Chapitre 9 - Que faire?
Point de vue de Lucas
La feuille tombe doucement sur le sol. Je la regarde virevolter tandis que le choc me laisse sans voix. J'ai failli la perdre avant même de la connaître. Ce n'est pas possible, pas pour un connard pareil. Mais pourquoi ne réagit-elle pas? C'est vrai que faire une croix sur sept ans de sa vie n'est pas facile mais elle va droit dans le mur. Je ne comprends pas. Cette situation ne peut plus durer. D'un autre côté, elle se retrouverait sans rien et ne saurait pas où aller. J'espère qu'elle trouvera vite une solution. Heureusement que son ami était là et même si je lui en suis très reconnaissant, la jalousie vient pointer le bout de son nez. J'aurais tant voulu être là pour l'aider mais je suis coincé dans ce lit. Je serre les poings convulsivement sous la rage. Je dois redoubler d'efforts pour me remettre sur mes deux jambes, il le faut. Rester sans rien faire alors qu'elle est au bord du suicide est tout simplement inconcevable. Et son compagnon qui ne se rend même pas compte de la chance qu'il a, ça me met hors de moi. Il faut que j'aille me défouler ou je vais devenir fou. J'appelle l'infirmière qui débarque cinq minutes plus tard.
- Tu m'as appelée Lucas?
- Oui j'ai besoin de me défouler. Tu peux m'amener à la salle de sport?
- Est-ce bien raisonnable? Tu as déjà fait une séance aujourd'hui.
- Je m'en moque, j'en ai besoin.
- Très bien je vais chercher un aide-soignant pour bouger ton lit.
- Non, j'aimerais y aller en fauteuil roulant.
Elle me regarde comme si j'avais deux têtes. C'est compréhensible, je n'ai jamais voulu aller dans cette chaise et d'un coup je change d'avis.
- Je vais te chercher ça tout de suite, me dit-elle avec un sourire.
Quelques minutes plus tard elle revient accompagnée de Hugo et Thierry et ils procèdent à mon déménagement avant de me conduire à la salle de sport. Comme par hasard, le nouveau kiné est dans la pièce quand nous arrivons et nous accueille avec un grand sourire.
- Salut Lucas. Alors, on veut en rajouter une couche aujourd'hui?
- Très drôle. J'ai besoin de me défouler et surtout de sortir de cet état d'impuissance.
- Tu as déjà bien progressé
- Je sais, le coupais-je, mais j'ai besoin d'être sur mes deux jambes. Jusqu'à maintenant je me laissais aller à suivre votre rythme mais maintenant c'est fini, j'en ai marre de me morfondre.
- Très bien, comme tu le sens mais je tiens à être là pendant tes entraînements, je ne veux pas que tu te blesses inutilement.
- Comme tu veux, lui dis-je en haussant les épaules.
- Je reviens. J'avais préparé un programme au cas où ce genre de demande arriverait, je vais le chercher. Pendant ce temps, vous pouvez l'installer sur la table à droite, près des barres parallèles, dit-il aux aide-soignants.
Alors comme ça nous avons un kiné prévoyant? Tant mieux je n'avancerai pas à l'aveugle du coup. Il réapparaît essoufflé comme s'il avait couru.
- Voilà, on va commencer par un échauffement et après on attaque les choses sérieuses.
Les autres partent retrouver leurs occupations tandis que nous commençons la séance. Plier, tendre, abdos, plier, tendre, abdos. Tout s'enchaîne mais je ne sens ni la douleur ni la sueur qui coule dans mon dos. Je ne relâche pas mes efforts, je veux y arriver. Fini de m'apitoyer sur mon sort, je veux m'en sortir pour aider Audrey et ne pas la laisser seule. Je n'ai aucune idée du temps qui passe mais je sais que la séance de l'après-midi est déjà bien avancée au vu du bruit que j'entends dans l'autre pièce.
- Je vais installer ton fauteuil devant les barres et tu vas commencer par essayer de te mettre debout en t'aidant de celles-ci, me dit-il en joignant le geste à la parole.
