Les rayons du soleil s'infiltraient entre les branches et les feuilles des arbres. Si l'on tendait l'oreille, on pouvait entre au loin quelques oiseaux chanter et un ruisseau gazouiller agréablement. L'astre solaire n'était pas encore bien haut dans le ciel pourtant il apportait déjà chaleur et lumière à toute la forêt. Aucun nuage ne venait l'en empêcher, et c'était ainsi depuis plusieurs jours.

Une fourrure entièrement blanche se mit à bouger, confortablement lovée entre les racines d'un arbre. Cette fourrure était celle d'un chat qui bailla à s'en décrocher la mâchoire avant d'agiter les oreilles tout en se mettant à cligner des yeux pour s'habituer à la clarté environnante. Ses yeux étaient d'un bleu glacé presque gris, et ce pelage blanc comme de la neige contrastait avec l'ambiance douillette de cet agréable matin de la saison des feuilles nouvelles. Le félin se leva et s'ébroua, quelques brindilles tombèrent tandis que d'autres restèrent coincé dans son long pelage blanc. Ainsi, la femelle, puisque c'en était une, entreprit de se donner quelques coups de langues rapides avant de se mettre en marche. Elle avait l'habitude de dormir dehors quelques fois, lorsque le temps le lui permettait et qu'elle en ressentait le besoin. Elle était de ces chats qui apprécient avoir ses moments à elle, seule, pour réfléchir ou simplement se retrouver au calme. Loin de l'agitation du camp, loin de ses devoirs de guerrière. Une nuit, à fixer les étoiles, à se poser mille questions puis à s'endormir en cherchant des réponses. Ces moments en solitaire, elle les appréciait beaucoup, elle y tenait, elle les chérissait. Ils étaient comme hors du temps. Mais à présent, elle devait retrouver son Clan, revenir au monde normal, reprendre sa routine. Ah, elle en soupirait d'avance. Ce n'était pas qu'être une guerrière lui déplaisait, mais c'était plutôt que ces derniers temps, elle avait l'impression que tous les jours étaient les mêmes, que rien de bien intéressant ne se passait. Elle en était lassée. Elle préférait quand il y avait de l'action, des choses nouvelles à faire. C'était l'une des raisons pour lesquelles elle avait adoré son apprentissage. Quand elle était encore novice, elle pouvait apprendre chaque jour, et c'est tout ce qu'elle aimait. Qu'on l'abreuve de savoir à s'en noyer, c'était tout ce qu'elle demandait. Quand on l'avait baptisée guerrière, elle avait été heureuse, fière comme jamais, mais elle avait vite déchanté en découvrant la redondance des taches qui l'attendait chaque jour. La femelle au pelage de neige était en quête d'inattendu, de nouveau, mais on ne lui en donnait pas. Elle souhaite qu'un jour elle soit surprise. Enfin, elle voulait bien qu'on l'étonne, mais s'il y avait bien quelque chose que notre féline détestait plus que la routine, c'était de perdre le contrôle. Paradoxal, n'est-ce pas ? Pour quelqu'un qui cherche l'imprévu, elle ne supportait pas de ne pas savoir gérer un événement. Alors apprentie, cela lui avait joué des tours. Elle demandait toujours à son mentor de lui apprendre des choses plus difficiles, de lui montrer encore plus de choses nouvelles. Mais dès qu'elle ne savait plus gérer ce qui lui arrivait, elle était plus que frustrée.

