4. Small-town boy in a big arcade
4.
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I've spent all of the love I saved
We were always a losing game
Small-town boy in a big arcade
I got addicted to a losing game
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Nolan à 16h46 :
J'suis collé
Silas à 16h48 :
Comment t'as fait ?
Nolan à 16h48 :
Ils savent pas rire, c'est tout. Tu m'attends sur la plaine ?
Silas à 16h50 :
Ils y font une fête ce soir, j'y vais pas. J'vais à l'arcade.
Nolan à 16h50 :
On s'voit à l'arcade
C'est encore calme, parce que c'est encore le jour. Les mains de Silas frôlent l'écorce abimée et il pousse un soupir, laissant une fine buée s'élever dans l'air frigide. Il pense que c'est un peu mieux comme ça, s'il peut retarder l'arrivée de cette réalité bien plus laide. Il est assis en tailleur dans l'herbe bien plus froide depuis les quelques semaines passées. Avec une grimace, il prend un ciseau et taillade le bois friable. Puis il se pince les lèvres, le visage un peu trop crispé, les traits un peu trop blessés. Silas, il s'en fout, hein ? Il devrait, il devrait s'en foutre. Le portable à côté vibre de nouveau, Nolan lui demande si c'est okay. Mais les mains de Silas se mettent à trembler, et il sent son cœur s'essouffler. Il porte ses doigts terreux à son visage et prend une inspiration, elle sonne bizarre, presque douloureuse, cette inspiration.
Alors il frappe le bois avec les lames, ses dents se serrent mais il ne répond pas à Nolan. Ils savent, ils savent qu'il y a maintenant quelque chose qui l'atteint, qui peut lui faire mal même s'il dit qu'il s'en fout. L'arbre est une de ces choses, Nolan en est maintenant une autre.
Et d'un autre coup de ciseau, les lettres gravées dans le tronc, comme crucifié, deviennent méconnaissables, disparaissent enfin. Un brouillon de humus se désagrège entre ses doigts froids, rendez à la terre ce qui lui revient.
« PD »
La gravure est profonde, il sent qu'il blesse le sycomore et sa gorge retient presque une plainte envers lui-même. Ces cons, ces connards.
Une fois fini, ses bras retombent mollement contre ses cuisses, son souffle est court. Silas mord sa lèvre jusqu'au sang, il pose sa tête contre le tronc et pense à son père.
— J'suis désolé...
Et quand le soleil décline et que les premières effluves d'alcool flottent au loin, Silas se lève et part pour l'arcade. Il doit parler à Nolan, et lui dire que y'a des choses que ce monde laid n'est pas prêt à accepter.
J'vais pas craquer.
J'vais pas craquer.
J'vais pas craquer.
C'est pas possible.
Il le voit.
Dans la salle d'arcade illuminée, Silas vient assez souvent. Pour se vider un peu la tête, surtout quand la plaine devient enjôleuse, et prend dans ses bras d'automne des corps en quête de liberté. Les soirées, les fêtes, ça n'a jamais été son fort. Quand la fille de la bibliothèque arrive à l'y entraîner une fois toutes les lunes bleues, ça finit toujours de manière très drôle. Comme avec une rencontre imprévisible, avec un mec déchiré que Silas repêche dans une mer de gens.
Donc, quand il ne se présente pas aux fêtes, il rentre chez lui ou il vient ici. Et il pensait que Nolan l'y rejoindrait.
Mais quand il voit ce dernier passer la porte et déboutonner son manteau noir, le recherchant aussi alors qu'une fine buée glisse de ses lèvres, Nolan se fait rapidement intercepter par d'autres personnes.
Depuis son emplacement, où Silas joue à une partie de Flipper, il entend un peu leur conversation. Et il le voit, le mec et les deux filles avec qui Nolan discute. Et ça lui hérisse le poil. Et Nolan est Nolan, les habitudes ont la vie dure, être un cliché de popularité infâme ne se dissipe pas en une fois. Mais Silas essaye comme il peut de ne pas y prêter attention, pourtant, sur les touches ses mains se font imprécises, fébriles. Il n'arrive pas à ne pas y penser.
