Chapitre 10 - Zach
« Ma petite fleur de vertu. »
Voilà donc les pensées qui me traversent pendant qu'une jolie blonde au prénom inconnu relève son cul et écarte ses jambes devant moi, dans un magnifique doggy style.
— Tu t'improvises gynéco ? me raille West, essoufflé par la pipe qu'elle est en train de lui administrer. Crois-moi, c'est pas en reluquant sa chatte mille ans que tu prendras ton pied.
Il me sort de ma torpeur, veillant à ce que je m'occupe de notre nouvelle conquête comme il se doit afin qu'elle s'améliore sur sa queue.
Cette semaine, je me suis efforcé de me concentrer sur mes premiers cours, j'ai tringlé plus que je m'en pensais capable, j'ai noyé ma tête dans la beuh. Impossible de m'arracher Lexmo de l'esprit.
Elle avait bel et bien le béguin pour moi, à l'époque. Puisque son baiser n'était accompagné d'aucune confession, d'aucune discussion, je n'étais pas sûr de ce qui était arrivé, ni de la raison pour laquelle c'était arrivé. À cet âge-là, les choses surviennent sans qu'on se pose trop de questions. Et puis, ma mère et moi avions d'autres merdes à gérer. C'est triste, quand j'y pense ; il n'y avait pas de place dans mon esprit pour accueillir ce premier baiser.
Qui a compté pour Lexmo...
Au point qu'elle espère que je la dépucelle.
Je suis toujours sur le cul.
D'habitude, le profil des meufs qui tentent le coup est bien différent. Elle a beau vouloir se dissocier de son personnage, à mes yeux, elle restera sœur Smith. Est-ce que la perspective de sauter le béni-oui-oui de Provo est excitante ?
Carrément, si j'en crois la rigidité de ma queue dès que j'y songe. Imaginer que cette fille en particulier fantasme sur ma personne est dingue, ça me fait triper.
Mais j'ai promis à son frère de la cadrer. Et laisser un mec comme moi lui déchirer l'hymen n'est pas ce que j'appelle prendre soin d'elle.
Je ne compte pas l'empêcher de baiser, elle est assez grande pour ça, mais je ne connais pour l'instant personne qui soit à la hauteur...
Bordel, ça me pompe de devoir m'en préoccuper. Et en même temps... en même temps, peut-être pas tant que ça.
Qu'est-ce que je raconte ? Bien sûr que ça m'emmerde !
Est-ce que, parmi toutes les universités américaines, elle a opté pour celle-ci parce que je m'y trouvais ?
La galère.
Dès qu'elle gravite autour des BTP, mon passé refait surface. Elle catalyse ma rancune.
J'ai conscience qu'elle suit le sentier que j'ai emprunté. C'est pourquoi je lui ai balancé mon histoire. Pour qu'elle réalise qu'elle devra faire un choix. Notre bagage est différent. Sa famille blanche est adorée de tous et ses parents l'ont toujours adulée ; je ne crois pas qu'elle sera prête à couper le cordon, même si elle devra pour ça porter un masque qui lui pèse.
Je n'arrive pas à la cerner sur ce point. S'agit-il d'un ras-le-bol à cause de la pression des fidèles, ou d'une véritable prise de conscience ?
Depuis l'après-midi qu'elle a passé avec nous, ici, on ne l'a plus revue. Mes potes me tannent. West en particulier. Cet enfoiré la kiffe plus que nécessaire. Faut dire qu'elle n'est pas commune. Sa naïveté et sa spontanéité agissent comme un vent de fraîcheur. Ça change de l'esprit calculateur des nanas qui nous tournent autour. Ou, pour certaines, de leur absence d'esprit tout court.
Pour tenir ma promesse à Aaron, j'ai fait croire à sa cadette que j'acceptais sa demande. Pourquoi a-t-elle disparu juste après ? Qu'est-ce qu'elle peut bien foutre ? Elle ne s'est pointée à aucune fête du rush.