D'un battement de sa queue touffue, elle chassa ces pensées pour se vider l'esprit et entrer dans le camp l'air tranquille. Le soleil était levé depuis peu et offrait un beau spectacle. De jolies couleurs venaient illuminer les tanières et les pelages des quelques chats déjà réveillés. Le regard perçant de la femelle se posa sur ses camarades. Une reine tachetée couvait son unique chaton d'un regard protecteur, une femelle avec un pelage bien semblable à celui de sa génitrice. La guerrière au pelage de neige eu un léger ronronnement. Elle n'avait pas de compagnon, et n'envisageait pas pour l'instant d'avoir des chatons, mais c'était une idée qui lui restait dans un coin de la tête. Peut-être, un jour. Même si l'idée de rester cloîtrée à la pouponnière pendant des lunes ne la réjouissait pas, elle se disait que ça lui ferait sûrement une expérience, plus tard. Et puis, on lui avait toujours répété que les femelles voulaient toutes des chatons quand elles étaient plus âgées, alors elle s'était faite à l'idée que ça lui arriverait plus tard. En regardant cette mignonne chatonne, elle était simplement heureuse que son Clan ait du sang neuf. Cette petite deviendrait bientôt apprentie et aucune reine n'avait rejoint la pouponnière depuis sa naissance. Pourtant, le Clan de la Roche avait besoin de nouveau guerrier, depuis une féroce bataille contre le Clan du Lac qui ôta la vie à plusieurs guerriers des deux camps. Cette bataille, c'était les chats de la Roche qui l'avait gagnée, mais tous savaient que les orgueilleux chats pêcheurs viendraient se venger tôt ou tard. De cette bataille la reine aux yeux de glace n'en avait que des souvenirs flous, mais sanglants, et la sensation de douleur. Ce n'était qu'une très jeune apprentie à l'époque, mais ses souvenirs restaient toujours aussi vivement douloureux, alors elle s'efforçait de ne pas y penser. Ça avait été difficile les jours suivants la bataille, elle s'était murée dans un silence aveugle, elle était restée dans son coin, la truffe dans son pelage, elle s'était éloignée de tous. Personne n'avait pu lui parler, pas même son mentor de l'époque. La peine l'avait fait se renfermer sur elle-même, elle s'était retrouvée confrontée à la mort bien trop tôt pour l'enfant qu'elle était à l'époque.

« Éclat de Glace ! » la héla un jeune chat au court pelage noir comme la nuit, tirant ainsi la guerrière de ses sombres pensées.

Un fin sourire vint étirer les babines de ladite Éclat de Glace alors que le matou la rejoignait.

« Nuage de Jais, déjà réveillé ? » ronronna la reine en frottant sa joue contre celle du mâle en guise de salutation affective.

Cet apprenti était l'amie de la femelle au regard de glace, ils s'étaient connus alors qu'elle finissait son apprentissage de chasseuse, et que son cadet avait été nommé apprenti. Ils avaient partagé la même tanière pendant seulement 2 lunes, mais s'étaient rapidement rapprochés. Éclat de Glace avait tout de suite apprécié le détachement et la maturité du noiraud. Il était souvent silencieux, mais quand il parlait, elle adorait l'écouter. Il savait capter son auditoire, dès petit, et la chatte à la fourrure de neige adorait l'écouter parler. Ce qu'elle préférait dans leurs amitiés, c'était leurs longues discussions sur les Clans, la vie en général, Nuage de Jais avait ce don de trouver les bons mots et savoir rebondir sur chaque sujet d'une conversation pour la faire durer des heures. Éclat de Glace trouvait l'aura de Nuage de Jais très réconfortante, ce genre de chat à qui elle a l'impression de pouvoir faire confiance en un regard. Sa compagnie lui était toujours agréable.

« Comme toujours, répondit le novice avec un sourire humble qu'on lui connaissait bien.