Le garçon avec qui Nolan discute, le garçon de sa classe, qui aime le tourmenter.
Certainement celui qui a écrit « PD » sur le sycomore.
Sa peau se hérisse d'autant plus quand en leur jetant un coup d'œil qu'il espérait discret, ce ne soit pas les yeux de Nolan qu'il croise, mais les siens. Les yeux qui savent ce qu'il est, qui ricanent de l'espèce d'oppression que Silas ressent en essayant de le camoufler. Le garçon sourit. Il sourit encore plus quand il délaisse Nolan avec les filles pour marcher dans sa direction. Là, Silas songe rapidement à se barrer.
— Salut Weir.
Silas ne répond pas, il reste devant le Flipper, mais cherche une sortie autour. Peut-être qu'il lâchera l'affaire alors, il n'est pas d'humeur à s'en foutre, il ne pourra pas s'en foutre bien longtemps. Aujourd'hui, il hait ce mec.
Il sait bien que c'est lui, le connard. Et ses poings se figent sur les commandes quand le garçon passe un bras derrière son corps, le poussant légèrement vers l'avant quand il insère une nouvelle pièce dans la machine. Silas doit se retenir à cette dernière, les lèvres pincées.
Quand sa partie touche à sa fin, Silas se recule, percutant sa main qu'il ne supporte pas dans son dos. Pourtant, il ne fait même pas un pas que son bras se fait durement saisir.
— J'te paye une partie, le minimum c'est bien de rester ici.
— Je t'ai rien demandé.
— T'as des crocs maintenant ?
— Laisse-moi tranquille.
Mais la poigne se raffermit, Silas jette un coup d'œil en arrière pour apercevoir Nolan. Mais Nolan ne le regarde pas, même s'il sait où il est, même s'il sait qu'il est là. Il y a des gens, des formes et des paroles. Des ombres, les ombres que Nolan a rencontré avant Silas, qui comme des parasites sont accrochés à sa vie. A son existence. Qui maintiennent ce masque pitoyable contre son visage.
Et même s'il sait, Silas lui en veut. Il lui en veut de savoir que le mec avec lui ne cause pas jeu, Nolan sait qu'il y a des gens qui n'aiment pas Silas. C'est le garçon bizarre du banc de l'école et de la bibliothèque. Et Nolan ne fait rien. Il est dans sa bulle de popularité toxique, avec son air arrogant et prétentieux. Et même si Silas peut voir sa mâchoire se crisper et l'allure de son corps, comme s'il était prêt à se jeter sur l'autre, Silas lui en veut car ce ne sont que des demi-gestes. Ce n'est rien de concret.
— Joue cette partie, Sil.
En tirant sur son bras, le corps de Silas s'affaisse brusquement contre les vitres et la balle repart dans son dédale. Il grimace et regarde son bourreau d'un air noir.
— T'as vu mon autre cadeau ? Ma belle ode à la tolérance et à l'amour.
— Alors c'était bien toi...
Il sourit, fier de la fêlure qu'il détecte dans sa voix. Le gars chelou a enfin plus d'une chose à laquelle il tient. Cet arbre et son mec, et quand on crache sur les deux en même temps, le résultat est si beau à voir.
— J'te vois zyeuter Nolan. T'as envie de te l'taper lui aussi ?
Silas a le tournis, les lumières autour de lui zigzaguent contre les écrans éteints, il se sent en train d'étouffer. Il se retient comme il peut contre la machine mais il lui faut de l'air. Ne pas penser, ne pas penser, ne pas penser. Aujourd'hui il est fatigué, il a à peine dormi ces derniers jours. Il est épuisé. Il aurait dû rentrer, c'est tout.
« ... lui aussi ? »
Il n'a pas reconnu Nolan ? Il ne sait pas que c'est lui, l'autre ?
