20. L'éternité sur un visage
*
Les quelques hybrides modifiés que j'ai pu tuer revenaient à chaque fois d'entre les morts, il me fallut alors improviser.
Ma théorie se confirma. Il n'y avait pas que le feu qui tuait les hybrides modifiés, leur faire exploser la tête était aussi mortellement efficace. En fracassant alors l'un d'entre eux avec une énorme roche, essoufflé et le visage plein du sang presque noir de l'hybride, je soupirai lourdement avant de m'essuyer le front.
Ils étaient nombreux et coriaces, et sentant mes muscles endoloris, je me lassais glisser le long d'un tronc d'arbre au moins aussi large que le petit salon du château Bang.
Je devais retrouver Minho, je n'avais pas doute quant à sa capacité à ses débarrasser de ceux qui étaient partis sur sa trace mais je ne pouvais pas rester sans rien faire et attendre la nouvelle vague. Le temps grisâtre et le brouillard se levait, je ne savais même pas où nous étions à l'heure actuelle, si nous étions proche de la Russie ou non. Si je perdais en plus de la visibilité cela risquait fortement de compliquer mes recherches.
« Aller Jisung, tu n'as pas le temps de te reposer. » Je me disais à moi-même.
Me redressant douloureusement, je me plongeai dans la forêt, essayant de capter la présence de Minho ou d'un autre vampire. Il n'y avait presque aucun bruit dans cette forêt, peu d'animaux en dehors de quelques oiseaux. Le sol était jonché d'épines des grands sapins et de racines sinueuses qui manquaient parfois de me faire tomber, dans ma négligence.
Je flairai finalement l'odeur d'un Originel, j'accélérai alors pour le rejoindre, en espérant qu'il soit aussi indemne que je ne l'imaginais. Mais plus je m'approchais et plus je sentais l'odeur du sang et ce n'était pas l'odeur putride des demis-immortels, c'était un parfum plus agréable, un goût presque sucré. Sentant alors ma poitrine se serrer à mesure que je songeais au pire, je m'aidais des arbres pour augmenter ma rapidité et m'élancer parfois de plusieurs mètres sans toucher le sol.
J'arrivais finalement au plus près de l'odeur, voyant les innombrables corps au sol. Une vraie marée de membres déchiquetés et de sang dont se gorgeait les terres sombres du pays balte.
« Minho ? » J'appelai.
Mais je n'entendais aucune réponse. Pourtant l'odeur de l'Originel était bien présente, tout près. Je restai sur mes gardes, ne sachant que ce que je trouverai. Je regardais chaque corps, espérant secrètement ne pas y voir un visage connu. C'était insensé, Minho ne pouvait être blessé et pourtant que je commençais à douter.
Et si un autre Originel était venu avec la horde ? Et si Minho était tombé sur lui ?
« Minho ? » J'appelai une fois encore.
Les corps semblaient bien plus nombreux qui ceux qui avait été à mes trousses, et j'avais la sensation qu'ils étaient infinis, au point que je commençais à voir la zone s'éclaircir. Il y avait moins de végétation, plus de lumière et le brouillard devenait moins dense.
Pendant quelques mètres, je n'en vis presque plus, comme si j'arrivais à la fin mais alors que je pensais m'être probablement trompé de chemin, je vis l'ombre d'une petite butte. Je continuai de marcher et à mesure que je distinguais les détails de la butte en question, je remarquais que ce n'était de la terre et de la roche, mais que c'était les derniers vestiges de la horde de Felix. Les derniers hybride amoncelé pour former un tas et au sommet, un Originel. Un corps longiligne, une prestance qui me fit me figer sur place alors que le bleu sibérien de ses yeux transparaissait enfin.
Un fantôme. L'éternité sur un visage au fond d'un vieux couloir poussiéreux du château.
« Hwang Hyunjin... »
***
Si je pensais avoir des hallucinations, sa mouvance soudaine me fit redescendre brusquement sur Terre. Je reculais à mesure qu'il descendait de sa montagne de cadavre, qu'il s'approchait et me faisait sérieusement douter sur mes capacités mentales. Je devais forcément être fou, ça ne pouvait être. Il ne pouvait pas être là. Hwang Hyunjin était...
« Mort ? Il me devança d'une voix presque trop doucereuse pour être réelle.
