Dehors, le sol vibrait sous les grognements du ciel, ou de l'orage, comme une bête qu'on avait réveillé en plein sommeil. Il s'était mis en colère et résonnait maintenant jusque dans les oreilles de Pluton. Les gouttes de pluie se faufilaient entre les courbes de son visage qui formaient une sorte de rivière. L'eau mouillait ses cheveux bruns et glissait sur ses cils comme sur un toboggan. Un éclair doré coupa le ciel déjà noir en deux.

Pluton frissonna sous son éternel ciré jaune, tandis que ses jambes le menaient toutes seules jusqu'à la plage où les vagues s'agitaient, encore plus violemment que la veille. Il pensait en souriant au ciel qui pleurait, se demandant si les gouttes de pluie n'étaient pas juste dû au ciel qui se fendaient en mille craquelures.

Le cerveau en ébullition, le corps trempé de tristesse, il avait terriblement froid, mais on lui avait donné rendez-vous et il était hors de question d'en rater un seul, pluie ou pas pluie. Surtout que le rendez-vous le concernait.

Il s'approcha de la clairière à côté de la plage pour traverser la frontière sable-herbe. Il n'entendait pas un bruit - mis à part celui du ciel et de la mer.

Derrière les quelques arbres qui encerclaient le lieu de rendez-vous, il s'étonna de ne voir que Vénus qui lui faisait déjà de grands gestes dans sa doudoune d'hiver.

— Les autres ont été démotivés par la pluie, expliqua-t-elle, répondant aux questions qui étaient sur le point de germer dans l'esprit de Pluton.

Le garçon sourit, bien que déçu par l'absence des sept autres adolescents. Au moins, Vénus avait pris la peine de venir et il n'avait pas manqué de remarquer le paquet qu'elle tenait dans ses mains. Si la Lune tenait dans un paquet cadeau aussi petit, c'était un exploit.

— De la part d'un vendeur de rêves, murmura-t-elle, s'approchant de Pluton pour lui donner le cadeau. On est tous allé au supermarché rien que pour toi.

Ayant une pensée pour Mercure, le garçon aux yeux acier l'ouvrit et découvrit, sous les tonnes de scotch et de papier aux motifs rayés, une lampe lunaire. Les deux adolescents rièrent, séduits par l'idée qu'avait eu le drôle de garçon.

— Par contre, je ne marcherai pas dessus ! s'exclama Pluton en regardant la vraie Lune, celle qui brillait au-dessus de lui.

Vénus hocha la tête en souriant, sans prendre le temps de répondre. Les yeux dans le vide, elle semblait préoccupée. Le garçon allait lui demander ce qui n'allait pas, quand, brusquement sortie de ses pensées, la jeune fille le prit par la main en commençant à courir, entraînant Pluton dans sa course. Ils quittèrent la plage, longèrent les bâtiments gris tachés d'or ; la lumière de l'autre côté des fenêtres. Elle l'arrêta sous le vieil abri-bus au coin de la rue pour se protéger de la pluie torrentielle, lui tenant toujours la main, peu décidée à la lâcher de sitôt.

Essoufflé par le chemin parcouru, Pluton avait du mal à réfléchir correctement. Que faisaient-ils là ? Pourquoi l'avait-elle emmené jusque sous cet abri-bus ?

Le cerveau du garçon des brouillards s'embruma peu à peu quand il vit les yeux de Vénus s'approcher dangereusement de son visage.

Elle l'embrassa.

D'abord doucement puis, de plus en plus passionnément. Pluton sentit le goût d'un gloss à l'abricot sur ses lèvres et le parfum des étoiles dans son cou. Il avait envie de garder les yeux ouverts pour observer plus longtemps la beauté et la passion sur le visage de celle qui l'embrassait, mais il les ferma malgré tout, se laissant porter dans un univers inconnu.

Mais à peine eut-il fermé les paupières qu'elle mit fin au baiser. Surpris, Pluton rouvrit les yeux, dévoilant devant lui une vision floue, un tableau presque chaotique.

Vénus était toujours là, mais aussi blanche que la planète qu'elle représentait, un sourire machinal collé sur son visage sans émotions, tandis que ses yeux comme des trous noirs semblaient tourner, tourner, tourner sous ses sourcils sans arrêt.

Le cœur du garçon cognait dans sa poitrine, les atomes se percutaient, ses yeux se troublaient, son sang courait dans ses veines comme la pluie dans les gouttières.

La partie de cache-cache, la mer agitée, la rencontre, les huit amis aux noms de planètes, le feu de camp de Mars, la musique de Saturne, l'atelier aux mille couleurs, les rêves qui s'envolaient dans la nuit étoilée, la peau bleue de Terre, les drôles d'idées de Mercure, les yeux de Vénus, la Lune miniature qui brillait encore dans sa main, l'orage, les éclairs, la foudre, le baiser, tout se chamboulait dans le cœur de Pluton.

Le ciel se brisa complètement et lui tomba sur la tête.