— Étoile de Cerise ne t'a pas encore demandé de courir je ne sais combien de fois autour du camp pour améliorer ton endurance ? »

Éclat de Glace avait employé un ton amusé. Nuage de Jais était l'apprenti de la chef du Clan de la Roche. C'était très rare qu'un chef prenne un apprenti, alors on disait souvent qu'elle avait repéré le potentiel du chat au pelage noir très tôt. Cela n'était pas si étonnant que cela de la part d'Étoile de Cerise, elle qui adorait passer son temps à connaître les membres de son Clan. Éclat de Glace avait toujours pensé que la meneuse agissait ainsi pour compenser sa solitude, elle n'avait plus de famille depuis bien longtemps, et sa plus grande proche n'était autre que Plume de Feuille, la guérisseuse du Clan, et celle-ci passait la majeure partie de son temps à la cueillette. Sous son apparence douce et attentionnée de jeune meneuse qu'elle était, Étoile de Cerise ne ménageait pas son apprenti. Au contraire, elle prescrivait au jeune chat des entraînements et exercices supplémentaires, à l'aube ou bien au crépuscule, celui-ci devait s'entraîner à monter aux arbres, à sauter d'un rocher à l'autre, le plus loin possible, etc... Jamais Nuage de Jais ne s'en était plaint, mais la guerrière connaissait son ami, et reconnaissait tout aussi bien quand ce dernier semblait tendu à cause de courbatures.

« J'y étais hier soir... répondit le novice en essayant de dissimuler un bâillement derrière sa fine queue noire. Cette fois-ci je devais partir de l'arbre Mort à la frontière avec le Clan du Sable, gravir la Grande Colline pour ensuite escalader quelques arbres près de la frontière du Lac. Et le pire ! Tu ne sais pas le pire, c'est ce qu'Étoile de Cerise m'avait dit en m'annonçant ce programme, tu ne vas pas en revenir ! Elle m'a dit que si j'avais chaud après cet entraînement, je pourrais me baigner dans le ruisseau qui nous sépare du Clan du Lac ! »

Éclat de Glace dévisagea un instant Nuage de Jais, yeux écarquillés, quelques poils sur son dos s'étaient dressés puis elle éclata d'un rire franc à la déclaration de son ami, il paraissait si sérieux, si offusqué par cette simple blague de la part de son mentor. Le jeune chat ne saisissait pas vraiment le second degré, il était toujours très terre à terre et cela valait régulièrement à la guerrière de bons fous rires.

« Mais je ne rigole pas ! Imagine si je l'avais vraiment fait ! il se confondait en explication, au bord de l'embarras alors que son aînée ne cessait de rire. Imagine un peu. Le Clan du Lac l'aurait pris pour une provocation, s'ils m'avaient vu, oh Clan des Étoiles, ou s'ils avaient senti mon odeur ! Ils tiennent bien trop à cette parcelle de territoire, ils nous attaqueraient pour moins que ça... Et puis j'aurais pu me noyer ! »

Éclat de Glace se calmait enfin et passa doucement sa queue touffue sur le dos du novice pour l'apaiser, retenant encore difficilement quelques gloussements.

« Nuage de Jais... C'était une blague !

— Ah !

— Étoile de Cerise n'est pas assez bête pour te demander sérieusement de faire une chose pareille.

— Mais imagine un peu si je n'avais pas réfléchi et que je l'avais vraiment fait, j'aurais pu déclencher une guerre. »

Le jeune mâle reprenait son habituel ton calme tandis que son aînée s'asseyait en ramenant sa queue autour de ses pattes.

« Étoile de Cerise sait que tu n'es pas une cervelle de souris, lui dit la guerrière blanche en ronronnant d'amusement, et elle sait aussi que tu ne l'aurais jamais fait.

— C'est vrai, mais on ne sait jamais. J'ai beau être bientôt guerrier, je ne suis encore qu'un apprenti, et comme mon mentor le dit si bien, la moindre erreur peut avoir la plus catastrophique des conséquences. En l'occurrence, mon erreur aurait pu être de mal comprendre cette phrase.

— C'est vrai. » lui accorda la chasseuse, une étincelle espiègle dans son regard.

