*

Les impulsions, les vagues de frissons, humant l'air et l'odeur du gibier. Le paysage défilait, je l'entendais frais, gros, un cadavre ambulant. Ses prunelles à l'affut du moindre mouvement. La sueur sur sa fourrure toujours en danger face au prédateur, ces bêtes étaient sans doute les seuls êtres vivants conscient de notre existence. Les seuls qui n'avaient pas la parole pour tout révéler à un monde d'aveugle.

Je me suis nourri d'un cerf pour cette soirée. Ce fut la première fois que je goûtais réellement au sang, la première fois que je n'étais pas juste possédé par une folie meurtrière, et ce ne fut guère une bonne expérience. Le sang était dur et amer, il n'avait rien de la description que me faisait Minho, il n'avait rien du voluptueux, savoureux rêve de mille et une nuit. Il n'avait rien de l'idée que je m'étais faite la veille en traquant la jeune femme, il n'avait rien de pourpre et fluide. Ce n'était qu'un vulgaire verre d'eau.

« Ô mon Prince les fruits de la forêt sont-ils à votre goût ? » Il demanda d'une mimique ironique, s'essuyant les mains pendant que je grimaçais.

J'avais la bouche et les habits trempés de sang. J'étais loin d'avoir son expertise, de toute évidence.

« C'est un désenchantement, dis je en abandonnant la bête vidée.

- Tu ne te souviens pas du sang des humains mais ton corps oui. Il ne peut donc supporter un sang inférieur à ce que tu as pu goûter jusqu'à présent. »

Je suivis Minho à travers la forêt, la nuit tombait peu à peu et je sentais que je retrouvais de l'énergie comme si j'avais sauté dans une eau glacée pour me réveiller. Je frissonnais de bien-être et m'étirait de toute ma hauteur. Je sautais de pierre en pierre suivant mon instructeur, mes forces m'étaient revenus au fur et à mesure que l'épais manteaux d'étoiles recouvraient la montagne.

Minho s'était soudainement arrêté pendant que je marchais tranquillement derrière lui, m'habituant à mes nouvelles facultés. Tout me semblait si clair, malgré le noir je voyais comme en plein jour et j'avais les yeux grands ouvert. Je m'arrêtais pour regarder le vampire, je fus frappé par la splendeur de son visage sous les rayons de Lune, j'avais beau vouloir détourner le regard l'attraction était trop forte. Il avait les paupières fermées, la peau lisse comme un pétale de rose, les lèvres nuancés, les cheveux retombant négligemment sur ses cils, caressant ses pommettes. Les bras le long du corps, il se nourrissait de la lumière, ses habits recouvraient tout son corps et les moindres parcelles de peaux découvertes étaient d'autant plus remarquable. Je sentis comme une vague de frisson et ravalait ma salive, le temps s'arrêtait autour de nous et lentement il redressa le visage, ouvrait délicatement les yeux, fixant la roche et je crus pendant une seconde y voir refléter une légère mélancolie.

« Les étoiles sont magnifiques... » dis je d'une petite voix sans m'approcher.

Il continuait de fixer le sol en souriant, un sourire si pure qu'il en était imparfait. J'eus enfin le courage de me retourner et de m'étirer à nouveau, je retrouvais mes esprits en essayant de continuer à sauter sur les roches avec finesse. Après quelques secondes j'entendis que Minho me suivait et j'en fus soulagé seulement pour une raison que j'ignore, l'image de son regard à cet instant m'obsédait.

A quoi pouvait-il bien penser ?

« Si tu ne te dépêche pas j'arriverai au sommet avant toi ! »

Minho me passa devant alors que je rêvassais, il sautait de roche en roche rapidement. Il avait à nouveau cet air espiègle qui me redonna le sourire et fit disparaître mes interrogations. Je me prêtais à ses amusements en faisant la course avec lui jusqu'au sommet.

« Aller Jisungie, tu traines !

- C'est n'est pas du jeu ! »

Il est vrai que j'étais encore loin de l'égaler, surtout que ce n'était qu'un jeu mais le paysage défilait de plus en plus vite. Nous évitions les arbres astucieusement de manière à s'en servir pour aller plus vite car la terre était de plus en plus pentue. Je l'entendais rire de bon cœur et se moquer de moi, je riais à mon tour tentant de le dépasser en vain il gardait quelques mètres d'avance à chaque fois que j'étais à sa hauteur. Puis il n'y avait plus d'arbre. Nous étions au sommet de la montagne.

