prends ton temps, Jean-Jacouilles va prendre la route sans toi, répondit la demoiselle en caressant l'habitacle.
— Dans la mesure où ton tacot ne cale pas.
— Eh ! N'insulte pas J-J. Ne l'écoute pas, brave bête, chantonna la rousse en caressant son volant. Ce gamin ne sait pas de quoi il parle.
Victor attacha sa ceinture, poussant un soupir qui disait bien plus que tous les mots du dictionnaire. Néanmoins, il crut bon de préciser :
— Gamin ? Je n'ai que trois mois de moins que toi.
— Ce qui me donne légitimement le droit de t'appeler comme ça, puisque je suis l'adulte et t'es encore boutonneux.
— Il va vraiment falloir arrêter avec cette histoire de bouton...
— Peut-être. Quand ton deuxième prénom ne sera plus Calculette.
Le brun ne répliqua pas et posa sa tête contre la vitre d'un air presque triste. Au bout de deux minutes sans parler, la jeune femme posa sa main sur la cuisse du passager et lui lança, d'un air à la fois taquin et jovial :
— Tu boudes ?
Il ne répondit pas, laissant le silence planer entre eux. Elle répéta alors d'une voix plus forte sa phrase, sans plus de résultats. Pauline décida finalement de claquer des doigts pour interpeller le brun. Jamais deux sans trois, ce fut un nouvel échec.
— Allô ?
— Je ne réponds pas aux idiots, ça les instruit.
— Jean-Jacouilles va mal le prendre, il n'est conduit que par les meilleurs et par des gens très intelligents !
— Hmm...
— Tu vois, t'as rien à redire là-dessus !
— Je ne contredis pas les fous, dit Victor, ça les rend encore plus fous.
— Tu marques un point, mais il n'y a que les fous qui peuvent se lier d'amitié avec des fous.
— Fous-toi de moi !
— Ah, bah à partir du moment où tu as foulé le siège de mon bolide... commença Pauline, laissant néanmoins sa phrase en suspens.
— Oui, mais fais attention, parce qu'on va finir par avoir un accident et la sortie sera foutue !
— Tu insinues que je roule mal ?
— Ouais ! bafouilla un instant le brun.
— Foutaises !
— Si des gens te poursuivent avec des fourches, tu sauras bien pourquoi...
— Ah oui ? Et pourquoi, monsieur ?
— Parce que tu serais capable d'écraser une fourmi de la taille d'un éléphant !
— Tu sais où je vais te la fourrer, moi, ta fourmi ?
— C'est qui la gamine, maintenant ?
— On l'est tous les deux, reconnut-elle.
— Surtout toi.
La jeune femme le foudroya du regard mais se retint de faire tout commentaire. Alors qu'ils bifurquaient, Pauline ralentit et se tourna vers son compagnon de route :
— Au fait, où est-ce qu'on va rejoindre Yann ? On va chez lui ?
— Bonne question, constata Victor.
Pauline pila presque, ce qui projeta le brun vers l'avant. Quand il se recala au fond de son siège, il la fusilla du regard :
— Eh, ça va pas ? T'es cinglée ?
— Ce qui ne va pas, mon coco, c'est que tu t'y prends comme un manche à balai pour organiser tes sorties !
— Bah il m'a pas dit clairement où venir le chercher !
— Alors appelle-le, espèce de nouille !
— Ok, ok !
Et ainsi fut fait. Quelques minutes plus tard, Victor raccrocha. La jeune femme, qui avait coupé la musique pendant l'appel, la remit.
— Alors ? demanda-t-elle.
— Il m'a dit de venir le chercher chez lui et d'appeler une fois arrivés.
Victor donna l'adresse à Pauline, qui s'empressa d'accélérer ; ils auraient dû être là-bas depuis déjà presque dix minutes. Malheureusement, le trafic ne leur permit pas de réduire ce temps perdu...
— Vous êtes en retard ! s'exclama Yann en arrivant devant la voiture, alors que les deux autres sortirent pour le saluer.
— Désolé, s'excusa Victor.
— On ne contrôle pas la circulation, expliqua Pauline. Et j'ai eu beau lui botter les fesses, monsieur tenait vraiment à se mettre sur son trente-et-un.
Il était vrai qu'en regardant de plus près le jeune homme, il avait sorti de meilleurs vêtements que lorsqu'il allait en cours. Et étrangement, c'était réciproque pour le lycéen qui venait d'arriver. Pour l'occasion, ils avaient certainement décidé de faire un effort. Yann avait mis un joli petit pull qui lui allait à merveille, s'accordant parfaitement avec un pantalon d'ébène, et il avait même coiffé ses cheveux légèrement indisciplinés.
