Chapitre 7 - L'effondrement
Point de vue de Audrey
«Chère Audrey,
Ça me soulage d'avoir de tes nouvelles. J'ai cru pendant un temps que tu avais renoncé à poursuivre notre échange. Je peux comprendre que tu sois dans une période plus sombre et je ne t'en veux absolument pas. J'aimerais juste te faire comprendre une chose qui me tient à cœur. Si tu es là pour m'aider et me remonter le moral, c'est vrai également dans l'autre sens. Je sais à quel point il est dur de se confier. Il y a encore quelques semaines, je n'en voyais pas l'utilité et je n'aurais pas insisté pour que tu le fasses mais un ami m'a ouvert les yeux sur l'importance d'être au clair avec soi-même et de ne pas rester seul dans son coin à ruminer ses idées noires.
À travers tes précédentes lettres et le peu que j'ai vu de toi, je sens que tu es triste et que quelque chose ne va pas. Pourquoi pensestu être invisible et inintéressante? Tout le monde a le droit d'exister et ce que j'ai pu voir de toi me donne envie de te connaître plus, certainement pas de t'effacer de ma vie. Tu ne parviendras pas à te débarrasser de moi aussi facilement et tu apprendras avec le temps que mon principal défaut est d'être têtu.
Tu n'es peut-être pas prête à me raconter ce qui ne va pas mais sache que le jour où ça arrivera, je serai là pour toi. Il est parfois plus facile d'écrire que de parler de vive voix, laisse-moi être le papier sur lequel tu coucheras les mots qui te font si mal. Peu importe que tu aies quelqu'un dans ta vie ou non, j'aimerais trouver ma place auprès de toi. Je ne sais pas s'il s'agit du destin ou de toute autre chose mais je sais que nos histoires sont étroitement liées. Ressens-tu la même chose?
Si on m'avait dit un jour que je parlerais comme ça, j'aurais probablement éclaté de rire. D'ailleurs, si tu oses le répéter à qui que ce soit, ma vengeance sera terrible. J'ai une réputation de gros dur à tenir.
Te faire rêver avec ma famille va être dur étant donné que je n'en ai pas. J'ai été balloté de foyer d'accueil en foyer d'accueil. Je ne dis pas ça pour me plaindre ou pour que tu t'apitoies sur mon sort, ça fait bien longtemps que je n'y accorde plus d'importance. Je t'énonce juste un fait. L'armée est devenue ma famille et je n'ai qu'une envie, retrouver mes frères d'armes. Quant à mes passions, je dois avouer que j'ai un petit faible pour les motos. Je suis sûre que tu lèves les yeux au ciel en te disant «Les hommes et leurs joujoux» et tu aurais raison mais que veux-tu? Nous avons tous nos faiblesses.
Quelles sont tes passions ou tes hobbies? Et ne me raconte pas que tu n'en as pas ou que ce n'est pas intéressant, je ne te croirais pas.
J'espère recevoir bientôt une de tes lettres. Tu me verrais, un vrai gamin qui attend le facteur. D'ailleurs c'est devenu un des principaux sujets de conversation ici donc si tu ne veux pas que les autres se moquent de moi, réponds-moi vite.
Lucas»
Les larmes coulent depuis le début de ma lecture et je ne parviens pas à les arrêter. Comment pourrais-je lui expliquer? Comment mettre des mots sur ce que je ressens? Quels termes pourrais-je utiliser pour lui faire comprendre que je suis tellement insignifiante aux yeux de ma famille qu'ils sont partis en vacances sans même me prendre en compte ni me prévenir? Mon monde s'est écroulé une fois de plus. Le noir m'a envahi et m'a brisée en mille morceaux ne laissant que mon cœur en poussière derrière lui.
Comment pourrais-je lui expliquer ma surprise quand je suis rentrée chez moi et qu'il n'y avait personne, que les armoires étaient vides? Même pas un mot sur la table, rien, comme s'ils ne laissaient personne derrière eux.
J'ai essayé de téléphoner à Tom qui ne m'a pas répondu. Il m'a laissé un message plus tard me disant qu'ils étaient partis en voyage pour deux semaines mais qu'il avait oublié de me le dire. Si au moins il était parti seul mais non, Sylvie et sa mère sont avec lui. Des vacances familiales...