J'eu le souffle coupé. La ville lumineuse était si petite qu'on aurait dit un tas de fourmis. Je m'approchais du bord, époustouflé.

Minho y était déjà, droit, fixant l'horizon. Je l'observais à nouveau, fasciné, il était si étrange et si mystérieux.

« Vous semblez heureux. »

Minho ne sembla même pas trouver ma remarque étrange, à dire vrai, elle fut instinctive. J'étais peut-être le seul à me sentir mal à l'aise pour avoir exprimer ma pensée si ouvertement.

« Ce sont des moments fugaces. Il dit finalement. Et toi Jisung ? Il tournait son regard pourpre vers moi. Tu penses encore que c'est auprès de Chan que tu le seras ? Tu n'aimerais pas prendre ton envole et vivre par tes propres moyens ?

- C'est ce que vous avez fait ? En quittant Aaron et Felix ? »

Son visage devint plus sombre et il s'assit à même l'herbe face à la ville. Je vins m'assoir près de lui avec la ferme intention d'en apprendre plus. Si je le pouvais.

« Les vampires sont partout. Ils ne s'en rendent pas compte, aveugles hommes, ils se croient seul sur Terre, ils se croient au sommet de l'évolution. Pourtant nous sommes là, plus malin car nous les confortons dans leur illusion de domination. Si tous les vampires décidaient de prendre le monde ils l'auraient déjà fait mais quelle utilité a un monde dans le chaos ? Nous avons besoin d'eux pour nous nourrir et de leur docilité. Alors nous restons dans l'ombre, nous vivons avec eux et nous nous nourrissons d'eux. C'est ainsi. La roue de la chaîne alimentaire. »

Il prit un temps d'arrêt et continua.

« Parmi tous ces immortels, beaucoup sont des Originels, avec du sang de vampire. Certains descendent des plus vieilles familles de vampire et possèdent la faculté de faire des hommes d'autres vampires. Seulement ils ne sont pas complets, ce sont des demi-damné, des Hybrides comme on les appelle. Dans ses grandes familles les vampires y sont puissants, plus que tous. Et sont donc respecter, à la tête de notre communauté. Mal traité l'un d'eux, les ignorer ou même leur manquer de respect serait passible de la peine de mort, ils sont nos précieux sang pure depuis des générations.

- Vous en faites parties ?

- Je viens d'une ancienne famille de vampire qui s'était établie en Angleterre pendant le siècle des Grandes Découvertes. La route des Indes avaient permis d'élargir la mondialisation et a permis aux vampires également de voyager.

Plus tard, nous migrâmes dans l'Empire d'Autriche-Hongrie. J'étais seul avec ma mère, nous vivions à Vienne à cette époque. Mon père nous avait abandonné quelques années auparavant, pour une raison que j'ai oublié avec le temps et ma mère ne supportait plus la solitude, elle a donc mis fin à ses jours. J'étais à peine sevré mais je ne suis pas certain qu'elle se souvenait même de mon existence. Lorsque deux vampires décident de passer l'immortalité ensemble, il arrive que le lien qui se crée entre eux soit si fort, qu'il se transforme en malédiction. Si l'un d'entre eux disparait, l'autre dépéri. J'étais donc là, sans vraiment l'être.

J'eus ma Libération peu avant. Je n'étais qu'un jeune vampire de treize ans. Sans parents. Sans personne pour me guider sur la voie du Ténébreux.

J'en voulais à mes parents de m'avoir abandonné comme un vulgaire chien qu'on laissait derrière soi et qu'on avait oublié. Je me forgeais une véritable carapace dure, je me nourrissais d'Hybride car ils étaient plus durs à tuer et j'avais toute suite eu cet instinct de puissance. Je désirais la qualité et le défi. Des années durant j'errais de ville en ville, comme un Dieu de la Mort prépubère. C'était jeune pour une Libération. J'avais déjà plus de cinquante ans de vie humaine, ayant toujours l'apparence d'un jeune homme à peine adulte, lorsque j'arrivas à Prague.

