Mai - 3.
Lorsque la sonnerie stridente retentit, Victor poussa un long soupir qui résumait toute sa pensée défaitiste. Il rassembla sommairement ses affaires et se leva dans une extrême lenteur, écrasé par le poids de la journée. Il ramassa sa copie, prit son sac et se dirigea vers la porte d'un pas lourd. Pareil à un condamné qui marcherait vers la potence, il s'approcha du bureau et déposa la feuille, bien trop légère à son goût. Il grommela une vague salutation et sortit de la salle.
La fin de la journée, comme d'habitude, se déroulait dans un capharnaüm brûlant. Les élèves, désireux de quitter les lieux, fuyaient et gambadaient, incontrôlable troupeau, parlant, ruminant, riant, extériorisant toute la tension qu'ils avaient accumulée. Victor n'avait jamais réellement participé à ces sortes de festivités, aussi, il trouvait ce temps rapidement désagréable.
Migraineux, il s'écarta des autres. Dehors, dans la cour principale, l'air était frais, atténuant l'écrasante chaleur qui commençait à régner. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver un coin tranquille. Assis sur un banc, suffisamment en retrait pour ne pas être gêné par les bavardages des autres mais quand même visible de ceux qui sortent, Victor fouilla dans sa poche à la recherche de son téléphone.
D'une main distraite, il déroula le menu, avant de se rendre compte qu'il lui manquait quelque chose d'essentiel : ses écouteurs. Il les enfila rapidement et retourna à la contemplation de son écran, maintenant dans sa bulle. Pourtant, il ne parvenait pas à se concentrer et levait régulièrement la tête pour observer la colonie de jeunes étudiants grouiller dans la cour pour se disperser lentement. Parmi eux, il aperçut Pauline, filant plus vite que l'éclair. Elle lui fit un petit signe de la main, auquel l'adolescent répondit en levant le pouce.
Sans parler, ils arrivaient à se comprendre, et Victor savait parfaitement où elle se rendait aussi vite. Elle s'était beaucoup rapprochée d'Angelo, ces derniers temps, depuis la rupture de ce dernier avec Doriane. La nouvelle, répandue comme une traînée de poudre, fit rapidement le tour de la classe puis du lycée. Beaucoup de garçons en avaient profité pour discuter avec la jeune femme, saluant l'absence d'Angelo pour tenter une approche peu subtile. Pourtant, elle les avait tous recalés. Sans exception. Victor approuvait ce choix : même s'il abhorrait sa camarade de classe, elle méritait mieux qu'une bande d'imbéciles guidés par leurs hormones.
Victor chassa ces pensées parasites : il avait mieux à faire que de divaguer autour de ce petit triangle amoureux, malgré sa joie pour sa meilleure amie. Il grimaça en observant le petit groupe diminuer de plus en plus. Il pesta, mais se plongea de nouveau dans son téléphone. Les onglets s'accumulaient et il ne voyait pas le bout de ce problème qui le travaillait au corps avec plus de violence qu'un crochet de Mike Tyson lui-même.
L'anniversaire de Yann approchait à grands pas.
Bien que cet événement aurait sûrement été une source d'excitation en temps ordinaires, Victor soulevait deux problèmes majeurs : premièrement, il n'avait aucune idée du cadeau qui lui offrirait, raison pour laquelle il traînait sur le net en l'attendant. Et deuxièmement... Cette simple pensée vrilla son pauvre coeur.
Il ne savait même pas si Yann désirait fêter son anniversaire. Lui aurait bien aimé, mais il ne pouvait pas se permettre de décider pour son petit ami. Après tout, comment ne pas avoir des réticences en sachant qu'il s'agissait du dernier ?