Je regarde ces barres et essaie de me concentrer. Je tends les mains, les attrape et y mets toute mon énergie. La transpiration ruisselle sur mon corps tandis que mon postérieur se soulève de quelques millimètres pour retomber aussi vite dans le fauteuil.
- C'est normal que tu parviennes à te soulever qu'un peu au début, me rassure le kiné. Au fur et à mesure tu y parviendras de plus en plus.
- Ce n'est pas suffisant, je dois y arriver, mon corps est entraîné pour faire bien pire.
- Et ton corps n'est pas entraîné pour se retrouver blessé, me dit une voix derrière moi. Laisse-toi le temps Lucas.
- Justement, je n'ai pas le temps Franck. Je dois y arriver.
- Tu as déjà bien progressé et tu continueras mais pas si tu vas au-delà de tes possibilités.
- Tu es militaire tout comme moi. Tu sais qu'on nous apprend à ne jamais lâcher.
- Je sais aussi qu'on nous apprend à trouver d'autres réponses aux problèmes qui nous tombent dessus. Qu'est-ce qui ne va pas? Explique-moi, je peux peut-être t'aider à trouver cette autre solution.
Il n'a pas tort, ce n'est pas en m'éreintant que je vais y arriver. Je lui explique donc l'histoire d'Audrey de long en large, du moins ce que j'en connais, en espérant qu'il puisse m'aider et surtout l'aider elle.
- Je comprends pourquoi tu t'inquiètes mais très franchement je ne vois pas trop ce que tu peux faire pour elle à ce stade, du moins tant qu'elle n'aura pas décidé de s'en sortir.
- Elle me donne justement l'impression de n'avoir aucune raison de sortir du gouffre dans lequel elle se trouve et c'est ce qui me fait peur.
- Et son ami, tu sais quoi sur lui?
- En fait, rien. C'est même la première fois que j'en entends parler.
- Dans ta prochaine lettre, essaie peut-être de mettre l'accent sur cet ami et demande-lui un peu de renseignements sur lui. Ça attirera son attention sur le positif et tu en apprendras plus.
- Ouais, je vais faire ça. Tu sais, continuais-je au bout de quelques secondes, je commence à en attendre plus que de simples lettres. J'ai envie de la voir ou au moins de lui téléphoner. J'ai besoin d'un contact avec elle.
- C'est compréhensible mais ne la brusque pas trop. Tâte le terrain et vois ce qu'elle en pense.
- Merci pour le conseil.
Je me tourne pour parler à Allan qui visiblement a disparu. Il s'est probablement éclipsé pour nous laisser discuter.
- Au fait, y avait de l'ambiance cet après-midi d'après ce que j'ai entendu.
- On a eu une petite visite.
- Ah bon et de qui? Tu m'en dis trop ou pas assez là, lui dis-je en riant.
- Gabriella est venue nous dire bonjour.
- Oh je vois. Je l'ai encore loupée! Je finirai bien par la rencontrer un jour.
- Mais oui, surtout qu'elle parle de revenir même si ce n'est que quelques heures au début. C'est une chic fille et elle ne méritait absolument pas ce que lui a fait subir Kevin.
- Personne ne le mérite. Ça veut dire qu'elle se remet?
- Plus ou moins. Je crois qu'elle a besoin de se confronter avec la réalité et d'affronter sa peur de le voir revenir.
- Décidément, tu es l'ange gardien de tout le monde ici.
- Moi homme sage que veux-tu, me répondit-il en s'esclaffant.
- Alors Lucas, ta séance est finie à ce qu'il paraît, me dit Sandy en arrivant.
- Apparemment, j'en ai assez fait pour aujourd'hui.
- Ces deux messieurs vont t'emmener à la douche pour rafraîchir tout ça, me dit-elle en désignant Hugo et Thierry.
- On se voit plus tard Franck.
- J'y compte bien, bonne douche Lucas.
Cette conversation m'a fait du bien et m'a beaucoup aidé à y voir plus clair. Ceci étant, j'ai vraiment envie de passer au stade supérieur avec Audrey, quel qu'il soit d'ailleurs.
Une fois passé à la douche, une idée me vient à l'esprit. J'appelle Sandy qui arrive assez vite.
