21. Par amour
*
La force s'échappait de moi comme le sable d'un sablier, j'avais l'impression que la vie qui m'animait s'envolait dans les airs avec mélancolie, mon corps entier devenait une pâte à modeler. Le visage de Minho me hantait. Ce visage si tranquille, ce visage sans expression, ce visage à qui on avait retiré toute émotion. Il ne me ressemblait pas à Minho. A celui avec qui j'avais vécu depuis des semaines. Comme si tout ce qui c'était passé n'était qu'un rêve, qu'un doux et beau rêve. Je ne comprenais pas, je n'arrivais pas à comprendre. Il ne pouvait pas avoir fait semblant aussi longtemps. C'était inconcevable.
Non. Il devait forcément y avoir une explication, Minho devait cacher quelque chose, avoir une idée derrière la tête. Même s'il s'agissait de Hyunjin, il ne pouvait pas m'avoir abandonné de la sorte.
Il me suffisait de me souvenir de nos baisers, de ses regards, de la manière qu'il avait de regardé la vie s'écoulée de ses plantes, ses légers rires, ses sourires qu'il me dédiait presque timidement. Il me suffisait de ressentir à nouveau sa chaleur, la façon qu'il avait de me garder contre lui après nos ébats, des soupirs contre ma peau alors que je me sentais m'endormir et que lui restait parfaitement éveillé.
« Je te protégerai. »
Je me redressai au milieu du calme assourdissant de la forêt.
Un sacrifice. Minho s'était surement sacrifié pour me protéger. Hyunjin avait confirmé que Felix me laissait vivre en paix, le retour de Minho à sa cour devait être la monnaie d'échange. Un autre moyen de m'affaiblir, il avait raison. Felix ne cherche pas à venir me chercher, ni à m'empêcher de m'approcher, il veut simplement m'affaiblir.
Je pris une profonde inspiration, je savais ce qu'il me restait à faire.
« C'est à moi de te protéger, Minho. »
***
J'avais rusé pour esquiver la douane Russe. Il pleuvait des cordes à la frontière et j'avais pu échapper à la surveillance des avant-postes. Les rumeurs de guerres imminentes les avaient rendus nerveux, l'armée Russe était postée et armée à chaque pont, chaque petit couloir montagneux, chaque route qui nous permettait d'entrer au pays. Payer les discrétions des plus corruptibles auraient pu être une solution, si on était un humain cependant. J'optais pour celle qui me permis de me nourrir, avant de poser en fin le pieds sur le territoire soviétique.
Voilà presque trois jours que je voyageais à pieds, préférant se moyen plutôt que de reprendre le train et risquer de me confronter encore une fois à la communauté.
Je devais faire croire que je n'avais pas suivi Minho et Hyunjin. Pour ça, j'avais demandé à Chan de jouer le jeu, sans vraiment lui préciser ce qui s'était passé, je lui avais fait parvenir une lettre qui j'espérai arriverait avant mon arrivée à Moscou. Je ne voulais pas l'inquiéter et lui parler du retour encore un peu difficile à avaler de son père, ou de l'hypothétique trahison de Minho, je préférai encore le garder pour moi. Je lui demandais simplement de faire circuler l'information que j'étais sur le chemin du retour.
Mais Christopher avait une assez bonne intuition et il ne serait pas dupe. J'espérais seulement qu'il ne ferait rien de stupide, de toute façon il restait mortel pour franchir tous ses kilomètres aussi rapidement, il lui faudrait grimper sur le dos de Jeongin et même ainsi, je doutais qu'il puisse me devancer. J'étais si proche de mon but, que je n'arrivais plus à dormir, j'avançai alors sans m'arrêter.
« Attend moi Minho, je viens te sortir de là... »
J'étais si persuadé des sentiments de Minho que je n'arrivais même pas à me sentir attristé de son choix. Mais j'étais plus en colère contre Felix que jamais. C'était un mal pour un bien, car cette haine alimentait la dominance du vampire qui sommeillait en moi. Je me sentais plus galvanisé, a fortiori, comme je n'avais plus l'envie de dormir, je me sentais un peu plus alerte quant à mes sens surdéveloppés. Je me sentais aussi plus fort, plus vigoureux alors même que j'entrais dans la fosse au lion, je ne me sentais nullement comme une proie. J'allais accomplir mon destin, ce pourquoi mes parents m'avaient créé et en même temps, le fait de me retrouver si proche de la maison mère, de la communauté la plus importante d'Originels dans le Monde, me rendait quelque peu euphorique.
Aussi, en arrivant à Moscou, je m'attardais sans crainte sur le ciel dont la couleur particulière attirait mon attention, des nuances de gris et de bleus. Plutôt que de me préoccuper des présences qui scrutaient mes gestes. Felix devait maintenant savoir que j'étais dans sa ville mais il était trop tard pour m'arrêter.
Il me fallait encore les trouver dans cette immense ville où mon immobilité au milieu des grandes places semblait plus visible que les mouvements permanent de la foule. C'était suffisant pour me focaliser sur le plus naïf d'entre eux, qui essaierai de me suivre et qui finirait par me perdre. Démoralisé, il repartira pour prévenir son chef qu'il m'avait vu, sans savoir que je serai sur ses traces, m'emmenant droit à leur tanière.