Cette simple pensée suffit à anéantir le reste de sa bonne humeur : tout changerait très bientôt. Pour le pire, il en avait bien peur. Le temps leur était compté, et chaque seconde perdue les rapprochait un peu plus de l'inévitable moment de leur séparation. Il savait que leur histoire s'apparentait à un de ces récits, une de ces très longues pages qu'ils prendraient un certain plaisir à tourner des années plus tard. Mais la brutalité des faits les arrêta en plein vol.
L'espace d'un instant, il songea à partir très loin, à s'enfuir sans se retourner, à quitter cet endroit trop étroit. Il se résolut à ne pas obéir à ses pulsions et refoula la boule qui ne délogeait pas de sa gorge. Plusieurs grandes inspirations plus tard, Victor retourna sur son portable dans l'espoir de distraire son esprit. Il regarda l'heure d'un air agacé.
La règle qu'ils avaient établie était simple : ils s'attendaient. Yann avait trouvé cette règle plutôt juste, en précisant que Victor l'avait bien attendu durant deux ans. Alors, même si c'était pénible d'attendre sous les regards en coin des quelques élèves qui restaient dans la cour, Victor demeura assis.
Pour combler l'ennui qui pointait le bout de son nez, il mit toute son énergie dans la recherche d'idées de cadeaux pour l'anniversaire de son petit ami. Les pages se succédaient, les déceptions avec mais au moins, Victor eut le sentiment de ne pas subir le temps qui défilait lentement.
Après plusieurs minutes d'attente, la cour s'était lentement vidée, laissant seul l'adolescent. Cette sensation de vide le parcourut méchamment quand il leva la tête pour masser sa nuque endolorie. D'habitude, elle ne le dérangeait pas, mais aujourd'hui, elle le piquait un peu trop fort. A part Yann, Pauline et quelques-uns de ses camarades de classe, Victor comptait sur les doigts d'une main ses amis.
Il n'aimait pas ça, mais grâce à la popularité de son petit ami, il avait pu rencontrer certaines personnes qui ne lui adressaient même pas un regard avant. Même s'il trouvait cette attitude dérangeante, l'opportunité de faire de nouvelles rencontres ne lui déplaisait pas.
Petit à petit, il se laissa vagabonder au gré des souvenirs, des anecdotes qui lui revenaient, au début du lycée, au collège, et même un peu plus loin. Victor n'avait pas beaucoup de souvenirs avant le collège : non pas que son école lui avait laissé un goût amer, mais les moments les plus mémorables de son existence s'étaient déroulés plus tard.
L'arrivée de Yann le sortit de sa rêverie. Le blond marchait rapidement, pressé de retrouver son petit ami. Un sourire soulagé peint sur le visage, il s'approcha de Victor, qui enleva ses écouteurs en l'apercevant. Il en profita pour ranger son téléphone dans sa poche. Il ne voulait pas que Yann découvre ce qu'il préparait.
— Hey ! lui lança-t-il, tout souriant.
— Tu en as mis, du temps ! râla Victor. Qu'est-ce que tu foutais ?
— L'exam a été plus dur que prévu. Le prof m'a un peu retenu, on a discuté.
— A propos de quoi ?
— De... Tu sais très bien.
Oui, Victor s'en doutait, mais en discuter s'avérait toujours aussi difficile. Il se contenta d'acquiescer silencieusement.
— Pauline n'est pas avec toi ?
— Non. Elle était occupée, ce soir.
— Avec Angel, j'imagine, devina Yann.
— Oui.
— Mon pauvre loulou, ça a dû être plus long. Préviens-moi, la prochaine fois ! Je me serais dépêché.
— Surtout pas, répondit trop rapidement Victor. Il faut que tu travailles bien. Montre au monde qui est le boss.
— Je crois que le monde le sait déjà.
Gonflant le torse, Yann offrit son plus beau sourire arrogant au brun. Ce dernier éclata de rire, entraînant son amoureux dans son hilarité.
— On y va ? proposa Victor.
— Et comment !
Ils sortirent donc du lycée. Le chemin du retour se passa relativement bien ; les deux garçons échangèrent quelques banalités, notamment autour de ce fichu contrôle qui les avait poussés dans leurs derniers retranchements.