- Tu connaitrais un fleuriste dans le coin et qui effectue des livraisons?
- Il doit bien y avoir ça quelque part. Tu veux que je me renseigne?
- Oui s'il te plaît.
- Je vais voir ce que je peux faire et si je trouve, je passe commande pour toi ou je te donne simplement le numéro?
- Le numéro me suffira merci.
Elle s'en va un sourire aux lèvres. J'espère qu'Audrey aura la même réaction et que je ne fais pas une bêtise mais mon instinct me dit que c'est la chose à faire. Une fois le numéro reçu, je passe commande d'un bouquet mais pas de roses. Mon choix se porte sur des fleurs des champs multicolores. Audrey m'inspire cette simplicité et ses couleurs sont destinées à lui transmettre un message: la vie est remplie de joie si nous savons où regarder. Je demande d'ailleurs à l'employée de l'inscrire sur la carte accompagné de mon numéro de portable ainsi que de mon nom. Je lui laisse ainsi le choix de me contacter ou non.
Je ne sais pas encore ce que je vais lui répondre mais sa lettre me trotte dans la tête sans arrêt. Pourquoi je m'inquiète autant pour elle? Quand on y pense, je ne la connais pas vraiment et j'ai dû la voir en tout et pour tout cinq minutes. Pourtant je n'arrive pas à la traiter comme une étrangère même si ce serait plus simple. Depuis le début, je suis attiré par elle pour une raison inconnue, un feeling qui est passé entre nous. En tout cas, elle me distrait de mes ennuis de santé et rien que pour ça, je l'adore. Rester ici commence à me peser sérieusement et j'ai beau ne pas le montrer aux autres, mon moral est au ras des pâquerettes. Je n'ai qu'une hâte: retourner à la caserne voir en mission. J'ai besoin de l'adrénaline que me procure les combats. L'inactivité n'est pas faite pour moi, au contraire. J'ai trouvé ma voie le jour où je suis entré dans l'armée. Pour la première fois, j'avais enfin la sensation d'être à ma place, de ne pas être un poids pour les autres. Je n'y suis pas depuis longtemps et pourtant je me vois mal faire autre chose. C'est auprès des autres soldats que j'ai trouvé mon équilibre et je ne sais pas si je pourrais le trouver ailleurs. En imaginant qu'Audrey et moi finissions en couple, je devrai mettre les choses au clair immédiatement. Bon, je sais que c'est présomptueux et qu'au stade où nous sommes nous ne pouvons pas encore parler de ce genre de relation mais j'aime laisser mon imagination vagabonder, ça m'aide à tenir le coup. Au moins pendant ce temps-là, je ne pense pas à ce qu'il s'est passé ni aux hommes qui sont tombés sous les balles de mon fusil.
Il est temps d'écrire la lettre pour Audrey. Je prends donc ce qu'il me faut avant de m'installer et de commencer. L'inspiration a vraiment du mal à arriver. J'éprouve tellement de rage par rapport à ce qui lui arrive que je ne parviens pas à trouver les mots qui pourraient l'apaiser. Mais dois-je vraiment la calmer ou devrais-je plutôt la secouer une bonne fois? J'hésite parce que c'est quitte ou double. C'est une situation délicate à laquelle je n'ai pas appris à faire face. L'armée nous apprend comment nous défendre, combattre ou réagir devant l'ennemi mais elle ne nous donne pas de conseils quand nous nous retrouvons face à une personne suicidaire. Après réflexion, je vais suivre l'avis de Franck et lui parler peut-être un peu de son ami et pour le reste j'improviserai au fur et à mesure. Qui a dit que correspondre avec quelqu'un était simple? En tout cas pas moi. Bon, je me lance, je verrai bien ce que ça donne après.
-----------------------------
Enfin le chapitre suivant. Il a fallu le temps mais il est bel et bien là. Ce week-end m'a permis de me recadrer un peu et j'ai trouvé des idées pour la suite, j'espère qu'elles vous plairont ;-).
Comme d'habitude, j'attends vos avis avec impatience.
Chapitre corrigé le 9/10/18
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro