15.a. Sous le soleil...
Allongé sur le flanc, j'observe Déhon se reposer d'une attention extrapolée.
Puisqu'il n'a pas jugé utile de déplier le canapé, je me retrouve à moitié avachi sur lui. Les sièges sont tout juste assez larges pour nous accueillir confortablement mais, en toute honnêteté, je serais à coup sûr dans la même position si nous étions sur un lit double.
Une main à plat sur sa poitrine et l'autre soutenant ma tête, je profite de cette rare occasion de sentir le cœur de mon nounours battre sous ma paume. Son rythme cardiaque et son souffle sont aussi paisibles que son beau visage – qui s'avère d'une douceur infinie lorsque Déhon n'active pas le mode destiné à intimider les autres.
Je retrace mentalement la forme de sa bouche tentatrice, où je m'imagine glisser les doigts avec tendresse. Puis, vient le tour des contours irréguliers de la marque blanche étendue autour de son œil. Elle prend naissance sur sa tempe et s'étale de manière azimut sur sa pommette droite. Conservant de nombreuses petites zones de peau marron, elle remonte un peu sur son nez et au milieu de ses sourcils noir de jais. Je pense ne jamais avoir pris le temps de la détailler autrement que sur l'unique photo que j'ai de lui, par peur de paraître impoli. Mais j'aime tout de Déhon. Je voudrais savoir absolument tout de lui, dans les moindres détails !
Encore un rêve qui semble bien loin de se réaliser, mais je m'y accroche de toutes mes forces.
L'alarme tonitruante programmée sur son téléphone provoque soudain mon sursaut. Je jette un regard machinal vers l'objet en question, posé sur l'accoudoir du fauteuil, avant de me rendre pleinement compte que son raffut ne tardera pas à réveiller Déhon.
Gêné à la simple idée qu'il comprenne que je l'épiais dans son sommeil, je me retourne prestement et pose la tête sur ma main qui fait office d'oreiller. Les yeux clos, je tente de réguler mon souffle affolé tandis que Dé commence à gigoter derrière moi, signe qu'il émerge.
Je l'entends soupirer tandis qu'il éteint son alarme et ose enfin lever la tête vers lui. Son regard dévit vers moi dans l'instant. Il sourit et murmure :
— Bien dormi, p'tite bouille ?
À présent, c'est lui qui me surplombe, en appui sur un coude.
— Je n'ai pas vraiment dormi, avoué-je d'une voix ténue. Je n'étais pas fatigué... Et toi, tu t'es assez reposé ?
— Ouais, soupire-t-il en effleurant ma joue de l'index. Je suis pressé de conclure l'affaire avec cette Chloé et ses frangins pour enfin être tout à toi.
Le baiser langoureux qui s'ensuit fait battre mon cœur aussi vigoureusement que sa déclaration. Nous nous voyons cependant contraints de nous extirper de notre bulle de bonheur afin que Déhon s'en aille à ses obligations.
— J'espère que tu te feras pas trop chier en m'attendant, lâche-t-il pendant qu'il se chausse au seuil de la porte, sac sur l'épaule.
— J'ai emporté de la lecture, ne t'en fais pas.
— Cool. T'es toujours sur l'histoire de la diseuse de mots ?
— La passeuse de mots, ris-je doucement, touché qu'il s'intéresse de manière sincère à ma passion pour la littérature de l'imaginaire même s'il ne la partage pas. J'ai terminé le seul tome disponible. J'ai entamé un nouveau livre. Je t'en résumerai l'intrigue plus tard, si tu veux.
— Ça marche. À toute, lis bien.
— Merci. Bonne chance pour ton rendez-vous.
— Je suis pas du genre à compter sur la chance, chou.
Visiblement amusé par ma mine médusée, Déhon me colle un dernier bécot sur les lèvres avant de s'en aller en coup de vent.
Encore planté sur le pas de la porte, je regarde son rictus confiant disparaître derrière les parois de l'ascenseur.