Est-ce que mon rejet l'a blessée ?
Et si c'était le cas, et qu'elle avait laissé tomber ? Qu'elle s'était trouvé un autre guide qui, lui, accepterait de la baiser ? Elle est trop naïve, même au sein de l'Église des mormons, les Smith l'ont surprotégée. Et mignonne, aussi. Elle se ferait bouffer par le premier venu.
Et elle est bien trop attirante.
— Hé ho ! À quoi tu penses, bro ? s'enquiert West, la main dans les cheveux dorés qui entourent sa queue.
Réalisant que je me suis immobilisé au fond de notre poupée de jeu, je balaie le sujet d'un geste. Je reprends mes mouvements de balancier qui lui arrachent des gémissements étouffés. La tête rejetée en arrière, je ferme les yeux, me concentrant sur les sensations que m'octroie ce joli petit cul à damner un saint. Tant pis pour mon pote, j'éjacule sans les attendre, presque mécaniquement, pas vraiment dedans, et extirpe ma queue. Qui elle était pleinement dedans.
— T'as un train à prendre ? s'étonne West, tandis que je jette ma capote dans la poubelle de sa chambre. Ça a duré trois minutes !
Ça a duré un quart d'heure, connard.
— C'est comme ça quand t'oublies de te branler les cinq fois réglementaires avant de déployer ton endurance soi-disant hors norme ? me raille-t-il.
— J'en ai marre de te filer des complexes, notre amitié est trop précieuse à mes yeux. J'veux pas que tu finisses par me détester à cause de ta petite bite.
Il feint l'effarement, interrogeant Barbie de ses gros yeux outrés.
— Ne l'écoute pas, le rassure-t-elle, j'adore ta bite.
Pendant que je me rhabille d'un jean, lui et moi ricanons comme un seul homme, mais pas pour les mêmes raisons.
— Voilà qui est réglé. J'me casse.
Je les salue d'un signe de la main, leur dévoilant toutes mes dents.
Elle m'ignore, continuant de s'affairer sur West, lequel claque la langue.
— Tu me l'as vexée, soupire-t-il.
— À charge de revanche, lui promets-je en quittant la pièce.
— Appelle Liam à la rescousse, Sandra est gourmande ! Il répète dans le sous-sol avec son groupe !
— C'est Laura ! proteste Barbie.
— Désolé, bébé, qu'importe ton nom, pour moi, tu resteras la reine des pipes.
Ça, c'est du compliment !
Pétard entre les doigts, je pouffe dans ma barbe en me dirigeant vers le sous-sol, certain que Liam déclinera poliment la proposition d'West. Comme d'habitude. Ce n'est pas son truc, il est plutôt du genre... tristement exclusif, discret, et surtout, gros cachottier. Ennuyeux à mourir, en somme. Mais il y a bien une personne que j'espère voir, dans leur salle de répète. Une personne qui pourrait m'informer au sujet d'une autre personne.
Si mes souvenirs sont exacts, la gothique au visage cadavérique partage sa chambre aux Collines avec Lexmo. Peut-être qu'elle me donnerait des nouvelles, même si je ne lui inspire pas la plus grande sympathie. J'imagine que Kenzo lui a dépeint notre fraternité avec son regard de petit ami protecteur.
Je descends l'escalier qui mène au sous-sol sans prendre la peine d'enfiler un tee-shirt, luisant de sueur, un goût de chatte encore sur la langue.
Les notes de leurs morceaux me parviennent depuis l'autre côté de la porte. Hey, c'est pas mal du tout. Rythmé, dynamique, et profond à la fois. Leur nouveau batteur est excellent. Cloué derrière le panneau, je marque une pause, tire une taffe les yeux fermés, pour mieux savourer. Je me surprends même à battre la mesure avec mon menton. La voix de leur chanteuse est rauque et sensuelle à mort. Elle semble s'abandonner à chaque mot prononcé, appuie sur chaque consonne avec hargne et désespoir. J'en ai des frissons.