— Je ne pense pas dépasser le quinze sur ce coup, soupira Yann.
— Je pense pas dépasser le quinze sur ce coup, répéta Victor en prenant une voix nasillarde. Ah ouais, quel gros problème.
— Tu l'as tant raté que ça ?
— Si j'ai la moyenne, je serai content...
— Tu l'auras, le rassura Yann. J'en suis sûr.
— Pourquoi ?
— Parce que tu crois en toi.
— Mais pourquoi, Yann ? demanda subitement Victor. Pourquoi est-ce que tu crois en moi ? Pourquoi est-ce que tu crois en quelqu'un d'aussi nul que moi ?
— Premièrement, je t'interdis de dire que tu es nul. Deuxièmement, je crois en toi parce que tu es capable de beaucoup de choses. Tellement de choses. Troisièmement, je ne crois pas qu'en toi. Je crois en nous.
Victor acquiesça silencieusement, conscient qu'il ne servait à rien d'ajouter quoi que ce soit. Yann trouverait toujours quelque chose à redire, parce que c'était comme ça : personne n'avait le dernier mot avec lui. La dernière phrase tourna en boucle dans la tête de Victor toute la soirée. Il croyait en leur histoire.
C'était pourtant évident, puisqu'il avait fait les premiers pas. C'était lui qui avait emmené Victor dans ce café, c'était lui qui avait mis le feu aux poudres, c'était lui qui avait donné une chance à cette histoire qu'il n'espérait plus. Pourtant, la formule, plus magique que le plus vieux grimoire, l'enveloppait dans une bulle.
Alors qu'il rêvassait dans son lit quelques heures plus tard, son téléphone se mit à sonner : une petite bulle avec un visage qui ne lui plaisait pas apparut. Victor se redressa, surpris de ce message. Il hésita un long moment avant de répondre. Pourquoi Doriane voulait-elle lui parler ?
Soudainement, toute une liste de scénarios plus horribles les uns que les autres explosèrent dans son esprit. Victor s'assit complètement, concentré sur l'écran qu'il fixait depuis quelques minutes. Elle l'avait bien précisé dans son message, ou plutôt dans son avalanche de messages — Victor imaginait bien Doriane faire partie de ces gens qui ne savaient pas écrire un seul message mais qui préféraient en envoyer vingt pour une futilité —, c'était urgent.
Et c'était à propos de Yann.
— Merde... Merde... Merde ! enragea Victor en constatant qu'elle ne décrochait pas.
Il ne voulait pas envisager cette possibilité, mais elle lui apparaissait de plus en plus plausible : il était arrivé quelque chose. Quelque chose de grave. Et plus les secondes s'écoulaient, plus son angoisse prenait de la place. L'insupportable bruitage sonore qui résonnait en attendant qu'elle décroche donna à Victor l'envie d'envoyer son téléphone contre le mur. Mais au moment où il voulut abandonner, elle répondit :
— Allô ?
— Qu'est-ce qui se passe ? l'agressa-t-il presque. Tout va bien ? Tu me dis de t'appeler et tu ne décroches...
— Oh, tout doux, mon mignon, l'interrompit-elle. Enfin, non, pas mignon, mais tu m'as comprise. Ne commence pas à gueuler. Déjà, pour commencer, bonsoir.
— Ouais, bonsoir. Bon, tu vas me dire ce qui se passe ? Tout va bien ?
— Oui, tout va bien ! Pourquoi est-ce que ça n'irait pas ? Dis-moi, je dois te poser une question. Yann est avec toi ?
— Pourquoi est-ce qu'il serait avec moi ? Tu m'appelles pour me parler de lui, t'es pas avec ?
— Bah non ! soupira Doriane. Pourquoi ? T'as peur qu'il te trompe, c'est ça ? Tu commences à douter de ton pouvoir de séduction ?