— Ce n'est rien. On y va ?
— Allez !
Le blond s'installa à l'arrière et remonta ses lunettes d'un geste mécanique après avoir fermé la porte. Alors que Victor retournait s'installer à côté de Pauline, elle lui barra le passage d'une main :
— Par contre, les enfants, vous allez à l'arrière.
— Les enfants ? s'insurgea le brun. Pauline, j'ai dix-sept ans et...
— Et tu ne discutes pas. Puis vous pourrez faire vos... trucs d'enfants, ajouta-t-elle sur un ton complice qui fit rougir Victor jusqu'à la racine des cheveux.
Il jeta d'ailleurs un coup d'oeil discret à son camarade, s'assurant que ce dernier n'avait pas entendu. Ce dernier avait le nez plongé dans son téléphone, écrivant un message à quelqu'un. Ce simple fait rassura l'adolescent : il pourrait s'asseoir à ses côtés sans avoir à cacher sa gêne.
— De toute façon, c'est J-J qui décide ; et comme il ne peut pas parler, c'est moi qui m'exprime en son nom. Allez, à l'arrière, petit chenapan.
— Oui, mamie Lili ! commenta Victor en s'installant à côté de Yann, qui s'arrêta d'écrire un instant.
— De mon temps... murmura la demoiselle.
— Les voitures n'existaient pas ? demanda Yann, en se parant d'un petit sourire.
Victor se retint de s'exclamer à quel point son compagnon était beau, mais il le pensait si fort que le blond finit par le regarder, ce qui le fit détourner la tête. La chocolaterie du bout de la rue lui paraissait être bien plus attrayante à présent. En même temps, qui peut prétendre résister à l'appel de cet aliment quasiment divin ? Très peu de gens. En tout cas, tout gourmand qu'il était, Victor ne faisait pas partie de ces quelques personnes, et s'il avait eu du temps à perdre, il aurait très certainement demandé à son amie de s'arrêter afin qu'il puisse contenter son insatiable envie.
— Si tu veux, tu peux y aller à pieds, répondit Pauline. Ne vexe pas mon Jean-Jacouilles, tu seras mignon.
— Jolie métonymie, lança le brun.
— Merci.
Les deux s'échangèrent un sourire complice. Durant tout le trajet, les blagues stupides sur fond de disputes factices s'enchaînèrent à une vitesse rarement égalée. Derrière, Yann ne parla pas beaucoup, laissant son regard s'échapper vers le ciel, gardant seulement un lien avec le duo en tenant la main de Victor. Les deux adolescents avaient pris l'habitude de le faire à présent, et il semblait que tenir la main de l'autre était devenu un geste plus familier. Le brun ne se lassait pas de sentir la chaleur de son ami.
— Il fait froid... grommela l'écrivain.
— Cette saison est la pire, répondit Pauline. Elle est vicieuse.
— Ouais.
Yann soupira en constatant avec déplaisir le nombre de voitures qui attendaient devant eux, à un feu tricolore. Il laissa son oeil s'égarer dans la foule de parapluies d'ébène qui vagabondaient dans les rues. Le ciel brumeux s'accordait parfaitement avec les immeubles impersonnels jonchant la ville. A l'avant, Pauline s'amusait à insulter tous les conducteurs qui doublaient mal ou qui oubliaient un clignotant, appuyant sur son klaxon avec un plaisir non dissimulé.
— Regarde-moi ce connard, il a eu son permis dans un magasin de jouet ou quoi ? Et celui-là, il conduit avec le cul ou quoi ?
Le jeune auteur surprit son reflet à sourire bêtement. Il n'appréciait pas particulièrement la vulgarité ; mais Pauline était-elle vraiment vulgaire ? Grossière serait plus juste. Il y avait dans son regard et dans sa voix une certaine élégance qu'on ne retrouve pas chez les personnes vulgaires. Et malgré ce flot d'insultes qui coulait contre les novices de la conduite, il y avait quelque chose d'appréciable à l'écouter.
Soudain, le blond perçut un mouvement qui suivit un déclic. Et d'un coup, il sentit une présence à ses côtés. Tout proche de lui. Des bras l'enlaçaient, l'entourant avec une douceur que seul un ange pourrait reproduire. Il ferma les yeux un instant. Il n'avait même pas besoin de se retourner. Néanmoins, quelques questions envahirent son esprit ; questions auxquelles Yann eut réponse très rapidement :
— Qu'est-ce que tu fais ? demanda le blond.