Je frissonnai de terreur alors qu'il continuait de s'approcher. Réduisant alors notre proximité à un petit mètre. Identique à toutes les représentations que j'avais vu de lui, aussi irréel qu'envoûtant, Hwang Hyunjin était l'incarnation même du vampire que le commun des mortels pouvaient imaginé dans ses fantasmes les plus effrayant.
Il avait cette séduction dans sa manière même de respirer, de regarder l'autre, qui ne laissait aucune place à la contre-attaque. S'il l'avait voulu, il aurait pu me dévorer à cet instant, et je n'aurai rien pu faire pour l'en empêcher.
« Allons, je ne vais pas te manger Jisung. Je ne bois plus de sang de vampire depuis longtemps.
- Vous ne pouvez pas être là...
- Je le peux. Mais je ne le devrais pas.
- Minho...Il vous a...
- Enterré vivant ? Vois-tu, un immortel peut mettre des décennies à mourir dans sa tombe. Même sans respirer ou se nourrir. Dans mon cas, le temps qui s'est écoulé n'était pas suffisant et Felix...Il m'a ramené.
- Pourquoi ?
C'était tout ce que j'arrivais à dire. Je ne saisissais même ce qui se passait. Je ne pouvais poser d'autre question tant ça me semblait impossible. Hwang Hyunjin pencha doucement la tête, ses petites iris brillait d'un intérêt que j'avais déjà remarqué dans les yeux de Minho, ils avaient des mimiques semblables, bien que ce dernier n'était pas son fils, il me faisait davantage penser à lui plutôt qu'à Felix dont les rictus était autrement plus démoniaque.
« C'est précisément la raison de ma venue, il dit alors en me pointant du doigts.
- Quoi ? Moi ?
- Toi ? Non. Je ne veux rien du toi. Je suis venu pour lui.
- Lui ?
- Mon cher Minho. Je suis venu le chercher. »
Je continuai de naviguer en eaux troubles, je secouais doucement la tête, la bouche entrouverte alors que je l'apercevais enfin, de l'autre côté, débout près des cadavres. Il s'approchait, le visage fermé et une étrange sensation qui me prenait aux tripes. La sensation de voir un inconnu.
« Le chercher, mais Minho...Il...
- Il vient avec moi. Mon fils à besoin de lui. Je le ramène.
- Le ramener... »
J'avais l'air d'un crétin à tout répéter mais c'était la seule manière de me prouver que c'était réel, que je n'étais pas dans un affreux cauchemar où je voyais la pire des trahisons se passer sous mes yeux. Minho qui sans fuir mon regard, restait immobile, n'avait plus aucune once de sentiment de ses prunelles sombres. Et pourtant c'était bien lui, c'était bien son corps qui restait loin de moi, c'était bien son parfum que je sentais et qui me donna une brusque envie de vomir.
Je sentais mon cœur se compresser si fortement, mon âme littéralement se déchirer dans ma poitrine. Je ne pouvais pas le croire, ça ne pouvait pas être le cas, Minho ne pouvait pas m'abandonner.
« Tu dois comprendre Jisung, que Felix a plus besoin de lui, que toi, continuait Hyunjin en coulant son regard paternaliste sur moi. Il semblait presque gentil et bienveillant, s'il n'était pas en train de me tuer.
- Ca n'a pas de sens, je soufflai, tout ça...C'est forcément un cauchemar, un tour de passe-passe d'un quelconque Originel qui me fait avoir des hallucinations.
- Oh mon petit vampire.
Le surnom me fit tressaillir mais c'était le plus vieux qui l'avait prononcé et pas celui que j'espérais. Minho avait quelque peu bougé à son tour, je l'avais senti et maintenant il détournait le regard.
« Ce n'est pas grave. Tu comprendras bien assez tôt. Rentre maintenant, retourne chez Chan et reste avec lui. Je ferai en sorte que Felix te laisse tranquille. »
Hyunjin revenait près de Minho, me tournant le dos et je sentais qu'ils allaient partir tous les deux, que j'allais les perdre. Le perdre. Je voulais lui laisser une dernière chance, un dernier espoir que tout ceci ne soit alors qu'une de ses ruses.
« Minho ! Je m'exclamais vers lui, désespéré mais ce dernier continuait de s'éloigner. Minho ! Je l'appelais encore une fois, la voix brisée.
- Rentre petit vampire », il soupira dans un râle presque inaudible avant de disparaître.
J'étais de nouveau seul au milieu de la brume qui se levait définitivement et tandis que le soleil perçait à travers les nuages, je m'écroulais à genoux, incapable de bouger.
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