4. Ma faiblesse
*
Je ne me sentais pas bien. La vérité, c'était que je sentais le chamboulement dans mon corps comme une possession. J'avais cet autre, ce passager sombre qui gagnait du terrain et qui agissait à ma place. A force, je ne savais même plus si c'était moi ou le changement qui guidait mes pensées et mes émotions. Peut-être les deux. Mais mes forces peu à peu m'abandonnaient en même temps qu'elles gagnaient en intensités. C'était un jeu de vase communiquant qu'il m'était difficile d'expliquer et de comprendre.
L'impression qu'un puits profond s'ouvrait au fond de mon corps et que toutes mes pensées rationnelles, mes désirs, mes sentiments, mes pulsions s'engouffraient sans atteindre la fin.
Ma vue devenait encore vague, filtrée par instant et que je sentais que mes sens s'affinaient, ils redevenaient alors soudainement plus sombres, la lumière moins vive et ça ne faisait qu'endurcir mon humeur changeante.
Puis vint la douleur, comme un pieux dans ma poitrine qui s'enfonçait à mesure et dont j'arrivais plus à contenir les effets. Je retenais les cris, telle une bête, un monstre qui se débattait en moi et qui livrait une bataille contre mon propre corps. Je me sentais perdre l'équilibre et me retenant tout juste à la rambarde, je sentis Christopher se rapprocher.
" Jisung ? Ca ne va pas ?
- Non ! Ne vous approchez pas ! Je grondais.
Cette bête se nourrissait de ma retenue, plus je résistais plus elle devenait forte.
- Minho ! Il appela l'immortel, désemparé.
Je n'avais jamais entendu de la détresse dans sa voix, au fond de moi, j'en étais heureux. Il s'inquiétait pour moi.
- Laisse-le, répondit simplement le vampire d'une voix calme.
- Mais il...
- On passe tous par là. Et plus il résistera, plus ça sera difficile."
Je regardais Minho, sa peau aussi blanche que la Lune, ses yeux étaient devenus aussi rouge que le sang, des cheveux sombre comme la nuit, il se tenait droit. Me regardant comme un insecte qui se débattait en vain, pris dans une toile. Il me donnait envie d'hurler, je voulais lui montrer, lui faire ravaler son regard dédaigneux alors même qu'il ne m'avait rien fait mais c'était toute sa présence qui me rendait nerveux.
Etait-ce sa présence qui avait réveillé cette rage ? Ou bien simplement le fait de voir un futur en lui, que je me refusais d'accepter. Être un vampire. Comme lui. Comme l'assassin de mes parents.
Tu dois te laisser faire, Jisung.
" Chan, grondait Minho en fronçant les sourcils. Ecarte toi..."
Christopher me regardait, choqué. Avais je changé ? Je n'en savais rien mais j'avais cette sensation de perdre un peu plus de ma réalité. Je ne bougeais plus et j'étais privé soudainement du son. Paralysé.
Tu repousses l'inéluctable mais si tu te refuses à me laisser sortir, tu ne survivras pas.
Etait ce mes pensées ? Les miennes ? Ou bien est-ce qu'on me chuchotait à l'oreille ? Je sentais mon coeur s'emballer, la peur me gagner et me faire suffoquer. Minho avait soudainement saisit le bras de Chris pour se placer devant lui, en protecteur et ce geste me brisait le coeur. J'étais la menace et mes yeux se remplissaient de larmes.
" Chris...", je gémis.
Il essaya de repousser le vampire pour venir à moi mais Minho était fort. Bien plus fort que nous deux et il l'arrêta d'une simple pression sur le torse, sans effort aucun. Il me regardait perdre la tête et moi je me sentais seul et mourir.
Tu meurs pour mieux revivre. C'est une chose que tout vampire connaît.
Il me parle. Mon autre. Il a ma voix mais ce n'est pas moi.
" Jisung, m'appelait Minho comme pour ramener à eux. Tu n'as pas besoin de le combattre. C'est contreproductif car il gagne toujours."
