Dans le tourbillon de nuit résonna le glas d'une vieille cloche, puis le tintement cristallin d'une horloge qui se met en route. Le jeune homme attrapa au vol l'un des oiseaux qui passaient à sa portée, et il se transforma en avion de papier. L'avion s'envola, s'échappant des mains de son propriétaire. Les mains se refermèrent alors sur le vide, et irradièrent d'une lumière qui éclaira toute la pièce, grande comme le cœur d'une église et décorée de mille colonnes de marbre. L'ensemble des murs réagissaient comme de multiples miroirs, renvoyant la lumière blanche là d'où elle venait. Elle l'endroit sombra une nouvelle fois dans l'ombre, éclairé seulement par des pâles globes translucides aux émanations glauques.

Stéphane regarda ses mains. Elles étaient couvertes de rainures sombres qui le brûlaient à chaque mouvement. Il leva ensuite la tête, et vit la créature qui lui faisait face. Ce devait être un griffon, ou un dragon-chèvre. Stéphane leva son épée enflammée, et l'abattit sur la bête qui se ratatina jusqu'à devenir un hamster qui s'enfuit en entrant dans la cheminée. Alors Stéphane le suivit. Quand il fut entièrement immergé dans le liquide poisseux qui remplissait l'âtre, un cri strident le fit sursauter.

Le jeune homme émergea de son rêve en sursaut. Son réveil était encore entrain de sonner. Il était quatre heures et demi. Il s'étira, et se leva. Dormir jusqu'à une heure avancée n'était possible que pendant les vacances, alors il en profitait le plus possible. Dans la chambre, l'obscurité créée par les volets clos donnait aux espaces familiers une dimension effrayante, cauchemardesque. Stéphane essaya de se souvenir de son rêve. Contrairement à la plupart des gens, il n'en avait jamais oublié aucun. Il savait que son pire cauchemar était d'arriver en retard, aussi était-il tous les jours à l'heure à la fac, les seuls horaires qu'il avait à tenir. Et aussi faisait-il bien attention à rattraper son sommeil perdu dès que possible.

Stéphane attendit, seul dans le noir, que le temps passe. Tout était plus simple si on laissait le temps passer. Même les souvenirs indélébiles gravés dans son esprit pendant toutes ces années pourraient finir par s'effacer. Il les sentit remonter en lui. Non. Plus jamais. Ça ne devais plus jamais arriver. Ça n'arriverait plus jamais. Les souvenirs devaient disparaître, il fallait trouver un moyen. Quitte à rompre sa promesse.

Il marcha mécaniquement jusqu'à son bureau, et alluma la lampe. Il pressa le bouton de l'ordinateur jusqu'à ce que celui-ci clignote et que la lumière bleutée de l'écran envahisse la chambre. Le routeur était vieux, et peinait à démarrer.

Au moment où le jeune homme se demandait s'il ne pourrait pas plutôt connecter directement son esprit au wifi de l'immeuble, il entendit une toux sarcastique derrière lui. Il ne se retourna pas de suite, car il savait pertinemment que si quelqu'un était entré dans la chambre pendant son sommeil, il l'aurait immédiatement remarqué à son réveil, aussi bien caché aient été l'intrus. Au second toussotement, il se retourna, et comprit que, quoi qu'il fasse, il était déjà trop tard.

Ils l'avaient retrouvé.