Silas fronce les sourcils, mais le temps qu'il lève la tête le corps de son oppresseur recule, d'une façon un peu brusque. Le garçon de sa classe sent la main rude sur son épaule et tourne les yeux vers Nolan. L'air qu'il affiche n'a rien de rassurant, et les jeux de lumières et d'ombres qui dansent sur chaque parcelle de son visage, n'arrangent en rien l'aspect inquiétant qu'il dégage.
Il y a quelque chose d'angoissant, sur ce faciès, dans ses yeux transcendants, qui reflètent l'univers virtuel où ils sont tous.
Recule ou j't'éclate.
Il n'a rien dit de ça, rien de proche. Il a juste éructé un simple « Elles t'attendent ». Et ça avait sonné comme la pire des menaces. Le camarade se crispe, les sourcils haussés et la bouche tordue de confusion.
— Tu viens à la fête, Thompson ? demande-t-il d'un air blasé.
— Non.
— Etonnant.
Et une certaine ironie émane de ce dernier mot.
Discrètement, ses yeux passent de Nolan à Silas, analysant le moment. Le gars de la bibliothèque garde les yeux au sol, sentant son cœur battre trop vite. Il savait pas que c'était Nolan, il le savait pas, et si ça continue il va le comprendre.
— Weir.
La voix sèche, Silas se redresse lentement. Sa tête tourne, et il retient un souffle surpris quand les lèvres du garçon percutent presque son oreille alors qu'il lui tire le bras une dernière fois. Un doigt frôle sa nuque, comme un serpent devant sa proie. Il tressaille.
— Sympa ce p'tit suçon, on sait lequel se fait prendre.
Et il le lâche, s'en allant sans un dernier regard à Nolan. Les filles plus loin s'accrochent à son bras et ils disparaissent dans le noir de l'extérieur.
Nolan suit sa course en maintenant son expression lourde, et lorsqu'il n'y a plus aucune trace de cette ordure il se permet de revenir vers son cadet.
— Putain, qu'est-ce qu'il était lour-
Mais il s'immobilise. Devant lui, il n'est pas sûr de reconnaitre Silas. Ses yeux affolés, son teint pâle, comme s'il avait vu un fantôme. Il a ses deux mains plaquées à sa nuque, ses doigts fébriles sur sa peau, ses ongles à la limite de s'y enfoncer. Et Nolan peut presque entendre sa respiration devenir anarchique. Le garçon du sycomore, le garçon à l'écharpe rouge, le garçon qui s'en fout de tout.
— Silas ?... Merde, Sil ?
— Faut... que je sorte d'ici...
— Att-
— Faut que j'me barre de là !
Sa silhouette fonce entre les néons bleus et violet, bancale et tourmentée. Juste le temps de prendre un souffle Nolan court dans ses pas, espérant que ce ne soit pas une crise de panique. Pourtant, ça en a tout l'air.
Il ne paye pas attention aux gens qu'il bouscule, comme le passage d'un monde à l'autre, sa rétine souffre du changement d'atmosphère, son épiderme brûle du froid mordant et brutal quand ses pieds tombent sur le sol extérieur. Devant lui, Silas se fond dans l'obscurité de la nuit, les bras autour de son corps et la tête basse.
Nolan court une dernière fois et lui agrippe le poignet.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ce bâtard ?
— Qu'est-ce que ça peut foutre ?
— Sil !
— M'appelle pas comme ça putain !
Silas fait valser sa main et recule, le visage qui tente vainement de redevenir impassible, mais il n'y arrive pas. Ces cernes semblent encrés dans sa peau, comme une part de lui qui ne partira jamais. Au-dessus de sa tête le ciel tournoie, les étoiles tourbillonnent.
— Il savait pas que c'était toi...
— Que j'étais quoi ? s'inquiète Nolan.
— L'autre pédé.
Silence. Silas n'ose pas lever les yeux. Sa tête lourde, sa gorge nouée, maintenant c'est son estomac qui en fait des siennes et il se retient avec les mains sur ses genoux. Est-ce qu'il vient de gâcher la vie de Nolan Thompson ?
Le bitume absorbe un peu de lumière d'étoile, une poussière de fée défectueuse, qui tombe du ciel, qui s'infiltre entre les fissures d'asphalte. Et le temps passe et passe, la grande aiguille, la petite, la trotteuse. Un cadran céleste dans le sol qui tourne lui aussi. Comme son esprit, comme son cœur qui se tord.
— Qu'il aille se faire foutre.
Le cadet sursaute, sur le sol l'ombre de Nolan se rapproche. Silas, les yeux ronds, titube et se redresse trop abruptement.
— Qu'est-ce que tu fais ?...
Sa voix s'éteint sur la fin, alors que le corps de Nolan emprisonne le sien. Ses mains prennent son visage en coupe alors que ses lèvres viennent contre les siennes, dans un baiser fort, plus sincère. Plus profond, les pieds sur le bitume sale de cette nuit froide, sous des étoiles qui ont toujours été là. Il y a du violet, du bleu trop bleu, une brume d'éther un peu plus haut, contre les aléas d'un vent hivernal, qui annonce son arrivée imminente.
Lorsqu'ils se séparent, leurs lèvres encore légèrement entrouvertes, Silas l'observe de ses yeux rouges et cernés.
— Nolan, j'veux rentrer chez moi.
— Je te ramène.
En le soutenant un peu, ils se mettent à marcher loin de tout ça. Si bien que quand quelques minutes plus tard la maison de Silas s'élève devant leurs yeux, comme à son habitude, elle est sombre et vide.
Nolan reste sur le pas de la porte quand Silas insère sa clé dans la serrure.
— J'ai dû les voir qu'une seule fois, tes parents.
— A peine moins que moi.
Nolan le regarde pénétrer dans l'habitacle, après avoir appuyé sur l'interrupteur du côté.
— Tu veux que j'reste ?
Silas se retourne, sans répondre. Il observe Nolan, en retirant lentement son manteau crème. Il hausse les épaules, le visage toujours aussi blafard. Les nuits froides et solitaires sont-elles responsables de ses insomnies ? De son état, de sa vulnérabilité actuelle ?
— Sil, tu veux que je reste avec toi ?
Silas s'immobilise, un pied sur la première marche des escaliers, alors que Nolan reste à la porte. Dos à lui, il peut voir les épaules de son cadet s'affaisser, et sa main contre la rambarde se contracter.
— Oui, s'il te plait...
Ils ont un peu parlé, allongés dans le lit de Silas. Ce lit un peu trop grand pour une seule personne, un peu trop petit pour deux. Ils ont parlé de certaines choses, un tout petit peu de ce soir, des peurs auxquelles Silas ne veut pas faire face. Son beau-père et sa mère ne sont jamais là. Même quand ils sont là, ils ne le sont pas vraiment. Et tellement épuisé et perdu, c'est presque sans s'en rendre compte que Silas avoue à Nolan à quel point son père lui manque. Celui qui l'emmenait grimper le grand sycomore quand il était tout petit. Cet arbre qui était tout pour lui, et qui aujourd'hui est tout pour Silas.
Et petit à petit il se tait, somnolant. Nolan sent simplement la main de son cadet venir crocheter ses doigts, pour se raccrocher à quelque chose. Et Nolan bat des paupières, un peu pris de court par ce geste. C'est assez rare que ce soit lui qui initie les contacts.
Il se tourne sur le côté, sans aucun bruit. Les yeux clos de Silas montrent son épuisement, sa limite morale et physique, dévoilent les vestiges de peur sur ses paupières. Et sans vraiment y réfléchir, le bras de Nolan se tend pour enserrer le corps éreinté, qui se retrouve pris dans une étreinte chaude. Mollement, Silas tente de bouger un peu, dans un léger soupir. Le menton de Nolan se pose sur son crâne et Silas peut sentir son odeur. Ça le berce, ça le rassure.
— Sil ?
— Quoi ?
— Tu m'plais vraiment, tu sais.
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