Les deux chats assis ensemble contemplèrent le camp dans un silence agréable. Les prunelles de glace de la femelle se posèrent sur la tanière des apprentis. C'était une tanière fabriquée par les chats, qui avait été récemment agrandie à cause du grand nombre d'apprentis que comptait le Clan de la Roche. Un enchevêtrement robuste de branches orné de feuilles constituait cette tanière. Ça n'était pas le cas de la pouponnière, qui elle était une cavité rocheuse naturelle, plutôt étroite au niveau de l'entrée mais qui s'élargissait ensuite. Le sol de la pouponnière était entièrement couvert de mousse afin que cela soit plus confortable pour les reines et leurs chatons. La tanière de la meneuse du Clan de la Roche était une petite grotte plutôt haute à la forme ronde. Un rideau de feuille se trouvait à l'entrée, ainsi, on ne pouvait distinguer ce qui se passait à l'intérieur. La grotte de Plume de Feuille quant à elle était toute en longueur, et comportait de multiples petites crevasses où la guérisseuse pouvait aisément conserver ses plantes médicinales.

Un feulement agacé tira la guerrière à sa contemplation. Elle jeta un regard à ses côtés mais Nuage de Jais s'était déjà évaporé. Il avait cette manie de disparaître sans dire un mot, Éclat de Glace était habituée et ne releva pas. Elle tourna la tête vers l'origine de ce qui avait attiré son attention.

« Lâche moi les pattes ! Je suis une guerrière à présent ! Je ne parle pas aux apprentis dans ton genre. Tu es bien plus jeune que moi ! » crachait une jeune femelle au pelage brun tigré.

La guerrière à la fourrure blanche leva les yeux au ciel. Pelage de Brindille faisait encore des siennes... Elle avait été nommée guerrière il y a peu de temps, et depuis, elle ne voulait plus être vue en présence d'apprentis. Enfin, c'était une excuse pour se débarrasser de la petite novice écaille-de-tortue qui paraissait lui raconter une histoire avec beaucoup d'enthousiasme. En effet, Pelage de Brindille passait toujours du temps à jacasser avec son amie de toujours Nuage de Brume, et le frère de cette dernière Nuage du Crépuscule, de qui elle essayait d'attirer l'attention depuis des lunes. Nuage de Sauterelle était la sœur de Nuage de Jais, pourtant ces deux-là étaient diamétralement opposés. La candeur de la petite chatte contrastait avec le sérieux quasi-permanent de son frère, elle était pipelette, extravertie, alors qu'il était plus posé et réservé.

« Mais ! piailla la novice écaille alors que son aîné retroussait les babines d'un air menaçant.

— Arrête de me suivre partout ! C'est pas parce que tu n'as aucun ami que tu dois toujours trouver quelqu'un pour être avec toi ! » lâcha Pelage de Brindille d'un air agacé et méprisant.

Éclat de Glace voulut s'approcher en voyant l'air blessé de l'apprentie mais la guerrière tigrée se retourna vivement vers elle.

« Qu'est-ce qu'elle regarde la chatte errante, elle veut faire mumuse avec les apprentis ? » cingla-t-elle avec son air méprisant, avant de s'éloigner avec un air faussement digne.

La femelle au pelage blanc rabattit ses oreilles en arrière, cette remarque lui fit l'effet d'un vilain coup de patte et elle planta ses griffes dans le sol meuble du camp. Elle jeta quelques regards autour d'elle, Nuage de Sauterelle s'en était allée et quelques curieux quittaient à présent la scène. Réveillé par tout ce bruit, sorti un apprenti au pelage roux tigré à la mine toute endormie. Éclat de Glace se radoucit en le voyant. C'était Nuage Roux, un ami rencontré comme Nuage de Jais lors de son apprentissage. Il était d'une lune plus âgé que l'apprenti au pelage noir et était le frère de lait de Nuage de Brume et Nuage de Crépuscule. Il était rêveur, souvent dans son monde, et prêtait peu d'attention à de simples querelles comme celle-ci. Le rouquin questionna son ami sur l'origine de ce boucan sans nom.