Ils feront un carton lors de nos soirées.
J'ouvre et découvre la bande au complet. Ils ne s'arrêtent pas pour moi. J'entre et m'adosse au vantail refermé, contemplant leur synergie naturelle. Liam est porté par l'ensemble et paraît s'éclater au synthé.
Une paire d'yeux non identifiés attire mon attention sur le canapé, au coin de la pièce. Et d'un coup, je me noie dans des iris océan, à en avoir le souffle coupé.
Elle est ici.
Dans le sous-sol de ma fraternité, sans que j'en sois informé. C'est quoi ce bail ? Et pourquoi ça m'agace, alors que les questions me fument le cerveau depuis une semaine ?
Tandis que les Thunders continuent de jouer, l'air crépite entre Lexmo et moi. Je la détaille sans pudeur, considère sa poitrine de fou moulée dans une petite robe toute simple, d'un bleu profond qui fait ressortir la blondeur de sa natte, et la couleur de ses beaux yeux félins. Mon attention file sur le bas de ses cuisses dévoilées sous sa robe qui s'arrête quelques centimètres au-dessus du genou, narguant la limite réglementaire des mormons. J'expulse la fumée de mon joint, un rictus approbateur s'accroche discrètement sur mes lèvres. Ses joues rosissent dans l'instant, marque d'une quelconque émotion qui me rappelle la gamine qu'elle était autrefois. Elle est aussi fraîche qu'un fruit juteux, une jambe repliée sous ses fesses. Ses tennis traînent au pied de l'unique canapé devant la scène improvisée.
À son tour, elle fait courir son regard sur mon buste encore moite, laissant transparaître son trouble. Puis sur mon tatouage qui la captive depuis nos retrouvailles.
Les ultimes notes du morceau coupent l'air, et propulsent la voix de la chanteuse dans des graves dignes de Barry White.
Non, je déconne. Mais pas loin.
Quand le silence s'établit, Lexmo et moi sommes trop absorbés l'un par l'autre pour applaudir. Ou exprimer la moindre réaction que ce soit. Une onde de tension invisible se propage entre nous, fendant le brouillard de cannabis qui flotte autour de moi.
— Zach ! s'exclame Liam. Tu tombes à pic. Alors, qu'est-ce que vous en dites ?
Sans me détourner de Lexmo, je hoche la tête.
— Validé à mort.
— C'était génial ! glapit leur spectatrice. J'ai frissonné depuis la première note ! Yuri, ta voix est incroyable.
Me revient que Lexmo était la principale choriste de la paroisse. Je ne me souviens plus de ses prestations, mais on qualifiait son timbre d'angélique, un don du ciel. Aaron en était très fier.
— Et nous, on est à chier ? s'offusque Nerdy, avant de pouffer, s'excusant presque de plaisanter.
J'aime pas ces manies de couard.
— Non, non, non ! Vous êtes géniaux ! Tous ! Je ne voulais pas vous froisser !
— Personne n'est vexé, Lexmo, râlé-je exaspéré. Il essaie juste d'attirer ton attention. Mais votre chanteuse est tellement bonne qu'elle vous éclipse, les charrié-je.
— Qu'est-ce que tu veux, Zach ? intervient Kenzo, l'expression dure.
Mon petit double sens au sujet de sa copine n'a pas dû lui plaire.
J'avance vers le canapé, où je m'affale à côté de la jolie blonde, laquelle se crispe d'un coup.
— Liam, West te réclame. Il veut que tu me remplaces auprès d'une belle nympho qui n'en a pas assez d'une queue.
Le visage de la prude en mal de sensations pivote brusquement vers moi, tout cramoisi, affichant deux saphirs écarquillés.
— Charmant, marmonne Yuri, pendant que son mec accorde sa guitare.
— On a l'habitude, ajoute ce dernier en haussant les épaules.
Quant à Liam, il s'éclaircit la voix.
— Je passe mon tour.