« Il était en ville ? Tu en es sûr ? Demandait l'un des Originel à celui qui venait de lui faire un rapport.
Je ne le connaissais, mais de puis le haut du muret de pierre sur lequel je m'étais niché, je pouvais parfaitement distinguer son visage. J'étais caché par la végétation ambiante et j'avais plutôt bien appris à dissimuler ma présence. Par la force des choses, je gagnais vite en expérience. Ainsi caché, il fallait vraiment me chercher pour me trouver.
« Je l'ai vu, près de l'Hermitage. »
Les deux Originels continuaient leur discussion et alors que je sentais un Originel en approche de l'autre côté, je me glissais à nouveau le long du muret, essayant de me faire le plus discret possible. Je trouvais un recoin à l'abri, derrière le domaine où je pourrai enfin poser pieds à terre et tenter de me glisser à l'intérieur.
Je laissais l'entrée principale pour me rapprocher du point de chute, plus à l'Est. Je descendais du mur, retombant sur mes jambes comme un chat et restait accroupi au sol, m'aidant des statues et autres massif pour échapper à leurs regards. Je pressentais qu'au nombre d'Originels qui vivaient dans l'enceinte du domaine, m'attaquer à Felix de front risquait d'être plus complexe que ma témérité ne l'avait imaginé. Si tous m'attaquaient pour défendre leur maître, j'aurai beaucoup de mal à gagner.
Pourtant, je ne pouvais pas reculer. Je continuais mon détour, arrivant devant un petit labyrinthe taillé dans les tuyas et m'approchant du centre, je sursautais en reconnaissant la silhouette de l'éternel Hwang Hyunjin. Il m'attendait, de toute évidence.
« Tu es vraiment une tête de mule. Il avait raison, lorsqu'il m'a averti que tu ne renoncerais pas. »
Je restai immobile, les poings et les dents serrés tandis que Hyunjin soupira une nouvelle fois, les mains sur les hanches il faisait mine d'être déçu mais il gardait ce petit sourire presque amusé par mon entêtement. Je ne devais pas lui tourner le dos, quoi qu'il fasse, je devais le garder dans mon champ de vision. J'étais un ennemi pour lui et j'étais venu jusque-là. Si je n'avais pas senti d'aura agressive dans la forêt, il y a quelques jours de ça, il en était totalement autrement ici. Alors même que son fils était tout près, et que c'était sa mort que je venais chercher.
« Je t'ai offert pourtant une vraie porte de sortie, pourquoi tu insistes autant ?
- Par amour. »
Hyunjin eut un léger mouvement de recul, comprenant alors de qui je parlais et ça ne semblait pas vraiment le surprendre.
Depuis qu'ils m'avaient laissé derrière eux, j'avais fini par venir à la conclusion que le don de Jeongin, celui de lire dans les pensées, lui venait de son père. Hyunjin avait eu la même capacité pendant toute notre rencontre, mais j'étais trop déstabilisé par le reste pour m'en préoccuper. Je me doutais donc qu'il avait lu mes pensées et certainement celle de son vieil ami.
« Amour, répétait l'immortel.
Ce n'était pas une notion inconnue. Si Minho disait vraie, il était tombé éperdument amoureux de la mère de Chan.
- Je comprends, il souffla alors, le regard maintenant douloureux. Moi aussi, j'agis par amour. L'amour que j'ai pour mon fils. Alors tu comprends toi aussi, pourquoi je ne peux pas te laisser continuer d'avancer ?
- Et que comptez vous faire ? Le laisser continuer de jouer les tyrans ? A sacrifier des vies par peur. Et Minho ? Vous allez l'enfermer ici jusqu'à la fin des temps ? Jusqu'à ce que Felix s'en lasse ? C'est étrange. Au fond de moi, j'avais du respect pour vous, j'avais compris que vous aviez été toute votre existence tiraillée entre votre amour profond pour la vie et sa valeur précieuse, même si elle était éphémère, et votre nature vampirique. Que voir Felix bafoué votre principe, vous avait conduit à partir. Aujourd'hui, pourquoi revenir auprès de Felix ? Pourquoi l'aider ? »
Hyunjin ne répondit pas, même s'il m'avait parfaitement entendu. Il semblait réfléchir et puis soudainement il se mit de côté, se tournant toujours dans ma direction.
« Suis moi », il me dit alors.
Même si j'étais septique, j'obtempéra. Hyunjin ne fit sortir du labrynthe et nous arrivâmes alors de l'autre côté du jardin, le bruit d'une fontaine me parvenait et tandis que nous marchions le long d'une petite allée de galets, j'entendu un rire. Un rire presque doux et pourtant la voix avait ce timbre grave et bourdonnant. J'avais déjà entendu cette voix.
C'était Felix, alors que nous étions à des mètres de là, je le voyais rire, tenant une petite fleur dans les mains. A côté de lui, les mains dans le dos, Minho observait un bosquet dont les bourgeons étaient prêts à éclore.
