17. Péché originel
*
Varsovie était une ville sombre et secrète. Les gens s'y couvraient comme s'il risquait de provoquer le mal en levant les yeux. C'était un peuple méfiant, pas nécessairement agressif mais aussi froid que n'étais le climat en ce mois de février. Nous n'étions pas si loin de Prague mais là où j'avais la sensation que le Printemps s'éveillait doucement, le froid était encore mordant de ce côté du globe.
Je me demandais même s'il avait un jour une fin.
Minho m'avait parlé d'un Originel en particulier vivant dans ces quartiers sombres aux murs noircis par l'humidité. Herald. Un Originel si ancien, le plus ancien d'entre nous qui avait vécu du temps peuples barbares après la chute de l'Empire Romain d'Occident.
J'étais le fruit du sang du plus puissant et du plus ancien, le sang d'Herald coulait aussi dans mes veines. Je n'étais pas nécessairement pressé de le rencontrer mais une partie de moi voulait savoir. Avait-il donné son sang volontairement ou lui avait-on volé ? Comme on l'avait fait avec Felix ? Une partie de moi voulait le voir. Comme si cela pouvait m'aider à mieux me comprendre. J'assimilais ma rage, ma part sombre à Felix autant que celle qui était né du sentiment de trahison, de ma souffrance personnelle à une existence que je n'avais pas choisie. Qu'en était-il de ma bonté ? De ma joie à ressentir encore des émotions humaines ? De la chaleur qui me gagnait lorsque Minho me regardait dans les yeux, me souriait, me touchait. Est-ce qu'elle me venait d'Herald ?
C'était ce que je voulais savoir.
En marchant dans les pavés de Varsovie, je me laissais conduire par mes instincts, j'essayais de repérer mes semblables parmi la population, j'essayais de sentir ou non la présence d'un Originel et je l'appelai, espérant lui signifier que je ne lui voulais aucun mal.
Mais durant des heures, je ne sentis même pas un hybride. J'étais le seul vampire de la ville. En tout cas le seul à se manifester. J'étais un peu déçu mais je ne m'avouais pas vaincu. Herald n'avait aucune raison de me faire confiance, s'il m'a senti, il devait être sur la réserve et c'était compréhensif. Je me dirigeais alors vers un petit hôtel discret, que je payais avec un peu d'argent que j'avais dérobé à ma dernière victime. Je me glissais dans la petit chambre, fatigué plus moralement que physiquement par mon périple. Je m'allongeais sur le lit, me laissant à nouveau porter par mes pensées qui me conduisaient irrémédiablement vers la même personne.
« Je sais que tu es là...Je murmurai. Je sais que tu m'entends. Qu'importe ce qui te pousse à me suivre, ce qu'on t'a demandé...Tu ne m'arrêteras pas. Alors rentre. Oublie que tu m'as connue...Et oublie que je t'ai aimé... Ca ne devrait pas être trop difficile pour le vampire Lee Minho. »
L'amertume me faisait sourire douloureusement. Je n'avais plus tant de haine, je n'étais que déception. A songer à mes sentiments encore si vifs qu'il me faisait mal, je me disais quoi que je pense, que je souhaite, je ne pouvais pas lui pardonner. Pas simplement d'avoir trahis mes parents, mais de m'avoir trompé. De ne pas avoir été honnête avec moi. Cela me faisait douter de tout. De ses mots, de ses gestes. Je ne pouvais pas le croire et je n'arriverai plus à lui faire confiance, même si je le voulais plus que tout à mes côtés, au point que j'avais parfois envie d'en pleurer et de le supplier de revenir. De me prendre dans ses bras. Je savais que c'était qu'un vœu qui n'aura jamais de fin heureuse. Je savais que je ne ferai qu'en souffrir parce qu'il pouvait bien me demander pardon, m'expliquer ce qui l'avait poussé à agir de la sorte, j'aurai toujours cette crainte, cette petite voix qui se demanderait...
Et s'il me mentait, encore... ?
Sentant alors mes larmes me serrer la gorge, je lâchai un bref hoquet qui me libérait et mes sanglots silencieux commençaient à se déverser sur le petit coussin de coton, en repensant à ses derniers baisers. Au goût de son sang et de ses mains agrippées à mes épaules. La mûre.
***
A la fin du quatrième jour, je perdais patience. Toujours aucun signe du vampire antique et je m'établissais depuis trop longtemps maintenant. Si j'avais eu la sensation d'être seul – en dehors de la présence de Minho qui planait non loin – je savais que ce n'était plus le cas. Je les avais aperçus, mes poursuivants du train. Ils avaient atteint la ville et ils devenaient plus visibles. D'autres hybrides étaient même arrivés et je savais que j'allais vite me retrouver débordé. Il me fallait partir mais j'étais frustré. J'aurai vraiment aimé rencontrer me second créateur.