Après encore quelques temps, me pensant toujours aussi seul, je fis finalement la rencontre d'un homme étrange. Je me souviens encore de son cheval noir, de sa peau translucide aussi froide que la mienne, de la couleur vibrante de ses yeux. Ce qui me frappait d'avantage ce fut ce garçon aux joues roses et aux couleurs d'été, de beaux cheveux bruns, qui se cachait timidement derrière lui. J'avais reconnu l'odeur d'un Originel en revanche le garçon avait l'odeur de meilleur des festins au monde.

- Christopher, je dis d'instinct.

- Christopher Bang et son père sur un étalon noir. Ils m'invitèrent chez eux alors qu'ils ne me connaissaient pas, j'étais méfiant. Hyunjin, le patriarche, m'offrit même des serviteurs pour le dîner mais je refusais chacune de ses propositions. Hyunjin n'était pas le père biologique de Chan. C'était un Originel qui était tombé amoureux fou d'une mortelle, Ava Bang, la véritable mère de Chan. Chaque soir il venait me chercher au même endroit qu'il m'avait trouvé et chaque soir j'y étais, attendant impatiemment sa venue pour qu'il continue de me parler car même si je ne prononçais pas le moindre mot il me racontait tout. Tout ce qu'il avait vécu, tout ce qu'il ressentait, tout ce qu'il pensait et voulait. Je ne faisais qu'écouter avidement. J'étais son confesseur en quelque sorte, nous chassions ensemble puis il priait pour que Dieu lui pardonne. Il fut le seul vampire que je connaisse qui priait pour son Salut. »

Il regarda une nouvelle fois les étoiles.

« Hwang Hyunjin était un bon père, son compagnie vampire était morte d'une étrange maladie qui avait également frappé les vampires, quelques années auparavant. Il s'occupait de ses deux fils comme il se devait. Je croisais parfois Chan et nos regards étaient bref, puis quelques temps plus tard, je fis la rencontre de son deuxième fils. Felix.

Je sentis mon cœur se serrer et regardant chaque émotion qui traverser ses iris, j'essayais de savoir si c'était de la tristesse ou de la joie qui faisait briller ses pupilles.

- Felix ne ressemblait pas à son père. En dehors des yeux bleus et de leurs peaux parfaitement laiteuses. Felix avait en plus cette adorable particularité qui le rapprochait étrangement de son frère humain...Des tâches de rousseurs qui piquetaient ses joues. Il était plus jeune que moi, il n'était même pas encore libéré et il me regardait avec des étoiles dans les yeux.

Hyunjin me parlait souvent de lui, même lorsque je ne connaissais pas encore son visage et quand je l'ai vu, j'ai tout de suite compris pourquoi son père l'aimait tant, pourquoi il était tant inquiété pour son avenir...Felix avec l'innocence gravé sur son visage poupon. Il passait ses journées à arpenter les pièces de château des Bang, à jouer à cache-cache avec Chris. Son rire, son sourire étaient aussi délicieux à contempler qu'un levé de soleil. Et tous étaient sous son charme. Je ne faisais pas exception. »

Je me souvenais alors de ma propre curiosité, de mes propres journées à arpenter les couloirs du château. Puis soudainement je me souvenais du tableau de l'ancêtre au visage blanc, aux longs cheveux sombre et aux yeux bleu sibérien.

« A la différence de son père qui avait les cheveux noir corbeau, Felix avait les cheveux blonds, aussi blonds que les blés. Il m'avait sauté au cou lorsque son père nous avait présenté l'un à l'autre. Cet élan d'affection m'avait étonné mais je ne le repoussais pas, j'étais conquis. Son père m'expliqua que Felix allait connaître sa Libération et qu'il exigeait que je sois présent. Je me souviendrai toute ma vie de cette soirée, le père de Felix voulait le meilleur pour son fils, il était convaincu qu'il serait le plus puissant de tous les vampires existants. Il le conduit dans une famille d'Originel. »

Minho regardait maintenant ses mains.