Une seconde je crus voir de la pitié dans son regard, de la peine comme si c'était sa douleur, sa Libération. Tous les vampires passent par là, est-ce que Minho avait vécu la même chose ? Il savait à quel point c'est terrifiant ?
" J'ai peur, je lui dis alors la main sur la poitrine. Je ne veux pas mourir !"
Je l'avais crié et ma voix brisée s'était répercuté entre ces murs comme une détresse profonde qui ébranla Christopher. Un vampire qui ne veut pas mourir. Il y avait sans doute une pointe d'ironie dans cette effroyable vérité.
Mon cœur battait toujours, mon sang restait chaud, comme celui de Christopher.
" Tu ne peux pas l'empêcher, souffla alors Minho. Tu es un Originel et tu ne pourras rien faire contre ça. Si ce n'est te jeter dans les flammes, tu deviendras vampire. Ton cœur continuera de battre mais il sera froid, ton sang continuera de couler mais il n'aura de chaleur que lorsque tu l'abreuveras d'un autre. Plus vite tu accepteras cette vérité, plus vite tu pourras le maîtriser. Ton autre."
Je m'en sens incapable. Accepter d'être un monstre. Que serais-je aux yeux de Christopher ? J'aurai l'impression de tout perdre. Si j'étais comme eux.
Minho s'approcha alors et lentement il glissa sa main sur ma joue, essuyant une larme rouge qui me coupait le souffle. Du sang ? Je pleurais du sang ? Il vint alors lécher la goutte faisant ressortir la pointe de ses dents. Encore une fois paralysé, je ne pouvais m'empêcher de voir les yeux rouge sang de mes souvenirs, ceux du vampire qui avait exterminé ma famille.
" Pourquoi ? Je demandais alors du bout des lèvres. Si je suis un Originel...C'est moi qu'il cherchait ?"
Je ne fus pas surpris de voir que Minho comprenait mes pensées, il jeta un simple regard en arrière vers Chris qui était resté en retrait, le regard renfrogné par le souci.
" Tes parents l'étaient, reprit alors Minho. Ils étaient tous deux des Originels aussi. Reconnus dans notre communauté comme étant particulièrement intelligents.
- Ça suffit Minho, intervint Chris.
- Pourquoi sont-ils morts ? J'insistais.
- Ils avaient des ennemis puissants.
- J'ai dit stop !" Criait Christopher.
Le ton ferme de sa voix me fit brusquement revenir à moi. Comme une chute brutale de température, je me sentais perdre connaissance et alors que je m'effondrai, je suis fus tout juste rattraper par Minho qui me tenait comme si je ne pesais rien.
Mes derniers souvenirs se limitaient au regard perçant du vampire et au visage inquiet de mon tuteur qui vint me caresser le front. Sa voix lointaine, mon cœur qui battait. Le noir.
***
Je repris conscience qu'au lendemain et la veille m'était apparu comme un rêve trouble et incertain. Je n'étais plus sûr d'avoir rencontré Lee Minho, je n'étais plus sûr d'avoir entendu cette voix macabre dans ma tête. Je n'étais même plus sûr que j'étais un de ces buveurs de sang dont parle les légendes. Mon corps reprenait des sensations normales, la chaleur des rayons du soleil qui passait les coutures de mes rideaux, le touché mes draps, de mon oreiller et la légère brise qui s'engouffrait par une fenêtre entrouverte. En même temps une odeur plus piquante qui s'insinuait et devenait obsédante. Une odeur de métal acide. Soudainement j'ouvrais les yeux et me je me redressais sur le lit, découvrant mon corps taché de rouge. L'effroi me fit reculer jusqu'à la tête de lit alors que ma voix bloquée de ma gorge ne laissait filer qu'un hoquet étouffé. Les yeux grands ouverts.
" Mon Dieu..."
Il ne doit plus te porter dans son coeur, Jisung.
J'avais fait une chose pareille...Non...L'autre l'avait fait.