Dès lors, à l'aube du cinquième, je rendais la chambre d'hôtel à contre cœur et je me dirigeais vers l'extérieur de la ville, sur le chemin, je savais que j'étais encore suivi et je me demandai déjà comment j'allais pouvoir m'en débarrasser. Même si je souhaitai prendre les transports humains, je n'étais pas sûr qu'ils allaient encore prendre le risque de me perdre sur la route. Je savais qu'ils allaient m'attaquer, tôt ou tard.
Ne pouvant plus reculer face à l'inéluctable, je prenais la route en direction de la montagne. Les forêts polonaises ressemblaient aux forêts de la Tchéquie, en moins dense. Une fois à l'abri des mortels, j'accélérais et j'espérais les semer. Les ombres de mes assaillant sifflaient au milieu des troncs qui m'entouraient, j'allais encore plus vite, m'aidant de la végétation pour les ralentir.
Au premier qui brisa cette danse et se jeta sur moi, je m'écartais juste à temps pour le laisser chuter plus loin, je changeai d'appui et je partais dans l'autre sens, regardant derrière moi rapidement pour voir la dizaine zig-zagué entre les sapins.
Ils grognaient, feulaient et je continuais ma course.
Au deuxième téméraire, je réussi à lui attraper cou et le briser d'un geste net. Le corps de l'immortel inférieur retombait mollement et déclenchant des cris désapprobateurs de ses camarades. Cela allait les exciter, et comme prévu ils furent plusieurs à essayer de m'arrêter, se jetant les uns après les autres, griffes, crocs dehors. Je ne pouvais plus me permettre de simplement fuir.
J'attrapai les mains tendues, je les envoyais dans le décor, je frappai un autre, lui écrasant la poitrine au passage et le faisant hurler de douleur. Mes yeux étaient devenus plus affutés que jamais, et au troisième, je plantai mes crocs dans son sou lui arrachant la chair au passage avant de détacher sa tête du reste de son corps que je jetai comme un vulgaire cadavre.
La bouche pleine de sang, les dents pointues, je me suis soudainement arrêté et je leur faisais maintenant face. Ils étaient encore nombreux, des animaux, qui crachaient, les yeux furieux et désireux de me faire subir le même sort.
Je n'en voyais pas un de taille, pas un seul Originel mais je me sentais revigoré du sang de l'hybride. Il n'était pas à la hauteur de celui de Minho, mais il me donnait plus de force et m'avait ouvert l'appétit.
« Alors...je soupirai. Vous ne m'attaquez plus ? »
Je me léchai les lèvres et ce fut comme une horde unie qui courait dans ma direction. Un entrainement. Un prélude à ce qui m'attendait à Moscou.
C'était parfait.
***
Sur mon petit tas de vampires mort, je m'essuyais les mains comme je pouvais. Mes vêtements n'étaient pas en meilleur état et déjà se rouspétait à l'idée de devoir rester caché pour le moment, jusqu'à trouver de quoi me changer.
Cette vie de vagabond me faisait un peu penser à nos escapades en montagne avec Minho. J'avais toujours un aspect déplorable dès que l'on chassait, et lui était toujours si élégant et propre sur lui. C'était une question d'habitude, il disait, moi je pense simplement que c'était dans sa nature. Il était méthodique et patient, quand j'étais brouillon et impulsif. J'avais tendance à déchirer quand il tranchait. Mes victimes souffraient, les siennes s'endormaient.
« De l'expérience, de l'expérience c'est tout ce qu'il te manque... »
Petit vampire. Si j'ai longtemps détesté ce surnom, j'ai fini par l'apprécier, au point d'en frissonner lorsqu'il le prononçait de son regard malicieux. Maintenant, je me demande ce qui prime. La haine ou l'amour.
« Tes sentiments sont aussi superficiels que tu doutes réellement de m'aimer encore ? »
Sa voix me fit tressaillir. Je l'ai toujours su à mes côtés mais le voir maintenant en chair et en os, ne put empêcher mon cœur de s'emballer. Je ravalai ma salive, observant le tas de mort à mes côtés avant de m'avancer, le contournant avec précaution.
« Entre les deux, il n'y a qu'un pas. Et tu me pousses sans cesse d'un côté ou de l'autre, difficile d'être impératif sur ce que je ressens en ce moment précis. »
L'absence de colère dans le ton semblait pourtant le soulager. Il esquissa un sourire aussi tendre que satisfait mais il ne s'approchait pas pour autant. Il regardait à son tour mon œuvre avant de regarder autour de lui. La forêt avait repris son calme et les petits animaux avaient fui la zone.