— Ce que je fais ? chuchota Victor, au creux du cou de son amant. C'est pourtant simple... T'as froid, je te sers de veste.
— Mais...
— Laisse-moi te protéger. Même si ce n'est que contre le froid.
Yann acquiesça doucement. Après tout, lui, l'invincible, le populaire, celui que tout le monde respectait ou au moins feignait de le faire, ne pouvait-il pas se permettre de se laisser aller aux creux des bras de celui qui l'aimait, peut-être encore plus sincèrement que le reste du monde ?
Les deux garçons restèrent un certain temps coincés épaule contre épaule. Le brun continuait cependant à discuter avec Pauline, commentant la circulation, et fredonnant les chansons qui bourdonnaient dans le véhicule.
— Mais non, c'est moi qui chante le mieux, enfin ! s'écria Pauline. Avance, tête de cactus ! Mais reste pas en travers de la route, espèce de fleur fanée !
— Les gens ne savent pas reconnaître leurs torts, répondit Victor. N'est-ce pas, madame qui fais tomber la pluie ?
— Tu oses dire que je chante si mal que je change le temps ?
— Oui, j'ose !
— Tu n'as vraiment pas de goût !
— Ah ouais ? Tourne à droite... Droite, putain !
— Merde ! Si tu me l'avais dit avant en même temps... !
— T'es de mauvaise foi !
— Toi, c'est pire ! Hein, Yann ?
— C'est vrai, ça ! Yann, t'en penses quoi ?
Le blond ôta calmement une oreillette et leur lança un regard mi-interrogateur, mi-blasé. Il poussa un petit soupir qui, vu le froid, se transforma en un nuage éthéré. Il observa ses compagnons de voyage, tous deux suspendus à ce qu'il allait dire.
— Aucun de vous n'a l'oreille absolue. En fait, la seule chose qui soit absolue, c'est... Bah c'est votre manque de rythme, en fait.
— Quoi ? s'exclamèrent les deux amis en même temps.
— T'es bigleux ou quoi ? continua la demoiselle.
— Ouais, commenta-t-il en montrant ses lunettes.
— Tu me défends même pas ! lui reprocha Victor. Moi, ton sublime petit-ami !
— La meilleure chose dans un couple, c'est l'honnêteté.
— Donc je chante si mal ?
— Oui, reprit la jeune femme.
— Toi, je t'ai pas sonnée d'abord !
Victor lui tira la langue, et, en guise de réponse, la conductrice tourna, lâcha son volant une seconde et lui présenta son majeur. Le brun se para d'une mine outragée, ce qui ne l'empêcha pas de répondre de la même manière.
— De toute façon c'est un traître, dit Victor en soupirant.
— Langue de vipère, ajouta Pauline.
— Je suis sûr que si tu ne chantes pas, c'est parce que t'es encore pire que nous ! termina le brun.
Le jeune lycéen leva son pouce en direction de sa camarade avant de couiner. Il mit sa main à l'épaule, de laquelle il ressentait un petit picotement.
— Eh, aïe ! Tu m'as pincé, salaud, ça fait mal !
— C'est le but, répondit Yann.
— Bon, sois sérieux deux minutes... T'as critiqué le rythme, ok, pourquoi pas, mais on est d'accord que j'ai la meilleure voix, hein !
— Je...
— Si tu le dis, je te...
— Ne le corromps pas ! le prévint Pauline.
— Je fais ce que je veux, c'est mon petit copain !
— T'es qu'un sale tricheur !
— Ah ouais ? Et quand t'as mis une banane sur la route arc-en-ciel la dernière fois qu'on a joué, ça te parle ? Tu n'aurais pas triché à ce moment-là ?
— Rien n'interdisait ça !
— C'est pas la question !
Une nouvelle dispute éclata entre le duo ; les éclats de voix résonnaient çà et là, si bien que Pauline fit taire la radio d'un mouvement rageur, empêchant cette musique, encore pire que la mauvaise foi de son meilleur ami de la déranger.
— Eh, les amis ? dit Yann.
— Quoi ? s'arrêtèrent les deux.
— On vient de dépasser notre destination, à cause de vos conneries !
Pauline et Victor se retournèrent comme un seul homme, constatant avec effroi que le troisième lycéen avait vu juste.
— Et merde !
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