Dès notre rencontre au Médina, la communication avec Déhon a toujours été des plus aisée. Il a su et parvient encore à me mettre à l'aise, en confiance. Pourtant, lorsqu'il me rétorque des choses pareilles, il me donne cette impression désagréable d'être... trop banal. De ne rien avoir vécu qui me permette de développer une approche du Monde aussi particulière que la sienne. Nous sommes si différents, que j'en reviens à me demander pourquoi je lui plaît. Mais je me reprends.
Dé a déjà répondu à cette interrogation. Ce sont justement nos dissemblables qui le séduisent. Il aime ma légèreté, alors je dois arrêter de me retourner les méninges à chaque fois qu'il me donne l'impression fallacieuse d'être encore trop naïf. Je sais qu'il m'apprécie tel que je suis, sans jamais me faire de reproches ou chercher à me dénaturer. Cela fait partie des éléments qui le rendent si spécial à mes yeux et suffit à atténuer le moindre sentiment négatif, dès son émergence.
Poussant un soupir destiné à repousser au plus loin mes insécurités, je décide de sortir profiter de la magnifique journée qui s'offre à moi au lieu de rester terré à attendre dans ce studio – bien trop vide sans Déhon. J'étale un peu de crème solaire sur mon visage, attrape mon sac en toile, le vide pour ne garder qu'un snack ou deux, y fourre mon téléphone, mon appareil photo, mes écouteurs, la boîte de mes lunettes de lecture... Je m'empare ensuite de mes lunettes de soleil, que j'enfile, sans oublier mon livre, et me voilà prêt à partir ! Une fois la porte verrouillée, je glisse les clés du studio dans ma poche et m'engouffre à mon tour dans l'ascenseur.
À ma sortie du hall, je remplis mes poumons d'une bonne bouffée d'air salin. La météo prévoit un temps magnifique à Deauville. Le ciel clair n'est parsemé que de quelques rares nuages peu épais. J'espère qu'il restera aussi dégagé tout le week-end !
Je lance une oeillade circulaire autour de moi et, à l'évidence, l'Audi de Déhon n'est plus sur le parking. J'ai toutefois retrouvé ma bonne humeur et ne m'attarde pas à des réflexions superflues. C'est d'un pas assuré que je me dirige vers le petit parc ouvert qui devrait se trouver à quelques minutes de notre bâtiment. Parfait pour une session de lecture – ou une balade en amoureux –, il a attiré mon attention lorsque nous sommes passés devant en voiture. Je traverse précautionneusement la rue et poursuit ma marche sur un autre trottoir, l'esprit toujours focalisé sur ma quête.
Après une dizaine de minutes à déambuler sous ce soleil de plomb, l'espace vert que je convoitais m'accueille de toute sa splendeur. Des haies de tailles et de formes différentes côtoient des bosquets de fleurs, toutes plus belles les unes que les autres. Les chants continus des oiseaux nichés entre les branches des arbres contribuent à en faire un lieu fort plaisant. À moi maintenant de m'installer sur un banc où une fiente tombée des feuillages ne causera pas mon désenchantement.
Je prends quelques photos souvenir avec mon appareil durant ma recherche, mais trouve assez vite un emplacement ombragé qui m'a l'air sûr. Je m'y installe, range mon appareil, change de lunettes et sors mes écouteurs afin mettre une de mes playlists d'ambiance tandis que je me plonge dans mon livre. Un roman fantastique atypique, un brin plus sombre que je le pensais en sachant qu'il dépeint les mésaventures d'un groupe de pré-adolescents bretons dans les années 80, mais aussi bourré de poésie et de thématiques poignantes telles que les horreurs pouvant être vues et vécues durant l'enfance ou le passage prématuré à l'âge adulte.
Happé par ma lecture, j'ignore combien de temps s'écoule avant que la main inopinément posée sur mon épaule fasse bondir mon cœur comme s'il voulait quitter ma poitrine afin de s'enfuir. Je perds un écouteur lors de mon sursaut et manque aussi de laisser échapper mon livre. Levant un regard noir vers la source de ma frayeur, je retiens de justesse le juron à deux doigts de franchir mes lèvres.
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