— Tu penses nous présenter une de tes meufs, un jour ? Même un éventuel plan cul. On n'est pas tes parents, on n'exigera pas le mariage.
— Pour que vous fantasmiez dessus ? réplique-t-il. Jamais de la vie.
— Jamais les meufs des autres – sauf consentement ! C'est dans le règlement de la maison, bro. T'as même pas à t'inquiéter.
Comme si on avait besoin d'un règlement pour être loyaux – ou pour ne pas l'être, justement, songé-je, amer, en référence à Derek.
Il soupire et balaie toute cette histoire de la main.
— On doit encore répéter. On ouvre la bid night, demain. Faut que ce soit parfait.
J'acquiesce, pas surpris le moins du monde, et me tourne vers Lexmo qui n'a toujours pas viré ses gros yeux de ma direction.
— Vous... aviez des rapports à deux avec une fille ? chuchote-t-elle.
Animée d'une curiosité dévorante, elle rescanne mes muscles déployés, réalise d'où viennent mes efforts qui les faisaient luire, ce qui engendre un léger mouvement de recul. Mon sourire provocant s'intensifie.
— C'est ça. C'est notre truc, avec West. Beaucoup moins chiant qu'en duo.
J'espère qu'elle comprendra que ni lui ni moi ne sommes adaptés à ses besoins.
— Ta façon de voir les choses est surtout très triste, commente la chanteuse.
Si elle ne possédait pas une telle voix, je lui en ferais bien voir de toutes les couleurs. Les pimbêches ont le don de me saouler. Le jour où Kenzo en aura sa claque, je ne me gênerai pas pour l'envoyer se faire foutre.
Pour toute réponse, je hausse les épaules.
— Je serai ravi de te faire reconsidérer les choses, mais je ne pense pas que Kenzo soit partant.
— Il ne manquerait plus que ça, marmonne-t-elle.
— Surveille ta langue, me menace son mec.
Je ricane en lui balançant un clin d'œil.
— T'inquiète, j'ai pas de vues sur ta meuf. Je préfère les gentilles filles.
J'ignore pourquoi. J'ignore pourquoi, putain, je me suis tourné vers Lexmo en lançant ces propos. Ses oreilles rougissent d'emblée, je pourrais entendre son cœur galoper d'ici.
La meilleure chose à faire serait de me tirer. Bien sûr, je reste là.
— Sinon, Lexmo, t'étais où, cette semaine ?
— En quoi ça te concerne ? intervient la Jap.
Surpris, je la défie du regard. Elle s'est prise pour son pitbull ?
— Ça me concerne parce que je suis son conseiller campus. T'as un souci avec ça ?
Kenzo lui caresse le bras, lui intimant de se mêler de ses affaires. Bien. Qu'il calme l'instinct maternel de sa nana.
Je reviens à Lexmo, affichant mon sourcil très arqué.
Embarrassée, elle triture les torsades de sa tresse, sans se détourner pour autant. Je dois bien lui reconnaître ce trait de caractère. Elle est d'une franchise parfois déstabilisante, même lorsqu'elle est gênée.
— J'étais occupée, avec les cours, le bénévolat, la cafète, et tout ça... mais j'ai pris mes marques. Je viendrai à la bid night, demain soir !
Merde. Aucune envie qu'elle rapplique, je serai trop pris par le recrutement des bizuts avec West pour la surveiller.
— T'es pas obligée. Y aura de la musique et de l'alcool, rien de très intéressant.
Ses prunelles s'illuminent.
— Je veux danser et m'amuser jusqu'à l'aube !
OK. OK. OK. Son plan n'a rien de diabolique. Alors pourquoi mon estomac se serre-t-il à l'idée qu'elle vienne ?
« Je veux perdre ma virginité cette année. »
Les traits figés, je peine à déglutir.
Comme le groupe reprend ses répétitions, la porte s'ouvre sur un West extatique. Qui a daigné se rhabiller, lui. Je crains deux secondes que Barbie soit à sa suite, mais il est seul. Aucune envie de me coltiner ses allusions salaces en présence de Lexmo. La seconde d'après, je m'étonne de trouver ça indécent.