Jonché sur le sol, sur une partie du lit, des bras et des jambes. Un tel nombre que je n'arrivais pas à compter les corps enchevêtrés. Blanc et dépourvu de toute vie. Je sentais mes larmes brouillés ma vie, mon cœur se déchirer et je ne savais plus quoi faire, qui appeler.
"Chris..., je chuchotais alors. Chris...Chris...CHRIS !!"
Ma voix déchirante dans le château avait dû alerter tout le personnel. Ou ce qu'il en restait car une grande partie était étendu sur ce sol. Vidés.
" C'est un enfer", je me murmurais à moi-même, tremblant de la tête aux pieds.
Ton œuvre. Ton cauchemar.
" Je ne veux pas devenir un monstre...Je ne veux pas faire de mal."
C'est ta nature. C'est ainsi qu'un vampire vit.
" Chris, je pleurais la tête cachée dans mes bras. Chris...
- Jisung !"
Ouvrant soudainement la porte, Christopher se figea devant le spectacle. Il était estomaqué et je sentais sa terreur me gagner. Il va m'abandonner, il va me laisser parce que je suis un être abominable.
" Chris, je pleurais encore.
Il revint brusquement à moi et son regard fut plein de tristesse. Sans attendre, il enjamba les cadavres et remontait sur le lit, remarquant le sang qui maculait les draps et qui le fit s'arrêter une fraction de seconde.
" Ça va aller. Je suis là."
Faisant fi des atrocités, il m'attira à lui et j'effondrai dans ses bras. Sa chaleur était un refuge qui couvrait toutes mes pensées obscures mais la culpabilité demeurait. Il avait beau me caresser les cheveux pendant de longues minutes, sans jamais relâcher sa prise, je ne pouvais m'empêcher qu'un jour peut-être, c'est lui qui sera ma victime. Cette simple pensée faisait redoubler l'intensité de mes sanglots.
Il ne s'arrêta pas, jusqu'à voir arriver Franz, notre majordome venir débarrasser la pièce. Ce n'est qu'une fois calmer, qu'il me fit redresser le visage et caressait doucement mes paupières, le haut de mes pommettes.
" Te souviens-tu de ce qui s'est passé ? Il demanda d'une voix douce.
- Non, je répondais la gorge enrouée.
Ma réponse n'était pas celle qu'il escomptait, comme s'il en était déçu. Il découvrait un peau mon front, replaçant quelques mèches de cheveux.
- Ça ne sert à rien de pleurer. Tu es un vampire Jisung.
- Et si je m'en prenais à vous...
- Ca n'arrivera jamais.
- Comment vous pouvez en être sûr ?
- Je le sais, c'est tout."
Je ne pouvais pas m'en empêcher d'être heureux de voir sa confiance. Qu'il ne me rejettait pas malgré mes actes abjects. Christopher déposa un baiser sur le haut de me front, me réchauffer doucement le visage. Les gestes de tendresse n'était pas rare mais j'avais la sensation qu'ils avaient plus de significations. Je sentais mon cœur battre un peu plus vite et mes mains s'accrocher un peu plus fortement.
" Jisung, tu dois apprendre à être qui tu es. Et moi, je suis incapable de t'aider dans cette tâche, c'est pour ça que j'ai demandé à Minho de s'occuper de toi."
Me souvenant de leur conversation de la veille, je sentis ma gorge se serrer et mes larmes pointer à nouveau au bord de mes yeux. Je me retenais de toutes mes forces, ne voulant pas paraître trop sensible devant lui. La vérité c'était que je me sentais rejeté et coupable de ne pas être à la hauteur, d'être capable de le faire par moi-même.
" N'aies pas peur, Minho a toute ma confiance et je sais qu'il sera être bon avec toi. Il est parfois un peu cynique et il peut sembler froid, mais c'est quelqu'un de bien.
- Aussi bien que peut l'être un vampire."