« Rien de grave, Pelage de Brindille, la routine, marmonna Éclat de Glace à son ami en roulant une nouvelle fois des yeux.

— Oh, rien d'important alors.

— Effectivement, rien d'important. » conclu la guerrière en se détournant d'un signe de la tête poli.

Elle décida de s'approcher du lieutenant qui commençait à faire les patrouilles, elle se disait que ça l'aiderait sûrement à se changer les idées. Pelage de Brindille n'en manquait pas une pour l'attaquer sur ce qui la blessait. Elle était comme ça, avec ceux qu'elle n'appréciait pas, une vraie langue de vipère.

Éclat de Glace croisa le regard de Ciel Nuageux, propre frère de Pelage de Brindille. Celui-ci, lové contre Œil d'Émeraude, lui lança un regard coupable. Avait-il vu la scène que sa sœur avait provoqué ? Elle n'en saurait rien, le guerrier roux sombre lécha la joue de la femelle borgne à ses côtés et les deux se mirent à faire leur toilette mutuellement. La chatte blanche décela une lueur déçue dans le regard du grand matou, mais n'y prêta pas plus attention. Elle était plus intéressée par les patrouilles que le lieutenant allait former que par les amourettes du jeune guerrier.

La patrouille de l'aube, constituée de Fleur de Miel, Œil de Faucon et son apprentie Nuage de Lac, ainsi que Cœur de Colombe, n'allait pas tarder à rentrer. Éclat de Glace ne s'était pas imaginée que tant de temps s'était écoulé depuis son réveil.

« Aile d'Étourneau, j'aimerais que tu prennes ton apprentie ainsi que Nuage Roux, Éclat de Glace, tous les quatre, allez renouveler le marquage sur la frontière avec le Clan du Lac. Ne traînez pas ou Fleur de Miel me reprochera d'avoir emprunté son apprenti trop longtemps ! » plaisanta Tornade de Glace, mais son air conservait toujours de son habituel sérieux.

Éclat de Glace fit un léger hochement de menton à l'adresse du lieutenant, qu'elle affectionnait bien qu'ils ne passent que rarement du temps ensemble ces derniers temps. Il avait été son mentor, mais dès la grossesse de sa compagne, Cœur de Colombe, et la naissance de leurs deux filles, Nuage de Lac et Nuage de Paon, l'imposant mâle gris pâle n'avait plus vraiment eu de temps à lui accorder. La guerrière au pelage de neige rejoint sa patrouille qui s'apprêtait à partir alors que Tornade de Glace missionnait une expédition de chasse.

« Comme notre lieutenant l'a dit, on doit être rapide, alors suivez-moi. » miaula Aile d'Étourneau avant de filer hors du camp, Nuage de Sauterelle à ses côtés.

Éclat de Glace s'élança à son tour. Au fur et à mesure de sa course, elle sentit ses muscles se délier, ses mouvements devenir plus fluides et trouva un rythme qui lui était agréable. Sous son long pelage blanc, on ne devinait pas si facilement ses muscles finement dessinés.

La guerrière noire qui dirigeait la patrouille ralentit la cadence et la femelle aux yeux de glace se surprit à contempler le paysage. Nuage Roux, non loin, était totalement perdu sans sa contemplation de la partie boisée dans laquelle ils évoluaient, si bien que celui-ci manqua de manger le sol en trébuchant sur une épaisse racine. Il se rattrapa de justesse et Éclat de Glace réduit ses foulées pour se retrouver à sa hauteur. Elle n'eut besoin de prononcer un mot pour que le novice lui parle.