Tom ne sait pas à quel point il m'a détruite ce jour-là. Quand j'ai entendu son explication, je me suis laissée tomber sur le sol ne voulant qu'une chose, disparaître. Après tout, j'étais déjà morte de l'intérieur alors à quoi bon continuer? Je suis restée couchée par terre en position fœtale toute la nuit. Le lendemain, j'ai juste eu le réflexe d'appeler l'hôpital pour prévenir de mon absence avant de fermer les tentures et de m'étendre sur le lit. Je n'avais plus goût à rien, mon cerveau était complètement déconnecté et je n'avais qu'une envie, me laisser mourir. Jusqu'à ce que je fasse tomber quelque chose de ma table de chevet. Quand j'ai vu la feuille de papier soigneusement pliée, je l'ai ramassée et je l'ai lue et relue. La lettre de Lucas. La seule chose à laquelle j'ai pu me raccrocher pour ne pas sombrer. Un parfait inconnu pour qui j'existe vraiment alors que nous ne nous sommes vus que cinq minutes. Quelqu'un qui a plus d'estime pour moi que la personne avec laquelle je vis depuis sept longues années. Je me suis décidée à me relever, pour lui. Après m'être douchée et habillée, je suis retournée travailler. Le cœur n'y était pas mais j'ai fait semblant comme d'habitude. Je suis devenue une automate, une coquille vide. Je ne me suis même pas arrêtée chez Geoffrey ou Olivier depuis lors. Je ne pouvais pas. Je ne peux pas. Tant qu'il s'agit de faire des tâches pas de problème mais échanger avec quelqu'un m'est impossible.
Plus d'une fois, j'ai voulu écrire à Lucas. Je m'installais confortablement mais à chaque fois que je déposais la plume de mon stylo sur la feuille, les larmes faisaient leur apparition m'empêchant d'aller plus loin. Pourquoi voudrait-il de moi de toute façon? Je ne le mérite pas, je ne mérite personne. Encore maintenant quand je lis sa lettre, je ne comprends pas ce qui peut l'intéresser chez moi.
Je regarde ce bout de papier puis mon tube de somnifères. Qu'est-ce qu'il vaut mieux pour moi? Croire en lui ou utiliser les médicaments pour mettre un terme à tout ça? Je voudrais tellement ne plus avoir mal, c'est insupportable. Autant que de les voir parler avec enthousiasme du voyage qu'ils ont fait, des endroits qu'ils ont visités ou de les observer en train de regarder les photos qui ont immortalisé leurs vacances... sans moi.
Installée à la table de la salle à manger, je les observe depuis un bon bout de temps. Chaque rire, chaque «oh tu te rappelles papa?» sont comme des coups de poignard en plein cœur. Je ne peux pas en vouloir à Sylvie, après tout elle n'a que cinq ans et ne se rend probablement pas compte de la situation. Mais que puis-je dire de Tom? C'est un adulte qui est responsable de ses actes. Je l'ai aidé, j'ai toujours été là pour lui et qu'est-ce que j'ai en retour? Rien. La rage commence à me consumer.
- Ça va? Vous vous amusez bien? leur demandais-je amère.
- Super maman, on revoit toutes les choses sympas qu'on a fait avec mamie et Isabelle.
- Isabelle? lui demandais-je ahurie. Qui est-ce?
- Personne, me répond Tom. Juste une collègue qui nous a accompagné.
Il se fout de moi, ce n'est pas possible autrement. Non seulement il fait comme si je n'existais pas mais en plus il emmène quelqu'un à ma place? Qu'ai-je fait au Bon Dieu? J'ai dû louper un épisode mais quoi? Comme un zombie, je prends le tube posé sur la table, mon sac et ma veste. Il m'est impensable de rester ici, dans un endroit où je n'ai plus ma place.
La porte se referme derrière moi dans un bruit sec, signifiant la fin d'une étape et peut-être même ma fin tout court. Au moment de m'asseoir dans ma voiture, je me rends compte que je n'ai nulle part où aller, personne à contacter. Depuis que je suis avec Tom, ma vie sociale est devenue un vrai désert. N'est-ce pas pathétique? Tant pis, le besoin de bouger me pousse à démarrer. Je ne sais pas où je vais, je me perds dans le dédale des rues. Combien de temps s'écoule avant que le manque d'essence ne me pousse à arrêter? Aucune idée mais bizarrement, je me retrouve sur le parking du seul endroit où je peux m'évader... l'hôpital.