— Liam, sérieux ! T'es pas marrant, déplore West Reed, les bras écartés, tandis que notre pote s'acharne sur son synthé en lui retournant un sourire désolé.
Le quarterback secoue la tête, avant de découvrir mon coin de canapé.
Son expression s'illumine dès qu'il voit mon ancienne voisine, et il nous rejoint en quelques larges enjambées.
— Ma petite gerbeuse ! Ça fait trop longtemps qu'on ne t'a pas vue. Comme je suis content ! En plus, t'es superbe.
Il lui octroie une accolade bien trop appuyée, lui arrachant un rire ravi.
On dirait qu'elle s'est habituée à son surnom. Génial... ils sont tous tellement heureux qu'une nana m'ait vomi dessus.
Elle lui sert les mêmes plates excuses qu'à moi.
— J'étais occupée, j'ai dû m'acclimater au rythme des cours.
Eh, mec, elle fait bien ce qu'elle veut.
Il se vautre de l'autre côté du fauteuil, la bouffant d'un regard admiratif.
— Tu peux étudier ici, si t'as envie. On s'organise souvent des sessions. Faut pas croire, on est très sérieux avec les cours. Si nos membres ne maintiennent pas une note excellente, on perd des subsides et des passe-droits. Donc la porte t'est ouverte, jolie petite Leyah.
— Je crois qu'elle se débrouille déjà très bien toute seule, le contré-je, irrité par son enthousiasme.
Elle n'est pas de cet avis.
— En fait, j'étudie mieux en groupe. La bibliothèque est fantastique, mais mon esprit est en ébullition, depuis mon déménagement. Je n'arrive pas à me concentrer.
Il entoure ses épaules de son bras massif en hochant la tête, s'assure qu'elle rappliquera demain soir, avant de renchérir :
— Le week-end prochain, Zach et moi on met les voiles sur l'une des plages sauvages de Malibu pour surfer. T'as envie de venir ?
Mais quel... !
Comme saisie d'un électrochoc, elle bondit sur place, s'illuminant d'un immense sourire.
— La plage ? Oh, ouiiiii ! Je n'y suis jamais allée !
Je m'apprêtais à m'y opposer, devinant les intentions de mon pote, mais son enthousiasme m'attendrit.
— D'habitude, on propose aux filles de nous accompagner à la plage pour les mater en stringkini, mais toi, on pourrait t'apprendre à surfer !
Mes membres se raidissent. OK, j'ai rien dit, il a l'air sérieux.
Lexmo se ratatine sous son gros bras, désarçonnée par sa confession.
— Euh... je... je ne sais même pas nager... et... je dois venir en maillot ?
— Nan, t'es pas obligée, dis-je.
— Obligé, répond West en même temps.
Nous nous observons en chiens de faïence. Il renchérit :
— On veillera sur tes arrières. Mais si tu veux enfiler une combinaison, t'as intérêt à porter un maillot en dessous. À moins que, Zach, tu aies une quelconque objection ? Tu préférerais qu'elle se déshabille entièrement ?
Il m'a eu, ce con. Je parie un bras qu'elle n'était pas autorisée à se rendre à la piscine à Salt Lake City, et qu'elle est terrorisée à l'idée de se foutre à moitié à poil devant nous.
— Aucune, soupiré-je, agacé par leur proximité.
— Je suis tout excitée à l'idée de m'acheter mon premier maillot ! trépigne-t-elle, me cueillant à froid.
Ah...
West rit de bon cœur, et moi, je lui livre un sourire crispé, indisposé par la tournure que prennent les évènements.
***
J'avais vraiment pas le temps de m'en occuper.
Tandis que j'annonce à Atake Shower, un freshman en théâtre plein aux as se projetant déjà sur le tapis des Grammy Awards, qu'il fera partie de nos bizuts, mon œil bifurque sur la sculpture de glace d'où coulent des litres d'alcool pour les invités.
