Chère Jasmine,

« Nous allons découvrir la vérité. »

Ange s'est mis cette idée en tête depuis que j'ai été pétrifiée par la lettre trouvée dans le calepin de Delphine de Sauge. Ces propos sont réels, j'en suis consciente. Pourtant je dois connaître tous les détails de cette affaire pour être satisfaite.

Nous repartons à Nice pour fouiller dans les archives du journal local. S'il y a des indices à connaître à propos de l'incendie, elles seront là-bas. Je désire aussi savoir qui est ce Bertrand. De ce fait il n'y a qu'une solution : fouiller de fond en comble notre maison. Le moindre recoin doit être examiné, la plus petite note, la plus longue lettre doit être lue.

Plus je pense à notre père, plus la nausée me vient. Je ne l'ai jamais vraiment connu, mais les récits de Maman décrivaient un parfait portrait de lui. Elle me lisait ses lettres d'amour et mon cœur fondait face à la musicalité des mots utilisés, la subtilité de ses tournures de phrases et le sens implicite de ses figures de style. Papa était un poète. Les anecdotes que Maman racontait sur lui le faisaient ressembler à un être merveilleux. Papa était un mythe mélodieux se jouant en boucle dans ma tête. Savoir que cet homme ait pu autant manipuler Maman me remplit d'une rage abjecte. Je suis tellement désolée que tu aies été choisie pour être abandonnée. J'espère de tout coeur que tu ne t'es jamais senti seule et que ta vie avec Madame de Sauge est tout ce dont tu pouvais rêver.

Nous nous verrons un jour, Jasmine.

Avec amour,

Violette Lineville

Nous passons la porte de la maison dans laquelle j'ai passé toute ma vie. Le temps s'est figé. Je retrouve les fins rideaux gorgés d'aquarelle qui pendent aux fenêtres laissant passer la lumière et le canapé recouvert de toiles de toutes les couleurs. Je pose ma valise en vrac et amène Ange dans la chambre de mes parents.

—  Cherchez d'abord ici. Je vous autorise l'accès à toute la maison. Je vais aux archives. Je compte sur vous pour ne rien me cacher, aussi douloureuse soit la nouvelle. Je vous fais confiance et espère que cette recherche sera concluante.

Il acquiesce et j'enfonce mon canotier sur ma tête avant de partir vers le centre ville.

Le bâtiment des archives municipales est un palais en marbre situé au bout d'un jardin aux nombreuses statues et fontaines. L'accueil est tenu par un homme soixantenaire à la moustache blanche. Je m'approche de lui et le salue :

—  Bonjour. Je cherche le journal traitant d'un incendie à l'école publique il y a au moins dix-sept ans.

Les yeux de l'homme se plissent ; il tente de rassembler des bribes de souvenir.

—  L'incendie de soixante-six ? Tout le monde s'en souvient, marmonne-t-il, pauvres gamins...

Il se lève bougonnant et m'emmène dans une des salles des archives : de hauts murs recouverts de bibliothèques se dressent devant moi. Plusieurs échelles sont mises à disposition afin d'atteindre certaines étagères.

Le vieux Monsieur attrape un dossier nommé "quotidiens janvier 1866" et me tend un journal.

— Des gamins, ils avaient entre quatorze et quinze ans je crois. Ils jouaient dans l'école sans surveillance. Ils s'amusaient à jeter des feuilles dans le poêle à bois. Malheureusement le tout a pris feu. Cinq sont morts et deux sont ressortis blessés. Les familles ont été en deuil pendant des années.

Je remercie l'homme qui prend de la distance pour me laisser lire le journal. Je cherche le nom des victimes, et c'est là où tout prend son sens :

"Bertrand Darras"

Et les noms des blessés :

"Victor Lineville" et "Delphine de Sauge"

Mon père avait tué un homme, et avait acheté le silence de l'une des témoins en échange de son enfant.

Quand je reviens à la maison, Ange est assis sur un tapis de paperasse. Je lui raconte alors toutes mes trouvailles.

— Ce que je ne comprends pas, c'est que Papa n'a pas voulu tuer ces garçons, alors pourquoi le cacher à Maman ? Je pense qu'elle aurait compris que c'était un accident et ne lui en aurait pas voulu ?

Pour seule réponse, mon ami me tend une enveloppe. Un manuscrit et plusieurs fleurs séchées se trouvent à l'intérieur.