Victor était habitué du ton provocateur de sa camarade de classe, mais il ne put s'empêcher de grincer des dents.
— N'importe quoi. Je... J'avais juste peur qu'il lui arrive quelque chose.
— Bah écoute, non, c'est pas encore au programme. Bien, j'en conclus que tu es seul ? Plutôt vanille ou chocolat ?
— Pardon ?
— Le pot de glace pour te consoler, répliqua-t-elle comme si elle parlait à un imbécile.
L'adolescent souffla, agacé.
— Tu vas me dire ce que tu veux, à la fin ?
— Je voulais te demander conseil.
— A propos de quoi ?
— Du cadeau que je pourrais offrir à Yann pour son anniversaire.
Victor prit un moment pour digérer l'information et en profita pour calmer le rythme de son coeur angoissé. Il était content de constater que Doriane galérait autant que lui à trouver une idée de cadeau. Puis ce fut la surprise qui l'emporta :
— Tu me demandes une idée de cadeau ? A moi ?
— Bah oui, idiot ! De tous ceux qui connaissent Yannou, c'est bien toi qui le connais le mieux.
Le brun s'abstint de lui faire remarquer que cette dernière phrase semblait lui brûler la gorge. Ce devait être particulièrement pénible à dire pour elle qui avait eu toutes les peines du monde à l'accepter.
— Donc je viens te demander un coup de main, termina-t-elle. Si ça ne te dérange pas.
Quelques secondes lui suffirent pour prendre sa décision : il ne le faisait pas pour elle, mais pour celui qu'il aimait.
— D'accord.
— Super, merci. Avant qu'on en discute, est-ce qu'il t'a parlé de son anniversaire ?
— Pas vraiment, reconnut-il. Je comptais mener mon enquête. De ton côté, tu as des infos ?
— Yann aime bien fêter son anniversaire, mais il n'est pas très à l'aise dans les grosses fêtes.
— En gros, on n'invite pas tout le lycée ?
— Non. Dommage d'ailleurs, c'est ce qu'il y a de mieux. Les meilleures fêtes, ce sont celles où on peut rencontrer des gens sans avoir vraiment peur des conséquences.
— On n'est pas dans une série américaine, grimaça l'adolescent. C'est dangereux.
— Mais tu ne comprends rien ! C'est vrai, j'oubliais, t'aimes pas ça non plus. Les endroits trop sociables, je veux dire.
— Doriane.
— Oh, ça va ! Si on ne peut plus rire !
— Ce n'était pas drôle.
— Si tu le dis.
Victor se retint de lui raccrocher au nez, mais ne le fit pas pour son cher petit ami. Ils discutèrent un long moment de ces cadeaux qu'ils pourraient lui offrir. Quand il raccrocha, un soupir franchit ses lèvres. Il posa son téléphone avant de se masser les tempes. La fatigue commençait à l'étreindre. Parler avec cette fille était toujours aussi désagréable, même lorsqu'elle se montrait amicale.
Il ne parvenait juste pas à oublier qu'elle s'était longtemps opposée à leur couple. Victor en était persuadé ; même si elle était influencée, une grande part d'elle restait sincère. Et ça le rebutait, parce que ça voulait tout simplement dire qu'elle ne prenait pas en compte les sentiments de Yann.
Plongé dans ses pensées, il s'installa devant la télévision pour se détendre un peu. Il ne voulait surtout pas être contre-productif en s'imposant de chercher l'idée parfaite. Pourtant, n'était-ce pas au moment où on s'y attend le moins que ça peut arriver ?
— Mais oui ! C'est ça, c'est ça qui lui faut ! s'exclama Victor en se levant d'un bond, heureux comme tout de l'idée qui venait d'éclore dans son esprit.
Il avait enfin comment offrir un anniversaire digne de ce nom à la personne qu'il aimait le plus sur cette planète. Et il se le promit : ce sera grandiose.
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