« Ce fut un véritable massacre. Le père et le fils semblaient s'en donner à cœur joie, tuant femme et enfant vampire. Je fus témoin de la Libération du vampire le plus puissant de tous les temps, Hyunjin était si fier de son enfant qu'il en pleurait alors que j'étais sidéré par un spectacle sanglant. Ce n'était pas une tradition, c'était une extermination. Tu dois comprendre que Hyunjin détestait par-dessus tout tuer les humains, comme on peut parfois avoir plus de peine pour des petits animaux innocents, il détestait s'attaquer à des personnes faibles. Mais pour ce qui était des autres vampires...Il n'avait aucune pitié. L'enfant joyeux et innocent qu'était Felix était devenu un véritable monstre à partir de ce jour. Un démon au visage d'ange. Je croyais être puissant et certainement l'un de plus puissant mais quand je vis Felix, je connus une sensation qui jusqu'à lors m'était totalement inconnu. J'avais peur. »

Je frissonnais, rien que d'y penser, il réussit à me faire peur à son tour.

« J'étais en danger et si je voulais rester près de lui car je ne voulais pas m'en éloigner, si je voulais faire partie de cette famille si puissante et ne pas qu'il me jette, je devais être puissant, encore plus puissant. J'eus donc une longue éducation aux côtés de Hyunjin et je devins très vite un vampire respecté, le vampire le plus proche de Felix ainsi que paradoxalement, celui qui s'opposait le plus à lui. Pour une raison qui échappe à toute la communauté, Felix me considère comme son mentor, certainement parce que j'étais plus proche de son père, certainement parce que j'étais là le jour où il s'est éveillé. Cependant Felix me respecte et ça, personne ne le comprend. Pas même moi.

Après la mort de Hyunjin, il a pris la tête de la famille Hwang-Bang, et de toute la communauté de vampire. Pour résumer, Felix est le vampire le plus fort qu'il soit mais aussi le plus mauvais, le plus malsain et le plus fourbe.

- Ce Felix me fait froid dans le dos. Je vous avoue que je me sens bien ridicule d'après votre description de notre Maître à tous. »

Minho me regarda en souriant puis il remit une de mes mèches de cheveux en place. Je secouai la tête ensuite en soufflant sur mes cheveux pour qu'ils sortent de devant mes yeux ce qui le fit rire. Nous partageâmes quelques secondes de silence et de complicité, une tension étrange s'installait entre nous et je m'en sentais gêné. Je détournai le regard le premier.

Il se remit soudainement débout en tapotant ses habits, j'en fis de même et nous partîmes lentement cette fois ci pour regagner son appartement. Maintenant que j'en savais plus sur lui et Felix, je le voyais d'une façon différente, il me semblait beaucoup plus sensible que ce qu'il voulait bien faire paraître. Il ne cessait de penser à sa famille défunte, Hyunjin qui l'avait accueilli, à toute cette vie qui lui semblait si lointaine.

« Vous ne m'avez toujours pas raconté pourquoi vous êtes partis, dis je tout en marchant à ses côtés.

- Je n'ai jamais été fait pour rester au même endroit.

- Vous mentez...Felix vous a fait quelque chose ?

- Non, pas à moi.

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

- Felix m'insupporte à dire vrai ! Il expire espérant reprendre un masque d'indifférence. Plus le temps passe et plus il perd la tête. Le pouvoir le rend arrogant et capricieux. Je suis déjà assez arrogant pour deux, tu ne trouves pas ? »

Je voyais pourtant dans ses yeux qu'il lui en voulait, c'était encore plus profond et je savais que depuis la nuit de la Libération du plus puissant d'entre nous, qu'il n'a jamais pu revoir le garçon au grand sourire innocent. Que l'ange s'était transformé en démon et qu'il s'était senti dupé, trahis. Et que s'il avait essayé de faire tous les efforts du monde pour le ramener à lui, crée cette complicité qui existait entre lui et Hyunjin, il n'a jamais réussi. Et il le regrettait.

Le massacre de la Libération du plus puissant de tous les vampires avait marqué une nouvelle période de solitude. La même qui l'avait accompagné des décennies durant, parce qu'il n'avait pu l'arrêter, il se sentait coupable.

Des sentiments parfaitement humains et qui déclenchaient en moi d'autres émotions, elles aussi, parfaitement humaines.