« La nature, c'est si beau ! Regarde toutes ces fleurs, tous ces oiseaux, c'est magnifique ! J'aimerais tellement tout savoir sur cette sublime nature... »

Et le rouquin se perdait en réflexions sur la beauté des arbres, des bourgeons, du ciel... La reine ronronnait doucement en l'écoutant d'une oreille. Elle avait toujours connu l'apprenti ainsi, cet amoureux de la nature, éternel curieux qui lui avait avoué quelques fois qu'il rêvait de parcourir le monde, de quitter le Clan pour découvrir mille et une chose. C'était un rêveur, on le surprenait souvent, la tête dans les nuages, l'esprit ailleurs. Une fois, Éclat de Glace y avait songé sérieusement, avait essayé de raisonner son ami, de lui dire que ça n'était pas possible, qu'un guerrier avait des obligations. Mais Nuage Roux avait balayé tout ça d'un geste de la queue et d'un « ce n'est qu'un rêve... » le moins sincère du monde.

C'est à ce moment-là que les chats de la Roche arrivèrent à la frontière. Ils décidèrent de se séparer pour être plus efficaces et de se rejoindre ensuite. Éclat de Glace de son côté accompli sa tâche et retrouva ses camarades sans un mot.

Sur le chemin du retour, la guerrière blanche se fit surprendre par la voix aiguë de Nuage de Sauterelle.

« Salut Éclat de Glace ! Comment tu vas aujourd'hui, en ce très beau jour de la très jolie saison des feuilles nouvelles où les bourgeons éclosent et les oiseaux chantent. »

L'apprentie écaille de tortue était toujours dans cet état d'excitation constant, jamais la femelle au pelage de neige ne l'avait vu calme ou fatiguée. Elle était toujours joyeuse, même quand Pelage de Brindille l'envoyait balader, c'était une jeune chatte qui avait toujours un sourire accroché à ses babines. Éclat de Glace se demandait comment elle avait l'énergie d'être de si bonne humeur en permanence.

« Je vais très bien, merci Nuage de Sauterelle. Ça fait un moment que nous n'étions pas parties en patrouille ensemble, ça me fait plaisir, répondit-elle avec un sourire franc.

— Oh oui c'est vrai que ces derniers temps je n'étais pas en patrouille mais c'est parce qu'Aile d'Étourneau voulait terminer mon entraînement rapidement comme ça je pourrais être guerrière plus vite et je pourrais défendre mon Clan et chasser pour mes amis et... lâchait sa cadette à toute vitesse. Et c'est vrai que moi aussi j'aime bien quand on va en patrouille ensemble parce qu'on patrouille ensemble et que j'aime beaucoup ça ! »

Éclat de Glace ronronna et le mentor de la petite femelle s'approcha.

« Je crois qu'Étoile de Cerise voulait te voir, Éclat de Glace. Avec Nuage de Sauterelle nous allons nous diriger vers le grand saule, tu peux rentrer au camp avec Nuage Roux ? Ce n'est plus très loin.

— T'a-t-elle dit pourquoi elle souhaitait s'entretenir avec moi ? questionna la femelle aux yeux de glace, curieuse.

— Elle ne me l'a pas spécifié, non, répondit la guerrière noire en secouant la tête.

— D'accord, merci quand même. Et pas de soucis, Nuage Roux et moi pouvons rentrer seuls. »

Les deux femelles se saluèrent poliment et elles partirent chacune de leur côté. Nuage Roux et Éclat de Glace pénétrèrent dans le camp quelques instants plus tard. L'apprenti rejoint son mentor, Fleur de Miel, qui l'attendait depuis le retour de la patrouille de l'aube.

Éclat de Glace passa rapidement son regard bleuté sur le camp. Nuage de Paon jouait avec Petite Jonquille devant la pouponnière tandis que Nuage de Brume en changeait la litière avec un air agacé. Tornade de Glace, le lieutenant, se tenait, seul, au pieds du Grand Rocher et observait le camp avec un regard protecteur. Le cœur de son ancienne apprentie se réchauffa. Elle adorait ce matou, et le voir ainsi la rassurait. Elle s'approcha de lui sans hésitation.