Après m'être garée, je pense à Sylvie, Lucas, Geoffrey et Olivier. Les seules personnes qui me manqueraient vraiment dans cette vie à la con. Dois-je faire un effort pour eux ou baisser les bras? Cela en vaut-il la peine? Pourquoi endurer toute cette souffrance? Pour qui? Je n'en peux plus. Faire semblant devant tout le monde que ma vie est un paradis et que tout va bien m'épuise. Mes dernières forces m'abandonnent.
Mes yeux se fixent sur les médicaments posés sur le siège à côté de moi. Ce serait si simple...
Un bruit à la fenêtre me fait sursauter tandis que mon cœur loupe un battement sous le coup de la surprise. Je regarde qui est là mais la pénombre m'empêche de voir tout de suite la personne derrière la vitre.
Olivier
L'angoisse peut se lire sur son visage. Il n'attend pas une seconde de plus et ouvre ma portière.
- Mon Dieu, Audrey. Qu'est-ce qu'il se passe? me demande-t-il en me prenant dans ses bras.
L'anesthésie qui me faisait tenir lâche et je m'effondre. Mes barrières se brisent une à une pour laisser la place au désespoir.
- Tu ne peux pas rester dans cet état ma belle. Viens, tu vas m'accompagner à l'intérieur et j'irai appeler quelqu'un.
- Pas de médecin, je t'en supplie, lui dis-je entre deux sanglots. Je vais bien.
- Tu ne feras croire ça à personne. Tu dois prendre soin de toi. Écoute, je te propose de venir dans notre salle de repos, me dit-il après quelques secondes de réflexion et on avisera. D'accord?
J'acquiesce et me tourne pour prendre mes affaires mais il est plus rapide que moi. Il ramasse mon sac et au moment où il veut se redresser, il se crispe.
- Que comptais-tu faire avec ça? Me dit-il en me montrant le flacon.
- ...
Il se renfrogne devant mon silence mais n'insiste pas. Il ferme la voiture derrière nous et m'emmène à l'intérieur. Après m'avoir installée dans le divan, il pose une couverture sur mes épaules avant de me prendre dans ses bras.
- Je ne sais pas ce qu'il t'arrive mais tu peux compter sur moi. Je vais prévenir que je prends ma pause et je reviens, me dit-il en m'embrassant le haut de la tête.
Il sort de la pièce et revient quelques temps plus tard, une tasse dans les mains.
- Tiens, ma mère avait l'art de penser que le thé résolvait tous les malheurs, me dit-il en souriant.
J'accepte volontiers cette source de chaleur, ne prenant conscience que maintenant à quel point j'ai froid. Il s'installe près de moi et m'enlace en faisant bien attention de ne pas renverser.
- Je ne veux pas t'empêcher de faire ton travail. Ne t'occupe pas de moi...
- Arrête tes conneries tu veux? me dit-il, fâché. Je ne t'ai jamais vue dans un état pareil et puis ces comprimés... T'es sérieuse? Qu'aurais-tu fait si je n'étais pas arrivé?
Répondre n'aurait servi à rien, je me contente donc de rester silencieuse.
- Parle-moi Audrey ou confie-toi à quelqu'un d'autre mais garder ce qui te ronge pour toi ne te mènera nulle part.
- Il n'y a rien...
- Bien sûr! On se retrouve sur un parking en ressemblant à un zombie et on s'effondre parce qu'il n'y a rien. Et vouloir prendre des somnifères est tout à fait normal. Arrête de me prendre pour un imbécile deux minutes.
Je ne l'ai jamais vu aussi énervé pourtant je sais qu'il ne fera jamais de mal.
- Dis-moi ce qui ne va pas, me murmure-t-il. Je ne le dirai à personne mais tu dois te libérer. Fais-moi confiance.
Il me fait penser à Lucas qui m'a dit plus ou moins la même chose dans sa lettre.
- Je me sens si vide...
Il ne dit rien, se contente d'attendre que je poursuive. Sa main caresse mes cheveux ce qui a pour effet de me calmer. Ainsi apaisée, je continue de parler, encore et encore. Je lui parle de tout sans pouvoir m'arrêter. Il se tend quand je parle des quinze derniers jours et sa respiration s'accélère quand l'explication de ma fuite arrive. Il n'a toujours pas ouvert la bouche, se contentant de me serrer plus fort.
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Chapitre dur, autant à écrire qu'à lire je suppose. Audrey a touché le fond. Parviendra-t-elle à remonter? Lucas et Olivier qui sont là pour la soutenir... elle n'est pas si seule qu'elle le pense.
J'attends vos avis :-).
Chapitre corrigé le 9/10/18
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