1. La nuit est leur monde
*
Lorsque j'étais enfant, comme à tous les enfants, on me racontait des histoires de fantômes, des histoires de monstres, des légendes tout ça pour nous faire dormir, auquel cas on se faisait dévorer. Toutes ces histoires se finissaient bien.
C'était à mes six ans que je compris que la vie n'était pas un livre pour enfant, car il arrivait que tout se finisse mal.
A cette époque, j'étais attiré par tous ces monstres. Ils ne m'effrayaient pas, ils attiraient mon regard curieux. L'imagination humaine nous avait conduit à rêver de ces êtres surnaturels, surpuissant, qui seraient capables de nous anéantir si seulement ils le désiraient. Quelle en était la raison ? Avions-nous en nous un désir secret de trouver plus qu'un égal, un prédateur qui rendrait alors cette existence moins ennuyeuse et d'autant plus précieuse ?
J'espérais secrètement d'en rencontrer un. D'en voir un dans ma vie. Curieux mais aussi muet qu'une tombe, je rêvais d'un homme aux cheveux longs, des yeux aussi rouges que le sang, la peau si translucide qu'on apercevrait le vin couler dans ses veines.
Mais on me répétait que ce n'était que des histoires, que ma curiosité – sinon malsaine au moins perturbante - ne serait jamais assouvie. Et j'étais déçu, presque triste de ne pouvoir les rencontrer.
Il n'aura fallu que d'une nuit pour que ce rêve se transforme en cauchemar. Un soir pour que l'espoir détruit se révèle en un souhait coupable et dévastateur.
Je me souviendrai toujours de cette nuit. Leur nuit. La fin de ma vie d'enfant ignorant.
Nous sommes en hiver 1899, Prague.
L'empire des immortels se construit par des sacrifices, sous l'édifice des corps.
Imaginez.
Le ciel est sombre, les nuages épais menacent d'éclater en une tempête mémorable, le vent souffle avec violence comme s'il voulait repousser quelque chose et en protéger une autre. Les rues sont désertes, quelques voitures, deux trois passants en figuration. Un garçon, tout frêle, chétif, maladif. Un visage aussi doux que la neige, des yeux noirs comme le plumage d'un corbeau, aussi profond qu'un gouffre sans fin, des lèvres rosées, pleines, une langue discrète les humidifiant pour les réchauffer contre le vent assassin. Des cheveux épais, délicats, s'agitant comme des brindilles d'herbes fraîches, d'un blond caramel. Un petit ange sans ailes, le pas léger, il luttait contre le souffle puissant mais réussit à arriver chez lui.
Sa maison en pin, chaleureuse et protectrice il avait l'impression d'être à l'abri de tout. Ce n'était qu'un enfant parmi tant d'autre, certes encore tout timide, mais il avait ses raisons. Les autres ne comprenaient pas son amour pour les créatures charismatiques. Personne ne pouvait le comprendre, pas même ses parents. Pas même son chien. Il n'appartenait à leur monde que lorsque la nuit venait et que son esprit s'évadait, lorsque venait l'heure de dormir il en pleurait presque de bonheur. Ce n'était qu'un enfant, comment imaginer à six ans que la vie n'était pas une histoire mais une réalité irréversible, que les morts ne reviennent pas à la vie et que les créatures ne sont pas que dans vos rêves mais tellement proches de vous. Elles vous entourent, les immortels vous regardent, savent très bien ce dont vous rêver. Ils n'espèrent qu'une chose...
Assouvir leur soif.
Le tonnerre, l'orage, le crépitement de la cheminée, la pluie battante comme des poignards sur les volets. Je m'étais assis face au feu pour dessiner comme tous les soirs. Ma mère chantonnant dans la cuisine et mon père endormi sur son fauteuil en cuir marron. La nature semblait livrer un combat mais contre quoi ? Qui ? L'enfant que j'étais ne s'en souciait guère, comme tous les pauvre hommes aveugles de ce monde.
Il avait pris la peine de sonner à ma porte. Ma mère était allée l'ouvrir, mon père ne réagissait pas, je n'entendis pas la voix aiguë de maman, je me suis levé par curiosité. Je ne saurai pas définir le sentiment qui s'était emparé de moi lorsque je vis cet homme grand, d'une beauté imparfaite, des yeux rougit de plaisir, la peau aussi blanche cachant la partie inférieure de son visage dans le cou de ma mère, des bruits étranges faibles, des bruits de chair, de sucions. Des mains fines, délicates la serrant contre lui alors que ses bras à elle, étaient crispés sur lui, essayant de se débattre comme une souris entre les mains d'un serpent.
Charmée, hypnotisée puis dévorée. Elle succomba, ses bras ballants, son corps semblant léger, inerte dans les bras de l'immortel. Il lui avait pris son souffle de vie, il respirait enfin, semblant reprendre force après force, ses yeux vinrent d'autant plus rouges qu'ils auraient pu éclairer la maison dans le noir.
L'image du Diable me venu aussi tôt à l'esprit. Les immortels étaient des démons et je n'étais qu'une proie facile.
La panique m'envahit mais comme la souris face au serpent je ne bougeais pas, aucun membre n'obéissaient, la peur avait couvert mes fonctions motrices lorsque je vis mon père se jeter sur moi pour me protéger. Le démon était déjà devant moi, un souffle fit virevolter mes cheveux, mes yeux s'écarquillèrent encore plus quand ceux de mon père me regardaient exorbités par la douleur, son corps à ma hauteur. Le démon l'avait tué d'un coup, comme une lame des plus aiguisée, le sang de mon père gisait sur le parquet de pin. Les reflets du feu dansaient sur la flaque qui s'étendait.
Lentement l'homme se retourna, un sourire séducteur sur les lèvres. Le monde d'un immortel est plus beau que ce que l'on peut croire, sa vision des choses prend une couleur flamboyante comme brûler par les flammes de l'Enfer.
Un coup de feu.
L'immortel s'était envolé, je restais pourtant débout comme une poupée de porcelaine. Une silhouette sur le pas de la porte tenant une arme, puis le noir complet totale.
Le sang des enfants est plus pur que l'eau cristalline.
La vengeance est un plat qui se mange froid mais le sang des immortels est plus chaud que la braise, lorsque ceux-ci se nourrissent. Leur corps entier reprend vie, leur force est décuplée, les battements du cœur de leur victime battent à une cadence endiablée qu'ils peuvent entendre leurs dernières prières, leurs derniers souhaits. Ils aspirent tout, vous volent tout.
On vous raconte qu'ils n'existent pas pourtant nous ne sommes pas très loin.
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