Le jardin est bondé comme une rave-party dans une boîte en vogue. La chaleur a ôté d'elle-même le tee-shirt de la plupart des étudiants, affichant abdos, soutifs et bikinis sous les lumières d'un stroboscope extérieur. Les Thunders ont fait fureur d'entrée de jeu, à présent, on se shoote à un beat déchaîné.
Et bien sûr, Lexmo s'éclate, la bouche grande ouverte au pied de la montagne de glace, se saoulant à notre cocktail sous les encouragements des BTP. Je ne distingue ni sa copine punk ni West – j'ignore si ça me soulage ou m'enrage. À grands coups de bras, je me fraie un chemin dans la marée endiablée, jusqu'à lui attraper le poignet.
— Ça suffit, maintenant !
Elle m'adresse une mine de chien battu, je me fais huer par mes potes de la fraternité.
— La gerbeuse ! La gerbeuse ! La gerbeuse !
— J'étais bien partiiii-euuuh ! proteste-t-elle, les globes vitreux.
Essuyant ses lèvres rouges et luisantes de son avant-bras, elle tient à peine sur ses jambes.
J'ai le cœur qui cogne, la soustrais à leurs cris enjoués et l'entraîne près de la clôture, où nous sommes moins entassés. Sans la ménager, j'attrape son visage entre mes mains et fronce les sourcils.
Bordel, elle est à deux doigts de me regerber dessus.
— Qu'est-ce que t'essaies de faire ? Gâcher ta soirée ?
Empourprée, elle rit à gorge déployée, léchant ses lèvres sous mon nez. Le fard obscur cerclant ses yeux sublime le bleu électrique de ses iris. Le contraste en est si saisissant qu'il me coupe le souffle.
— Cette soirée est incroyable, comment je pourrais la gâcher ? Il y a un tel monde, une telle énergie ! Je n'ai jamais vu ça !
— Tu ne pourras pas en profiter si tu nous fais un coma éthylique.
Elle secoue la tête, apposant ses paumes si douces sur mes mains. M'adresse ensuite un sourire tendre.
— Merci de t'inquiéter, maître Yoda, mais j'ai juste la tête qui tourne. Et j'adoooooore ça. Toi aussi tu bois. Viens boire avec moiiiii !
Sans crier gare, elle me saute au cou, pressant son corps tout en courbes contre moi.
Ouais, moi aussi, je bois. Pas trop ce soir, car je suis de mission, mais assez pour que ça décuple ma rage, et surtout, que ça m'empêche de la repousser.
— Lexmo, putain.
Lâchés, ses cheveux sont magnifiques. Une crinière épaisse, blonde comme les blés. Son extrême douceur contre mes bras qui enserrent sa taille d'instinct agit comme une caresse indécente. Outre l'odeur de l'alcool, Lexmo embaume un parfum aux agrumes qui m'est familier et m'apaise. Je vide mes poumons, peu à peu, ne perçois plus que la chaleur de son corps contre moi. Ses gloussements traînants près de mon oreille assourdissent la musique rugissante. Je réalise qu'elle porte une petite robe noire moulante, dont le dos nu révèle son absence de soutien-gorge. C'est pourquoi ses seins sont si moelleux contre ma poitrine. C'est pourquoi je sens la pointe de ses tétons derrière ma chemise.
Calme-toi, Zach.
Tout à coup, une immense carcasse surgit de côté et referme ses bras sur nous.
— Câlin collectiiiiif ! s'exclame West, suivi par Kelly qui se joint au trio.
Frustré au plus haut point, j'étrécis ma prise autour de Lexmo, craignant qu'elle se réfugie dans les bras de mon pote.
— Tu viens danser, la gerbeuse ? s'écrie-t-il pour se faire entendre.
Puis il s'adresse à moi.
— Je l'ai vue se trémousser contre Brad. Cette nana est hot !