Christopher sentit la pique derrière et même si j'étais ce que je dénigrais précisément, je ne pouvais m'empêcher de les détester tous. De détester Lee Minho qui allait m'emmener loin de lui. Devant ma réaction, je le sentis s'adoucir, Christopher me regardait avec un étrange mélange d'affection et de tristesse. J'espérais au fond de moi que notre séparation lui fasse du mal, je voulais qu'il en souffre car cela signifierait qu'à ces yeux, je comptais un peu plus qu'un simple enfant recueilli.
" Tu penses qu'un lion est mauvais parce qu'il se nourrit d'antilopes ? L'homme croit qu'il est sommet de la chaîne alimentaire et c'est simplement cet orgueil qui parle. Cela nous est insupportable, d'être considéré comme de la nourriture. Mais la vérité c'est qu'on s'est longtemps pris pour Dieu et ce dernier nous rappelle à quel point nous sommes peu de choses.
- Donc le vampire c'est la réponse à nos péchés d'être humain ?
- Peut-être.
- Vous avez une vision étrange."
Après quelques minutes, Christopher m'aidait à sortir de ma chambre, tandis que le reste des domestiques s'affairaient à nettoyer ma chambre, je remarquais l'imperturbable majordome qui nous attendait au bout du couloir. Il avait fait préparer un bain et Christopher le remerciait, il m'invitait à entrer et m'aidait même à retirer mes vêtements.
" Franz..., je demandais d'une petite voix alors que je plongeais dans l'eau chaude. Il est...Comme moi ?
- Non, sourit doucement Christopher. C'est un humain. Comme moi.
- Mais il n'est jamais surpris. Tous ces corps...
- Il a l'habitude, il travaille pour ma famille depuis longtemps."
Christopher remontait ses manches, vint s'asseoir sur le bord de la baignoire de procelaine aux pattes de lion, il prenait une grosse éponge qu'il gorgeait d'eau avant dans l'essorer sur le dos de ma nuque et frotter lentement le haut de mes épaules, puis mon dos. Sans geste brusque, il s'appliquait et moi je profitais de l'instant.
" Quel est votre lien...Avec les vampires ?
J'avais à peine oser prononcer ma question, je savais que je n'aurai pas de réponse claire, sinon il me l'aurait dit depuis longtemps mais il n'était pas plus fâché de l'entendre. Il avait un petit sourire délicat sur les lèvres et continuer d'essuyer les traces sur ma peau. Son visage avait toujours eu quelque chose de paisible et chaleureux. Chris était pour moi plus qu'un substitue de père, il était un homme idéal. Parfois je me perdais dans la contemplation des traits de son visage, du sang qui pulsait sous sa peau et lui donnait cette couleur de pêche. Il était doux, aussi bien à l'œil qu'au touché et je rêvais de pouvoir le caresser.
" C'est une longue histoire, il me dit finalement. Elle remonte à des siècles avant ma naissance et...Je ne saurai vraiment par où commencer."
L'image du tableau dans le couloir de l'aile Nord-Est, le tableau au visage blafard et au regard perçant. Les longs cheveux noirs. Un nom inscrit sur le tableau en bas à droite.
" Felix..."
Christopher tressauta. Sa main s'était arrêté sur la base de mon buste alors qu'il me regardait avec de grands yeux.
" Qu'est-ce que tu as dit ?
- Je...
Son humeur était devenue sombre, presque colérique et je ne me sentais plus de répéter le nom qui était inscrit sur la signature du tableau. Je baissais la tête, n'arrivant même pas à soutenir son regard.
- Felix", répétait alors une autre voix dans la pièce qui nous fit sursauter tous les deux.
Dans l'embrasure de la porte, se tenait Minho, son éternel sourire espiègle sur les lèvres alors qu'il était habillé d'un costume trois pièces noir aux surpiqures baroques d'un brun légèrement plus clair. Les jambes croisées, il pit frapper la pointe de ses bottines avant de s'approcher.
" Allons Chan, tu ne te souviens même plus du prénom de ton propre frère ?"
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