« Tu ne crois pas que tu es un peu trop dramatique ?
- Tu tiens vraiment à essayer de m'énerver ?
- Ce n'est pas ce que tu es déjà ? Une boule de rage qui ne désemplit pas.
- Alors pourquoi insiste-tu ? Pourquoi tu es encore là ?
Cette fois encore je perdais patience, sa présence me rendait nerveux et je n'avais pas envie de m'épuiser à me battre encore une fois.
- Tu sais pourquoi...Et qu'importe la raison que tu ne choisirais, elle sera aussi vrai qu'elle est fausse...
- Oh putain encore ces devinettes à la con ! Ça tu vois ! Ça, ça me rend fou ! Toi et les autres, vous me prenez tous pour un imbécile à faire semblant de me dire les choses sans jamais être clair ! J'en ai assez !
- Je comprends ta frustration et aussi ta colère...Je suis prêt à l'affronter. Si tu veux me frapper, frappe-moi, si tu veux me briser les os, fais-le. J'étais prêt à recevoir toute ta colère dès l'instant où je t'ai vu jouer du piano dans le salon de Chan...
- Ne me fais pas croire à des chimères. Vraiment, je ne supporte plus vos moqueries à tous.
- Je ne dis pas que j'ai eu un coup de foudre. Mais tout ce temps, depuis que j'ai dis la vérité à Felix, que j'ai...Que je lui ai dis où étaient tes parents...Je savais qu'il me faudrait me confronter à mon péché. Et j'étais prêt à subir ta sentence.
- Pff...Bien sûr. Alors pourquoi ne m'avoir rien dit ? Pourquoi avoir entendu qu'il m'en parle ? T'es un lâche Minho. Un putain de lâche et encore une fois tu essaies de me manipuler mais ça ne prend plus. C'est terminé. J'ai plus envie de t'écouter, j'ai plus envie de te croire et j'en ai rien faire que tu dises ou non la vérité. De toute façon ça n'a aucune importance. Tu as raison...Mes sentiments étaient surement trop superficiels parce que je refuse d'encore me laisser avoir. Je refuse même de te regarder aujourd'hui. Je ne te donnerai pas ce que tu cherches, la rédemption, le pardon ou je ne sais quelle connerie que t'as enseigné Hyunjin. Moi, je ne suis pas ton Dieu, je ne suis pas ton péché originel. »
Je tremblais, refusant de le voir s'approcher et de m'en éloigner en même temps. Pourtant je voulais partir, loin de lui et je lui intimais secrètement de le faire parce que j'en étais incapable. Je n'arrivais pas à allier mes gestes aux paroles. Le voir me rendait fou de rage et encore une fois, je sentais les larmes prêtes à céder.
Tous les mots qui sortaient de ma bouche, ils n'étaient là que pour le blesser mais ils étaient aussi ma propre expression de la douleur, de toutes ces voix dans ma tête qui n'arrivaient plus à le croire, qui se détestaient encore de l'aimer et d'espérer.
La vérité c'était que même si je le voulait de tout mon cœur, que même si j'avais envie qu'il m'embrasse et qu'il me prenne dans ses bras, je savais que ça ne changerait rien. Je savais que c'était fini.
Combien de temps avant que ne disparaisse ce sentiment de tromperie qui continuait de creuser ? Combien de temps avant que je puisse à nouveau me réjouir de le revoir ? Assez de temps en tout cas pour craindre qu'il se lasse. Alors d'une façon aussi bête que désespérée, je voulais continuer de le marquer même si c'était par la douleur. Je voulais qu'il se souvienne de moi comme du petit vampire qu'il avait détruit et qui le détruisait à son tour.
Qu'il me revienne lorsque je serai soigné, ou qu'il n'aime plus jamais.
Et ça fonctionnait. Minho l'impassible s'était figé et son masque s'effritait. Me pourchasser était vain, il en prenait conscience et comme je le voulais, il comprit qu'il avait tout gâché. Une larme traîtresse coula sur ma joue et je l'essuyais rapidement, baissant les yeux. Je sentis comme un courant d'air me faire frissonner et me recroqueviller sur moi-même, j'avais laissé une faille, un appel murmuré qu'il entendit sans que je ne l'aie prononcé, dès lors lorsqu'il s'approcha soudainement, je ne pus reculer.
Il me prit dans ses bras, entre ses doigts tremblants et m'embrassa sans me laisser une chance de le repousser.
« Tu peux me rejeter autant que tu le veux, je resterai près de toi Jisung. Et tu devras me tuer pour m'en empêcher. »
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