Je déteste le sentiment de possessivité qui me prend aux tripes. Ça doit être l'alcool. Ouais, c'est ça. Elle a le droit de s'amuser comme n'importe quelle autre fille, et elle ne m'intéresse pas. Pourquoi j'ai l'impression qu'elle m'échappe ? Sous mon masque de guide, j'ai endossé un rôle de gardien, au cas où elle déconnerait sévère, pas de frangin surprotecteur.
— Ouiiii, je veux danser ! pépie-t-elle en me repoussant avec force.
Elle est rouge tomate, et mon petit doigt me souffle que ce n'est pas dû à l'alcool. Toutes ses dents dirigées vers West, elle titube sur ses talons, avant de se rattraper à moi.
Bon sang, elle est ronde comme un tonneau. Faut que quelqu'un la ramène.
Son expression se distord, elle ouvre grand ses yeux humides et a l'air complètement flippée.
— Zach... je crois que... je crois que... je vais vomir !
***
Aucun répit pour les bizuts. Le lendemain, les vingt recrues sont alignées dans notre jardin, casque de Viking sur le crâne, vêtues de rien d'autre qu'un boxer. West leur explique qu'ils vont passer la nuit à accomplir toute sorte de défis à travers le campus, et ne pourront revenir à la fraternité qu'une fois ceux-ci relevés. Des tentes dressées dans le jardin leur serviront de piaule, sans matelas ni confort, à l'exception d'un seau pour pisser.
— Toute insubordination est interdite ! meugle West. À moins bien sûr que vous dégueuliez sur Zach Graham !
S'ensuivent un rire gras ainsi qu'une franche rigolade au sein des petits nouveaux.
Je tape dans le crâne d'West, saoulé qu'il mentionne les frasques de Lexmo à la bid night. Ouais, elle m'a encore dégurgité dessus. La lose. Et je n'arrive même pas à lui en vouloir. Une autre nana aurait reçu mes foudres et une main courante pour le reste de l'année.
L'un des nouveaux en slip Armani lève la main.
Comment peut-on porter du Armani et se pavaner en slip ? Mets un boxer comme les gens de ton âge, bordel.
— Quoi ? grogné-je, l'ayant déjà dans le collimateur.
— C'est quoi, le défi secret qui nous permet d'échapper à ce premier test ?
De quoi parle-t-il ?
J'interroge West du regard, lequel arbore un air plus-énigmatique-tu-meurs. Qu'est-ce qu'il mijote ? Pourquoi je ne suis pas au courant ? On a tout préparé ensemble.
— C'est un challenge ajouté à la dernière minute, crâne-t-il en jouant des sourcils.
S'il ne m'en a pas parlé à moi, c'est qu'il craint ma désapprobation.
— Je suis curieux.
Je l'encourage, ou plutôt le défie, bras croisés sur le torse.
— J'en ai eu l'idée ce matin ! Tu vas adorer, Zach ! Celui qui parviendra à obtenir un baiser consentant de la mythique gerbeuse sera dispensé pour ce soir.
— Quoi ? rugis-je, abasourdi.
— C'est qui la gerbeuse ? s'enquiert l'un des gars.
— Hors de question ! C'est quoi ton problème ? m'indigné-je, sentant mon sang turbiner.
— C'est quoi ton problème ? C'est qu'un bisou. Et elle est cool. Si le mec lui plaît, pourquoi elle refuserait ?
Décontenancé, je le dévisage, les bras ballants.
— Tu réalises qu'une horde de mecs chercherons à l'embrasser ce soir ?
Je repense à notre premier baiser. A-t-elle posé ses lèvres sur un autre type après moi ? Je suis sûr que non.
— Elle n'aura qu'à refuser, rétorque West comme si c'était d'une simplicité primaire.
Et si elle se sentait acculée ?
— C'est qui la gerbeuse ? entends-je répéter parmi les bizuts.
— Vous n'avez qu'à trouver ! les nargue leur responsable. La faveur est de taille, n'en demandez pas trop.