« La patrouille de chasse n'est pas encore revenue ? » miaula la guerrière à son lieutenant.

Celui-ci fit prit d'un petit rire qu'il ne manqua pas d'expliquer ensuite.

« Voyons Éclat de Glace, pas de ces fausses politesses avec moi ! »

Et il suivit cette phrase en léchant la jeune femelle entre les oreilles, d'un air affectueux, presque paternel. Éclat de Glace le prenait un peu comme son père parfois, ou comme un oncle attentionné. Elle n'avait jamais eu de telles figures alors elle considérait comme ainsi.

« Je sais bien qu'on ne s'est pas tant parlé ses derniers temps, mais ne fais pas de telles manières...

— Excuse-moi, excuse-moi, ronronna la guerrière.

— Il me semble qu'Étoile de Cerise voulait te voir, enchaîna Tornade de Glace en reprenant son air sérieux de lieutenant du Clan de la Roche.

— Oh oui, Aile d'Étourneau me l'a dit. Sais-tu où je peux la trouver ?

— Elle a accompagné Plume de Feuille chercher des plantes, mais elles ne devraient pas tarder à revenir je pense. À mon avis, notre meneuse veut te parler de Petite Jonquille. »

Face à l'air interrogateur de sa cadette, le matou gris élabora.

« Je t'ai recommandée auprès d'elle, pour être mentor. Je sais que tu es encore jeune, mais je pense que tu es prête. Je te crois capable d'enseigner. Et puis, Petite Jonquille a grandi avec sa mère uniquement, je pense que sur ce point tu pourrais l'aider. Elle a du mal à s'ouvrir aux autres, Nuage de Paon m'en a beaucoup parlé. Elle s'inquiète pour elle, elle est sa seule amie et elle va bientôt être lâchée dans une tanière des apprentis pleine à craquer. »

Le regard du lieutenant s'était brièvement illuminé lorsqu'il avait mentionné sa fille. Éclat de Glace avait l'habitude, le mâle avait beau être un dur à cuire, un lieutenant sérieux et droit, sous cette carapace se cachait un cœur tendre. Une facette de lui-même qu'il ne révélait qu'à ses proches. Sa compagne, Cœur de Colombe, était celle avec qui il essayait de passer le plus de temps. Il était éperdument amoureux de la femelle noire, et il aimait tout autant leurs deux filles, Nuage de Lac et Nuage de Paon. C'était la prunelle de ses yeux. Éclat de Glace était aussi une guerrière qu'il appréciait beaucoup, ils avaient toujours été proches.

« J'ai fait part de mes doutes à Étoile de Cerise, et elle m'a dit qu'elle irait parler avec la chatonne. Tu la connais, elle adore ça, essayer de régler les problèmes à sa façon, mais je ne pense pas qu'une simple discussion avec cette petite la fasse changer si rapidement. Toi, en revanche, je pense que tu peux l'aider. Tu étais un peu comme ça avant, puis tu t'es trouvée des amis, miaula-t-il avec une once de nostalgie. Tu as vite grandi, tu as pris confiance en toi. Je sais que tu peux faire de cette petite une guerrière qui me rendra aussi fier que toi. »

Ces dernières paroles la touchèrent en plein cœur et un sourire attendri vint peindre le visage de la femelle blanche. Elle se sentait déjà comblée de bonheur en sachant que son ancien mentor la pensait capable d'entraîner un apprenti, elle était fière. Elle n'avait pas l'habitude de recevoir tant de compliments alors elle les recevait avec joie. Elle offrit à Tornade de Glace un sourire sincère qu'il lui rendit, et ce dernier rejoint Cœur de Colombe, qui était rentrée de patrouille un peu plus tôt. Les deux amants s'enlacèrent et s'éloignèrent, queues liées.