Felix parlait, sans s'arrêter. Je n'entendais pas vraiment ce qu'il disait et je m'en fichais, Hyunjin lui ne semblait pas s'en préoccuper. Tout ce qui comptait à cet instant, c'était de voir son fils sourire. Je percevais néanmoins une mélancolie que je n'avais pas vu jusque là et alors sans vraiment savoir comment, ni pourquoi, je compris ce que cherchait l'immortel plusieurs centenaires.
Je regardais encore une fois Felix, ses traits plus tirés que la dernière fois que je l'ai vu, le visage un peu plus terne, un peu plus amaigri et ses lèvres un peu moins bombées. Je sentais presque la retenue de Minho et pourtant sa propre pitié dans ses yeux, alors qu'il regardait le blond.
« Il est mourant...Felix est entrain de mourir, je compris et j'expirais de la même façon. »
Une vérité qui sautait aux yeux si on s'attardait sur elle. Minho n'était donc pas venu par sacrifice, mais parce que son ancien ami, un substitut de frère et le fils de celui qu'il avait toujours aimé et respecté, était à la fin de sa vie.
Il était malade. Une maladie propre aux vampires dont m'avait déjà parlé Changbin et Chae. Et maintenant que mes parents étaient mort, personne ne pouvait lui donner le remède issu du sang des jumeaux. C'était sa punition.
« Tu vois, tu n'as pas besoin de te battre, il n'en a plus pour longtemps, me dit Hyunjin.
- Longtemps c'est...Combien ?
- Un claquement de cil pour un vampire.
- Mais combien ? » Je continuais de demander.
Ce que me demandait Hyunjin c'était de partir, d'abandonner. De ne pas interférer entre eux et la mort qui allait bientôt s'inviter. Mais tant que mes yeux suivaient les gestes de Minho, son profil gracile et ses lèvres rouges, un claquement de cil, c'était insupportable. Lui tourner le dos, le laisser ici simplement par pitié, ça me semblait être plus difficile à supporter que toutes les tortures du Monde. Je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas laisser tomber.
« Il te reviendra, Minho t'aime aussi. Je peux te l'assurer, essayait de me rassurer Hyunjin. Mais si tu es aussi humain que je l'imagine, si tu es mieux que n'a jamais été mon fils ou moi-même, accepte cette attente, accepte de lui donner cette chance de partir avec une sensation de paix dans une vie qui n'a été que chaos.
- Pourquoi je devrais lui faire cette faveur ? Il m'a arraché mes parents ! A tenter de me tuer et s'en est même pris à Chan et Jeongin. Vous êtes prêt à tout pour lui, mais que faites vous pour vos autres fils ? Vous auriez pu l'arrêter ! Depuis tellement longtemps ! Et je dois maintenant lui donner un peu de répit ?
- Tu as raison, je suis totalement en tort, alors si tu dois te venger, fais le sur moi. Felix n'est que le résultat de mes propres erreurs de père. »
Frustré, je me retenais de le frapper, et faisant les cent pas, je me sentais en proie aux doutes, à la colère qui commençait peu à peu à me gagner. Je savais que dans peu de temps, les deux autres allaient nous repérer si je continuais de fulminer. Je savais aussi que je risquais d'attirer les autres Originels.
« Jisung, je t'en demande beaucoup j'en ai conscience...
- Jisung ? »
La voix de Minho m'arrêta soudainement et je me tournais dans leur direction alors que Minho avait déjà commencé à se rapprocher, les yeux écarquillés et un sourire qui essayait de se frayer un passage dans son masque d'impassibilité. Mais il se reprit, déglutissant tandis qu'il continuait de franchir quelques pas.
« Tu n'aurais pas dû venir », il essaya de dire.
Mais sa voix était mal assurée, je l'entendais et les autres aussi. Minho était pourtant maître dans l'art de dissimuler ses véritables sentiments mais cette fois, ils devaient être trop fort et je ne pouvais dire à quel point ça me rendait heureux. Je me sentais bouillonné à l'idée de rester sans rien faire, sans pouvoir le prendre dans mes bras.
Derrière lui, Felix s'était lui aussi arrêté, le regard maintenant de plus en plus noir. Il avait promis à son père qu'il ne me ferait rien mais je savais d'avance, qu'il n'allait pas respecter sa promesse.
« Il a raison, il trancha alors en se positionnant aux côtés de Minho. Tu devrais partir avant que je ne revienne sur ma décision de te laisser la vie sauve.
Felix croisa rapidement le regard de son père avant de revenir vers moi.
- Et si je refuse ? » Je dis alors sans le quitter des yeux.
Faisant fi des expressions tendues des deux autres. Au fond, cette histoire ne les concernait pas. C'était notre pacte secret, celui que je partageais avec Felix et qu'il m'avait confié dans les murmures d'une pensée trop forte pour se taire. Le souhait de mourir, non pas emporté par une maladie qui allait l'achever à petit feu, mais par ma main. Le seul qui puisse l'arrêter.
Felix sourit alors, satisfait.
« Tu crois être à la hauteur Han Jisung ?
- Tu n'as qu'à vérifier par toi-même. »
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