Ils s'entreregardent, un peu perdus. Ce qui tend à me rassurer. Cependant, je ne décrispe pas.
— La prochaine fois, tu m'en parles avant, grommelé-je entre mes dents, au bord de l'implosion.
Cette insolence avec laquelle il me toise me fait chier ! Nos subalternes se dispersent pour accomplir leur quête et Liam nous rejoint, rentrant de son dernier cours de l'après-midi.
— C'est quoi cette tension, les gars ? West a encore fait des siennes ? pouffe-t-il, avant de se ressaisir, comme s'il prenait conscience de la réalité. Hey, frère, n'oublie pas qu'on est surveillés. Vas-y mollo sur l'humiliation.
Le grand Noir lui fait face, les bras ouverts pour se victimiser.
— Au contraire, je les aide à s'affirmer. Zach m'en veut parce que je les ai défiés de gagner un baiser de notre mascotte !
— Notre mascotte ? m'étranglé-je. Depuis quand c'est notre mascotte ?
— Depuis que tu nous as interdit d'y toucher ! Sinon, elle serait mon plan cul !
Je secoue la tête, dépité.
— OOOK, je comprends mieux, rit Liam.
— Sérieux, tu trouves ça drôle ? soupiré-je avec une moue désapprobatrice.
West joue les drama queens deux minutes, arguant que ses gages sont extras et qu'il est un grand incompris, avant de mettre les voiles. Quant à Liam, il me sonde, le doigt sur le menton comme s'il lisait dans mes pensées.
Qu'il ne me prenne pas la tête, lui aussi. J'ai besoin d'un pétard.
— Quoi ? Ne joue pas au psy de comptoir, ça me gonfle.
— T'as l'air sur les nerfs, depuis hier. Tu en veux à Leyah pour avoir renforcé sa réputation ?
Je secoue la tête, extirpe un joint déjà préparé de ma poche puisque les bizuts ont déserté. Faudrait pas leur montrer le mauvais exemple d'entrée de jeu, selon Trevor. En vrai, ça les fait kiffer, ces fils à papa.
— Nan, c'est pas sa faute. Je reproche à West de ne pas prendre en compte sa naïveté.
— Peut-être qu'elle a besoin d'ouvrir les yeux par elle-même. Et peut-être que c'est ce qu'elle souhaite.
— T'en sais quelque chose, toi ? lui demandé-je, le jaugeant d'un œil méfiant.
Forcément, la gothique a rejoint leur bande. Il jouit d'un second lien indirect avec Lexmo, et possède d'autres sources d'information.
J'obtiens un haussement de sourcils en guise de réponse.
— Je sais que son passé n'est pas très fun. Je ne t'ai jamais dit que deux de mes cousins ont intégré l'Église mormone. Je n'ai pas trop de contacts avec eux, mais leurs parents sont au bout de leur vie. Leurs fils donnent tout à la communauté, ils n'ont même plus de temps à accorder à leur famille, c'est flippant.
— Putain, je savais pas.
— Et moi, je ne savais pas que tu vivais à Salt Lake City.
Il ne l'énonce pas sur un ton de reproche, mais je vois qu'il est touché. Je tire sur ma tige pour embrumer ma culpabilité.
— Sombre histoire, j'ai pas envie d'en parler. Avec l'arrivée de Lexmo, on dirait que je n'aurai pas le choix, hein.
— Quand tu te sentiras prêt, me sourit-il.
Je lui souris en retour. Liam est l'ami parfait, toujours là pour vous, sans jamais vous brusquer. Et quand il prend des mesures drastiques, en général, c'est pour votre bien, jamais le sien.
— Bref, dit-il en reculant vers l'intérieur de la maison, c'est normal que Lexmo ait soif de découverte, qu'elle trébuche parfois, comme un enfant. Du moment qu'elle n'est pas brisée. Tu sais quoi, Zach ?
— Quoi ?
— Ce soir, c'est toi qui devrais l'embrasser.
Et ce con disparaît, me laissant m'étouffer avec ma taffe.
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