Un sourire toujours flottant sur son visage, la guerrière au pelage de neige ne tarda pas à voir Plume de Feuille et Étoile de Cerise rentrer dans le camp, chacune une quantité raisonnable de plantes médicinales dans la gueule. Éclat de Glace patienta le temps que les deux femelles ressortent de la tanière de la guérisseuse pour aller parler à leur meneuse. Elle n'était n'était pas anxieuse à l'idée de parler à sa chef. La rouquine avait l'habitude de parler aux chats de son Clan, elle veillait à prendre régulièrement de leurs nouvelles. Quand elle était encore apprentie, Éclat de Glace se sentait très mal à l'aise en présence de la meneuse de la Roche. Elle avait toujours eu l'impression que celle-ci montrait un intérêt forcé, qu'elle ne se souciait pas vraiment d'elle mais qu'elle faisait simplement ça pour la forme. Elle avait compris avec le temps que c'était juste que ceci n'était pas vraiment naturel pour la jeune chef. Elle avait remarqué sa solitude. Étoile de Cerise était sincère dans ses intentions, elle s'intéressait vraiment à ses camarades. C'était son occupation préférée, celle qui lui prenait le plus de temps, qui la tirait de son ennui le mieux. L'entraînement de Nuage de Jais, oui, prenait aussi beaucoup de temps récemment, elle ne ménageait pas son apprenti. Éclat de Glace se disait qu'elle ne pourrait jamais occuper cette place dans le Clan. Elle n'aurait jamais les épaules pour tant de responsabilités premièrement, mais surtout elle savait qu'elle aurait horreur de la routine que cela serait. Elle imaginait Étoile de Cerise se réveiller chaque jour, écouter Tornade de Glace faire les patrouilles, entraîner un apprenti de temps en temps, faire une patrouille de temps en temps, mais s'ennuyer à mourir...

La femelle rousse pâle rejoint la guerrière au regard de glace de sa démarche souple et élégante, la tirant ainsi de ses songes. Elle demanda à sa cadette de la suivre jusqu'à sa tanière. La meneuse s'assit, queue enroulée autour de ses pattes et posture confortable. Éclat de Glace tenta de se tenir plus droite et laissait sa queue touffue battre légèrement.

« On a dû te dire que je souhaitais te voir, commença la rouquine.

— Effectivement.

— J'aimerais te parler d'une petite chose. Tu sais que Petite Jonquille sera bientôt apprentie. Je me posais la question de son mentor, et Tornade de Glace a évoqué ton nom, ne te tarissant pas de louanges. J'y ai réfléchi et je suis d'accord avec lui. Mais je préférais te demander ton avis d'abord. Te sens-tu prête à devenir mentor, Éclat de Glace ?

— Je crois bien, oui, répondit la reine blanche d'une voix calme et confiante.

— Très bien, je suis heureuse de l'entendre. Le Clan aura besoin de nouveaux guerriers, je place ma confiance en toi pour que tu fasses de Petite Jonquille une guerrière digne du Clan de la Roche.

— Merci Étoile de Cerise. »

La grande femelle rousse invita la guerrière à disposer et celle-ci s'exécuta. La lumière l'aveugla alors qu'elle sortait de la tanière de la meneuse. Elle chercha instinctivement ses deux amis du regard, mais ne les trouva pas. Elle s'intéressa à la pouponnière, chose bien rare. Elle observa Petite Jonquille, qui s'amusait à poursuivre un insecte volant. La petite féline avait une belle robe mouchetée, un poil fourni, plus épais que celui de la guerrière blanche mais plus court. Son regard était vif, curieux. Éclat de Glace ne connaissait du caractère de la petite que ce qu'on lui avait raconté, ne lui avait jamais parlé, mais en la voyant, elle espérait qu'elle ferait une bonne apprentie. Enseigner à cette chatonne allait bien changer ses habitudes dans le Clan, elle en frémissait d'avance. Savoir qu'on plaçait autant de confiance en elle la comblait d'une fierté inhabituelle mais bien agréable.

Bientôt, elle serait mentor.